Cass. com., 11 avril 1995, n° 92-16.764
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Lassalle
Avocat général :
M. de Gouttes
Avocat :
SCP Defrenois et Levis
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Compagnie européenne de textiles (la société CET) ayant été mise en redressement puis en liquidation judiciaires, le liquidateur a fait assigner M. X..., président du conseil d'administration, et ses autres dirigeants de droit et de fait dont la société de droit suisse, la société COFITEC, en paiement des dettes sociales, redressement judiciaire et, s'agissant des personnes physiques, en faillite personnelle ;
que le tribunal, après avoir rejeté la demande de sursis à statuer présentée par M. X..., a accueilli les demandes des liquidateurs judiciaire ;
Sur le premier moyen pris en ses trois branches :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit sursis à statuer jusqu'au prononcé d'un arrêt de la Chambre d'accusation devant intervenir sur une plainte du liquidateur judiciaire, alors, selon le pourvoi, d'une part, que, l'application de la règle "le criminel tient le civil en l'état" est obligatoire lorsque l'action publique est de nature à avoir une influence sur la décision à intervenir devant le juge civil ;
qu'en l'espèce actuelle, M. X..., défendeur à une action en comblement de passif, avait fait valoir que l'instruction ouverte devant la Chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris pouvait amener à retenir la responsabilité des dirigeants de fait, pour lesquels le sursis à statuer avait été décidé ou de tous autres tiers, et notamment l'immixtion du pouvoir politique qui se trouvait à l'origine de la désignation de la Chambre d'accusation de Paris ;
qu'en se contentant d'affirmer que la faute de gestion permettant de retenir la responsabilité d'un dirigeant social sur le fondement de l'article 180 pouvait être recherchée en dehors de toute infraction pénale et que le législateur a expressément prévu que, sous réserve d'une absence directe d'influence de l'une sur l'autre, les poursuites pénales et commerciales puissent prospérer parallèlement, mais, sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée, si la décision pénale à intervenir sur l'action publique était de nature à influencer la décision commerciale, justifiant qu'il soit sursis à statuer, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 4 du Code de procédure pénale et 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;
alors, d'autre part, que, M. X... avait fait valoir que le tribunal, qui avait indiqué pouvoir rechercher la responsabilité sans s'intéresser aux faits soumis à la juridiction d'instruction, avait cependant pris en compte de tels faits en portant des appréciations sur le train de vie de la société, les dépenses de publicité, les problèmes de vente de stock, démontrant ainsi l'impossibilité de faire un tri entre les éléments relevant de l'une ou de l'autre des procédures et justifiant par là même de la nécessité de surseoir à statuer ;
qu'en ne répondant pas à ce point précis des conclusions de M. X..., la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
et alors, enfin, que, si le sursis à statuer en raison de l'existence d'une action publique est facultative pour le juge qui doit se prononcer sur une action en faillite personnelle, il n'en reste pas moins que le juge saisi d'une demande de sursis à statuer a le devoir de rechercher s'il n'y a pas lieu de surseoir à statuer pour éviter toute contrariété de jugement ;
que la décision attaquée qui était saisie à la fois d'une action en comblement de passif et d'une action tendant à faire prononcer la faillite personnelle de M. X... devait donc impérativement rechercher s'il n'y avait pas lieu de surseoir à statuer jusqu'à ce que l'instruction devant la Chambre d'accusation soit terminée, et le cas échéant jusqu'à ce qu'une juridiction répressive ait été saisie, et, se soit prononcée ;
qu'en ne se prononçant pas sur les moyens de M. X... rappelés notamment à l'occasion de la première branche, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir par motifs adoptés, relevé qu'il n'existait aucun risque de contradiction entre les juridictions pénale et commerciale, la cour d'appel a distingué les éléments intéressant la procédure pendante devant la Chambre d'accusation et ceux qu'il lui appartenait d'apprécier pour statuer sur l'action en paiement des dettes sociales et a retenu, comme faute de gestion, le fait pour M. X... de n'avoir pas déclaré l'état de cessation des paiements de la société CET dans le délai légal, l'absence d'une comptabilité fiable, l'insuffisance des capitaux propres et l'existence de frais généraux importants ;
qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel qui a répondu aux conclusions invoquées, a légalement justifié sa décision de refus de sursis à statuer sur le fondement de l'article 4 du Code de procédure pénale ;
Attendu, en second lieu, que c'est dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire que la cour d'appel a dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice sur la demande de faillite personnelle ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que M. X... reproche encore à l'arrêt d'avoir rejeté la demande de nullité du rapport établi par M. Preud'homme, alors, selon le pourvoi, d'une part, que si le juge peut se référer aux expertises, rapports, enquêtes relatives à l'ouverture de la procédure, il ne saurait ordonner une expertise, rapport ou enquête que dans le cadre et suivant la procédure prévue par l'article 184 de la loi du 25 janvier 1985 pour les actions fondées sur les articles 180 à 182 ;
qu'en l'espèce, M. X... avait fait valoir que le second rapport de M. Preud'homme, commis par le juge-commissaire le 2 mai 1989, soit postérieurement à l'ouverture du redressement judiciaire et déposé le 6 octobre 1989, soit postérieurement à la liquidation judiciaire de la CET avait été confectionné en violation du principe du contradictoire et devait être annulé ;
que pour débouter M. X... de sa demande, la cour d'appel, qui relève qu'il s'agit d'informations auxquelles le tribunal a eu recours conformément aux dispositions de l'article 6, alinéa 2, de la loi du 25 janvier 1985, texte applicable à la seule information en vue de l'ouverture d'une procédure, a violé l'article 184 de la loi du 25 janvier 1985 ;
et alors, d'autre part, que le juge qui recourt à la procédure prévue par l'article 184 de la loi du 25 janvier 1985, pour les actions fondées sur les articles 180 à 182 doit respecter et faire respecter le principe du contradictoire ;
qu'en l'espèce, M. X... avait fait valoir que le second rapport de M. Preud'homme, commis par le juge-commissaire le 2 mai 1989, soit postérieurement à l'ouverture du redressement judiciaire et déposé le 6 octobre 1989, soit postérieurement à la liquidation judiciaire de la société CET, avait été confectionné en violation du principe du contradictoire et devait être annulé ;
que, pour débouter M. X... de sa demande, la cour d'appel relève qu'il s'agit d'informations auxquelles le tribunal a eu recours conformément aux dispositions de l'article 6, alinéa 2, de la loi du 25 janvier 1985, texte applicable à la seule information en vue de l'ouverture d'une procédure ;
qu'en énonçant, pour débouter M. X... de sa demande, qu'il n'a pas relevé appel des décisions de redressement et de liquidation judiciaires rendues après réunion de ces informations, après avoir relevé que le jugement de redressement judiciaire était du 24 mars 1989, la liquidation judiciaire du 9 juin 1989 et que le rapport litigieux était du 6 octobre 1989, la cour d'appel s'est prononcée par motifs inopérants et a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel, écartant les éléments du rapport de M. Preud'homme récusés par M. X..., s'est fondée sur les aveux de M. Gabriel Z... et de M. X... lui-même dans leurs écritures et sur les données avancées par le liquidateur, appuyées par des références comptables ;
que par ces seuls motifs elle a légalement justifié sa décision ;
que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu les articles 180, 181 et 182 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Attendu que si l'action en comblement de l'insuffisance d'actif prévue à l'article 180 peut entraîner l'ouverture du redressement judiciaire du dirigeant défaillant dans les conditions fixées à l'article 181, une même décision judiciaire ne peut prononcer une condamnation au paiement des dettes sociales et le redressement judiciaire personnel du dirigeant en application de l'article 182, dès lors que cette mesure, en raison de la confusion des passifs, rend sans objet la condamnation au paiement des dettes de la personne morale ;
Attendu que l'arrêt, en condamnant M. X... à payer la totalité des dettes sociales de la société CET et en prononçant à son égard le redressement judiciaire en vertu de l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a cumulativement condamné M. X... à payer la totalité des dettes de la société Compagnie européenne de textiles et a ouvert à son égard une procédure de redressement judiciaire, l'arrêt rendu le 7 mai 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens.