CA Versailles, 16e ch., 20 janvier 2011, n° 09/09658
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
CIC Iberbanco
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Magueur
Conseillers :
Mme Massuet, Mme Lelievre
Avocats :
SCP Lefevre Tardy & Hongre Boyeldieu, Me Le Brun, SCP Jullien Lecharny Rol Fertier
FAITS ET PROCEDURE,
Vu l'appel interjeté par M. DUPAIN et Mme M. du jugement rendu le 9 septembre 2009 par le tribunal de grande instance de PONTOISE qui les a condamnés solidairement à payer à la SA Banco Popular France les sommes suivantes :
-169.528,80 € avec intérêts au taux de 14,44% à compter du 26 juin 2007,
- 995,94 € avec intérêts au taux de 8,50% l'an à compter du 26 juin 2007 sur la somme de 945,40 €,
- 1.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
a ordonné l'exécution provisoire, les a déboutés de leurs demandes reconventionnelles et condamnés aux dépens ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 5 novembre 2010 par lesquelles M. DUPAIN et Mme MARANTE, appelants, poursuivant l'infirmation du jugement déféré, prient la cour de:
- débouter la Banco Popular France de toutes ses demandes en paiement,
- dire la Banco Popular France déchue de tout droit à intérêt contractuel au titre du prêt de 20.500 € et du découvert de 158.000 €,
- condamner la Banco Popular France à leur payer en réparation de leur préjudice la somme de 176.348,37 € outre les intérêts à compter du 26 juin 2007, et y ajoutant celle de 91.101,47 € ,
- ordonner la compensation entre ces sommes et la créance dont le paiement leur est réclamé par la Banco Popular France,
- condamner la Banco Popular France à leur payer la somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral,
- à titre subsidiaire, dire que la créance de la Banco Popular France ne peut excéder en capital, intérêts, commissions et autres la somme de 189.000 €,
- leur accorder les plus larges délais de paiement,
- condamner en tout état de cause la Banco Popular France à leur payer la somme de 6.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;
Vu les dernières écritures signifiées le 15 novembre 2010 par lesquelles la CIC IBERBANCO anciennement dénommée Banco Popular France, conclut à la confirmation en toutes ses dispositions de la décision entreprise, sauf à prendre acte de sa nouvelle dénomination et à assortir la condamnation de M. DUPAIN et Mme M. des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 3 mai 2007 et demande par conséquent à la cour de :
- débouter M. DUPAIN et Mme M. de toutes leurs demandes,
- condamner in solidum M. DUPAIN et Mme M. à lui payer la somme de 1.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel ;
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 23 novembre 2010 ;
SUR QUOI, LA COUR
Considérant que la société Pierrefittoise constituée le 1er juillet 1998, dont l'objet était la réalisation de travaux de couverture, plomberie, charpente, chauffage et sanitaire, ayant M.DUPAIN pour gérant, était titulaire d'un compte ouvert dans les livres de la Banco Popular France devenue CIC IBERBANCO, suivant convention de compte courant du 10 juin 2005 ; que suivant acte sous seing privé du 8 novembre 2005, réitéré par acte authentique du 7 janvier 2006, la Banco Popular France a accordé à la société Pierrefittoise, pour ses besoins de trésorerie, un prêt d'un montant de 150.000 € pour une durée de 15 mois au taux nominal de 5,5% garanti par un cautionnement hypothécaire de second rang sur les biens appartenant à M.DUPAIN et à Mme M., sa compagne ; que cette banque a consenti le 4 mai 2006, un deuxième prêt professionnel aux mêmes fins, d'un montant de 20.500 € pour une durée de trois mois au taux de 5,5% remboursable en deux mensualités de 93,96 € et la troisième de 20.593,36 € ; que le 14 novembre 2006, la Banco Popular France a consenti à la société Pierrefittoise un troisième prêt prenant la forme d' une autorisation de découvert pour un montant maximum de 158.000 € , d'une durée d'un mois au taux de base majoré de 5%, qui n'a pas été remboursé à son échéance ; que par acte sous seing privé du 9 novembre 2006, M.DUPAIN et Mme M. se sont portés cautions solidaires de la société Pierrefittoise à hauteur de 189.600 € en principal, intérêts, pénalités et intérêts de retard, pour une durée de 13 mois ; que par jugement du 14 juin 2007, le tribunal de commerce de Senlis a prononcé le redressement judiciaire de la société Pierrefittoise converti en liquidation judiciaire par jugement du 13 décembre 2007 ; que la Banco Popular France a déclaré sa créance par lettre recommandée du 28 juin 2007; que le 8 novembre 2007, elle a assigné M.DUPAIN et Mme M. afin d'obtenir, en leur qualité de cautions, leur condamnation solidaire à lui payer la somme de 176.348,37 € outre les intérêts, devant le tribunal de grande instance de PONTOISE qui a rendu le jugement entrepris ;
