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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 20 janvier 2023, n° 20/10364

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Actif Direct (SARL), Groupement Evolupharm (Association)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hébert-Pageot

Conseillers :

Mme Texier, Mme Dubois-Stevant

Avocats :

Me Régnier, Me Bonte, Me Assous

T. com. Créteil, du 1er juill. 2020, n° …

1 juillet 2020

FAITS ET PROCÉDURE :

La SARL Cap Agora Voyages, créée en 2008, exploitait une activité d'organisation et de vente de voyages ou de séjours collectifs. M. [U] en était le gérant associé. Elle détenait 94,96 % du capital de la société Cap Agora exerçant une activité dans l'événementiel.

Le 7 mai 2010, Cap Agora a consenti le 7 mai 2010 à Cap Agora Voyages un contrat de location-gérance à compter du 1er janvier 2010, portant sur un fonds de commerce connu sous le nom de 'Cap Agora' en contrepartie d'une redevance annuelle de 120.000 euros, ré-évaluée à 69.000 euros à compter du 1er janvier 2013.

Cap Agora a connu des difficultés financières et a été placée en redressement judiciaire le 15 juillet 2011.

Le 16 février 2012, les sociétés Cap Agora et Cap Agora Voyages, ont, dans la perspective d'un plan de redressement à soumettre au tribunal, signé un pacte de préférence aux termes duquel Cap Agora Voyages a consenti à suspendre l'exigibilité de son compte courant d'associé qu'elle détenait dans les livres de Cap Voyages, s'élevant à 737.897 euros, jusqu'à la fin du plan de redressement.

Le 15 mai 2012, le tribunal a arrêté le plan de redressement de la société Cap Agora sur 4 ans, Maître [B] étant désigné en qualité de commissaire à l'exécution du plan. Le plan a été intégralement exécuté.

Par contrat du 26 juin 2015, l'association du Groupement Evolupharm a confié à Cap Agora Voyages, l'organisation d'un voyage à Prague pour un budget, hors commissions, estimé à 761.832 euros. L'association a procédé au versement de trois acomptes pour un montant total de 429. 895,24 euros.

Le 3 juillet 2015, la société Actif Direct a confié à Cap Agora Voyages l'organisation d'un voyage à [Localité 8] pour un budget, hors commissions, estimé à 376.285 euros et a procédé au versement de trois acomptes pour un montant total de 347. 971,63 euros.

En novembre 2015, la Banque Palatine a rejeté plusieurs chèques émis par Cap Agora Voyages et adressé un signalement à la Banque de France. À la suite de cet incident, la banque BPRP qui fournissait à Cap Agora Voyages la garantie bancaire obligatoire pour les agences de voyage et la banque HSBC ont rompu les concours bancaires consentis à la société Cap Agora Voyages. La garantie financière a été dénoncée le 26 novembre 2015 avec prise d'effet au 26 février 2016.

Le 16 décembre 2015, Cap Agora Voyages a absorbé sa filiale Cap Agora.

A la suite de cette rupture, M.[U] et autres ont engagé une action en responsabilité contre la Banque Palatine, qui a donné lieu le 19 février 2016 à un jugement du tribunal de commerce de Paris condamnant en principal la banque à payer à Cap Agora Voyages 40.000 euros de dommages et intérêts, puis à un arrêt infirmatif du 7 avril 2016 condamnant la banque à 500.000 euros.

Le 22 juin 2016, le tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Cap Agora Voyages, fixé la date de cessation des paiements au 22 décembre 2014 et désigné Me [A] en qualité de liquidateur judiciaire. Par arrêt du 6 décembre 2016, la cour d'appel de Paris a fixé la date de cessation des paiements au 3 juin 2016.

Sur pourvoi de la Banque Palatine à l'encontre de l'arrêt l'ayant condamnée à 500.000 euros de dommages et intérêts et après reprise d'instance par Maître [A] ès qualités, la Cour de cassation, par arrêt du15 novembre 2017, a cassé en toutes ses dispositions l'arrêt du 7 avril 2016.

La cour d'appel de Paris, statuant comme cour de renvoi, par arrêt du 30 janvier 2019, a condamné la Banque Palatine à payer au liquidateur ès qualités 500.000 euros de dommages et intérêts, mais débouté Maître [A], ès qualités, de sa demande de réparation au titre de la liquidation judiciaire de la société Cap Agora Voyages. La cour a retenu que le rejet des chèques et la perte de crédibilité financière qui en est résultée a entraîné la dénonciation de la garantie d'agent de voyages par la BPRP dès le 26 novembre 2015 et mis la société en position difficile pour retrouver une autre garantie selon les nouvelles modalités réglementaires, d'où un préjudice commercial chiffré à 500.000 euros, mais a écarté l'imputabilité de la liquidation judiciaire de Cap Agora Voyages aux manquements de la Banque Palatine.

La société Actif Direct et l'association du groupement Evolupharm ont été désignées contrôleurs par ordonnance du 30 juin 2017, dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société Cap Agora Voyages.

Par acte du 23 avril 2018, la SARL Actif Direct et l'association du groupement Evolupharm, agissant en qualité de contrôleurs à la liquidation judiciaire de Cap Agora Voyages ont fait assigner M. [U], en sa qualité de dirigeant de droit de Cap Agora Voyages aux fins de condamnation, en application de l'article L 651-2 du code de commerce , à l'entier montant de l'insuffisance d'actif, s'élevant à 4 .191 447,43 euros. Le 9 novembre 2018, elles ont assigné en intervention forcée M.[A], en sa qualité de liquidateur judiciaire de Cap Agora Voyages.

