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Décisions

CJUE, 9e ch., 15 juin 2023, n° C-287/22

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Getin Noble Bank (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Rossi

Juges :

M. Rodin, Mme Spineanu‑Matei

Avocat général :

Mme Medina

Avocats :

Me Pledziewicz, Me Hejmej, Me Przygodzka, Me Szczęśniak

CJUE n° C-287/22

14 juin 2023

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29), lus à la lumière des principes d’effectivité et de proportionnalité.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant YQ et RJ à Getin Noble Bank S.A., au sujet d’une demande d’octroi de mesures provisoires tendant à faire ordonner qu’il soit sursis à l’exécution d’un contrat de prêt hypothécaire indexé en devise étrangère, dans l’attente d’une décision définitive relative à la restitution des sommes indûment payées en application des clauses abusives figurant dans ce contrat.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3 Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

4 L’article 7, paragraphe 1, de cette directive énonce :

« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »

 Le droit polonais

 Le code civil

5 L’ustawa – Kodeks cywilny (loi portant code civil), du 23 avril 1964 (Dz. U. no 16, position 93), dans sa version consolidée (Dz. U. de 2020, position 1740) (ci-après le « code civil »), dispose, à son article 3851 :

« 1. Les clauses d’un contrat conclu avec un consommateur qui n’ont pas fait l’objet d’une négociation individuelle ne lient pas ce consommateur lorsqu’elles définissent les droits et obligations de celui-ci d’une façon contraire aux bonnes mœurs, en portant manifestement atteinte à ses intérêts (clauses contractuelles illicites). La présente disposition n’affecte pas les clauses qui définissent les obligations principales des parties, dont le prix ou la rémunération, si ces clauses sont formulées de manière non équivoque.

2. Lorsqu’une clause de ce contrat ne lie pas ledit consommateur en application du paragraphe 1, les parties restent liées par les autres clauses dudit contrat.

3. Les clauses d’un contrat qui n’ont pas fait l’objet d’une négociation individuelle sont des clauses contractuelles sur le contenu desquelles un consommateur n’a pas eu d’influence réelle. Il s’agit, en particulier, des clauses contractuelles reprises d’un modèle de contrat proposé à ce consommateur par le cocontractant de ce dernier.

4. Il appartient à quiconque allègue qu’une clause a été négociée individuellement d’apporter la preuve d’une telle allégation. »

6 L’article 405 du code civil énonce :

« Toute personne qui, sans fondement juridique, a obtenu un avantage pécuniaire aux dépens d’une autre personne est tenue de restituer cet avantage en nature et, si cela n’est pas possible, d’en rembourser la valeur. »

7 Aux termes de l’article 410 de ce code :

« 1. Les dispositions des articles précédents s’appliquent, notamment, en cas de prestation indue.

2. Une prestation est indue si la personne qui l’a fournie n’était absolument pas tenue de la fournir ou n’était pas tenue de la fournir à la personne à qui elle a été fournie, si le fondement de cette prestation a disparu, si le but visé par ladite prestation n’a pas été atteint ou si l’acte juridique exigeant la même prestation était nul et n’est pas devenu valable après que cette dernière a été fournie. »

 Le code de procédure civile

8 L’ustawa – Kodeks postępowania cywilnego (loi portant code de procédure civile), du 17 novembre 1964 (Dz. U. no 43, position 296), dans sa version consolidée (Dz. U. de 2021, position 1805) (ci-après le « code de procédure civile »), dispose, à son article 189 :

« Une partie requérante peut demander à une juridiction de constater l’existence ou l’inexistence d’un rapport juridique ou d’un droit, pour autant qu’elle ait un intérêt légitime à agir. »

9 L’article 7301 de ce code énonce :

« 1. Toute partie à la procédure peut demander l’octroi de mesures conservatoires pour autant qu’elle démontre l’existence prima facie de sa créance et de l’intérêt à demander ces mesures.

2. L’intérêt à demander l’octroi de mesures conservatoires existe lorsque l’absence d’octroi de ces mesures empêcherait ou entraverait sérieusement l’exécution de la décision à intervenir dans l’affaire concernée ou empêcherait ou entraverait sérieusement de toute autre manière la réalisation de l’objectif de la procédure dans cette affaire.

[...]

3. Lorsqu’il statue sur une demande d’octroi de mesures conservatoires, le juge est tenu de prendre en compte les intérêts des parties à la procédure de manière à garantir au bénéficiaire une protection juridique adéquate et à ne pas obliger le débiteur plus que nécessaire. »

10 Aux termes de l’article 731 dudit code, l’octroi d’une mesure conservatoire ne saurait être destiné à faire exécuter une créance, sauf disposition contraire de la loi.