Considérant qu'au soutien de leur recours M.DUPAIN et Mme M. reprochent à la Banco Popular France devenue la CIC IBERBANCO d'avoir abusivement soutenu la société PIERREFITTOISE par les concours financiers qu'ils ont été amenés à garantir ; que nonobstant les dispositions de l'article L650-1 du code de commerce, ils imputent à l'organisme de crédit d'avoir commis une fraude à leur préjudice en accordant à la société Pierrefittoise dans un but autre que celui de maintenir son activité , un crédit global de 328.500 € sur une période d'un an, qu'elle n'était pas en mesure de rembourser, ce que ne pouvait ignorer la banque qui avait connaissance de ses résultats financiers et les moyens de les interpréter ; que les prêts ont un caractère frauduleux dans la mesure où ils ne visaient pas à redresser la société PIERREFITTOISE dont la situation était irrémédiablement compromise, mais tendaient à obtenir des garanties sur le patrimoine de la caution dirigeante et de sa compagne ;
Que le CIC IBERBANCO réplique que la responsabilité des créanciers du fait des concours consentis ne peut être engagée que de manière exceptionnelle en cas de fraude notamment, ce dont elle se défend, en faisant valoir qu'elle avait auparavant déjà accordé des crédits à court terme à la société PIERREFITTOISE à compter du premier semestre 2004, en fonction du chiffre d'affaires prévisionnel de celle-ci ; que les nouveaux concours financiers fournis ultérieurement avaient pour cause l'accroissement d'activité de la société et son besoin de trésorerie important et récurrent qu'elle a acceptés sur la base d'éléments comptables et financiers ainsi qu'en raison de l'absence d'incidents de paiement antérieurs ; qu'elle observe que le redressement judiciaire et la liquidation judiciaire de la société emprunteuse ont pour seules causes une conjoncture économique totalement défavorable ayant entraîné une baisse de son chiffre d'affaires de 61% au cours de l'exercice 2006/2007 sans baisse corrélative des charges ;
Considérant que l'article L. 650-1 du code de commerce dans sa rédaction alors en vigueur, telle qu'issue de la loi du 26 juillet 2005 relative à la sauvegarde des entreprises, dispose que les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci. Pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue,les garanties prises en contrepartie de ses concours sont nulles' ;
Qu'il en résulte qu'hors les trois cas spécifiés, de fraude, d'immixtion ou de prise de garantie disproportionnée par rapport aux concours, la responsabilité du banquier dispensateur de crédit ne peut être recherchée ;
Considérant, en l'espèce, que si, ainsi que le fait observer le CIC IBERBANCO, le chiffre d'affaires de la société PIERREFITTOISE avait progressé de façon constante de 2002 à 2006, il ne peut qu'être constaté que les charges d'exploitation de la société PIERREFITTOISE ont crû dans les mêmes proportions et généré des besoins de trésorerie récurrents, sans pour autant que les bénéfices de la société en soient sensiblement améliorés ; qu'en effet, ceux-ci de 18.136 € pour l'exercice 2002/2003 avec un chiffre d'affaires de 397.251 € , sont passés à 2.557 € sur l'exercice 2005/2006, avec un chiffre d'affaires de 782.855 € ; que parallèlement, courant juillet 2006, la société PIERREFITTOISE a cessé de rembourser les échéances relatives à l'emprunt consenti en janvier 2006 et qu'elle n'était pas non plus en mesure d'honorer le paiement de la troisième mensualité du crédit de 20.500 € ; que la banque intimée n'est pas contredite en ce qu'elle affirme qu'à partir de cette date, elle n'a plus été destinataire des relevés de facturation mensuels que la société PIERREFITTOISE lui adressait auparavant ; que le compte bancaire de celle-ci était débiteur de la somme de 77.280,69 € à la date du 5 juillet 2006, en dépit du second prêt de 20.500 € accordé en mai 2006 ; que le débit du compte n'a ensuite pas cessé de s'aggraver, pour être de 92.563 € début août 2006, de 125.294 au 1er septembre 2006 ; que le 31 octobre 2006, le compte présentait un solde débiteur de 158.447,18 € ; que cette situation avait donné lieu à l'envoi le 22 juillet 2006, d'une lettre recommandée à la société PIERREFITTOISE pour la prier de régulariser son solde débiteur de 103.756,66 € , ce que la société PIERREFITTOISE n'a pas été en mesure de faire ; que contrairement à ce que prétend le CIC IBERBANCO, des écritures en crédit étaient néanmoins portées, correspondant à des remises de chèques, de sorte qu'il ne peut être prétendu que la société PIERREFITTOISE avait cessé de domicilier ses encaissements sur le compte litigieux; que dans ces conditions l'autorisation de découvert d'un montant de 158.000 € pour une durée d'un mois au taux de base majoré de 5%, soit à titre indicatif 12,3500% au 8/11/2006" le 14 novembre 2006, ne pouvait avoir pour objectif de permettre à celle-ci de se redresser, puisqu'elle avait pour objet d'entériner le découvert existant à cette date, sans injecter une nouvelle somme d'argent ; que la banque qui ne soutient même pas que la société PIERREFITTOISE lui aurait indiqué qu'elle était en attente de paiement de chantiers en cours, ou de signature de contrats devant lui procurer des recettes, ne pouvait ignorer que la situation de sa cliente était irrémédiablement compromise à cette date ; qu'elle ne pouvait sérieusement espérer que celle-ci, dont les derniers bénéfices étaient de l'ordre de 2.000 € annuels, dont les facturations mensuelles étaient de l'ordre de 60.000 € , allait pouvoir régulariser son découvert de 158.000 € en un mois ; qu'il apparaît que cette autorisation de découvert a eu pour seule finalité de permettre à la banque l'obtention du cautionnement du gérant et de sa compagne pour un montant correspondant au solde débiteur du compte et au prêt de 20.500 € ; que cette autorisation de découvert par la banque, en toute connaissance de cause de la situation économique désespérée de l'entreprise, ne pouvait avoir aucun retentissement favorable sur son activité et sa pérennité et n'a eu pour effet que de retarder sa déclaration de cessation des paiements ; qu'elle revêt compte tenu de ces circonstances un caractère frauduleux dans la mesure où elle a constitué la contrepartie de l'obtention de l'engagement de caution des appelants ; que la banque, en agissant dans le seul but d'obtenir une sûreté personnelle, a rompu l'égalité entre les créanciers de la société PIERREFITTOISE, à son profit ; que le jugement d'ouverture de la procédure collective a justement, compte tenu des éléments qui précèdent, arrêté la cessation des paiements à la date du 15 juillet 2006 ; que la banque ne pouvait ignorer cet état puisque le remboursement des précédents prêts n'était plus honoré ; que n'étant plus destinataire des relevés de facturation et n'ayant réclamé aucune pièce financière ou comptable, il ne peut qu'être déduit de cette situation que la banque avait une parfaite connaissance de ce que l'activité de la société PIERREFITTOISE était en chute libre, ce qu'elle était à même de rapprocher de la survenance d'une conjoncture économique particulièrement défavorable ;
Qu'il est par ailleurs utile de relever que Mme M. dont il n'est pas soutenu qu'elle avait un rôle dans la gestion de l'entreprise, était une caution profane ; que dès lors, eu égard à la situation de précarité de l'entreprise, caractérisée par la comparaison de son chiffre d'affaires mensuel de l'ordre de 60.000 € lorsqu'elle en justifiait encore, de ses capitaux propres inférieurs à 50.000 € , avec le montant et la durée d'un mois de l'autorisation de découvert litigieuse, dont les termes ne laissaient aucune chance à l'entreprise de faire face à ce nouvel endettement, et du risque majeur pris par toute caution visant à garantir cette opération, la banque était débitrice d'un devoir de mise en garde vis à vis de Mme M. préalablement à la souscription de son engagement, qu'elle ne démontre pas avoir rempli ;
Considérant que si la sanction prévue par l'article L650-1 précité du code de commerce est celle de la nullité des garanties accordées en contrepartie du concours financier litigieux, les appelants ne sollicitent pas la nullité de leur engagement de caution, mais l'octroi de dommages intérêts d'un montant équivalent aux sommes qui leur sont réclamées par la banque ; que leur demande emporte une conséquence similaire à celle qui serait résultée de la nullité de leur cautionnement ; que la Banco Popular France a, en commettant les fautes qui viennent d'être retenues, engagé sa responsabilité vis à vis de M.DUPAIN et de Mme M. dont le préjudice est équivalent au montant des sommes pour lesquelles ils sont poursuivis en leur qualité de cautions ; que si la Banco Popular France n'avait pas accordé ce dernier crédit, M.DUPAIN et Mme M. n'auraient pas été amenés à s'engager personnellement à hauteur de 189.600 € ;