Par jugement du 1er juillet 2020, le tribunal de commerce de Créteil a dit recevable l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, débouté la société Actif Direct et l'association du groupement Evolupharm de leurs demandes de condamnation de M.[U] au paiement de l'insuffisance d'actif de la société Cap Agora Voyages, les a condamnées solidairement à payer à M. [U] la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens et a débouté M.[U] de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive.

La société Actif Direct et l'association du groupement Evolupharm ont relevé appel selon déclaration du 22 juillet 2020.

Dans leurs conclusions n° 3 déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 10 janvier 2022, la société Actif Direct et l'association du groupement Evolupharm demandent à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a dit recevable l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, l'infirmer en ce qu'il les a déboutées de leur demande de condamnation de M.[U] au paiement de l'insuffisance d'actif de la société Cap Agora Voyages, ainsi que de leur demande au titre des frais irrépétibles, en ce qu'il les a condamnées à payer à M.[U] 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, statuant à nouveau, constater la réalité des fautes commises par M.[U] et le condamner au titre de son patrimoine personnel à payer le montant de l'insuffisance d'actif qui s'élève à la somme de 4. 191. 447,43 euros, déclarer M. [U] et Maître [A], ès qualités, mal fondés, en leur appel incident ainsi qu'en toutes leurs demandes, les en débouter et condamner M.[U] au titre des frais irrépétibles de première instance à verser à la société Actif Direct et à l'association du groupement Evolupharm la somme de 4. 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que 4. 000 euros chacune au titre des frais irrépétibles exposés en appel, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.

Dans leurs conclusions n°2 déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 6 janvier 2022, M.[U] et Maître [A], ès-qualités demandent à la cour de :

- in limine litis, déclarer irrecevable l'action de la société Actif Direct et de l'association du groupement Evolupharm en ce qu'elle ne respecte pas les prescriptions de l'article L 651-3 du code de commerce,

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé leur action recevable,

- débouter la société Actif Direct et l'association du groupement Evolupharm de l'ensemble de leurs fins, moyens et prétentions,

- sur le fond, confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Actif Direct et l'association du groupement Evolupharm, en ce qu'il a jugé qu'aucune faute de gestion n'avait été commise par M.[U] et en ce qu'il a débouté les demanderesses de l'intégralité de leurs demandes, juger que les difficultés rencontrées par la société Cap Agora Voyages sont le fait des fautes commises par la Banque Palatine, la Banque Populaire Rives de Paris (BPRP) et la banque HSBC ainsi que l'a jugé la cour d'appel de Paris, que la responsabilité de M.[U] ne peut être engagée sur le fondement de l'article L651-2 du code de commerce et qu'il ne peut être condamné au titre de l'insuffisance d'actif, débouter la société Actif Direct et l'association du groupement Evolupharm de l'ensemble de leurs fins, moyens et prétentions.

- à titre reconventionnel, condamner la société Actif Direct et l'association du groupement Evolupharm à verser à M.[U] 10. 000 euros de dommages et intérêts au titre de la procédure abusive qu'elles ont initiée.

- en tout état de cause, condamner la société Actif Direct et l'association du groupement Evolupharm à verser à M.[U] la somme de 10. 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans son avis notifié par voie électronique le 10 novembre 2020, le ministère public invite la cour à infirmer le jugement, à considérer que les fautes relatives aux avances de la société Cap Agora Voyages et Cap Agora, en lien avec l'absorption de cette dernière en redressement judiciaire, au défaut de comptabilité et à l'absence de mesures nécessaires pour rétablir la situation sont établies, ce faisant, M.[U] pourrait être condamné à verser 1.500.000 euros à titre de contribution à l'insuffisance d'actif.

SUR CE

- Sur la recevabilité de l'action

L'action en responsabilité pour insuffisance d'actif est intentée par les contrôleurs.

Il résulte de l'article L 651-3 alinéa 2 du code de commerce que ' Dans l'intérêt collectif des créanciers, le tribunal peut également être saisi [dans les cas prévus à l'article L651-2] par la majorité des créanciers nommés contrôleurs lorsque le liquidateur n'a pas engagé l'action prévue au même article, après une mise en demeure restée sans suite dans un délai et des conditions fixés par décret en Conseil d'Etat'.

L'article R 651-4 du même code prévoit que 'Pour l'application de l'article L 651-3, la mise en demeure faite au mandataire de justice d'engager l'action en responsabilité est délivrée par au moins deux créanciers contrôleurs. Leur action n'est recevable que si cette mise en demeure adressée au mandataire de justice par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, est restée infructueuse pendant deux mois à compter de la réception de la mise en demeure'.

M.[U] et le liquidateur reprennent devant la cour la fin de non recevoir tirée de l'absence de qualité à agir de la société Actif Direct et de l'association du Groupement Evolupharm, qui a été rejetée par les premiers juges. Ils font valoir que contrairement aux dispositions de l'article L 622-20 du code de commerce qui permet, en cas de carence du mandataire judiciaire, à tout créancier désigné contrôleur d'agir dans l'intérêt collectif des créanciers, un contrôleur agissant seul n'a pas qualité pour agir en responsabilité pour insuffisance d'actif , qu'en l'espèce les deux contrôleurs n'en font en réalité qu'un, qu'ils ont le même représentant légal et le même siège social et sont mus par un intérêt commun et privé de sorte qu'ils n'agissent pas dans l'intérêt collectif.

Les contrôleurs s'opposent à cette fin de non recevoir arguant qu'ils ne constituent pas une seule et même personne, Actif Direct étant une société commerciale dont l'objet et les intérêts sont distincts de ceux de l'association, que l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif ne vise pas leurs seuls intérêts, que le passif de Cap Agora Voyages est plus élevé que leurs seules créances et que leur désignation comme contrôleur par le juge-commissaire n'a pas été contestée par M.[U] dans le cadre d'un recours nullité.

Le ministère public est d'avis que l'action est recevable, Actif Direct et l'association du Groupement Evolupharm, Maître [A] ayant répondu qu'il n'entendait pas mettre en oeuvre une action en responsabilité pour insuffisance d'actif, et les contrôleurs faisant valoir leurs intérêts en tant que créanciers majoritaires.

Il ressort des textes sus visés que pour être recevable l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif doit être exercée par 'la majorité des créanciers nommés contrôleurs', ce qui implique qu'au moins deux contrôleurs décident de cette saisine.

En l'occurrence, le juge-commissaire a bien désigné, par ordonnance du 30 juin 2017 devenue définitive, non pas un, mais deux contrôleurs, la société Actif Direct et l'association du Groupement Evolupharm, lesquels exercent ensemble l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif.

Si ces contrôleurs ont le même dirigeant et le même siège social, la société commerciale Actif Direct et l'association Groupement Evolupharm n'en sont pas moins deux entités distinctes dotées chacune de la personnalité morale et n'ont pas le même objet, la première étant une société commerciale dont l'activité consiste à rendre des prestations de service à d'autres sociétés (stimulation de réseaux de vente, promotion de ventes, animation de clientèle, motivation du personnel, marketing commercial ....), tandis que la seconde est une association Loi 1901, dont les membres sont des pharmaciens, ayant pour objet de réduire au bénéfice de ses membres le prix de revient, de vente de produits pharmaceutiques en assurant la fonction d'intermédiaire auprès des fournisseurs, et de maintenir parmi ses membres les règles de correction professionnelle et de solidarité.

Ainsi, le moyen pris de ce que l'action n'est exercée que par un seul contrôleur manque en fait.

Le passif de Cap Agora Voyages est bien plus élevé que les seules créances déclarées par ces contrôleurs, de sorte que ces derniers agissent bien dans l'intérêt collectif des créanciers.

Pour le surplus, il n'est pas contesté que les contrôleurs ont délivré au liquidateur une mise en demeure du liquidateur d'exercer l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, à laquelle il n'a pas été donné suite.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré l'action recevable.

- Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif

Il résulte de l'article L651-2 du code de commerce que l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif suppose d'établir à l'encontre du dirigeant de droit ou de fait de la personne morale, l'existence d'une insuffisance d'actif , de faute de gestion excédant du fait de sa gravité la simple faute de négligence et d'établir que cette faute a contribué à l'insuffisance d'actif.

En l'espèce, ne sont contestés ni le fait que M.[U] était le gérant de droit de la société Cap Agora Voyages au moment des faits reprochés, ni le montant de l'insuffisance d'actif s'élevant à 4. 191. 447,43 euros, de sorte que le débat se concentre sur l'existence de fautes de gestion et leur contribution à l'insuffisance d'actif.

Les contrôleurs reprochent à M.[U] d'avoir réalisé des avances au profit d'une filiale en 'liquidation judiciaire', fait perdre le bénéfice de ces avances en réalisant une fusion avec cette filiale, détourné les acomptes versés par ses clients pour combler le passif et n'avoir pris aucune mesure pour éviter la liquidation judiciaire. Ils considèrent que c'est bien cette mauvaise gestion qui est à l'origine de la liquidation judiciaire de Cap Agora Voyages et que M.[U] ne peut s'exonérer en imputant sa responsabilité aux banques.

M.[U] et Maître [A] contestent toutes les fautes de gestion, font valoir que la gestion du gérant n'a pas fait courir un risque anormal à la société, que les fautes ont été commises par la Banque Palatine qui a rejeté les chèques pour défaut de provision, puis par les banques BPRP et HSBC en rompant leurs concours bancaires, en particulier la BPRP, qui a retiré sa garantie financière sans laquelle Cap Agora Voyages ne pouvait exercer l'activité d'agent de voyages.

Le ministère public est d'avis que peuvent être considérés comme fautifs les avances faites par la société Cap Agora Voyages à sa filiale en redressement judiciaire, les manquements aux obligations comptables et l'absence de prise des mesures nécessaires pour rétablir la situation en retrouvant la garantie financière nécessaire à l'exercice de son activité d'agent de voyages.

- Sur le soutien abusif de la filiale Cap Agora au travers des avances consenties

Les appelants reprochent à M.[U] d'avoir, depuis 2010, procédé à des avances en compte-courant dans l'intérêt de sa filiale Cap Agora, qui se trouvait en redressement judiciaire depuis le 15 juillet 2011, alors que Cap Agora Voyages souffrait elle-même, depuis 2013, d'une conjoncture économique difficile, que cette situation a conduit Cap Agora Voyages à détenir sur sa filiale une créance de 1. 225. 489 euros, artificiellement effacée par l'opération de fusion. Ces avances ont donc été faites alors même que Cap Agora Voyages savait qu'elle ne pourrait pas récupérer ces sommes, de sorte que le pacte de préférence, conclu le 16 février 2012 entre les deux sociétés selon lequel Cap Agora Voyages accepte de suspendre l'exigibilité de sa créance de 737.897 euros sur sa filiale pendant la durée de son plan de continuation, révèle un soutien abusif.

