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Décisions

CA Aix-en-Provence, 8e ch. a, 30 juin 2016, n° 16/06673

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

PARTIES

Défendeur :

Hom & Ter Développement (SAS), Laboratoire d'Herboristerie Générale (SAS), Hom Et Ter Production (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roussel

Conseillers :

Mme Durand, Mme Dubois

T. com. Marseille, du 21 janv. 2016, n° …

21 janvier 2016

Le 20 février 2015, différentes décisions ont été prises au sein des sociétés Hom&Ter Développement, Hom&Ter Production et Laboratoire d'Herboristerie Générale, que M. Christian D. a estimé être irrégulières.

Il s'est agi d'abord de la décision du conseil d'administration de la société HTD, réuni par M. Gilles T. qui a décidé de convoquer verbalement et sur-le-champ l'assemblée générale des associés avec, pour ordre du jour, la révocation du mandat de président de M. Christian D., ce qui fut fait, M. T. étant nommé à son remplacement.

Il s'est agi ensuite de la société HTP, ayant pour associé unique la société HTD, qui a décidé de supprimer le conseil d'administration prévu à l'article 13 des statuts, de révoquer les mandats des membres du conseil d'administration, dont celui de M. D. et de nommer M. T. comme président.

Il s'est agi, enfin, de la société Laboratoire d'Herboristerie Générale, dont l'associé unique a révoqué le mandat de directeur général de M. D. à effet immédiat.

M. D. a assigné ces sociétés, aux fins d'annulation de ces délibérations et en paiement de sa rémunération et de diverses autres sommes.

Par un premier jugement, en date du 11 août 2015, le tribunal de commerce de Marseille a, pour l'essentiel, prononcé des annulations de délibérations, après quoi M. D. a tenté vainement d'accéder à son poste.

M. T. a convoqué, à nouveau, des conseils d'administration au 17 août 2015 au cours desquels il a été mis fin à l'ensemble des mandats de M. D. et décidé de la suppression des conseils d'administration HTP et LHG.

Prenant argument de l'irrégularité du vote, M. Christian D. a assigné ces trois sociétés et par jugement du 21 janvier 2016, le tribunal de commerce de Marseille l'a débouté de sa demande d'annulation du conseil d'administration de la société Hom&Ter Développement S.A.S. du 17 aout 2015, des décisions de l'associé unique de la société Hom&Ter Production S.A.S. du 17 aout 2015, des décisions de l'associé unique de la société Laboratoire d'Herboristerie Générale du 17aout 2015, de l'assemblée générale de la société Hom&Ter Développement du 25 aout 2015, débouté également de sa demande tendant à l'annulation de tous conseils d'administration, assemblées ou décisions de l'associé unique postérieurs des sociétés Hom&Ter Développement S.A.S., Hom&Ter Production S.A.S. et Laboratoire d'Herboristerie Générale S.A.S., débouté de sa demande tendant à la condamnation de M. Gilles T. à prendre en charge l'ensemble des frais de publication, débouté de sa demande de désignation d'un mandataire ad hoc, condamné la Société Hom&Ter Développement S.A.S., à lui payer la rémunération due, soit 6 850,08 € brut mensuel à compter du mois d'aout 2014 jusqu'au 25 aout 2015 sans qu'il y ait lieu de prononcer une astreinte, ordonné à la société Hom&Ter Développement S.A.S. de remettre à M. Christian D. les bulletins de salaire correspondants.

M. Christian D. a fait appel partiel de ce jugement par déclaration du 1er mars 2016, enrôlé sous le n° 16/03562.

La Société Hom&Ter Développement S.A.S., la Société Laboratoire d'Herboristerie Générale S.A.S., la Société Hom&Ter Production S.A.S. et M. Gilles T. ont fait appel de ce jugement par déclaration du 1er mars 2016, appel limité en ce qu'il a condamné la première de ces sociétés à payer à M. D. la somme de 6850,08 euros brut mensuel du mois d'août 2014 au mois d'août 2015, a ordonné la remise de bulletins de salaire et condamné cette société ainsi que les deux autres sociétés aux dépens.

Les instances ont été jointes par ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 30 mars 2016, pour être suivies sous le seul n° 16/3492.

Le 11 avril 2016, M. D. a déposé un mémoire portant question prioritaire de constitutionnalité.

Dans le dernier mémoire qu'il a déposé le 10 mai 2016, il demande à la Cour de prendre acte de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions des articles L.235-1 et L.227-1 à L.227-20 du Code de commerce pour atteinte à l'article 4 de la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, pour rupture de l'égalité devant la loi, violation de la garantie des droits, principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et par la Convention Européenne de Sauvegardes des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentale, de constater que la question soulevée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites dont est saisie la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence, de constater que la question soulevée porte sur une disposition qui n'a pas été déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil Constitutionnel dans des circonstances identiques, de constater que la question soulevée présente un caractère sérieux, de la transmettre à la Cour de Cassation sans délai afin que celle-ci procède à l'examen qui lui incombe en vue de sa transmission au Conseil constitutionnel pour qu'il relève l'inconstitutionnalité de la disposition contestée, prononce son abrogation et fasse procéder à la publication qui en résultera.

Vu les conclusions déposées et notifiées le 6 mai 2016 par la S.A.S Hom&Ter Développement et M. Gilles T., ainsi que la S.A.S Hom & Ter Production et la S.A.S Laboratoire d'Herboristerie Générale , par lesquelles ils demandent à la cour de juger que la question prioritaire de constitutionnalité déposée par M. Christian D. est dépourvue de caractère sérieux, en conséquence de dire n'y avoir lieu à la transmettre à la Cour de Cassation et de condamner M. D. aux dépens distraits au profit de la SELARL Lexavoue Aix-en-Provence, avocats.

