CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 18 janvier 2012, n° 09/29162
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Societe Civile DE PERCEPTION ET DE DISTRIBUTION DES DROITS DES ARTISTES INTEPRETES DE LA MUSIQUE ET DE LA DANSE
Défendeur :
Etablissement Public L'INSTITUT NATIONAL DE L'AUDIOVISUEL
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Monsieur Didier PIMOULLE
Conseillers :
Madame Anne-Marie GABER, Madame Brigitte CHOKRON
Avoués :
SCP FISSELIER - CHILOUX - BOULAY, Me Chantal BODIN CASALIS
Avocats :
Me Cécile TORDJMAN, SCP BAUDELOT COHEN- RICHELET et POITVIN
Vu l'appel interjeté le 6 octobre 2006 par la Société civile de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes de la musique et de la danse, ci-après la SPEDIDAM, du jugement contradictoire rendu par le tribunal de grande instance de Créteil le 12 septembre 2006 dans l'instance l'opposant à l'Institut national de l'audiovisuel, ci-après l'INA ;
Vu l'arrêt en date du 19 décembre 2007 ordonnant la radiation de la procédure du rôle de la cour et la décision par mention au dossier en date du 28 octobre 2009 autorisant son rétablissement ;
Vu les dernières conclusions de la SPEDIDAM , appelante, signifiées le 11 octobre 2011;
Vu les ultimes écritures de l'INA, intimé, signifiées le 24 octobre 2011;
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 25 octobre 2011;
Considérant qu'il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, au jugement déféré et aux écritures précédemment visées des parties ;
Qu'il suffit de rappeler que la SPEDIDAM, ayant été informée par l'INA, par courrier du 11 juin 1999, de son projet d'exploiter sous forme de vidéogramme du commerce la pièce de théâtre 'Le bourgeois gentilhomme' télédiffusée par l'ORTF le 28 décembre 1968, lui a communiqué en retour le montant des droits à payer pour les 31 artistes-interprètes de la partie musicale du programme, soit un montant total pour une durée de 25 minutes, de 5541 euros ; que l'INA n'a pas donné suite à cette demande et a commercialisé le vidéogramme en décembre 2003 ; que la SPEDIDAM, invoquant la violation des dispositions de l'article L.212-3 du Code de la propriété intellectuelle a, suivant acte du 28 avril 2004, assigné l'INA devant le tribunal de grande instance de Créteil aux fins d'obtenir, en réparation du préjudice personnel de chacun des artistes-interprètes, la somme de 10.000 euros et, en réparation du préjudice collectif de la profession, la somme de 5.000 euros ; que le tribunal, aux termes de la décision entreprise, a débouté la SPEDIDAM de toutes ses prétentions, jugées mal fondées ; que la SPEDIDAM maintient en cause d'appel ses demandes, sauf à en doubler le montant et à y ajouter deux demandes nouvelles, l'une aux fins de publication de l'arrêt à intervenir sur le site Internet de l'INA, l'autre en dommages-intérêts au fondement de résistance abusive ;
Sur la recevabilité à agir de la SPEDIDAM au titre des droits individuels des non adhérents,
Considérant que l'INA ne conteste pas que les 31 artistes-interprètes cités dans les écritures de la SPEDIDAM ont participé à l'accompagnement musical du programme 'Le bourgeois gentilhomme', enregistré et télédiffusée par l'ORTF ; qu'il relève toutefois que 3 de ces participants, à savoir Martine BEUTIN, Pierre DEVEVEY et Pierre VIGNERON ne sont pas membres de la SPEDIDAM et refuse à celle-ci le droit d'agir dans l'intérêt individuel des artistes-interprètes qui ne sont pas ses adhérents ni ses mandants ;
Considérant que la SPEDIDAM soutient, à l'inverse, qu'elle est recevable à agir non seulement pour la défense de l'intérêt collectif de la profession à raison de l'atteinte à l'intérêt général des titulaires de droits, mais aussi à raison du préjudice personnel tant des 28 artistes-interprètes qui ont adhéré à ses statuts que des 3 artistes-interprètes qui ne sont ni ses adhérents ni ses mandants ;
Qu'elle fait valoir à l'appui de cette prétention que l'article 3 de ses statuts, auquel renvoie l'article L.321-1 du Code de la propriété intellectuelle, n'opère aucune distinction selon que les artistes-interprètes pour lesquels elle agit sont ou non ses adhérents, et partant, ne limitent pas sa qualité à agir à ses seuls membres, et qu'aucune disposition légale ne subordonne son droit d'agir à la production d'un mandat spécial;