11 L’article 755 du même code prévoit :

« 1. Lorsqu’une demande d’octroi de mesures conservatoires ne porte pas sur des créances pécuniaires, le juge ordonne des mesures conservatoires qu’il estime appropriées dans les circonstances de l’espèce, sans exclure l’octroi des mesures conservatoires prévues pour les créances pécuniaires. En particulier, le juge peut :

1) fixer les droits et les obligations des parties ou des participants à la procédure d’exécution concernée pour la durée de celle-ci ;

2) interdire l’aliénation des biens ou des droits concernés par cette procédure ;

3) suspendre ladite procédure ou toute autre procédure d’exécution de la décision concernée ;

4) [...]

5) ordonner qu’une mention appropriée soit inscrite au registre foncier ou dans tout autre registre pertinent.

2. [...]

21. L’article 731 ne s’applique pas si l’octroi des mesures conservatoires demandées est nécessaire pour éviter un dommage imminent ou d’autres conséquences négatives pour le bénéficiaire.

3. Le juge notifie au débiteur une ordonnance rendue à huis clos lui imposant d’accomplir ou de s’abstenir d’accomplir un acte ou de ne pas entraver un acte du bénéficiaire. Cette disposition ne s’applique pas aux ordonnances imposant la remise de choses possédées par le débiteur. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

12 En 2008, YQ et RJ ont conclu avec Getin Noble Bank un contrat de prêt hypothécaire amortissable sur une durée de 360 mois pour un montant de 643 395,63 zlotys polonais (PLN) (environ 140 000 euros) (ci-après le « contrat de prêt en cause au principal »). Ce contrat de prêt prévoyait une clause de conversion en franc suisse (CHF) de ce montant, au taux d’achat fixé par cette banque, avec un taux d’intérêt variable. Les mensualités, calculées en CHF, étaient remboursables en PLN au taux de vente du CHF, également fixé unilatéralement par ladite banque. Les requérants au principal ont été informés de l’incidence des variations des taux d’intérêt et de change sur ledit contrat de prêt sous la forme d’un tableau comparatif.

13 Le 25 mai 2021, ces requérants ont saisi le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie, Pologne), en tant que juridiction statuant en première instance, d’une demande tendant à faire constater la nullité du contrat de prêt en cause au principal et à condamner Getin Noble Bank au paiement d’un montant de 375 042,34 PLN (environ 94 000 euros), c’est-à-dire le montant des mensualités qu’ils avaient déjà acquittées à la date du dépôt de leur demande devant cette juridiction, majoré des intérêts légaux de retard et des dépens. Lesdits requérants faisaient valoir, à cet égard, que les clauses de ce contrat de prêt concernant l’indexation du montant du prêt concerné sur une devise étrangère constituaient des « clauses abusives », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13.

14 Les requérants au principal ont également déposé une demande d’octroi de mesures provisoires, visant à fixer les droits et obligations des parties à la procédure ainsi que consistant, pour la durée de l’instance, d’abord, à suspendre l’obligation de payer les mensualités prévues dans ledit contrat de prêt, à hauteur du montant et aux dates qui y étaient spécifiées pour la période allant de l’introduction du recours en première instance jusqu’à la clôture définitive de la procédure, ensuite, à interdire à Getin Noble Bank de leur envoyer un préavis de résiliation et, enfin, à interdire à cette banque de publier auprès du Biuro Informacji Gospodarczej (Bureau des informations économiques, Pologne) une information relative à un défaut de remboursement du prêt concerné par les requérants au principal pendant la période allant de l’octroi des mesures provisoires demandées à la clôture de la procédure.

15 Ladite juridiction a toutefois rejeté la demande d’octroi de mesures provisoires déposée par les requérants au principal. Selon elle, ces requérants n’avaient pas démontré l’existence d’un intérêt légitime à demander l’octroi de mesures provisoires dès lors que rien ne permettait d’affirmer que l’absence d’octroi de telles mesures aurait empêché ou entravé sérieusement l’exécution de la décision juridictionnelle à intervenir dans l’affaire au principal ou la réalisation de l’objectif de la procédure dans cette affaire. Partant, les conditions prévues à l’article 7301, paragraphes 1 et 2, du code de procédure civile n’auraient pas été satisfaites.

