CA Douai, 2e ch. sect. 2, 24 novembre 2022, n° 22/02056
DOUAI
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vitse
Conseillers :
Mme Cordier, Mme Fallenot
Avocats :
Me Chambon, Me Sabos
La SARL Le châtaignier, exploitant sous l'enseigne « Pizza King », a été créée le 6 septembre 2012, M. [T], associé fondateur de la société, étant devenu gérant le 1er avril 2017.
Une déclaration de cessation a été régularisée le 15 février 2019, l'activité ayant cessé depuis novembre 2018.
Par jugement du 19 février 2019, la société a été placée en liquidation judiciaire, la SELARL [S] & associés, prise en la personne de Me [S], ayant été nommée en qualité de liquidateur judiciaire.
Par actes d'huissier du 24 octobre 2019, la SELARL [S] & associés a assigné M. [K] [V] et M. [B] [T], au visa de l'article L651-2 du code de commerce , aux fins de paiement solidairement par les deux défendeurs des sommes de 124 758,80 euros au titre de leur responsabilité pour insuffisance d'actif, et de 2 000 euros pour les frais exposés, outre les dépens.
Par actes d'huissier des 08 décembre 2021 et 16 décembre 2021, la SELARL [S] & associés, prise en la personne de Me [Y] [S], en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Le châtaignier, a assigné M. [B] [T] et M. [K] [V] aux même fins.
Les dossiers ont été joints.
Par jugement contradictoire et en premier ressort en date du 28 mars 2022, le tribunal de commerce de Dunkerque a :
vu la jonction prononcée sur le siège des deux instances ;
- écarté les fins de non-recevoir soulevées en défense ;
- débouté la SELARL [S] & associés, ès qualités, de ses demandes dirigées à l'encontre de M. [K] [V], sans qu'il y ait lieu a dommages-intérêts en faveur de ce dernier ;
- condamné M. [B] [T] à payer à la SELARL [S] & associés, ès qualités, la somme de 30 000 euros au titre de participation à l'insuffisance d'actif de la société Le châtaignier ;
- rejeté toute demande d'indemnité procédurale ;
- condamné M. [B] [T] aux dépens.
Par déclaration en date du 27 avril 2022, M. [T] a interjeté appel de l'ensemble des chefs de la décision précitée le concernant, intimant la société SELARL [S] & associés, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Le châtaignier.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Par conclusions remises au greffe et adressées entre parties par voie électronique en date du 26 juillet 2022, M. [T] demande à la cour, au visa de l'article 122 du code de procédure civile, des articles L. 624-2, L. 651-2 et suivants du code de commerce, de l'article 700 du code de procédure civile, de :
- infirmer la décision rendue par le tribunal de commerce de Dunkerque le 28 mars 2022 en ce qu'elle a :
- écarté les fins de non-recevoir soulevées en défense
- condamné Monsieur [T] à payer à la SELARL [S] & associés ès-qualités la somme de 30 000 euros au titre de la participation à l'insuffisance d'actif de la société Le châtaignier ;
- rejeté toute demande d'indemnité procédurale
- condamné Monsieur [T] aux dépens.
- et statuant à nouveau :
- à titre principal,
- déclarer irrecevables les demandes formulées par la SELARL [S] & associés pour défaut d'intérêt à agir.
- déclarer irrecevables les demandes formulées par la SELARL [S] & associés prise en la personne de Me [Y] [S] agissant ès qualités de liquidateur de la SARL Le châtaignier en tant qu'intervenante volontaire, aucune assignation valablement délivrée n'ayant régularisé la procédure.
- à titre subsidiaire,
- dire mal fondée l'action en comblement de passif dirigée à l'encontre de M. [T] et débouter la SELARL [S] & associés ès qualités ou non de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions
- à titre totalement subsidiaire,
- faire application dans de larges proportions du principe de proportionnalité des condamnations, à partir d'un passif de 14 000 euros.
- en tout état de cause,
- débouter la SELARL [S] & associés de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions.
- débouter la SELARL [S] & associés prise en la personne de Me [Y] [S] agissant ès qualités de liquidateur de la SARL Le châtaignier de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions.
- condamner solidairement les intimés ou l'un à défaut de l'autre au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens pour la procédure de première instance et d'appel
L'assignation délivrée le 24 octobre 2019 a été régularisée par la SELARL [S] personnellement, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif étant pourtant une action attitrée, réservée au liquidateur judiciaire, ce qui rend l'action de la SELARL [S] irrecevable.