Qu'il s'en déduit un lien de causalité entre les fautes de la banque et le préjudice des cautions ; qu'il convient par conséquent de faire droit à la demande de M. DUPAIN et Mme M. en leur accordant des dommages intérêts à hauteur des sommes qui leur sont réclamées ;
Que s'agissant de la discussion relative à la déchéance des intérêts sur le fondement de l'article L313-22 du code monétaire et financier, il est justifié par le CIC IBERBANCO que la Banco Popular France a respecté l'obligation annuelle d'information des cautions en leur adressant le 20 mars 2007 une lettre recommandée avec avis de réception précisant qu'à cette date, l'obligation garantie restant due était de 163.604,68 € en principal frais et intérêts ; que cette information n'était pas due en ce qui concerne le prêt de 20.500 € dont l'engagement de caution est postérieur ; que le CIC IBERBANCO , dans le dernier état de ses conclusions, sollicite la confirmation des condamnations prononcées à l'encontre de M.DUPAIN et de Mme M. à la somme de 169.438,26 € et à 945,40 € mais assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure, soit du 3 mai 2007 ; qu'il convient de modifier en ce sens les condamnations prononcées et d'ordonner la compensation entre les créances réciproques des parties ; que le jugement entrepris doit donc être réformé en ce qu'il a débouté M.DUPAIN et Mme M. de leur demande de dommages intérêts au titre des créances restant dues ;
Sur les autres demandes de dommages et intérêts et sur les demandes accessoires
Considérant que M. DUPAIN et Mme M. sollicitent la condamnation du CIC IBERBANCO à leur payer la somme de 15.000 € à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice moral subi à l'occasion de la mise en oeuvre de procédures d'exécution sur leur bien immobilier situé à PERSAN, nonobstant les dispositions de l'article L622-28 du code de commerce ;
Que par des motifs pertinents que la cour adopte, les premiers juges ont rejeté cette demande ; que le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef ;
Considérant que c'est encore à juste titre que les premiers juges ont débouté M.DUPAIN et Mme M. de leur demande tendant à la condamnation du CIC IBERBANCO à leur payer la somme de 91.101,47 € en retenant que cette somme, remise à la Banco Popular en règlement de sa créance hypothécaire relative au prêt de 150.000 € , dont le montant a été définitivement arrêté par le juge de l'exécution, était étrangère à la créance dont le paiement est poursuivi ; que la décision déférée sera encore confirmée sur ce point ;
Considérant que le sens de la présente décision au terme de laquelle le CIC IBERBANCO succombe en ses prétentions, justifie de condamner celui-ci aux dépens de première instance et à ceux d'appel ;
Considérant qu'aucune considération d'équité ne commande d'allouer à l'une ou l'autre des parties de sommes sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; que chacune d'elles doit être déboutée de sa demande de ce chef ;
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. DUPAIN et Mme M. à payer à la SA Banco Popular devenue le CIC IBERBANCO les sommes en principal de 169.528,80 € , et de 995,94 € et en ce qu'il a débouté M.DUPAIN et Mme M. de leurs demandes de dommages intérêts à hauteur de 91.101,17 € et de 15.000 € ,
L'infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau et ajoutant au jugement entrepris,
Dit que les condamnations ci-dessus mentionnées sont assorties des intérêts au taux légal à compter du 3 mai 2007,
Condamne le CIC IBERBANCO à payer à M. DUPAIN et à Mme M. les sommes de 169.528,80 € et de 995,94 € avec intérêts au taux légal à compter du 3 mai 2007,
Constate que la compensation légale a vocation à s'appliquer de plein droit entre les créances réciproques des parties,
Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires des parties,
Condamne le CIC IBERBANCO aux dépens de première instance ainsi qu'à ceux d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.