16 Les requérants au principal ont interjeté appel de la décision de la même juridiction auprès du Sąd Okręgowy w Warszawie XXVIII Wydział Cywilny (tribunal régional de Varsovie, XXVIIIe division civile, Pologne), la juridiction de renvoi, faisant valoir qu’ils avaient un intérêt légitime à solliciter l’octroi desdites mesures provisoires. Getin Noble Bank a contesté une telle demande, soutenant, notamment, que l’existence prima facie de la créance de ces requérants n’avait pas été démontrée. En outre, cette banque a mis en doute le caractère abusif des clauses du contrat de prêt en cause au principal et a souligné que sa situation financière était satisfaisante.

17 La juridiction de renvoi expose qu’une demande a été introduite devant elle en vue d’obtenir l’octroi de mesures provisoires consistant en la suspension de l’obligation de paiement des mensualités prévues dans le contrat de prêt en cause au principal pour la période allant de la date d’introduction du recours en première instance à la clôture définitive de la procédure. S’agissant d’une demande d’octroi de mesures provisoires, cette juridiction explique qu’elle statue sur la base d’une démonstration prima facie des allégations des parties au principal.

18 À cet égard, ladite juridiction estime, d’une part, s’agissant de l’existence prima facie de la créance des requérants au principal, qu’il est démontré que certaines des clauses contractuelles concernées sont abusives et que le contrat de prêt en cause au principal doit être annulé, en ce que l’exécution de ce dernier n’est objectivement plus possible selon le droit polonais. La même juridiction rappelle que, en vertu de l’article 410 du code civil, chacune des parties à un contrat nul dispose d’un droit, indépendant de celui de l’autre partie, au remboursement de la prestation effectuée.

19 D’autre part, s’agissant de la démonstration de l’intérêt légitime à agir des requérants au principal, la juridiction de renvoi relève qu’un tel intérêt existe, conformément à l’article 7301, paragraphe 2, du code de procédure civile, lorsque l’absence d’octroi de mesures provisoires empêcherait ou entraverait sérieusement l’exécution de la décision à intervenir dans l’affaire au principal ou la réalisation de l’objectif de la procédure dans cette affaire.

20 Cette juridiction expose que les juridictions nationales font cependant rarement droit aux demandes de consommateurs visant à octroyer de telles mesures provisoires dans des circonstances telles que celles en cause au principal. En effet, certaines de ces juridictions indiqueraient qu’une action en constatation de nullité d’un contrat en raison du caractère abusif d’une clause contractuelle figurant dans celui-ci n’est pas susceptible d’aboutir à une exécution forcée et ne nécessiterait donc pas l’octroi de mesures provisoires. D’autres juridictions estimeraient que l’octroi d’une mesure provisoire doit être destiné non pas à l’exécution d’une créance, mais à éviter la survenance d’un dommage ou d’autres conséquences négatives pour le consommateur concerné, si bien que l’octroi d’une telle mesure ne serait possible que s’il était démontré prima facie que la banque concernée se trouve dans une mauvaise situation financière. Enfin, il existerait une jurisprudence des mêmes juridictions, selon laquelle, en cas d’annulation d’un contrat de prêt, le consommateur concerné doit s’acquitter de ses obligations à l’égard de cette banque, en lui remboursant le capital emprunté. Partant, ce consommateur n’aurait aucun intérêt à demander l’octroi de mesures provisoires telles que celles demandées dans l’affaire au principal, puisqu’il serait de toute manière tenu d’effectuer des paiements à ladite banque quelle que soit la décision définitive à intervenir sur le fond, au titre du remboursement du capital utilisé ou, encore, au titre de la « rémunération pour l’utilisation de ce capital ».

21 La juridiction de renvoi considère notamment que, en ce que la directive 93/13 vise à protéger le consommateur concerné en rétablissant l’égalité entre les parties, cette directive s’oppose à un refus d’octroi de telles mesures provisoires. Cette juridiction est d’avis que, lorsque l’élimination de clauses contractuelles abusives implique l’invalidité intégrale d’un contrat de prêt, l’octroi de mesures provisoires appropriées, telles que la suspension de l’obligation de payer les mensualités comprenant le capital et les intérêts dus au titre de ce contrat de prêt pour la durée de la procédure, est en principe nécessaire pour assurer la pleine efficacité de la décision à intervenir sur le fond. Selon ladite juridiction, lorsque, à la suite de la suppression des clauses contractuelles abusives dudit contrat de prêt, ce dernier ne peut objectivement plus être exécuté, le refus d’octroyer de telles mesures provisoires compromettrait l’effet restitutoire imposé à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 ainsi que, partant, l’effet utile de ces dispositions.