Ce n'est que par conclusions signifiées à la mi-novembre 2021 que la SELARL [S], prise en la personne de Me [S], agissant en qualité de liquidateur judiciaire, est intervenue volontairement à l'instance.
Cependant, l'intervention ne saurait couvrir une irrégularité ou être utilisée à fin de régularisation de la procédure. La SELARL [S] in personam d'ailleurs ne formule plus de demande, l'intervention ne pouvant dès lors se rattacher par un lien de connexité aux demandes originaires.
Les demandeurs à l'action en sanction ne justifient pas de la délivrance de la seconde assignation qui aurait prétendument été délivrée quelques semaines avant la date de l'audience, ni des conditions de délivrance de ces assignations.
Seule l'assignation valablement délivrée interrompt la prescription, la fin de non-recevoir tirée de la prescription pouvant être opposée en tout état de cause.
Sur le fond, il rappelle que la faute doit être clairement définie, datée, et le lien de causalité entre la faute et l'insuffisance d'actif doit être établi. Seule la passivité de M. [T] est visée par le liquidateur, les jurisprudences citées étant obsolètes. Les contours de la responsabilité pour insuffisance d'actif ont été modifiés de manière progressive par l'apport notamment de la loi Sapin 2, la négligence ne pouvant être source de responsabilité.
En outre, la condamnation du dirigeant, même fautif, demeure une possibilité et non une obligation, le Conseil constitutionnel étant venu préciser l'exigence de proportionnalité s'agissant de l'action en comblement de passif.
La grande majorité du passif a été créée du fait de la précédente gérance et la faible partie résiduelle relève de dettes normales. M. [T] ne saurait être condamné au titre du comblement de passif.
Le passif admis à la liquidation de la SARL Le châtaignier n'a pas été fixé de sorte que le montant de la prétendue insuffisance d'actif ne peut être déterminé. La demande de condamnation ne peut qu'être rejetée faute de connaître l'insuffisance d'actif. Il sera à tout le moins sursis à statuer.
L'état des créances et le décompte de Me [S] portent sur une période bien plus large que celle pouvant être potentiellement retenue en cas de fautes du gérant. Sont à écarter les créances antérieures à sa nomination et les dettes postérieures au jugement de liquidation judiciaire intervenu le 19 février 2019. L'acceptation d'une procuration bancaire en qualité d'associé, à la supposer établie, qui est un acte relativement banal, ne constitue aucunement une faute susceptible de voir engager la responsabilité de M. [T] a posteriori pour des fautes de gestion.
La dette fiscale et sociale constituant la quasi-totalité du passif a été portée à sa connaissance plusieurs années après sa prise de fonction et pour une période largement antérieure à celle-ci. Il n'existe pas d'aggravation notable et fautive du passif au cours de la gérance de M. [T].
S'agissant de la comptabilité, il n'est pas démontré que cette absence de comptabilité aurait généré le passif visé, M. [T] ne devant pas supporter l'inaction de ses prédécesseurs.
L'appelant conteste s'être désintéressé de la gestion, ayant tenté de reprendre la gestion comme il le pouvait en fonction des moyens qui s'offraient à lui. Il a coopéré lors des vérifications réalisées par l'administration fiscale. Il a d'ailleurs pris l'initiative du dépôt de bilan lorsqu'il s'est rendu compte de l'existence d'une dette fiscale très importante dont il n'avait pas été préalablement informé lorsqu'il a pris ses fonctions en avril 2017.
Il n'imaginait pas les fautes commises par ses prédécesseurs lors de sa prise de fonction, fautes qui ont été révélées dans le cadre d'un contrôle fiscal. Il n'aurait pas pris la gérance s'il avait été informé de cette problématique.
Il souligne que ce ne peut être une absence de contrôle a posteriori qui aurait causé le passif. Les montants éventuellement nés lors de sa gérance sont des montants tout à fait marginaux et correspondent à des dettes courantes et normales, sans rapport avec une faute de gestion.
Il n'a aucunement cherché à fuir, ne pouvant agir avant de savoir l'issue du contrôle fiscal mené. Le contrôle portait essentiellement sur une période où il n'était pas encore gérant, soit entre le 1er octobre 2014 et le 30 septembre 2017.
L'insuffisance d'actif étant bien née avant l'expiration du délai de déclaration de l'état de cessation des paiements, le dirigeant ne peut être condamné à combler le passif pour déclaration tardive de la cessation des paiements.
Il revient sur les griefs invoqués au titre des bulletins de salaires délivrés à M. [V].
Il souligne l'absence d'élément quant à l'actif réalisé, rendant toute demande du liquidateur irrecevable. La cession du fonds de commerce aurait été réalisée à hauteur de 4 000 euros. Il revient sur certains actifs non pris en compte (télévision, véhicule Clio).
Il conclut que l'administration fiscale a elle-même écarté toute responsabilité de M. [T] et que la sanction se doit d'être proportionnée aux faits et fautes retenus.
Par conclusions remises au greffe et adressées entre parties par voie électronique en date du 8 juillet 2022, la SELARL [S] & associés et la SELARL [S] & associés prise en la personne de Me [S] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Le châtaignier, demande à la cour, au visa de l'article L651-2 du code de commerce de :
- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Dunkerque le 28 mars 2022 en ce qu'il limite à 30 000 euros l'indemnité due par Monsieur [T] au titre de sa participation à l'insuffisance d'actif de la société Le châtaignier et en ce qu'il déboute la SELARL [S] & associés ès qualités de liquidateur de sa demande d'indemnité procédurale sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- le confirmer pour le surplus,
- statuant à nouveau,
- condamner M. [T] à payer la SELARL [S] & associés ès qualités de liquidateur de la SARL Le châtaignier la somme de 124 758,8 euros au titre de sa responsabilité personnelle dans l'insuffisance d'actif de la société précitée,
- condamner M [T] à payer la SELARL [S] & associés ès qualités de liquidateur de la SARL Le châtaignier la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du CPC outre les entiers dépens de première instance et d'appel,
L'irrecevabilité ne peut qu'être écartée, le second jeu d'assignations ayant été délivré à personne et se référant bien à la qualité de liquidateur judiciaire.
M. [T], en sa qualité de gérant de droit, depuis la modification des statuts d'avril 2017, est nécessairement responsable des fautes de gestion commises.
Il avait parfaitement connaissance de la situation de la société avant sa prise de fonction, puisqu'il en est un des associés fondateurs. En qualité d'associé, il avait accès à un certain nombre d'informations. Il existe d'ailleurs une procuration bancaire spécifiquement acceptée en date du 16 septembre 2014. Les déclarations de M. [T], lors de la déclaration de cessation des paiements, sont dénuées de pertinence. Il a menti au liquidateur sur son implication dans la gestion de la SARL.
Sa passivité est fautive et inexcusable à la lumière de son expérience.
Le liquidateur revient sur chacune des fautes, et notamment l'absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai de 45 jours. L'établissement a été considéré en état de cessation des paiements bien avant la date d'arrêt de l'activité puisque la date de cessation des paiements a été fixée au 19 août 2017, soit 18 mois avant le jugement d'ouverture.
Toutes les dettes créées à compter de cette date sont la conséquence directe du défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements.
Contrairement à ce qu'il soutient, d'importantes dettes sont nées postérieurement à la gérance de M. [T]. Il n'a effectué aucun effort pour résorber le passif existant puisqu'au contraire, il a poursuivi l'exploitation pendant près de deux ans.
Les manquements délibérés ont entraîné une accumulation de dettes fiscales ou sociales. Les déclarations de créances concernent bien des périodes où M. [T] était gérant. Aucun moratoire n'a été envisagé et il a nécessairement été informé de la procédure fiscale, désertant l'activité après la notification de la situation.
Il n'effectue pas les déclarations obligatoires en matière d'impôts sur les sociétés et ne tient aucune comptabilité, pas plus qu'il ne se plie à la moindre exigence permettant d'avoir un regard sur l'évolution du chiffre d'affaires de la société.
Il existe un désintérêt pour la gestion sociale et un non-paiement des salaires, étant observé que M. [T] a varié sur l'emploi salarié de M. [V], lequel a saisi la juridiction prud'homale au vu des attestations effectuées par M. [T] pour obtenir des rappels de salaire, le liquidateur ayant été condamné à d'importantes sommes à ce titre.
Sur le montant de l'insuffisance d'actif, il est versé l'état du passif vérifié, le seul passif rejeté concernant le contrat d'assurance. Il estime, après avoir retraité les créances et mis en exergue le montant des créances relatives à une période postérieure à août 2017, que la poursuite d'activité au-delà de la date de l'état de cessation des paiements a provoqué une insuffisance d'actif à hauteur de 63 113 euros.
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Par avis en date du 29 septembre 2022, remis au greffe le 3 octobre 2022, lequel l'a notifié aux parties sans délai, le ministère public requiert de la chambre commerciale d'écarter l'irrecevabilité soulevée et de con'rmer le jugement querellé du 28 mars 2022.