Les intimés répliquent que les mouvements de fonds entre les sociétés Cap Agora et Cap Agora Voyages, à hauteur de 1. 225. 489 euros invoqués par les appelantes n'ont jamais eu lieu, que ces écritures comptables correspondent au compte courant de la société Cap Agora Voyages de 457.591,85 euros et à un engagement de suspension de l'exigibilité d'une dette de 737. 897 euros en exécution du pacte de préférence conclu le 16 février 2012. Ils précisent qu'en réalité les versements de Cap Agora Voyages à l'égard de sa filiale se limitent à la somme de 86.620 euros, dont 65.400 euros constituent le troisième dividende versé au commissaire à l'exécution du plan, que les seuls mouvements de fonds effectués entre les deux sociétés provenaient des loyers dus au titre de la location-gérance, lesquels ont été fixés, non pas par M.[U] mais par l'administrateur judiciaire et le commissaire à l'exécution du plan.

Le compte courant d'associé de Cap Agora Voyages dans les livres de Cap Agora correspond bien à une dette de la seconde envers la première, qu'il s'agisse d'abonder la trésorerie, de prendre en charge les dépenses incombant à la filiale ou de prestations dues à la société mère.

La société Cap Agora, filiale de Cap Agora Voyages, a été placée en redressement judiciaire le 15 juillet 2011, puis a bénéficié d'un plan de redressement le 15 mai 2012 sur 4 ans, qui a été intégralement exécuté ainsi qu'il ressort de l'attestation du 21 septembre 2015 de Maître [B], commissaire à l'exécution du plan ( versement du dernier dividende en août 2015). Cap Agora Voyages n'a donc absorbé sa filiale dans le cadre de l'opération de fusion du 16 décembre 2015 qu'après complète exécution du plan.

Il ressort des pièces au débat, qu'avant l'adoption du plan de redressement de sa filiale et dans la perspective de ne pas compromettre le plan devant être proposé, les sociétés Cap Agora et Cap Agora Voyages, représentées l'une et l'autre par M.[U], ont signé un 'pacte de préférence' aux termes duquel Cap Agora Voyages consentait à suspendre l'exigibilité de son compte courant d'associé qu'elle détenait dans les livres de Cap Voyages, s'élevant à 737.897 euros, jusqu'à la fin du plan de redressement sous réserve de l'adoption de celui-ci par le tribunal, la société s'engageant à initier un plan de remboursement de ce compte courant au plus tard dans les trois mois après la clôture de l'exercice suivant la fin du plan de redressement, selon des modalités ne devant pas obérer l'avenir de Cap Agora.

Les éléments au débat ne permettent d'établir ni la manière dont s'est constitué ce compte courant de 737.897 euros avant 2012, ni sa chronologie, de sorte que les contrôleurs ne démontrent pas que la constitution de ce compte courant tel qu'il était en 2012 caractérise une faute de gestion de M.[U].

A la date du pacte (février 2012), Cap Agora Voyages n'était pas en cessation des paiements et aucun élément ne vient démontrer que sa filiale, qui était en redressement judiciaire, était en capacité de rembourser la somme de 737.897 euros. Il est par ailleurs courant que pour permettre l'adoption d'un plan de redressement et payer en priorité les créanciers tiers, une société mère reporte l'exigibilité de la créance qu'elle détient sur sa fille après le plan. Il sera au demeurant relevé que Cap Agora Voyages ayant pris en location-gérance le fonds de commerce de sa filiale avait intérêt à favoriser son redressement.

Ces dispositions ont permis la bonne exécution du plan de redressement de Cap Agora.

Il se déduit de ces éléments que le ' pacte de préférence' ne constitue pas un acte de soutien anormal, permettant de caractériser une faute dans la gestion de Cap Agora Voyages.

Les contrôleurs invoquant un compte courant d'associé d'un total de 1.225.489 euros et cette somme se retrouvant effectivement en miroir dans les comptes de Cap Agora Voyages, il convient d'examiner en quoi consiste la différence de 487.592 euros (1.225.489 - 737.897 euros).

Les comptes de la filiale Cap Agora au titre des exercices clos au 31 décembre 2013 et au 31 décembre 2014 mentionnent bien au passif, outre le montant de 737.897 euros sous l'écriture C/C pacte de préférence, un montant de 368.699 euros au 31 décembre 2013, passant à 487.592 euros au 31 décembre 2014 sous la rubrique 'Associés Comptes courants'. Les pièces au débat ne permettent pas de déterminer la situation du compte 'Associés Comptes courants' dans les exercices antérieurs à 2013. Il est ainsi seulement établi une augmentation de ce poste de passif (Cap Agora) entre le 31 décembre 2013 et le 31 décembre 2014, soit en cours d'exécution du plan de redressement, de 118.893 euros (487.792- 368.699 euros), montant un peu supérieur à celui de 86.620 euros indiqué par M.[U]. Il ressort des explications de M.[U] que la somme de 86.620 euros correspond pour l'essentiel à une avance, le 27 juin 2014, de 65.400 euros représentant le montant du 3ème dividende du plan de redressement, le reste de cette somme correspondant aux honoraires d'assistance de la société mère ( 5.220 euros) et au règlement de dépenses pour le compte de sa filiale (TVA 2013, CFE 2012, factures de PHI comptabilité). L'écart de l'ordre de 32.000 euros entre la somme de 86.620 euros sur laquelle M.[U] s'est expliqué et celle de 118.893 euros, n'est pas significatif au regard des montants en jeu, et peut aussi correspondre à des avances consenties par un autre associé, Cap Agora Voyages n'ayant pas toujours détenu l'intégralité du capital social de Cap Agora.