22 À cet égard, la juridiction de renvoi précise, notamment, que le droit polonais prévoit des modalités procédurales selon lesquelles le montant de la demande est fixé à la date du dépôt de la demande en constatation de nullité du contrat de prêt concerné. Un consommateur ne pourrait donc demander le remboursement que du montant des mensualités déjà acquittées jusqu’à cette date. Par conséquent, en l’absence d’octroi d’une mesure provisoire au début de la procédure, ce consommateur serait contraint, à la fin de cette dernière, d’engager une nouvelle procédure contre la banque concernée, laquelle aurait pour objet le remboursement des mensualités payées par lui au cours de la période comprise entre le début et la fin de cette nouvelle procédure. Selon la juridiction de renvoi, une telle situation pénalise ledit consommateur et porte atteinte à l’effet utile de la directive 93/13. En outre, le rétablissement de l’équilibre entre les droits et les obligations des parties ne saurait être réalisé par l’adoption d’une telle décision sur le fond, puisque seul le même consommateur serait contraint d’engager une autre procédure juridictionnelle afin de faire valoir ses droits et donc d’y consacrer encore davantage de moyens financiers et de temps.

23 Dans ces conditions, le Sąd Okręgowy w Warszawie XXVIII Wydział Cywilny (tribunal régional de Varsovie, XXVIIIe division civile) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« À la lumière des principes d’effectivité et de proportionnalité, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 s’opposent-ils à une interprétation de la législation nationale ou de la jurisprudence nationale selon laquelle ce dernier peut, compte tenu notamment des obligations incombant à un consommateur de s’acquitter de ses engagements à l’égard du professionnel concerné ou de la situation financière satisfaisante de ce dernier, rejeter la demande d’octroi de mesures provisoires de ce consommateur tendant à la suspension, pour la durée de la procédure, de l’exécution d’un contrat susceptible d’être déclaré nul en raison de la suppression de clauses abusives qu’il contient ? »

 Sur la question préjudicielle 

 Sur la recevabilité

24 Getin Noble Bank conteste la recevabilité de la demande de décision préjudicielle.

25 En substance, la défenderesse au principal fait valoir, à cet égard, en premier lieu, que cette demande ne porte pas sur l’interprétation du droit de l’Union dès lors que les dispositions de la directive 93/13 ne sont pas applicables aux effets de la suppression des clauses abusives, étant donné que l’objectif de cette directive serait atteint lorsque l’équilibre entre les parties est rétabli. Les effets de l’invalidation d’un contrat contenant des clauses abusives relèveraient donc du droit national. Partant, la question de la juridiction de renvoi porterait, en réalité, sur les conditions d’application de mesures provisoires dans des circonstances où, en raison de l’annulation du contrat concerné, les parties à ce contrat auraient été mises sur un pied d’égalité et ne se trouveraient plus dans un rapport entre un consommateur et un professionnel. Ainsi, il n’y aurait pas lieu d’appliquer les dispositions de ladite directive pour apprécier le bien-fondé de la demande d’octroi de ces mesures provisoires.

26 À cet égard, il convient de rappeler qu’il appartient au seul juge national qui est saisi du litige au principal d’apprécier la nécessité d’une décision préjudicielle et la pertinence des questions qu’il pose à la Cour, lesquelles bénéficient d’une présomption de pertinence. Ainsi, la Cour est, en principe, tenue de statuer, dès lors que la question posée porte sur l’interprétation ou la validité d’une règle du droit de l’Union, sauf s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet de ce litige, si le problème est de nature hypothétique ou encore si la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile à cette question (voir, en ce sens, arrêt du 5 mai 2022, Zagrebačka banka, C‑567/20, EU:C:2022:352, point 43 et jurisprudence citée).  

27 En outre, conformément à une jurisprudence constante, lorsqu’il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, l’objection tirée de l’inapplicabilité de cette disposition à l’affaire au principal n’a pas trait à la recevabilité de la demande de décision préjudicielle, mais relève du fond des questions [arrêts du 4 juillet 2019, Kirschstein, C‑393/17, EU:C:2019:563, point 28, et du 27 avril 2023, M.D. (Interdiction d’entrée en Hongrie), C‑528/21, EU:C:2023:341, point 52 ainsi que jurisprudence citée].

28 En l’occurrence, d’une part, le litige au principal porte sur une demande d’octroi de mesures provisoires tendant notamment à ce qu’il soit sursis à l’exécution d’un contrat de prêt hypothécaire conclu avec des consommateurs par un professionnel, dans l’attente d’une décision définitive sur l’invalidation de ce contrat en raison du caractère abusif d’une des clauses figurant dans celui-ci. D’autre part, la question préjudicielle porte sur l’interprétation des dispositions de la directive 93/13 qui imposent notamment aux États membres de veiller à ce que des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel, et vise à déterminer si ces dispositions s’opposent à une jurisprudence nationale qui permettrait de rejeter une telle demande.