Il souligne que les pièces permettent d'écarter la fin de non-recevoir.
Gérant de droit, M. [T] doit se donner les moyens d'assurer la gestion, et les conséquences de la liquidation judiciaire et de l'insuffisance d'actif lui sont directement et personnellement imputables.
[B] [T] ne peut se retrancher vers une pseudo-gestion de fait confiée à son ami [K] [V], au demeurant non démontrée, pour s'exonérer de toute responsabilité.
Le liquidateur reproche les fautes suivantes : une déclaration de cessation des paiements tardive ; l'absence de tenue d'une comptabilité ; l'absence de déclaration régulière des charges sociales et fiscales.
La faute d'absence de déclaration est constituée. Si l'appelant avait régularisé, dans le délai légal de 45 jours à compter de la cessation des paiements en application de l'article L 631-4 du code de commerce , sa déclaration de cessation des paiements, le passif aurait été moindre.
S'agissant du défaut de tenue de la comptabilité, le liquidateur n'a pas pris soin de contacter le comptable a'n, d'une part, d'avoir la lettre de mission signée entre l'entreprise judiciairement liquidée et ledit cabinet comptable et, d'autre part, de déterminer si la comptabilité n'a pas été tenue faute d'avoir reçu les pièces de l'entreprise et/ou que les factures de l'expert comptable n'ont pas été réglées. Le liquidateur est défaillant dans la preuve. Pour autant, l'appelant indique dans ses propres conclusions que le cabinet comptable ne suivait plus la comptabilité faute d'avoir été réglé de ses factures par 1'entreprise.
Le non-paiement des créances fiscales et sociales depuis de nombreux mois est établi sans pour autant que l'appelant ait pris les bonnes décisions.
Le ministère public regrette que le liquidateur n'ait pas eu recours au dispositif des articles L 651-4 et R 651-5 du code de commerce , ce qui aurait permis de déterminer, sans contestation possible, l'actif de l'ancien dirigeant poursuivi en sanction pécuniaire.
Compte tenu de la limitation par les premiers juges du montant, la cour devra confirmer cette condamnation.
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A l'audience du 4 octobre 2022, le dossier a été mis en délibéré au 24 novembre 2022.
Une note en délibéré a été autorisée pour permettre aux parties de répondre à l'avis du ministère public transmis tardivement.
Par note en délibéré en date du 11 octobre 2022, la SELARL [S] & associés et la SELARL [S], prise en la personne de Me [S], ès qualités, souligne que :
- le ministère public inverse la charge de la preuve et ajoute une condition que la loi n'impose pas, à savoir que le liquidateur démontre la proportionnalité de la sanction ;
- il appartient à M. [T] qui se prévaut d'une disproportion d'apporter la preuve de cette dernière en communiquant des éléments sur sa situation personnelle, ce qu'il ne fait pas ;.
- la liquidation est totalement impécunieuse et il n'est pas possible d'imposer au liquidateur une charge complémentaire consistant à déterminer le patrimoine de Monsieur [T].
Par note en délibéré en date du 13 octobre 2022, M. [T] rappelle la position du ministère public et estime qu'étonnemment, il requiert la confirmation du jugement à hauteur de 30.000 euros et ce, en totale contradiction avec le moyen de droit soulevé et la position de la jurisprudence s'agissant de l'absence d'élément sur la situation du dirigeant.
Il appartient au liquidateur qui sollicite une condamnation à hauteur de plus de 124 000 euros de prouver que son action est fondée et sa demande proportionnelle aux facultés du dirigeant. Le fait que la liquidation soit impécunieuse ne dispense pas le liquidateur de fournir ces éléments pour justifier sa demande de condamnation.
MOTIVATION
La saisine de la cour ne porte pas sur la responsabilité pour insuffisance d'actif de M. [V], à raison d'une gérance de fait, ainsi que l'indemnisation de ce dernier au titre de l'action menée par le liquidateur, rendant sans objet l'ensemble des développements, notamment du ministère public, sur ce point.
Ce n'est que par pure maladresse, que nul n'a relevé d'ailleurs, qu' ont été maintenues dans les dernières écritures de l'intimée des demandes de sanction présentées tant in personam qu' es qualités, par la société SELARL [S], qui ne peut, dans le cadre de cette action attitrée, formuler qu'en qualité d'organe des demandes, auxquelles il sera répondu par le présent arrêt.