Vu les conclusions du ministère public en date du 22 avril 2016 par lesquelles il demande à la cour de ne pas transmettre la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation.

SUR CE, LA COUR,

Si M. D. fait grief d'inconstitutionnalité aux articles L.227-1 à L. 227-20 du code de commerce, dans le dispositif de son mémoire, son argumentation est uniquement centrée sur l'article L. 235-1 du Code de commerce qui dispose que : « La nullité d'une société ou d'un acte modifiant les statuts ne peut résulter que d'une disposition expresse du présent livre ou des lois qui régissent la nullité des contrats. En ce qui concerne les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions, la nullité de la société ne peut résulter ni d'un vice de consentement ni de l'incapacité, à moins que celle-ci n'atteigne tous les associés fondateurs. La nullité de la société ne peut non plus résulter des clauses prohibées par l'article 1844-1 du code civil. La nullité d'actes ou délibérations autres que ceux prévus à l'alinéa précédent ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du présent livre ou des lois qui régissent les contrats ».

Cette disposition est applicable au litige puisque le tribunal de commerce de Marseille a écarté la demande de nullité du Conseil d'administration du 17 août 2015 sur sa base.

Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

M. D. fait valoir que la SAS est une société particulière au sens où, la loi a posé pour principe la plus large liberté possible dans la rédaction des statuts de la SAS ; qu'en dépit de cela, l'article L235-1 fait échec à l'article 1134 Code civil et la force obligatoire des statuts peut être méconnue sans aucune sanction ; que pourtant, de la combinaison de l'article L227-5 du code de commerce qui dispose que « les statuts fixent les conditions dans lesquels la société est dirigée » avec l'article L. 227-9 qui dispose que « les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu'ils prévoient (') les décisions prises en violation des dispositions du présent article peuvent être annulées à la demande de tout intéressé », on pourrait déduire que la sanction du non-respect des statuts est la nullité ; que dès lors que les associés de SAS ne peuvent invoquer une nullité que sur le fondement du livre II du Code de commerce chapitre I « Des nullités » du titre III intitulé « Dispositions communes aux diverses sociétés commerciales », de l'article L. 227-9 alinéa 4 du Code de commerce, et lorsque l'unanimité est exigée ; qu'il existe donc une rupture de l'égalité devant la loi des associés de SAS puisque les associés d'autres sociétés peuvent invoquer le non-respect de règles impératives beaucoup plus nombreuses pour obtenir la nullité de décisions sociales ; que la disposition contestée viole le principe d'égalité consacré par l'article 6 de la Déclaration de 1789 , à propos duquel le Conseil constitutionnel juge constamment que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » et que « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit » ; qu'il existe aussi une atteinte à l'article 4 de la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qui dispose que : « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. » ; qu'est également contredit l'article 16 de la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qui dispose que : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution », car en effet les droits des associés de SAS ne sont pas assurés ; que sur la base du principe de liberté individuelle, énoncé à l'article 4 de la DDH, le Conseil constitutionnel a assis l'obligation pour le législateur de respecter l'économie des conventions et contrats légalement conclus ( DC n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000) ; que pour Pierre-Yves G. (Cahiers du Conseil constitutionnel n° 31- mars 2011 ), « au fil du temps, le Conseil a pu isoler une liberté propre aux contrats et pour laquelle il a forgé une jurisprudence particulière : la liberté contractuelle » ; que dans son considérant 15 de sa décision 2015-476 QPC du 17 juillet 2015 le Conseil constitutionnel juge que « le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 » ; que ce principe est applicable aux lois nouvelles mais également aux lois antérieures aux contrats s'il y a une atteinte non justifiée par un motif d'intérêt général à la loi des parties ; que pour qu'une liberté existe il faut que son atteinte soit sanctionnée ; qu'or, l'article L.235-1 porte atteinte à cette liberté contractuelle en limitant, voire en écartant les sanctions lorsqu'il y a violation des statuts d'une SAS ; que quant au Ministère public, il n'indique pas dans ses conclusions quel est l'intérêt général protégé.

Mais, sous couvert du grief d'inconstitutionnalité de la loi, M. D. critique en réalité l'interprétation que fait la Cour de Cassation de l'alinéa 2 de l'article L.235-1 du Code de commerce , jurisprudence qui imprègne la motivation du jugement dont appel lequel fait explicitement référence à l'arrêt rendu le 18 mai 2010 par la chambre commerciale de la Haute juridiction ( n°09-14.855), qui a jugé « qu'il résulte de l'article L. 235 ' 1 alinéa 2, du code de commerce que la nullité des actes ou délibération pris par les organes d'une société commerciale ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du livre II du même code ou des lois qui régissent les contrats ».

Cela est si vrai que dans son mémoire initial il fait lui-même état de « l'interprétation actuelle » de la disposition législative contestée (« il faut se rappeler que l'interprétation actuelle de l'article L. 235-1 fait échec à l'article 1134 Code civil »).

La Cour de cassation juge habituellement qu'est dépourvue de caractère sérieux et ne satisfait pas aux exigences du texte, une question prioritaire de constitutionnalité dont l'inconstitutionnalité alléguée concerne non la disposition législative en tant que telle mais son interprétation par la jurisprudence (cf notamment : Cour de cassation, assemblée plénière, 19 mai 2010, n°09-70161 ).

Dans ces conditions, eu égard aux dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, la cour ne peut que constater l'absence de caractère sérieux de la question posée, ce qui met obstacle à sa transmission à la Cour de cassation.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe, contradictoirement,

Dit que la question prioritaire de constitutionnalité déposée par M. Christian D. est dépourvue de caractère sérieux,

En conséquence,

Dit n'y avoir lieu à la transmettre à la Cour de cassation,

Joint les dépens au fond.