29 Dans ces conditions, il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation sollicitée de la directive 93/13 soit sans aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou que le problème soulevé présente un caractère hypothétique.

30 Par ailleurs, il importe de rappeler que la protection accordée par la directive 93/13 ne saurait être limitée à la seule durée de l’exécution d’un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel, mais elle vaut également après l’exécution de ce contrat. Ainsi, s’il appartient, certes, aux États membres, en cas d’invalidation du contrat conclu entre un consommateur et un professionnel en raison du caractère abusif d’une des clauses figurant dans celui-ci, de régler, au moyen de leur droit national, les effets de cette invalidation, il n’en reste pas moins que cela doit être effectué dans le respect de la protection accordée par cette directive à un consommateur, en particulier, en garantissant le rétablissement de la situation en droit et en fait qui aurait été celle de ce consommateur en l’absence de cette clause abusive [voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2023, M.B. e.a. (Effets de l’invalidation d’un contrat), C‑6/22, EU:C:2023:216, points 21 et 22].

31 En second lieu, Getin Noble Bank soutient que la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile à la question qui lui est posée dès lors que la qualification des requérants au principal en tant que consommateurs par la juridiction de renvoi serait erronée eu égard aux circonstances de l’espèce.

32 À cet égard, il convient de rappeler que les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. En outre, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur l’interprétation des dispositions nationales et de juger si l’interprétation ou l’application qu’en donne le juge national est correcte, une telle interprétation relevant de la compétence exclusive de ce dernier (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2020, Sociálna poisťovňa, C‑799/19, EU:C:2020:960, points 44 et 45 ainsi que jurisprudence citée).

33 En l’occurrence, la juridiction de renvoi ayant considéré que les requérants au principal étaient des consommateurs, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur une telle qualification. La Cour dispose, ainsi, des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile à la question posée.

34 Partant, il y a lieu de considérer que la demande de décision préjudicielle est recevable.

 Sur le fond

35 Par sa question unique, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une jurisprudence nationale selon laquelle le juge national peut rejeter une demande d’octroi de mesures provisoires d’un consommateur tendant à la suspension, dans l’attente d’une décision définitive relative à l’invalidation du contrat de prêt conclu par ce consommateur au motif que ce contrat comporte des clauses abusives, du paiement des mensualités dues en vertu dudit contrat, lorsque de telles mesures sont nécessaires pour assurer la pleine efficacité de cette décision.

36 À titre liminaire, il convient de rappeler que la directive 93/13 a pour objectif d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2020, Banca B., C‑269/19, EU:C:2020:954, point 37).

37 À cette fin, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 impose aux États membres de veiller à ce que les clauses contractuelles abusives ne lient pas le consommateur, sans que celui-ci ait besoin de former un recours et d’obtenir un jugement confirmant le caractère abusif de ces clauses (arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM, C‑243/08, EU:C:2009:350, points 20 à 28). Il s’ensuit que les juridictions nationales sont tenues d’écarter l’application desdites clauses afin qu’elles ne produisent pas d’effets contraignants à l’égard d’un consommateur, sauf si ce dernier s’y oppose (arrêt du 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria et Bankia, C‑70/17 et C‑179/17, EU:C:2019:250, point 52 ainsi que jurisprudence citée).

38 En outre, conformément à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

39 Dans ce contexte, la Cour a considéré qu’il appartient aux États membres de définir, dans leur droit national, les modalités dans le cadre desquelles le constat du caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat est établi et les effets juridiques concrets de ce constat sont matérialisés. Toutefois, ledit constat doit permettre de rétablir la situation en droit et en fait qui aurait été celle du consommateur concerné en l’absence de cette clause abusive. En effet, un tel encadrement par le droit national de la protection garantie aux consommateurs par la directive 93/13 ne saurait porter atteinte à la substance de cette protection [voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 2022, Profi Credit Bulgaria (Compensation d’office en cas de clause abusive), C‑170/21, EU:C:2022:518, point 43 et jurisprudence citée]. 

40 Conformément à une jurisprudence constante, en l’absence de réglementation spécifique de l’Union en la matière, les modalités de mise en œuvre de la protection des consommateurs prévue par la directive 93/13 relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers. Cependant, ces modalités ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) [arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑776/19 à C‑782/19, EU:C:2021:470, point 27 ainsi que jurisprudence citée].

