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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 8 septembre 2022, n° 21/07337

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Alliance (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Guillaume

Conseillers :

Mme Igelman, Mme de Rocquigny du Fayel

Avocats :

Me Pedroletti, Me Dontot

T. com. Nanterre, du 9 nov. 2021, n° 202…

9 novembre 2021

EXPOSE DU LITIGE

La société MK Conseils a pour activité toutes prestations de services, conseils, actions de formation y compris par apprentissage, d'organisation, de gestion pour le compte de tiers, dans les domaines du marketing, de la finance, de la gestion du management et des relations humaines. Elle avait pour seule gérante Mme [T] [H].

Suite à la déclaration de cessation des paiements déposée par Mme [H] le 1er février 2021, la société MK Conseils a été, par jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 10 février 2021, déclarée en liquidation judiciaire sous le régime de la procédure simplifiée, la société Alliance, mission conduite par Maître [M] [R], étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire. La date de cessation des paiements a été provisoirement fixée au 1er janvier 2021 'compte tenu de l'antériorité de la dette de la société HCP Formation impayée'.

La société HCP Formation est la société mère de la société MK Conseils, détenant l'intégralité du capital social de celle-ci, Mme [H] étant présidente et actionnaire quasi exclusive de la société HCP Formation. Cette société est propriétaire d'un bien immobilier situé à [Localité 5] et a pour unique locataire la société MK Conseils tandis que sa dirigeante est rémunérée sous forme de management fees.

L'état des créances de la société MK Conseils a été déposé au greffe le 24 juin 2021, arrêtant le montant de l'insuffisance d'actif à la somme de 247 153,03 euros.

Par jugement du 5 août 2021, il a été décidé de ne plus faire application de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée à la société MK Conseils, la société Alliance étant maintenue aux fonctions de liquidateur judiciaire.

Par ordonnance du 14 avril 2021, rendue sur requête de la société Alliance, ès qualités, aux fins d'autorisation de mesures conservatoires, le tribunal de commerce a notamment chargé M. le juge commissaire ou tel autre membre de la juridiction de son choix d'obtenir communication de tout document ou information sur la situation patrimoniale de Mme [H] et a autorisé la société Alliance, mission conduite par Maître [R] en qualité de liquidateur de la société MK Conseils :

- à pratiquer une saisie-conservatoire sur les comptes bancaires ouverts au nom de Mme [H] dans les livres du Crédit Agricole Ile-de-France à hauteur de la somme de 170 000 euros,

- à pratiquer une saisie-conservatoire entre les mains de la société HCP Formation dans laquelle Mme [H] pourrait disposer d'un compte courant d'associé, de toute créance de quelque nature que ce soit, que détiendrait Mme [H] à l'égard de la société HCP Formation,

- à pratiquer une saisie-conservatoire des actions que détient Mme [H] dans le capital de la société HCP Formation pour garantie du paiement de la somme de 170 000 euros.

La mesure conservatoire ainsi autorisée sur le compte bancaire personnel de Mme [H] ouvert dans les livres du Crédit Agricole a été exécutée par acte d'huissier de justice du 1er juillet 2021 et dénoncée le 7 juillet 2021.

Par acte d'huissier de justice délivré le 28 juillet 2021, Mme [H] a fait assigner en référé la société Alliance aux fins d'obtenir principalement la rétractation de l'ordonnance du 14 avril 2021 et la mainlevée immédiate de l'ensemble des saisies conservatoires pratiquées en exécution de ladite ordonnance.

Par ordonnance contradictoire rendue le 9 novembre 2021, le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre a :

- débouté Mme [H] de ses demandes,

- dit en conséquence n'y avoir lieu à rétractation de l'ordonnance rendue sur requête du 14 avril 2021,

- condamné Mme [H] à payer à la société Alliance, mandataire judiciaire en qualité de liquidateur de la société MK Conseils la somme de 2 500 euros au titre de l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- mis les dépens à la charge de Mme [H],

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit,

- liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 40,66 euros dont TVA 6,78 euros.

Par déclaration reçue au greffe le 9 décembre 2021, Mme [H] a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.

Dans ses dernières conclusions déposées le 9 mai 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, Mme [H] demande à la cour, au visa de l'article L. 651-4 du code de commerce , de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel ;

en conséquence

- infirmer l'ordonnance du 9 novembre 2021 attaquée en ce qu'elle a :

- l'a déboutée de ses demandes ;

- dit en conséquence n'y avoir lieu à rétractation de l'ordonnance, rendue sur requête, du 14 avril 2021 ;

- l'a condamnée à payer à la société Alliance, mandataire judiciaire, en sa qualité de liquidateur de la société MK Conseils la somme de 2 500 euros au titre de l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- mis les dépens à sa charge ;

statuant à nouveau,

- rétracter l'ordonnance du 14 avril 2021 ;

- ordonner la mainlevée immédiate de l'ensemble des saisies conservatoires pratiquées en exécution de ladite ordonnance du 14 avril 2021 ;

- condamner la société Alliance au paiement à son profit d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Alliance à tous les dépens dont le montant sera recouvré par Maître Mélina Pedroletti, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées le 20 mai 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Alliance, prise en la personne de Maître [M] [R] en qualité de liquidateur de la société MK Conseils, demande à la cour, au visa des articles L. 651-2 et suivants du code de commerce , de :

- confirmer l'ordonnance rendue en date du 9 novembre 2021 par le président du tribunal de commerce de Nanterre ;

- débouter Mme [H] et/ou la société MK Conseils de l'ensemble de leurs demandes fins et conclusions ;

- condamner Mme [H] à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme [H] aux entiers dépens de l'instance et autoriser Maître Oriane Dontot, à en recouvrer le montant pour ceux la concernant, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 31 mai 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Mme [H] sollicite l'infirmation de l'ordonnance déférée et la rétractation de l'ordonnance sur requête en faisant valoir que pour exercer le pouvoir qu'il tient de l'article L. 651-4 du code de commerce , le juge doit apprécier si l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif apparaît suffisamment fondée en son principe pour justifier des mesures conservatoires qui n'en sont que l'accessoire.

S'appuyant sur un arrêt rendu par la cour d'appel d'Orléans le 26 juillet 2021, elle soutient que la 'mesure conservatoire utile' visée par cet article doit être considérée comme une mesure visant à garantir une créance au moins potentielle et dont le recouvrement nécessiterait d'être garanti.

Or elle entend contester en l'espèce l'existence d'une créance 'au moins potentielle'.

Elle rappelle que l'insuffisance d'actif de la société MK Conseils s'élève à la somme de 247 153,03 euros et prétend que 'la thèse soutenue par Alliance, qui trouve sa traduction dans sa stratégie procédurale, ne lui permet pas de soutenir qu'il existerait une créance à l'encontre de Mme [H]'.

Elle indique que cette stratégie repose sur 4 procédures distinctes et qu'aux termes de son assignation en responsabilité contre elle, le liquidateur a demandé au tribunal de surseoir à statuer dans l'attente des décisions à intervenir dans les deux procédures engagées contre la société HCP Formation, qui visent à obtenir des dommages et intérêts pour soutien abusif et le remboursement de tous les paiements reçus de la filiale durant la période suspecte.

Elle soutient que cette demande de sursis à statuer indique que le liquidateur la considère comme 'une débitrice subsidiaire' et fait observer que si les juges retenaient les fautes reprochées à la holding (dissimulation de l'état de cessation des paiements de la société MK Conseils et emploi abusif des fonds du PGE), la société HCP Formation serait condamnée au remboursement d'une somme totale de 493 169,92 euros, bien supérieure au montant de l'insuffisance d'actif.

A titre surabondant, elle conclut également à l'absence de caractère utile de la mesure de saisie-conservatoire, soutenant que le liquidateur n'a à aucun moment caractérisé la menace qui pèserait sur le recouvrement de la créance.

Le liquidateur, en la personne de la société Alliance, ès qualités, sollicite quant à lui la confirmation de l'ordonnance ayant dit n'y avoir lieu à rétracter l'ordonnance sur requête du 14 avril 2021, soutenant que l'article L. 651-4 du code de commerce déroge aux dispositions de droit commun des procédures civiles d'exécution, comme il résulte d'un arrêt rendu par la Cour de cassation le 31 mai 2011 (n° 10 18472), le seul critère à retenir étant celui de l'utilité de la mesure.