- Sur les fins de non-recevoir
En vertu des dispositions de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Aux termes de l'article L 651-3, alinéa 1, du code de commerce , dans sa rédaction antérieure à la loi du 14 février 2022, dans les cas prévus à l'article L 651-2 du code de commerce , le tribunal est saisi par le liquidateur ou le ministère public.
Si la première assignation délivrée ne comportait pas de référence à la qualité d'organe de Me [S], une nouvelle assignation en date du 8 décembre 2021, délivrée à personne, physique, à la demande de « la SELARL [S] & associés, pris en la personne de Me [Y] [S],[...] agissant ès qualité de liquidateur de la SARL Le châtaignier, selon jugement du 19 février 2019 », a valablement introduit l'action attitrée du liquidateur en responsabilité pour insuffisance d'actif, rendant inopérants les développements de M. [T] relatifs à l'irrecevabilité de l'action et à l'impossibilité de régulariser la procédure par voie de conclusions.
Le rejet de la fin de non-recevoir est donc confirmée.
Sur la sanction pécuniaire
L'article L 651-2 du code de commerce , tel que modifié par la loi 2016-1691 du 9 décembre 2016 (article 146), applicable aux procédures collectives en cours et aux instances en cours, dispose que, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.
S'agissant d'une action en responsabilité civile délictuelle, à caractère indemnitaire, ayant pour objet la réparation du préjudice subi par la collectivité des créanciers, doivent être prouvés l'existence d'une faute de gestion, celle d'un préjudice consistant en une insuffisance d'actif et un lien de causalité entre eux.
Il n'existe pas de définition légale de la notion de faute de gestion, dont les contours ont été dessinés progressivement par la jurisprudence, laquelle, le plus souvent, se réfère au comportement d'un dirigeant normalement avisé, ou encore aux règles minimales de bonne gestion.
Sont retenus aussi bien des actes positifs que des abstentions, à l'exclusion de la faute de simple négligence, depuis la loi du 9 décembre 2016, laquelle est applicable aux procédures collectives en cours et aux instances en cours.
- sur l'existence de l'insuffisance d'actif
Il convient de rappeler qu'il n'est pas nécessaire, pour qu'il puisse être fait application des dispositions de l'article L 651-2 du code de commerce , que le passif soit entièrement chiffré, ni que l'actif ait été réalisé. Il suffit que l'insuffisance d'actif soit certaine.
En l'espèce, l'état du passif déclaré, signé par le juge-commissaire le 12 février 2020, mentionne un passif total de 136 867, 06 euros, dont 134 347, 06 euros à titre définitif et 2 000 euros à titre provisionnel, rendant inopérante l'argumentation de M. [T] relative à l'absence de vérification du passif et à la nécessité d'un sursis à statuer en l'attente d'un état définitif du passif.
Au vu de l'actif recouvré et constitué de la vente du fonds de commerce s'élevant à la somme de 4 000 euros et du montant du passif définitif vérifié, l'existence d'une insuffisance d'actif est certaine à hauteur de 130 347,06 euros.
- sur les fautes reprochées
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Au titre des fautes de gestion, sont relevées par le liquidateur et le ministère public une déclaration de cessation des paiements tardive et la passivité du dirigeant, l'absence de tenue d'une comptabilité, l'absence de paiement des créances fiscales et sociales, l'absence de paiement des salaires.
a) la déclaration tardive de la cessation des paiements et la passivité
L'omission de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai légal, susceptible de constituer une faute de gestion au sens de l'article L 651-2 du code de commerce , s'apprécie au regard de la seule date de cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture ou dans un jugement de report.
Il n'est fait état d'aucune contestation du jugement ayant prononcé l'ouverture de la procédure en date du 19 février 2019 et ayant arrêté la date de cessation des paiements au 19 août 2017, soit plus de 45 jours au préalable.
Il sera d'ailleurs observé que M. [T] mentionnait, dans sa déclaration du 15 février 2019 saisissant le tribunal, une cessation des paiements en date du 1er octobre 2016.
Ce dernier ne peut se retrancher derrière une acceptation hâtive et inconsidérée d'une gérance de droit, faisant suite à une gérance antérieure défaillante à l'origine de la quasi-totalité du passif de la société, constituée essentiellement d'un passif fiscal dont il n'aurait eu connaissance qu'à l'issue du contrôle, plusieurs années après sa prise de fonction.
En effet, en acceptant la gérance de la société en avril 2017, il lui appartenait de faire un état des lieux précis pour prendre connaissance des aspects juridiques, admnistratifs, comptables et financiers de la société Le châtaignier et arrêter toutes les mesures nécessaires en lien avec la situation de la société ainsi déterminée.
Sans retenir le motif hypothétique et non étayé des premiers juges sur le fait que des lettres de rappel avaient nécessairement dû intervenir et être adressées à M. [T] depuis avril 2017, l'affirmation d'une découverte des dettes fiscales et de leur étendue uniquement lors de la déclaration de créances des services fiscaux ou peu de temps avant la demande d'ouverture de la procédure collective est contredite par les pièces versées aux débats.
En effet, dès la mi-mai 2018, par l'envoi d'une copie des mises en demeure à son domicile personnel faute d'avoir donné suite aux courriers adressés au siège social dans le cadre du contrôle fiscal débuté en avril, il ne pouvait ignorer ni l'absence de comptabilité régulière et de déclaration de TVA et d'impôts sur le revenu pour les exercices antérieurs, notamment pour les exercices clos le 30 septembre 2015 et le 30 septembre 2016, ni le risque d'un redressement aboutissant à une créance conséquente, dont seul le montant demeurait inconnu, et à laquelle la société ne pourrait faire face faute de patrimoine.
A réception de la lettre du 12 septembre 2018 contenant la proposition de rectification des services fiscaux, qui arrête précisément le montant du redressement, il n'a pas pour autant rapidement régularisé une déclaration de cessation des paiements.
Il ne pouvait méconnaître la situation délicate voire totalement compromise de la société, ayant d'ailleurs cessé, sans autre formalité, l'exploitation de l'activité dès novembre 2018, au mépris des intérêts du créancier et des responsabilités qui lui incombaient en acceptant la gérance.
Faute d'avoir pris les mesures qui s'imposaient pour enrayer la situation et à tout le moins déclarer l'état de cessation des paiements, tout en ne maintenant pas l'activité, M. [T] a ainsi fait montre d'une inertie totale, qui ne constitue pas une simple négligence, mais une attitude volontaire et consciente de ne pas faire face à la gestion et aux obligations qu'elle implique.
Le fait qu'il ait pris l'initiative d'une déclaration de cessation des paiements en février 2019 n'est pas de nature à retirer à cette abstention manifeste son caractère fautif.
Le grief de non-déclaration consciente de l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours et de passivité dans la gestion est constitué.
b) l'absence de tenue d'une comptabilité
Les articles L 123-12 à L 123-28 et R 123-72 à R 123-209 du code de commerce imposent aux commerçants personnes physiques et personnes morales la tenue d'une comptabilité donnant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise, au moyen de la tenue d'un livre journal, d'un grand livre et d'un livre d'inventaire ; les mouvements doivent être enregistrés chronologiquement au jour le jour et non en fin d'exercice, seuls les comptes annuels étant établis à la clôture de l'exercice. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat, une annexe, qui forment un tout indissociable.
Conformément aux dispositions de l'alinéa 1 de l'article L 123-14 du code de commerce , les comptes annuels doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise.
En sa qualité de gérant, M. [T] avait l'obligation de se soumettre à ces dispositions.
Il ressort des pièces, notamment de la proposition de rectification des services fiscaux et du rapport de situation économique du liquidateur judiciaire, que le dernier bilan présenté est celui de l'exercice clos au 30 septembre 2016.
M. [T] ne peut se retrancher derrière l'absence de tenue de comptabilité par la gérance antérieure et le fait qu'il ait cherché à mettre fin à cette pratique pour se dédouaner.
Même pour les exercices en cours lors de sa gérance, à savoir pour l'exercice clos au 30 septembre 2017 et l'exercice clos au 30 septembre 2018, il n'est pas en mesure de produire une comptabilité. Il n'est pas plus produit de documents de gestion pour l'année en cours lors de l'ouverture.
Les factures pour l'exercice 2017 de la société d'expert-comptable, dont il n'est d'ailleurs pas démontré qu'elles aient été payées, ne sont pas suffisantes pour établir que le comptable ait été mis en mesure d'exercer sa mission et qu'une comptabilité régulière ait été tenue pour cet exercice.
Au contraire, les investigations des services fiscaux soulignent l'absence de journal de caisse et de process mis en place et connu du gérant, pour conserver les tickets, déterminer les entrées et sorties alors qu'il sait la caisse enregistreuse inutilisable et que la société ne met plus les recettes en banque à raison des interdits bancaires, caractéristiques non d'une simple négligence, mais d'une gestion laissée en jachère par M. [T].