41 Ainsi, s’agissant, en particulier, des mesures provisoires sollicitées en vue de faire valoir les droits découlant de la directive 93/13, la Cour a pu considérer que cette directive s’oppose à une réglementation nationale qui ne permet pas au juge du fond, compétent pour apprécier le caractère abusif d’une clause contractuelle, d’adopter des mesures provisoires, telles que la suspension d’une procédure d’exécution, lorsque l’octroi de ces mesures est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de sa décision finale, cette réglementation étant de nature à porter atteinte à l’effectivité de la protection voulue par ladite directive (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2013, Aziz, C‑415/11, EU:C:2013:164, points 59, 60 et 64).

42 En outre, la Cour a eu l’occasion de préciser qu’il peut être nécessaire d’octroyer de telles mesures, notamment, lorsqu’il existe un risque que ce consommateur paye, au cours d’une procédure juridictionnelle dont la durée peut être considérable, des mensualités d’un montant plus élevé que celui effectivement dû si la clause concernée devait être écartée (voir, en ce sens, ordonnance du 26 octobre 2016, Fernández Oliva e.a., C‑568/14 à C‑570/14, EU:C:2016:828, points 34 à 36).

43 Partant, la protection garantie aux consommateurs par la directive 93/13, en particulier à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de celle-ci, requiert que le juge national doit pouvoir octroyer une mesure provisoire appropriée, si cela est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de la décision à intervenir en ce qui concerne le caractère abusif de clauses contractuelles.

44 En l’occurrence, en ce qui concerne le principe d’équivalence, il ne ressort pas des informations fournies par la juridiction de renvoi que la législation nationale pertinente en matière de mesures provisoires soit appliquée différemment selon qu’un litige porte sur des droits tirés du droit national ou sur des droits tirés du droit de l’Union.

45 En ce qui concerne le principe d’effectivité, il y a lieu de rappeler que chaque cas de figure où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure devant les diverses instances nationales, ainsi que du déroulement et des particularités de cette dernière (voir, en ce sens, arrêt du 18 février 2016, Finanmadrid EFC, C‑49/14, EU:C:2016:98, point 43). Il en va nécessairement de même en ce qui concerne une interprétation jurisprudentielle de cette disposition nationale.

46 À cet égard, il découle des indications figurant dans la demande de décision préjudicielle et des observations écrites déposées devant la Cour, notamment, par le gouvernement polonais, que le code de procédure civile permet au juge polonais saisi d’une procédure en constatation de nullité d’un contrat en raison du caractère abusif d’une clause contractuelle figurant dans celui-ci, d’octroyer des mesures provisoires. La juridiction de renvoi fait référence, à cet égard, à l’article 7301 du code de procédure civile, concernant les conditions d’octroi de mesures provisoires, et à l’article 755, paragraphe 21, de ce code, en vertu duquel ce juge peut octroyer une mesure conservatoire, et ce même si elle était destinée à exécuter une créance, lorsque cela est nécessaire pour éviter la survenance d’un dommage imminent ou d’autres conséquences négatives pour le bénéficiaire.

47 Il existe toutefois, selon la juridiction de renvoi, un courant important dans la jurisprudence nationale consistant à rejeter les demandes d’octroi d’une mesure provisoire dans des circonstances telles que celles en cause au principal, à savoir lorsqu’est demandée la suspension, jusqu’au prononcé de la décision définitive sur le fond, du paiement des mensualités dues au titre d’un contrat de prêt susceptible d’être invalidé en raison des clauses abusives qu’il contiendrait. Selon cette jurisprudence, un tel rejet serait justifié par l’absence d’« intérêt à agir » du consommateur concerné pour les motifs résumés au point 20 du présent arrêt.

48 Or, il ressort des informations figurant dans la demande de décision préjudicielle et des observations écrites déposées devant la Cour par le gouvernement polonais que le juge national statue, dans le cadre de l’examen d’une action en constatation de nullité d’un contrat en raison du caractère abusif d’une clause contractuelle figurant dans celui-ci, en principe, sous peine de juger ultra petita, sur les conclusions formulées dans le recours, c’est-à-dire, sauf extension de la portée de ce recours, sur les montants payés jusqu’à l’introduction de la demande dont il est saisi. Par conséquent, lorsque ce juge constate, sur le fond, que, à la suite de la suppression de cette clause, ce contrat ne peut objectivement plus être exécuté, ainsi que cela serait le cas dans l’affaire au principal, et qu’il y a lieu de restituer au consommateur concerné les sommes qu’il a indûment versées en vertu dudit contrat, le rejet d’une demande d’octroi d’une mesure provisoire tendant à la suspension du paiement des mensualités dues au titre du même contrat rendrait, à tout le moins en partie, inefficace la décision définitive à intervenir sur le fond. En effet, une telle décision définitive ne conduirait pas à rétablir la situation en droit et en fait qui aurait été celle de ce consommateur en l’absence de ladite clause abusive, conformément à la jurisprudence citée au point 39 du présent arrêt, dès lors que, en vertu des modalités procédurales applicables, seule une partie du montant déjà versé pourrait faire l’objet de cette décision définitive.

