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Décisions

Cass. com., 18 mai 2022, n° 19-25.606

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rémery

Rapporteur :

Mme Brahic-Lambrey

Avocat général :

Mme Guinamant

Avocat :

SCP Célice, Texidor, Périer

Montpellier, du 22 oct. 2019

22 octobre 2019

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° A 19-25.606 et A 20-21.930 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 22 octobre 2019), la SARL Ciel constructions, ayant pour cogérants de droit à compter du 20 juin 2008 MM. [S], [Z] et [K], M. [Z] démissionnant de ses fonctions le 27 mars 2012, a été mise en redressement judiciaire le 28 septembre 2012, puis en liquidation judiciaire le 16 novembre 2012, Mme [C] étant désignée liquidateur.

3. Le liquidateur a recherché la responsabilité pour insuffisance d'actif de MM. [S] et [Z], et a demandé que soit prononcée à leur encontre une mesure de faillite personnelle.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches, du pourvoi n° A 19-25.606, et sur le premier moyen et le deuxième moyen du pourvoi n° A 20-21.930, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi n° A 19-25.606

Enoncé du moyen

5. M. [S] fait grief à l'arrêt de le condamner solidairement avec M. [Z] au titre de l'insuffisance d'actif, de le débouter de son appel en garantie contre M. [Z] et de prononcer à son encontre une mesure de faillite personnelle pour une durée de cinq années, alors « que les débats relatifs aux actions visant à une condamnation en responsabilité pour insuffisance d'actif ou au prononcé d'une mesure de faillite personnelle ont lieu en audience publique ; que si le président de la juridiction peut décider qu'ils ont lieu en chambre du conseil, c'est à la condition que l'une des personnes mises en cause l'ait demandé avant leur ouverture ; que l'arrêt attaqué mentionne que les débats relatifs à l'action du liquidateur judiciaire de la société Ciel Constructions tendant à voir condamner MM. [S] et [Z] en responsabilité pour insuffisance d'actif de cette société et à une mesure de faillite personnelle ont eu lieu en chambre du conseil, sans qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la demande en ait été faite par M. [S] et/ou M. [Z] ; que, partant, l'arrêt attaqué a été rendu suivant une procédure irrégulière au regard des articles 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme des libertés fondamentales et L. 662-3 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019. »

Réponse de la Cour

6. S'il résulte de l'article L. 662-3, alinéa 2, du code de commerce que les débats relatifs à la responsabilité pour insuffisance d'actif et à la faillite personnelle sont publics sauf décision du président prise à la demande d'une des personnes mises en cause, ce texte ne déroge pas aux dispositions de l'article 446 du code de procédure civile, lequel impose que la nullité fondée sur l'inobservation, notamment, des règles sur la publicité des débats soit invoquée avant la clôture de ceux-ci.

7. Dès lors que ni l'arrêt ni les productions ne mentionnent que M. [Z], représenté par son avocat, se serait prévalu avant la clôture des débats de la nullité qui résulterait du fait qu'ils s'étaient déroulés en chambre du conseil, le moyen est irrecevable.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi n° A 19-25.606 et sur le troisième moyen du pourvoi n° A 20-21.930

Enoncé du moyen

8. Par le deuxième moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi n° A 19-25.606, M. [S] fait grief à l'arrêt de le condamner solidairement avec M. [Z] au titre de l'insuffisance d'actif à verser à Mme [C], ès qualités, la somme de 1 870 207,55 euros, dans la limite de 1 477 635,74 euros pour M. [S], avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt, alors « que pour engager la responsabilité d'un dirigeant pour insuffisance d'actif d'une personne morale, le juge qui retient plusieurs fautes de gestion à l'encontre du dirigeant doit, pour chaque faute retenue, caractériser le lien de causalité entre cette faute et l'insuffisance d'actif de la personne morale ; que pour engager la responsabilité de M. [S] pour insuffisance d'actif de la société Ciel Constructions, la cour d'appel a retenu qu'il avait omis de convoquer et de tenir les assemblées générales ordinaires annuelles pour les exercices 2010, 2011 et 2012 et n'avait pas respecté les règles statutaires relatives à la fixation de la rémunération des gérants, sans caractériser le lien de causalité entre cette faute de gestion, qu'elle a retenue, et l'insuffisance d'actif de la société, alors même qu'elle a elle-même énoncé que la fixation de la rémunération des gérants pour des montants que le liquidateur ne déterminait pas ne permettait pas de retenir la poursuite d'une activité déficitaire en l'absence d'éléments caractérisant un quelconque excès ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce. »