Mais considérant que les statuts de la SPEDIDAM énoncent à l'article 3 précité, que cette société civile de gestion collective n'a été constituée qu'entre les membres fondateurs et tous les artistes-interprètes qui seront admis à y adhérer et s'ils indiquent qu'elle a qualité pour ester en justice tant dans l'intérêt individuel des artistes-interprètes que dans l'intérêt collectif de la profession pour faire respecter les droits reconnus aux artistes-interprètes par le Code de la propriété intellectuelle (...), ils précisent qu'elle a pour objet la défense des intérêts matériels et moraux de ses membres ou de leurs ayants droits, lesquels membres, selon l'article 2 des statuts, lui font apport, du fait même de (l')adhésion (...) du droit d'autoriser ou d'interdire la reproduction, la communication au public de sa prestation (...) ;
Considérant par ailleurs que si les dispositions de l'article L.321-1 du Code de la propriété intellectuelle, reconnaissent aux sociétés de gestion collective régulièrement constituées, telle la SPEDIDAM, la qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont elles ont statutairement la charge, elles se gardent d'instituer au bénéfice de ces sociétés une adhésion obligatoire et ne sauraient en conséquence leur conférer un droit d'agir pour défendre les intérêts d'artistes-interprètes qui n'auraient pas adhéré à leurs statuts ou qui ne leur auraient pas confié le mandat exprès de les représenter en justice, ce qui reviendrait à accepter que ces sociétés puissent gérer les droits d'un artiste-interprète contre sa volonté et au mépris de la libre disposition de ses prérogatives;
Qu'il s'ensuit que la SPEDIDAM n'est pas fondée à s'emparer de sa qualité de société de gestion collective pour revendiquer des droits dont elle n'est pas titulaire et s'arroger de manière universelle le droit de poursuivre, à la place de tout artiste-interprète victime supposée d'une atteinte à ses droits, l'indemnisation du préjudice subi par l'artiste-interprète concerné du fait de cette atteinte ;
Et que, si la SPEDIDAM peut se prévaloir, s'agissant de la défense d'intérêts dont elle a statutairement la charge, d'une atteinte à ses intérêts propres ou d'une atteinte à l'intérêt collectif de la profession, elle ne peut agir, en ce qui concerne le préjudice souffert personnellement par l'artiste-interprète, qu'au nom de ceux qui ayant adhéré à ses statuts, lui ont fait apport de leurs droits, ou encore de ceux qui, s'ils ne sont pas ses membres, lui ont donné le mandat exprès de défendre leurs droits ;
Considérant que la SPEDIDAM n'est pas recevable, en définitive, à agir dans l'intérêt individuel des trois artistes-interprètes précédemment nommés qui ne sont ni ses adhérents ni ses mandants; que le jugement déféré sera réformé sur ce point ;
Considérant que la SPEDIDAM invoque la violation par l'INA des dispositions de l'article L.212-3 du Code de la propriété intellectuelle en vertu desquelles Sont soumises à l'autorisation écrite de l'artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l'image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l'image .
Cette autorisation et les rémunérations auxquelles elle donne lieu sont régies par les dispositions des articles L.762-1 et L.762-2 du code du travail, sous réserve des dispositions de l'article L;212-6 du présent code.;
Que l'INA, pour sa défense, lui oppose le bénéfice des dispositions de l'article L.212-4 du Code de la propriété intellectuelle, visant spécialement l'oeuvre audiovisuelle, et selon lesquelles, la signature du contrat conclu entre un artiste-interprète et un producteur pour la réalisation d'une oeuvre audiovisuelle vaut autorisation de fixer, reproduire et communiquer au public la prestation de l'artiste-interprète ;
Considérant qu'en l'espèce, chacun des musiciens a signé, pour l'enregistrement de sa prestation, une feuille de présence se présentant sous la forme d'un formulaire -type établi à en-tête de l'ORTF ; qu'il est indiqué sur cette feuille de présence, signée en date du 13 septembre 1968, le nom du réalisateur, le titre de l'oeuvre pour laquelle la prestation de l'artiste-interprète est enregistrée, les modalités de réalisation de la prestation (jour, heure, nature de la prestation, en l'espèce: 'séquence enregistrement' ), le montant de la rémunération et, au verso, diverses dispositions relatives aux conditions générales d'engagement des artistes-interprètes ; qu'il est en outre expressément mentionné à l'article 11 des conditions générales d'engagement que la feuille de présence signée par le musicien 'constitue un contrat de travail à durée et à objet déterminés' ;
Considérant que la SPEDIDAM conclut, pour voir écarter l'application en la cause de l'article L.212-4 précité, que le contrat n'a pas été signé pour la réalisation d'une oeuvre audiovisuelle car les musiciens n'ont pas participé à la réalisation de l'oeuvre audiovisuelle mais seulement à l'interprétation et à l'enregistrement d'une oeuvre musicale autonome destinée à être synchronisée, en tant que bande sonore, à l'oeuvre audiovisuelle ;