En conséquence, ce grief de défaut de tenue d'une comptabilité est établi à l'encontre de M. [T], lequel, faute de réclamer, comme l'ont justement noté les premiers juges, la remise des comptabilités antérieures à ses prédécesseurs, puis de tenir une comptabilité de manière consciencieuse pour les exercices sous sa gérance, s'est privé des moyens de pouvoir gérer son entreprise utilement et de cerner les difficultés de cette dernière.
c) l'absence de paiement des créances fiscales et sociales
L'étude même des déclarations de créances transmises en ce domaine démontre que M. [T] s'est affranchi du respect de la législation fiscale, mais également sociale, en n'effectuant pas les déclarations nécessaires dans les délais et en n'honorant pas les sommes dues à ce titre.
Si indéniablement, les prédécesseurs ne respectaient pas non plus leurs obligations en la matière, leur faute ne saurait dédouaner M. [T], lequel n'a pas, contrairement à ce qu'il sous -entend, mis fin à cette pratique dès son entrée en fonction.
En effet, le montant total déclaré par les organismes fiscaux et sociaux, pour plus de 120 000 euros, constitue le passif essentiel de cette procédure collective.
Ainsi, la déclaration de la direction générale des finances publiques porte sur une période, de octobre 2014 à septembre 2017, englobant la gérance de M. [T], lequel est entré en fonction en avril 2017.
En outre, des impositions au titre de la taxe sur la valeur ajoutée sont dues pour juillet 2017, décembre 2017, et pour l'année 2018. La cotisation foncière des entreprises 2018 reste due.
Par ailleurs, les relevés Argic Arrco permettent de constater des cotisations demeurées impayées au titre du 4ème trimestre 2017, de toute l'année 2018 et du 1er trimestre 2019.
Enfin, la déclaration de l'Urssaf mentionne des impayées pour la période de septembre 2018.
Dès lors, ces éléments sont suffisants pour établir qu'à compter de son entrée en fonction en avril 2017 jusqu'à l'ouverture de la procédure collective en février 2019, M. [T] ne s'est pas soumis aux obligations sociales et fiscales qui étaient les siennes, en ne procédant pas aux déclarations nécessaires ou en n'honorant pas les créances en la matière.
Les quelques déclarations unifiées de cotisations sociales versées aux débats par M. [T], lesquelles concernent uniquement une période de juillet 2018 à septembre 2018, ne contredisent pas ce constat, marqué également par l'absence de paiement régulier des salaires de M. [V] puis son absence de licenciement, avec délivrance de bulletins de salaires, alors qu'aucune activité n'étaient maintenue.
Enfin, M. [T] ne démontre pas plus avoir pris les mesures qui s'imposaient pour résorber le passif, notamment fiscal antérieur, en participant activement et spontanément à la procédure de redressement ou en proposant des moratoires aux organismes sociaux et fiscaux.
Se trouve en conséquence établi ce manquement, qui ne saurait constituer une simple négligence mais bien une attitude volontaire et consciente, M. [T] ne pouvant ignorer l'importance des déclarations à faire et les conséquences d'un défaut de déclaration, au vu de la procédure de vérification qui lui avait été notifiée, pour les créances relevant essentiellement de la gérance antérieure, dès avril 2018.
- sur le lien de causalité
Il convient de rappeler que le préjudice doit être en lien avec les fautes reprochées qui ont donc contribué à sa réalisation. Il est suffisant, toutefois, que la faute soit l'une des causes de l'insuffisance d'actif, sans qu'il soit nécessaire qu'elle ait contribué à la totalité de l'insuffisance d'actif.
Retenant une conception assez lâche du lien de causalité, la jurisprudence admet en effet la condamnation du dirigeant à supporter la totalité de l'insuffisance d'actif, même si sa ou ses fautes ne sont à l'origine que d'une partie de celle-ci.