49 Il s’ensuit que, dans de telles circonstances, l’octroi d’une mesure provisoire tendant à la suspension du paiement des mensualités dues au titre d’un contrat de prêt susceptible d’être invalidé en raison d’une clause abusive figurant dans celui-ci pourrait être nécessaire pour garantir la pleine efficacité de la décision à intervenir, l’effet restitutoire que celle-ci entraîne et, partant, l’effectivité de la protection assurée par la directive 93/13.

50 En effet, ainsi qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle, à défaut d’octroi d’une mesure provisoire tendant à la suspension de son obligation contractuelle de paiement de ces mensualités, un consommateur devrait, afin d’éviter qu’une décision définitive relative à l’invalidité du contrat de prêt concerné ne consiste que dans un rétablissement partiel de sa situation, soit étendre la portée de sa demande initiale, après le paiement de chaque mensualité, soit, à la suite d’une décision annulant ce contrat de prêt, engager une nouvelle action, dont l’objet serait le règlement des mensualités payées au cours de la première procédure. À cet égard, il convient de relever que le gouvernement polonais, dans ses observations écrites, fait observer que, en vertu de l’article 25a de l’ustawa o kosztach sądowych w sprawach cywilnych (loi sur les frais de justice en matière civile), du 28 juillet 2005 (Dz. U. no 167, position 1398), dans sa version consolidée (Dz. U. de 2022, position 1125), toute extension de la portée d’un recours est soumise à des frais de justice.

51 Par ailleurs, l’introduction d’une nouvelle action par un consommateur est, selon la juridiction de renvoi, en tout état de cause nécessaire lorsque la première procédure en constatation de nullité d’un contrat de prêt en raison du caractère abusif d’une clause contractuelle figurant dans celui-ci est suivie d’une procédure d’appel, dès lors que, dans ce cas de figure, les règles procédurales du droit polonais ne prévoiraient pas la possibilité d’une extension de la portée du recours de première instance. Dans ces circonstances, il serait évident que, en l’absence d’octroi de mesures provisoires tendant à la suspension de l’obligation de paiement des mensualités dues au titre de ce contrat de prêt, la décision invalidant ce dernier et ordonnant le remboursement des montants déjà versés par ce consommateur ne permettrait pas d’atteindre l’objectif de la directive 93/13 consistant à rétablir la situation en droit et en fait antérieure de celui-ci.

52 En outre, ainsi qu’il a été relevé au point 42 du présent arrêt, l’octroi d’une telle mesure provisoire apparaît d’autant plus nécessaire lorsque ledit consommateur a versé à la banque concernée un montant supérieur à celui de la somme empruntée avant même qu’il n’ait engagé une procédure.

53 Enfin, il n’est pas exclu que, en l’absence d’octroi d’une mesure provisoire tendant à la suspension de l’obligation contractuelle du même consommateur, la prolongation de la procédure concernée conduise à une détérioration de la situation financière de celui-ci à un point tel que celui-ci n’aurait plus les moyens d’engager les actions nécessaires afin d’obtenir le remboursement des sommes auxquelles il a droit au titre du contrat invalidé.

54 De telles circonstances pourraient également augmenter le risque qu’un consommateur ne soit plus en mesure de payer les mensualités dues au titre dudit contrat de prêt, ce qui pourrait amener la banque concernée à procéder à une procédure d’exécution de sa créance sur le fondement d’un contrat de prêt susceptible d’être invalidé.

55 Il résulte de ce qui précède qu’une jurisprudence nationale selon laquelle est refusé l’octroi de mesures provisoires tendant à la suspension du paiement de mensualités dues au titre d’un contrat de prêt, alors que ces mesures sont nécessaires pour garantir la protection accordée aux consommateurs par la directive 93/13, n’apparaît pas, eu égard à sa place dans l’ensemble des modalités procédurales prévues dans le droit polonais, conforme au principe d’effectivité et, partant, n’est pas compatible avec l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13.