Ce soutien d'un montant modéré de la part de la société mère, qui n'était pas en cessation des paiements - elle ne sera que le 3 juin 2016 soit 17 mois après la clôture de l'exercice 2014 ici invoqué- et qui n'était pas encore privée de la possibilité d'exercer son activité d'agent de voyages, ne caractérise pas un acte anormal de gestion et partant une faute de gestion.

- Sur l'opération de fusion ayant fait disparaître la créance de compte courant d'associé

Les contrôleurs soutiennent qu'en procédant, le 16 décembre 2015, à l'absorption de sa filiale en redressement judiciaire, le dirigeant a délibérément augmenté le passif de Cap Agora Voyages, la valeur du fonds de commerce de la Cap Agora ayant été surévaluée, que cette surévaluation a entaché la comptabilité de Cap Agora Voyages d'une fictivité ne permettant plus d'établir la situation véritable de la société, ainsi qu'en atteste le fait que, moins de six mois après la fusion, Cap Agora Voyages a été placée en liquidation judiciaire. Ils ajoutent que la fusion n'avait aucune utilité pour Cap Agora Voyages dès lors que la location-gérance et la détention de la licence par la société Cap Agora avaient entraîné à son profit le transfert d'activité et de clientèle, que l'activité transférée n'avait aucune valeur intrinsèque puisque la valeur du fonds est attachée à la licence, qu'en réalisant une compensation, la fusion a eu pour conséquence d'effacer artificiellement les dettes de Cap Agora. Ils en concluent que la fusion n'a eu d'autre finalité que de priver Cap Agora Voyages de la trésorerie dont elle aurait pu bénéficier si la société Cap Agora avait régulièrement payé sa dette.

M.[U] et le liquidateur font valoir que Cap Agora Voyages, qui était titulaire de la licence de voyagiste, avait progressivement absorbé la clientèle de Cap Agora, qu'elle souhaitait pouvoir continuer à bénéficier de cette clientèle et qu'il est apparu judicieux, plutôt que de dissoudre la filiale ce qui aurait eu un effet désastreux sur la clientèle, de procéder par voie de fusion-absorption, que c'est conformément à l'intérêt de Cap Agora Voyages que cette opération est intervenue, le commissaire aux comptes ayant donné son accord sur le prix de fusion et sur le mali de fusion. Ils ajoutent qu'une dissolution aurait fait perdre le compte courant de 457.501,85 euros, aurait empêché de récupérer la créance issue du pacte de préférence, que cette opération régulièrement votée par les associés n'était pas destinée à gonfler artificiellement l'actif de Cap Agora mais se justifiait par le souhait de diminuer les coûts de gestion administrative tout en conservant la clientèle de la filiale et que le chiffrage a été opéré par le cabinet Lefebvre.

Le ministère public est d'avis que le fonds de commerce de la société Cap Agora a été surévalué à la somme de 1.620. 000 euros, alors que le passif de la société absorbée était estimé à la somme de 1.649. 431 euros.

Le traité d'apport-fusion en date du 16 décembre 2015, déposé au greffe du tribunal de commerce le 23 décembre suivant, en vertu duquel Cap Agora Voyages a absorbé sa filiale Cap Agora, est présenté comme une opération de restructuration en interne destinée à permettre une simplification des structures après que Cap Agora Voyages possède la totalité des parts de sa filiale, devant se traduire par un allégement significatif des coûts de gestion administrative du groupe.

Dans le cadre du traité Cap Agora a fait apport de l'ensemble de ses biens, droits et obligations, avec les résultats actif et passif des opérations faites depuis le 16 décembre 2015, les comptes utilisés pour établir les conditions de l'opération étant ceux arrêtés au

16 décembre 2015. L'actif apporté comprend les biens et droits arrêtés à leur valeur comptable et a été évalué à un total de 1.708.456 euros, dont 1.620.000 euros pour le fonds de commerce , le passif de la société absorbée étant évalué à un total de 1.649.431 euros, dont 1.562.923 euros d'emprunts et dettes financières, faisant ressortir une valeur nette des biens et droits apportés de 59.025 euros et un boni de fusion de 56.240 euros.

Il sera liminairement relevé, que contrairement à ce que soutiennent les contrôleurs cette fusion est intervenue après complète exécution de son plan du redressement de Cap Agora.

Dans son rapport sur les comptes de l'exercice clos au 31 décembre 2015, la société RGA, commissaire aux comptes, n'a pas formulé d'observations sur la sincérité des comptes et a certifié qu'ils donnaient une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la société en fin d'exercice. L'annexe des comptes précise que la fusion a été constatée en valeurs réelles et le mali valorisé sur la base de 5 années de marge brute des clients donnés en location gérance à Cap Agora Voyages, l'absence de dépréciation du fonds commercial résulte d'hypothèses de flux de trésorerie futurs et d'estimations de la part du management établies en fonction des informations disponibles lors de leur établissement, les résultats réels peuvent être différents des estimations initiales.

M.[U] explique que la méthode d'estimation utilisée selon laquelle la valeur est déterminée à travers les flux de trésorerie actualisés qu'elle va générer dans le futur (Discounted Cash Flow) est une méthode fréquemment utilisée.

Le commissaire aux comptes dans son rapport se contente d'attirer l'attention sur l'annexe de ces comptes mentionnant que la fusion a généré un mali de fusion qui a été affecté au fonds de commerce pour 1.620.000 euros et que cette note présente la méthode d'évaluation de cet actif et le nécessaire recours à des estimations.

Il ne résulte pas de ces éléments que le fonds de commerce apporté par la filiale a été manifestement sous-évalué.

En tout état de cause, il n'est pas établi de corrélation entre l'opération de fusion et l'ouverture de la liquidation judiciaire de Cap Agora Voyages le 22 juin 2016. En effet, dans un mail du 21 avril 2016 résumant les termes de la réunion tenue avec M.[U] la veille, M.[R] (société RGA) commissaire aux comptes, notait que les premiers documents transmis ainsi que les actions suivantes mises en place étaient de nature rassurante: partenariat avec Carol Voyage, agence qui portera les prestations du voyagiste, analyse des contrats signés ou en cours de signature permettant d'envisager des flux d'encaissement substantiels, rupture de deux contrats de travail, encaissement d'une indemnité de 500.000 euros de la Banque Palatine sous déduction de 114.000 euros d'honoraires d'avocat, apurement en cours des dettes fiscales et sociales.

C'est en définitive l'échec du projet de partenariat avec l'agence Carol Voyage en juin 2016, qui devait pallier la perte d'agrément, qui va contraindre Cap Agora Voyages, privée de la possibilité d'exercer son activité de voyagiste, laquelle générait la plus grande part de son chiffre d'affaires, à déclarer sa cessation des paiements.

La liquidation a été ouverte sur déclaration de cessation des paiements concomitamment au courrier du commissaire aux comptes du 9 juin 2016, constatant la perte de la garantie financière nécessaire à l'activité de voyagiste et partant la perte de l'agrément, la recherche d'un accord avec une autre agence en charge de porter l'activité voyage, mais qui n'a pas encore été signé, et la dénonciation par les banques BPRP, Palatine et HSBC de leurs concours bancaires, informant le dirigeant que ces faits étaient de nature à compromettre la continuité de l'exploitation sur les 12 prochains mois, l'invitant à lui faire part de son analyse sur la situation, d'un plan détaillé de trésorerie sur 12 mois et des mesures envisagées et lui rappelant que si en dépit des décisions prises il constatait que la continuité de l'entreprise demeurait compromise il établirait un rapport d'alerte.

C'est donc l'impossibilité de pallier la perte de la garantie financière indispensable à l'exercice de l'activité de voyagiste, et plus précisément le refus de renouvellement de la garantie arrivée à échéance, sachant que suite à l'évolution de la législation les exigences quant au montant de la garantie financière s'étaient accrues, et l'impossibilité pour Cap Agora Voyages de trouver une solution alternative, qui ont rendu incontournable la disparition de l'activité, sans qu'il en résulte pour autant une faute de gestion du dirigeant.

Ainsi quand bien même le fonds de commerce de Cap Agora aurait été surévalué, il n'en résulte pas pour autant que Cap Agora Voyages aurait été en mesure d'obtenir le remboursement de son compte courant.

Il n'est pas davantage établi qu'en l'absence de fusion, Cap Agora aurait pu rembourser le compte courant d'associé de Cap Agora.

La cour ne retiendra en conséquence pas de faute de gestion au titre de l'opération de fusion.

- Sur l'absence de mesures pour rétablir la situation et la poursuite d'une activité déficitaire

Les contrôleurs font valoir que, dès la réception, le 26 novembre 2015, par

M. [U] de la lettre provenant de la BPRP dénonçant la garantie financière, le dirigeant aurait dû tout mettre en oeuvre pour parvenir, soit à obtenir le renouvellement de cet engagement de caution soit trouver un nouvel établissement susceptible de garantir son activité, or il ne justifie que d'une seule demande de garantie, qui n'a pas eu de suite favorable.

M.[U] et le liquidateur opposent aux contrôleurs les démarches entreprises par le dirigeant pour tenter de trouver un nouveau garant et un nouveau partenaire voyagiste, ainsi que son implication personnelle au travers des cautionnements qu'il a souscrits, que la poursuite dans un tel contexte traduit la volonté du dirigeant de sauver Cap Agora Voyages et exclut toute action en responsabilité pour insuffisance d'actif.

Si Cap Agora Voyages connaissait des difficultés financières en 2015, elle ne s'est cependant trouvée en cessation des paiements que début juin 2016. Elle poursuivait une réelle activité, ayant réalisé sur l'exercice clos au 31 décembre 2014, un chiffre d'affaires de 5.993.263 euros HT et un résultat net comptable de 19.602 euros, en progression par rapport à l'exercice 2013, et sur l'exercice clos au 31 décembre 2015 un chiffre d'affaires de 5.292.221 euros net.

La production de ces comptes, leur certification par le commissaire aux comptes des comptes de l'exercice clos au 31 décembre 2015 atteste de la tenue d'une comptabilité à tout le moins jusqu'en 2015.

Avant que ne surviennent les difficultés avec les banques au mois de novembre 2015, M.[U] s'était au cours de cette même année porté caution solidaire des engagements de Cap Agora Voyages à l'égard de la banque HSBC à hauteur de 50.000 euros le 16 juin 2015, puis auprès de la BPRP le 29 octobre 2015 à hauteur de 240.000 euros pour une durée de 120 mois. Il a d'ailleurs été assigné en sa qualité de caution, d'une part, par la Banque HSBC le 27 mars 2017 en paiement d'une somme de 100.531,96 euros, d'autre part par la BPRP le 15 février 2017 en sa qualité de caution solidaire de Cap Agora Voyages et d'avaliste pour obtenir le paiement, au titre du seul cautionnement, de la somme de 200.977 euros.