Les fautes retenues, ensemble comme isolément, ont toutes contribué à l'insuffisance d'actif en ce que :
- M. [T] a repris les fonctions de gérant en avril 2017 sans se soucier ni des modalités d'exercice de la gérance antérieure, ni de la situation économique et financière de l'entreprise, ce qui ressort manifestement de sa déclaration de cessation des paiements ;
- il n'a pas plus pris la mesure de ses fonctions de gérant, ne faisant aucun état des lieux de ladite société, tant auprès de l'ancienne gérance que des créanciers principaux, ce qui aurait dû le conduire à faire une déclaration de cessation des paiements immédiate et traduit un désintérêt total pour l'exercice de sa mission ;
- soumis à une procédure de vérification fiscale, en grande partie en lien avec la gérance antérieure, M. [T] ne s'est pas astreint à une gestion précautionneuse à compter de son entrée en fonction, notamment en respectant les obligations comptables, sociales et fiscales qu'il ne pouvait ignorer au vu du redressement fiscal en cours ;
- les déclarations sociales et fiscales pour la période à compter de son entrée en fonction en avril 2017 jusqu'à l'ouverture de la procédure collective en février 2019 sont parcellaires et en grande majorité absentes, générant un passif dont est directement et seul responsable M. [T] ;
- cette inertie totale et cette méconnaissance de son rôle de gérant sont en outre à l'origine du passif social, M. [T] ayant, sans autre forme, mis fin à l'activité en novembre 2018, sans en tirer de quelconques conséquences sur l'emploi de M. [V], ouvrant droit pour ce dernier à perception de salaires alors même qu'il ne travaillait plus ;
- selon l'étude des déclarations de créances et les avis de mises en recouvrement présents au dossier, a été généré à compter de son entrée en fonction un passif courant composé de 2 887, 48 euros au titre de la créance Malakoff, de 8 565 euros au titre de l'URSSAF, de 6 047, 77 euros au titre de la TVA (juillet 2017, décembre 2017 et année 2018) et de la cotisation foncière entreprise 2018 ;
- un prorata de la créance issue du contrôle fiscal a été généré pendant la gestion de M. [T] et est directement en lien avec l'inertie de celui-ci, son absence de comptabilité et de déclaration de cessation des paiements ainsi que son mépris des législations sociales et fiscales, et représente au vu des montants repris dans la proposition de rectification, à tout le moins, et sans même prendre en compte les intérêts, majorations et amendes, dont pourtant une partie est générée lors de sa période de gestion, une somme d'au moins 7 404 euros pour la TVA d'avril 2017 à septembre 2017 et 9 282 euros pour l'impôt sur les sociétés sur cette même période ;
- s'ajoutent également à ce passif les sommes mises à la charge de la société au titre du rappel des salaires et congés payés de M. [V], lequel a été embauché, en novembre 2017, alors même que la cessation des paiements était effective et n'a fait l'objet, à raison de l'inertie totale de M. [T], ni d'un paiement complet de sa rémunération ni d'un licenciement en bonne et due forme, soit une somme de 6 946,97 euros.
Ainsi, M. [T], qui avait accepté la gérance de la société, a fait montre d'une inertie totale et n'a assumé aucune des obligations élémentaires d'un gérant, s'affranchissant de toutes ses obligations tant comptables que sociales et fiscales, sans prendre aucune mesure précise et concrète pour enrayer la situation d'ores et déjà délicate de la société lors de son entrée en fonction, notamment en exigeant qu'un quitus lui soit donné par la gérance antérieure et en déposant rapidement une déclaration de cessation des paiements, ce qui a contribué à aggraver l'insuffisance d'actif, dont une partie lui est directement et personnellement imputable comme ci-dessus démontré.
M. [T] évoque avoir un emploi salarié, en tant que conducteur de bus, et une situation de famille stable. Toutefois, l'opportunité d'une sanction ne saurait être remise en cause, au vu de la gravité des fautes retenues et de leur multiplicité, quand bien même aucune enquête sur le fondement de l'article L 651-4 du code de commerce n'a été réalisée, cette dernière étant purement facultative.
En conséquence, au vu de ces seuls motifs, les fautes retenues, isolément comme combinées, justifient la condamnation prononcée par les premiers juges à hauteur de 30 000 euros, montant qui est proportionné au regard de chacune des fautes établies à l'encontre de M. [T] et au regard de sa situation personnelle, la décision étant confirmée de ce chef.
Les intérêts courront, au taux légal, à compter du présent arrêt, s'agissant d'une action en responsabilité.
' Sur les dépens et accessoires
En application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, M. [T] succombant en ses prétentions, il convient de le condamner aux dépens d'appel.
La décision de première instance est confirmée en ce qu'elle a mis les dépens à la charge de M. [T].
Il convient en outre de le condamner au paiement d'une indemnité procédurale de 2 000 euros à la SELARL [S], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Le châtaignier.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de Dunkerque en date du 28 mars 2022 en ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
CONDAMNE M. [T] à payer à la SELARL Delezennes & associés, prise en la personne de Me [S] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Le châtaignier une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
LE CONDAMNE aux dépens d'appel.