Mais considérant que c'est toujours sans la moindre équivoque que la feuille de présence indique que l'enregistrement musical est destiné à être utilisé pour la bande son de l'oeuvre audiovisuelle désignée, dans la rubrique 'titre de la production', par la mention : Le bourgeois gentilhomme, et que l'oeuvre audiovisuelle est réalisée par l'ORTF 'service de production dramatique' ainsi qu'il ressort des informations figurant dans la rubrique 'réalisateur' en vue d'une diffusion à la télévision ainsi qu'il est encore énoncé dans la rubrique 'direction' ;
Qu'il est encore clairement énoncé à l'article 7 des conditions générales d'engagement, que le musicien ne pouvait méconnaître dès lors qu'il lui est expressément signalé au bas de la feuille de présence portant sa signature de ' voir au verso les conditions générales d'engagement, que l'utilisation commerciale éventuelle des prestations prévues dans le présent engagement est réservée à l'Office selon les modalités définies dans les textes en vigueur à l'ORTF' ; qu'il est en outre spécifié, en première partie de la feuille de présence, dans la rubrique 'type de cession', que celle-ci est 'libre de droits' ;
Considérant qu'il suit de l'ensemble de ces éléments que l'ORTF, en sa qualité de producteur de l'oeuvre audiovisuelle Le bourgeois gentilhomme, destinée à être diffusée à la télévision et diffusée effectivement le 28 décembre 1968, a engagé les 31 musiciens en cause pour la réalisation de cette oeuvre audiovisuelle par l'interprétation de sa partie musicale ;
Que force est de relever que l'accompagnement musical n'est aucunement séparable de l'oeuvre audiovisuelle mais en est partie prenante dès lors que son enregistrement est effectué pour sonoriser les séquences animées d'images et constituer ainsi la bande son de l'oeuvre audiovisuelle, ce que n'ignoraient pas au demeurant les musiciens qui étaient parfaitement informés, en signant la feuille de présence, que la fixation de leur prestation était destinée à la réalisation de l'oeuvre audiovisuelle Le Bourgeois gentilhomme ;
Que la SPEDIDAM ne saurait sérieusement soutenir que faute d'apparaître à l'image, les musiciens ne sauraient être regardés comme ayant participé à la réalisation d'une oeuvre audiovisuelle, l'application d'un tel critère, qui reviendrait à distinguer entre les artistes-interprètes, titulaires des mêmes droits voisins, une distinction selon que la prestation est visible ou non à l'image, n'étant soutenue par aucun texte et ne résultant, en particulier, ni de l'article L.112-2 du Code de la propriété intellectuelle qui définit l'oeuvre audiovisuelle comme une 'séquence animée d'images sonorisées ou non', ni de l'article L.212-4 du même Code qui vise l'artiste-interprète dont la prestation, quelle qu'elle soit, est destinée à la réalisation d'une oeuvre audiovisuelle ;
Considérant que la feuille de présence signée par chacun des musiciens le 13 septembre 1968 constitue en conséquence un contrat conclu entre un artiste-interprète et un producteur pour la réalisation d'une oeuvre audiovisuelle emportant, au sens des dispositions de l'article L.212-4 du Code de la propriété intellectuelle, l'autorisation, au bénéfice du producteur, de fixer, reproduire et communiquer au public la prestation de l'artiste-interprète ;
Considérant qu'il est constant que l'INA venant aux droits de l'ORTF, est titulaire des droits du producteur sur l'oeuvre audiovisuelle en cause ;
Qu'il n'est pas davantage contesté que l'exploitation incriminée est la reproduction, sur support vidéogramme, de l'oeuvre audiovisuelle telle que réalisée, enregistrée et diffusée par l'ORTF en 1968 ;
Considérant que l'INA est dès lors fondé, par confirmation du jugement entrepris, à revendiquer l'application à son bénéfice des dispositions de l'article L.212-4 du Code de la propriété intellectuelle et soutenir qu'il n'avait pas à solliciter de nouvelle autorisation aux artistes-interprètes pour l'exploitation de leur prestation ;
Que la SPEDIDAM sera en revanche, déboutée de toutes ses demandes ;
Infirme le jugement déféré sur la recevabilité à agir,
Statuant à nouveau de ce chef,
Déclare la SPEDIDAM irrecevable à agir pour les 3 artistes-interprètes qui ne sont ni ses adhérents ni ses mandants ,
Confirme le jugement entrepris pour le surplus de ses dispositions,
Condamne la SPEDIDAM aux dépens de la procédure d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et à payer à l'INA, au titre des frais irrépétibles d'appel, une indemnité de 10.000 euros .