Une augmentation de capital a été votée en 2015 afin d'accroître les ressources de la société Cap Agora Voyages.

La banque BPRP a dénoncé le 26 novembre 2015 sa garantie financière, mais la prise d'effet n'est intervenue que le 26 février 2016, date correspondant à l'échéance de la garantie et au refus de la renouveler.

Pour tenter de remédier à cette situation, M.[U] a dès le début de l'année 2016 été en contact avec 'Go On Assurance', courtier en assurances, en vue d'obtenir la garantie financière requise pour l'activité de voyagiste. Après un premier rejet par la société Atradius, le courtier indiquait en février 2016 qu'il représenterait le dossier après établissement de la liasse fiscale 2015, en suggérant à M.[U] de présenter une contre garantie bancaire de 200.000 euros.

M.[U] a également pris contact avec M.[S], dirigeant de l'agence Carol Voyages, en vue de conclure un partenariat devant permettre à Cap Agora Voyages de continuer son activité après la perte de sa licence de voyage. Un courriel de M.[S] (pièce 58) confirme qu'un rapprochement était sur le point de se conclure avec Carol Voyage, Cap Agora Voyages disposant d'un important portefeuille de clients, et que ce n'est qu'en juin 2016 (lettre de refus du 3 juin 2016) qu'il a dû y renoncer dans la mesure où Cap Agora Voyages ne pouvait plus bénéficier de concours bancaires et se trouvait surtout contrainte de rembourser les banques sans délai, alors que l'activité très fluctuante de leur profession rendait nécessaire le recours aux banques pour pallier les écarts de trésorerie.

La situation n'est donc réellement devenue irréversible qu'à compter de juin 2016, lorsqu'il s'est avéré que le partenariat envisagé n'aboutirait pas et que Cap Agora Voyages privée de l'essentiel de son activité et donc de chiffre d'affaires ne pourrait se rétablir.

Les appelants manquent à établir que M.[U] n'a pas recherché activement des solutions pour rétablir la situation de Cap Agora Voyages. L'échec des négociations entreprises ne suffit pas à caractériser une faute de gestion au sens de l'article L 651-2 du code de commerce .

- Sur le détournement des acomptes des clients pour combler le passif

Selon les contrôleurs, M.[U] a usé de manoeuvres frauduleuses en faisant de 'la cavalerie' avec les acomptes versés par ses clients pour combler ses découverts bancaires non autorisés, au lieu comme le prévoient les contrats de verser les acomptes reçus aux différents prestataires et a ainsi maintenu artificiellement la société en activité alors qu'il ne pouvait ignorer que la situation de la société était compromise depuis 2015. Ils ajoutent que cette situation ne peut s'entendre d'une pratique courante, alors qu'elle procède d'une gestion hasardeuse de la trésorerie encaissée.

Les intimés contestent tout détournement des acomptes versés au titre des voyages à Prague et à [Localité 8] et soulignent au surplus que les acomptes concernant ces réservations ont été versés en 2015 et que les mouvements de fonds que leur reprochent les contrôleurs sont bien antérieurs puisque fondés sur les comptes 2014. Ils ajoutent que les virements temporaires de compte à compte s'expliquent pas le fait que les agences de voyages fonctionnent grâce à des autorisations de découvert, afin de pouvoir avancer les sommes destinées à financer les voyages de plusieurs centaines de personnes, que cette pratique répandue dans la profession ne saurait être un indice d'une situation financière critique de la société Cap Agora Voyages et ce d'autant qu'elle n'était pas en cessation des paiements.

Le ministère public considére que le fait de transférer de la trésorerie sur un autre compte bancaire, de manière temporaire, puis, lorsque la provision est constituée sur le second compte, de retransférer les sommes sur le premier compte, n'est pas répréhensible dès lors que la société n'était pas encore en état de cessation des paiements.

Cap Agora Voyages avait été chargée par Actif Direct et l'association du Groupement Evolupharm d'organiser deux voyages à l'étranger pour un grand nombre de participants, devant se dérouler pour l'un en août 2016, pour l'autre en septembre 2016.

Actif Direct a payé au titre du projet de voyage à [Localité 8] trois acomptes à Cap Agora Voyages au titre des factures des 28 novembre 2014, 23 novembre 2015 et 4 mars 2016, les sommes de 144.646 euros, 104.380 euros et 98.945,63 euros. M.[N], 'réceptif marocain' devant assurer ce voyage atteste ne jamais avoir reçu un centime de la société Cap Agora Voyages de sorte que le voyage a été annulé. Cap Agora Voyages réplique qu'elle ne pouvait réserver tant que le nombre de participants était incertain, le nombre de personnes étant passé de 327 à 240, ce qui l'a conduit à demander à son correspondant de refaire le budget. First Class Travel (M.[N]) a effectivement adressé le 8 juin 2016 à Cap Agora Voyages une facture proforma sur la base de 240 participants. Cap Agora Voyages justifie par ailleurs avoir viré le 15 février 2016 à M.[N] une somme de 10.000 euros ( FCT ACPTE S/PROFORMA 1 EVOLUPH)(pièce 47).

Au titre du contrat conclu le 26 juin 2015 en vue d'un voyage à Prague, l'association du Groupement Evolupharm a versé au titre de factures d'acomptes émises les 4 février 2015 ( 130.285 euros), 18 juin 2015 ( 164.366,40 euros), 18 novembre 2015 ( 135.243,84 euros) et 16 mars 2016 ( 20.025,40 euros), les trois premiers acomptes. La société Cap Agora Voyages a conclu un contrat avec la société Diza Ketx le 10 avril 2015 pour l'organisation sur place, cette dernière ayant contracté avec l'hôtel intercontinental de Prague. S'il ressort des pièces produites par les contrôleurs que des retards sont intervenus dans le paiement d'acomptes aux prestataires locaux, Cap Agora Voyages affirme que la société DZK a bien perçu 12.000 euros le 20 juin 2015, 20.000 euros le 14 mars 2016, puis 20.000 euros le 2 avril 2016 et justifie que l'affréteur aérien Report'Air lui a adressé sa facture d'acompte seulement le 2 janvier 2016 pour un montant de 32.661 euros. Les prestations ont été annulées suite à l'ouverture de la procédure collective le 22 juin 2016.

Les contrats avec Actif Direct et l'association du Groupement Evolupharm ont été formalisés en juin et juillet 2015, donc plusieurs mois avant la dénonciation des concours bancaires et la perte de licence et M.[U] affirme, sans que la preuve contraire ne soit rapportée, n'avoir conclu aucun nouveau contrat après le retrait de sa licence d'agent de voyages.

L'émission des factures d'acomptes par Cap Agora Voyages s'est faite plusieurs mois, voire plus d'un an avant la date de cessation des paiements irrévocablement fixée au 3 juin 2016 et pour l'essentiel alors que la société était encore couverte par la garantie légale de la BPRP (expiration de la garantie le 26 février 2016). Les deux factures émises le 16 mars 2016 pour des montants de 98.945,63 euros (Actif Direct) et 20.025,40 euros (Groupement Evolupharm) l'ont été quelques jours après l'expiration de la garantie, alors que M.[U] ne disposait pas de solution alternative, que cependant, ainsi qu'il a été précédemment exposé, il était engagé dans des négociations avec un courtier pour rechercher une nouvelle garantie financière, ainsi qu'avec une autre agence de voyages, avec laquelle il entretenait de bonnes relations, pour mettre en place un partenariat qui a été sur le point d'aboutir. Ces négociations, qui n'ont échoué que postérieurement à l'émission des factures, ont pu laisser espérer à M.[U] un rétablissement de la situation avant la date des voyages (août et septembre 2016) et donc la possibilité d'exécuter ses engagements, étant rappelé que l'activité de la société ne s'est trouvée définitivement compromise que début juin 2016. Cap Agora Voyages a d'ailleurs continué d'échanger avec les prestataires concernés après ces factures. Si M.[U] a manqué de prudence en émettant ces deux factures d'acomptes dans la situation décrite, il n'en résulte pas pour autant une faute d'une gravité suffisante pour caractériser une faute de gestion au sens de l'article L 651-2 du code de commerce .

Ainsi que le souligne M.[U], la trésorerie dans les agences de voyage étant très fluctuante, il est d'usage d'utiliser les acomptes reçus pour faire face aux dépenses en cours en attendant d'avoir à régler les prestataires concernés, sans que cela ne constitue pour autant un détournement des fonds reçus ou une pratique de cavalerie.

Il vient d'être jugé que M.[U] s'est impliqué personnellement en 2015 en se portant caution à deux reprises de la société Cap Agora Voyages et qu'il a continué de le faire en 2016 en cherchant des solutions pour remédier à la perte de la garantie financière, la situation n'étant devenue irréversible qu'à compter de juin 2016, après l'échec du projet de partenariat avec l'agence Carol Voyages.

Les contrôleurs manquent dès lors à établir que M.[U] a encaissé et utilisé les acomptes de ses clients pour combler le passif de la société dans une situation irrémédiablement compromise.

En définitive, aucune faute de gestion n'a été démontrée. En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Actif Direct et l'association du Groupement Evolupharm de leur demande de condamnation de M.[U].

Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts

M.[U] reprend à hauteur d'appel sa demande en paiement de 10.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive, dont il a été débouté en première instance, arguant que les contrôleurs ont engagé cette action dans le seul but d'obtenir le remboursement de leurs créances en sachant qu'il n'avait pas commis de faute de gestion, qu'ils ont par ailleurs déposé une plainte à son encontre qui a été classée sans suite, que cette situation l'a profondément affecté alors qu'il devait déjà assister à l'anéantissement de la société dans laquelle il s'était investi toute sa vie et avait perdu toute possibilité de s'assurer une retraite tranquille.

Si l'action engagée par les contrôleurs a compte tenu de l'importance de l'enjeu majoré l'anxiété de M.[U] consécutive à la perte de sa société, il n'est pas pour autant établi que l'exercice par les contrôleurs d'une prérogative que leur accordait la loi, a dégénéré en abus.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M.[U] de sa demande de dommages et intérêts.

- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les contrôleurs, parties perdantes en appel comme en première instance, seront condamnés in solidum aux entiers dépens, et ne peuvent prétendre au paiement d'une indemnité procédurale.

La cour confirmera le jugement en ce qu'il a condamné la société Actif Direct et l'association du Groupement Evolupharm à payer à M.[U] une indemnité de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et y ajoutera une indemnité de 3.000 euros à titre de participation aux frais irrépétibles exposés en appel.

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute la société Actif Direct et l'association du Groupement Evolupharm de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en appel,

Condamne la société Actif Direct et l'association du Groupement Evolupharm prises ensemble à payer à M.[U] une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en appel,

Condamne in solidum la société Actif Direct et l'association du Groupement Evolupharm aux dépens d'appel.