56 Cela étant, il importe, en premier lieu, de rappeler que les juridictions nationales doivent faire tout ce qui relève de leur compétence, en prenant en considération l’ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, afin de garantir la pleine effectivité de cette directive et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (arrêt du 6 novembre 2018, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften, C‑684/16, EU:C:2018:874, point 59 et jurisprudence citée).

57 L’exigence d’une telle interprétation conforme inclut, notamment, l’obligation, pour les juridictions nationales, de modifier, le cas échéant, une jurisprudence établie si celle-ci repose sur une interprétation du droit national incompatible avec les objectifs d’une directive. Partant, une juridiction nationale ne saurait valablement considérer qu’elle se trouve dans l’impossibilité d’interpréter une disposition du droit national en conformité avec le droit de l’Union en raison du seul fait que cette disposition a, de manière constante, été interprétée dans un sens qui n’est pas compatible avec ce dernier droit (arrêt du 26 juin 2019, Addiko Bank, C‑407/18, EU:C:2019:537, point 66 et jurisprudence citée).

58 En l’occurrence, la juridiction de renvoi et le gouvernement polonais estiment que la réglementation concernée, et, plus particulièrement, la seconde condition à laquelle est subordonné l’octroi de mesures provisoires dans le droit polonais, à savoir la condition d’existence d’un « intérêt à agir » prévue à l’article 7301 du code de procédure civile, peut être interprétée de manière conforme au droit de l’Union.

59 En second lieu, il convient de souligner, d’une part, que la jurisprudence nationale mentionnée au point 55 du présent arrêt ne saurait être qualifiée d’incompatible avec le droit de l’Union que lorsque ce juge constate que l’octroi des mesures provisoires demandées est nécessaire afin de garantir la pleine efficacité de la décision définitive à intervenir sur le fond. À cet égard, d’une part, il doit disposer d’indices suffisants en ce qui concerne le caractère abusif d’une ou de plusieurs clauses contractuelles si bien qu’il est vraisemblable que le contrat de prêt concerné est nul ou, à tout le moins, qu’un remboursement des mensualités dues au titre de ce contrat devra être accordé au consommateur concerné. D’autre part, il incombe audit juge de déterminer, au vu de toutes les circonstances de l’espèce, si la suspension de l’obligation de ce consommateur de payer ces mensualités pour la durée de la procédure concernée est nécessaire afin de garantir le rétablissement de la situation de droit et de fait qui aurait été celle dudit consommateur en l’absence de cette ou de ces clauses. Ainsi, le même juge pourra tenir compte, notamment, de la situation financière du même consommateur et du risque que celui-ci court de devoir rembourser à la banque concernée un montant qui excède celui de la somme qu’il a empruntée auprès de celle-ci.

60 Dès lors, si le juge national considère, d’une part, qu’il existe des indices suffisants que les clauses contractuelles concernées sont abusives et qu’un remboursement des sommes versées par le consommateur concerné en vertu du contrat de prêt en cause au principal est ainsi vraisemblable et, d’autre part, que, en l’absence d’octroi de mesures provisoires tendant à la suspension du paiement des mensualités dues en vertu de ce contrat, la pleine efficacité de la décision définitive à intervenir sur le fond ne saurait être garantie, ce qu’il incombe au juge national d’apprécier en tenant compte de toutes les circonstances de l’espèce, ce juge doit octroyer des mesures provisoires consistant à suspendre l’obligation de ce consommateur d’effectuer des paiements sur la base dudit contrat.

61 Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une jurisprudence nationale selon laquelle le juge national peut rejeter une demande d’octroi de mesures provisoires d’un consommateur tendant à la suspension, dans l’attente d’une décision définitive relative à l’invalidation du contrat de prêt conclu par ce consommateur au motif que ce contrat de prêt comporte des clauses abusives, du paiement des mensualités dues en vertu dudit contrat de prêt, lorsque l’octroi de ces mesures provisoires est nécessaire pour assurer la pleine efficacité de cette décision.

 Sur les dépens

62 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d’effectivité,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils s’opposent à une jurisprudence nationale selon laquelle le juge national peut rejeter une demande d’octroi de mesures provisoires d’un consommateur tendant à la suspension, dans l’attente d’une décision définitive relative à l’invalidation du contrat de prêt conclu par ce consommateur au motif que ce contrat de prêt comporte des clauses abusives, du paiement des mensualités dues en vertu dudit contrat de prêt, lorsque l’octroi de ces mesures provisoires est nécessaire pour assurer la pleine efficacité de cette décision.