Il avance que :

- la société MK Conseils a préféré affecter en totalité le prêt garanti par l'Etat au paiement d'une rémunération au profit de sa dirigeante plutôt que d'envisager de réaliser quelques investissements que ce soit,

- dans son ordonnance, le premier juge a repris les déclarations du principal créancier de la procédure collective, à savoir Le Crédit Agricole, qui rappelle avoir consenti un prêt garanti par l'Etat de 170 000 euros alors que la société MK Conseils a viré à compter de juillet 2020 364 000 euros au profit de son actionnaire unique, la société HCP Formation,

- le premier juge a considéré à bon droit que la mesure conservatoire sollicitée ayant abouti à l'ordonnance d'autorisation, qui est fondée sur les pouvoirs d'administration du mandataire judiciaire dans l'intérêt des créanciers, « répond bien à la faculté laissée audit mandataire judiciaire en application de l'article L. 651-4 du code de commerce ».

A supposer même qu'il ait été utile d'établir un principe de créance, force est de constater selon l'intimé qu'une action en responsabilité pour insuffisance d'actif a été engagée et que depuis lors, le tribunal en charge de la procédure collective a fait droit à la demande en report de la date de cessation des paiements de la société MK Conseils au 30 novembre 2019 (jugement à l'encontre duquel la société a interjeté un appel actuellement pendant).

Il fait valoir que l'utilité de la mesure se déduit de la mise en oeuvre de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, permettant d'apporter de manière conservatoire à l'ensemble des créanciers de la procédure collective la garantie de l'exécution de la décision à intervenir, en cas de succès de l'action.

Il ajoute que la nature et les conséquences des fautes de gestion imputées à la dirigeante ont également constitué un élément utile à l'appréciation de l'étendue de la mesure autorisée, rappelant qu'il est reproché à Mme [H] d'avoir détourné le PGE qu'elle a affecté en totalité à sa rémunération au moyen du paiement de factures anciennes de management fees via la société HCP Formation dont elle est la dirigeante et l'associée quasi unique.

Il fait valoir qu'il n'a mis en œuvre aucune « stratégie procédurale » comme le prétend l'appelante, soutenant qu'il a simplement tiré les conséquences de ses constatations des éléments factuels suivants :

- la société MK Conseils avait connaissance que son activité allait s'effondrer par suite de l'entrée en vigueur de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, portant réforme du mode de financement des organismes de formation ;

- la mise en application de ladite loi et les refus de certification de formations de la société MK Conseils ont convaincu la société HCP Formation de vider la société MK Conseils de la quasi-totalité de ses réserves au mois de novembre 2019, la société MK Conseils ayant décidé de verser un dividende de 300 000 euros au profit de la société HCP Formation ;

- à compter du versement de ce dividende, les factures de loyers et de managements fees n'ont plus été réglées ou avec un retard important ;

- durant l'exercice 2020, la société HCP Formation a facturé à la société MK Conseils des managements fees représentant 73,40 % du chiffre d'affaires réalisé durant l'exercice 2020 ;

- la société MK Conseils a souscrit un prêt garanti par l'Etat le 26 juin 2020 pour un montant de 170 000 euros ;

- à compter de la libération du prêt garanti par l'Etat, la société MK Conseils a versé une somme de 171 000 euros à la société HCP Formation en vue de payer la rémunération de la dirigeante commune des deux sociétés.

Il conclut que l'ordonnance critiquée par Mme [H] apparaît donc conforme à l'article L. 651-4 du code de commerce en tant qu'elle retient l'utilité de la mesure et est parfaitement proportionnée aux fautes reprochées étant limitée à la somme de 170 000 euros correspondant au montant du prêt garanti par l'Etat qui a été affecté en totalité au paiement de la rémunération de Mme [H] via la société holding HCP Formation.

Sur ce,

La saisie-conservatoire critiquée exécutée par acte d'huissier de justice du 1er juillet 2021 sur le compte bancaire personnel de Mme [H] ouvert dans les livres du Crédit Agricole a été autorisée par l'ordonnance sur requête rendue le 14 avril 2021 par application de l'article L. 651-4 du code de commerce qui dispose que :

« Pour l'application des dispositions de l'article L. 651-2, d'office ou à la demande de l'une des personnes mentionnées à l'article L. 651-3, le président du tribunal peut charger le juge-commissaire ou, à défaut, un membre de la juridiction qu'il désigne d'obtenir, nonobstant toute disposition législative contraire, communication de tout document ou information sur la situation patrimoniale des dirigeants et des représentants permanents des dirigeants personnes morales mentionnées à l'article L. 651-1 de la part des administrations et organismes publics, des organismes de prévoyance et de sécurité sociale et des établissements de crédit.

Le président du tribunal peut, dans les mêmes conditions, ordonner toute mesure conservatoire utile à l'égard des biens des dirigeants ou de leurs représentants visés à l'alinéa qui précède. »

L'article L. 651-2 prévoit quant à lui l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif à l'encontre du dirigeant d'une personne morale en cas de faute de gestion.

Il est acquis par ailleurs que l'article L. 651-4 dérogeant aux dispositions générales des procédures civiles d'exécution, permet au président du tribunal, pour l'application des dispositions de l'article L. 651-2, d'ordonner toute mesure conservatoire utile à l'égard des biens du dirigeant de la personne morale en liquidation judiciaire.

En l'espèce, outre les procédures en report de la date de cessation des paiements de la société MK Conseils, en responsabilité pour soutien abusif à l'égard de la société HCP Formation et en nullité des paiements durant la période suspecte à l'égard de la société HCP Formation, le liquidateur a initié à l'encontre de Mme [H], au visa des articles L. 651-2, L 653-1 et suivants du code de commerce , une procédure en responsabilité pour insuffisance d'actif et en sanctions personnelles.

Aux termes de l'assignation qu'il a fait délivrer à Mme [H] par acte d'huissier du 28 juillet 2021, il sollicite du tribunal de commerce de Nanterre sa condamnation à lui payer, ès-qualités, la somme de 247 153,03 euros, correspondant à l'insuffisance d'actif de la société MK Conseils dont elle est la dirigeante de droit depuis 2007.

Or, il n'appartient à la présente cour, statuant sur le fondement de l'article L. 651-4 susvisé, ni d'apprécier l'opportunité de l'action ainsi introduite, ni le bien fondé des moyens et arguments développés par le liquidateur judiciaire au soutien de cette action s'agissant des fautes de gestion imputées à la dirigeante, alors qu'en outre le principe des versements opérés par la société MK Conseils, à tout le moins depuis la date de cessation des paiements aujourd'hui arrêtée au 30 novembre 2019, jusqu'au dépôt de la déclaration de cessation des paiements, au profit de la société HCP Formation, et dont Mme [H] a bénéficié à hauteur de la somme de 193 936,80 euros au titre des prestations de management, est acquis au vu des éléments comptables.

Il n'appartient pas davantage à la cour de se prononcer sur les chances de succès des autres actions introduites par la société Alliance, ès qualités, lesquelles pourraient, si elles prospéraient, permettre de désintéresser les créanciers de la société MK Conseils.

En l'espèce, l'utilité de la mesure de saisie conservatoire autorisée sur le compte bancaire personnel de Mme [H] ouvert dans les livres du Crédit Agricole par l'ordonnance du 14 avril 2021, se déduit suffisamment du fait qu'au jour de l'ordonnance critiquée ainsi qu'au jour où la cour statue, seule la somme de 26 616,86 euros a été recouvrée par la société Alliance, ès qualités, de sorte que la mesure de saisie permet, en l'état, de garantir la collectivité des créanciers d'un paiement effectif si une condamnation pécuniaire contre Mme [H] devait intervenir.

Par suite, l'ordonnance critiquée, ayant débouté Mme [H] de ses demandes et dit n'y avoir lieu à rétractation de l'ordonnance rendue sur requête en date du 14 avril 2021 sera confirmée.

Sur les demandes accessoires :

Compte tenu de ce qui précède, l'ordonnance sera également confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, Mme [H] ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens d'appel qui seront recouvrés avec distraction au bénéfice des avocats qui en ont fait la demande.

Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la société Alliance, ès qualités, la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. L'appelante sera en conséquence condamnée à lui verser une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Confirme l'ordonnance du 9 novembre 2021 en toutes ses dispositions,

Condamne Mme [T] [H] à verser à la société Alliance, prise en la personne de Maître [R], en qualité de liquidateur judiciaire de la société MK Conseils, la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que Mme [T] [H] supportera les dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.