Par le troisième moyen, pris en ses première et seconde branches, du pourvoi n° A 20-21.930, M. [Z] fait grief l'arrêt de le condamner solidairement avec M. [S], au titre de l'insuffisance d'actif, à verser à Mme [C], ès qualités, la somme de 1 870 207,55 euros, dans la limite de 1 477 635,74 euros pour M. [S], avec intérêts au taux légal alors :

« 1°/ que le jugement qui condamne le dirigeant d'une personne morale à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif de celle-ci doit préciser en quoi chaque faute retenue a contribué à l'insuffisance d'actif ; qu'en retenant, pour condamner M. [Z] à supporter l'insuffisance d'actif de la société Ciel Constructions, que celui-ci et M. [S] avaient commis une faute de gestion en s'abstenant de convoquer et tenir des assemblées générales, sans toutefois préciser en quoi cette faute aurait contribué à l'insuffisance d'actif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce,

2°/ que le jugement qui condamne le dirigeant d'une personne morale à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif de celle-ci doit préciser en quoi chaque faute retenue a contribué à l'insuffisance d'actif ; qu'en retenant, pour condamner M. [Z] à supporter l'insuffisance d'actif de la société Ciel Constructions, que celui-ci et M. [S] avaient commis une faute de gestion en ne respectant pas les règles statutaires relatives à la fixation de la rémunération des gérants, sans toutefois préciser en quoi cette faute aurait contribué à l'insuffisance d'actif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 651-2 du code de commerce :

9. Selon ce texte, la faute de gestion, pour permettre d'engager la responsabilité pour insuffisance d'actif du dirigeant, doit avoir contribué à l'insuffisance d'actif.

10. Pour condamner MM. [S] et [Z] au titre de leur responsabilité pour insuffisance d'actif, l'arrêt retient d'une part à leur encontre les griefs relatifs à l'absence de toute convocation et tenue d'assemblées générales ordinaires annuelles pour les exercices 2010, 2011 et 2012, au non-respect des règles statutaires relatives à la fixation de la rémunération des gérants, au non-respect des obligations déclaratives en matière fiscale et sociale et de tout paiement en découlant et à la tenue d'une comptabilité imparfaite dans un but de dissimulation, et affirme d'autre part que l'absence de tout respect des obligations déclaratives en matières fiscale et sociale et de tout paiement en découlant, dans le cadre d'une tenue volontairement imparfaite des comptes, n'a pu qu'aggraver le passif, principalement constitué de telles créances, de sorte que les fautes de gestion retenues ont contribué à l'insuffisance d'actif qu'il constate.

11. En se déterminant ainsi, sans établir de lien entre deux des fautes qu'elle retenait pourtant, relatives à l'absence de toute convocation et tenue d'assemblées générales ordinaires annuelles pour les exercices 2010 à 2012 et au non-respect des règles statutaires relatives à la fixation de la rémunération des gérants, et l'insuffisance d'actif, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le troisième moyen du pourvoi n° A 19-25.606

Enoncé du moyen

12. M. [S] fait grief à l'arrêt de prononcer à son encontre une mesure de faillite personnelle pour une durée de cinq années, alors « que les juges d'appel ne peuvent aggraver le sort de l'appelant sur son unique appel et en l'absence d'appel incident de l'intimé ; qu'en portant à cinq ans la durée de la mesure de faillite personnelle fixée à trois ans par le tribunal, quand le liquidateur judiciaire de la société Ciel Constructions avait conclu à la confirmation du jugement de ce chef, la cour d'appel a violé les articles 550 et 562 du code de procédure civile, dans leur rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 550 et 562 du code de procédure civile, dans leur rédaction alors applicable.

13. Il résulte de ces textes que les juges d'appel ne peuvent aggraver le sort de l'appelant sur son unique appel et en l'absence d'appel incident de l'intimé.

14. L'arrêt porte à cinq ans la durée de la mesure de faillite personnelle fixée à trois ans par le tribunal, alors que le liquidateur intimé avait conclu à la confirmation du jugement et que le ministère public n'avait pas demandé l'aggravation de la sanction par voie d'appel incident.

15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

16. La condamnation à supporter l'insuffisance d'actif ayant été prononcée en considération de plusieurs fautes de gestion, la cassation encourue à raison de l'une d'entre elles entraîne, en application du principe de proportionnalité, la cassation de l'arrêt de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a prononcé à l'encontre de M. [Z] une mesure de faillite personnelle d'une durée de cinq ans, l'arrêt rendu le 22 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes.