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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 22 octobre 2010, n° 09/15636

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société de Perception et de Distribution des Droits des Artistes Interprètes de la Musique et de la Danse (SPEDIDAM)

Défendeur :

INSTITUT NATIONAL DE L'AUDIOVISUEL - INA, GAUMONT (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Monsieur GIRARDET

Conseillers :

Madame DARBOIS, Madame NEROT

Avoués :

SCP FISSELIER - CHILOUX - BOULAY, SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, Maître Luc COUTURIER

Avocats :

Cabinet WAN Avocats, SCP BCP, SELARL NOMOS

Creteil, du 3 fév. 2009

3 février 2009

Selon convention du 20 mai 1966 modifiée par avenant du 26 décembre 1966, l'Office de Radiodiffusion Télévision Française 'ORTF' et la société Gaumont Information Diffusion ont coproduit une série télévisée intitulée 'Vidocq' constituée de 13 films.

La société GAUMONT s'engageait, notamment, aux termes de l'article 2 des conditions générales de ce contrat de coproduction, à acquérir des auteurs ou de leurs ayants-droit, des éditeurs, réalisateurs, interprètes et, en général, de toutes personnes pouvant faire valoir un droit quelconque à l'égard du film ou l'un de ses éléments, tous les droits nécessaires à une libre exploitation en France et dans le reste du monde des droits dérivés du film.

Elle s'engageait, en outre, selon l'article 6 de ces conditions générales, à garantir l'ORTF qui disposait d'une exclusivité de diffusion de ces films en France contre tous recours que pourraient élever, notamment, les artistes-interprètes à l'occasion de l'exercice par l'ORTF des droits qui lui sont concédés.

Selon trois conventions sous seing privé du 29 août 1991 :

- l'Institut National de l'Audiovisuel (établissement public ci-après désigné l'INA) venant aux droits de l'ORTF et la société Gaumont, venant aux droits de la société Gaumont Information Diffusion, ont apporté des modifications aux accords initiaux,

- la société Gaumont a confié à l'INA, selon un contrat de mandat, l'exploitation exclusive de sa part des droits de cette série de 13 épisodes de la série 'Vidocq' sur tous supports, en tous formats, par télédiffusion gratuite, payante ou par abonnements par ondes, câble ou satellite,

- réciproquement et par un second mandat exclusif, l'INA a confié à la société Gaumont l'exploitation de sa part des droits de cette série pour tous les autres modes d'exploitation et notamment l'exploitation sur supports vidéogrammes.

En exécution de ces contrats, la société Gaumont a fait éditer sous forme de vidéogrammes du commerce 10 des 13 épisodes de cette série et l'INA a commercialisé sur son site internet ainsi que sur le site [...] trois vidéogrammes du commerce reproduisant les 10 des 13 épisodes de la série.

Au constat de cette exploitation et en raison de la participation de 37 artistes-interprètes précisément désignés à quatre séances d'enregistrement de la bande-son du téléfilm qui se sont déroulées les 14 et 16 novembre 1966, ont servi à fixer les prestations et ont été reproduites dans ces vidéogrammes, la Société de Perception et de Distribution des Droits des Artistes Interprètes de la Musique et de la Danse (ci-après désignée SPEDIDAM), dont l'objet social est la défense et l'administration dans tous les pays de tous les droits reconnus aux artistes-interprètes, a fait sommation à l'INA, par exploit délivré le 05 janvier 2004, de lui communiquer les autorisations écrites recueillies conformément à la loi par lesquelles les artistes-interprètes dont la prestation a été exploitée ont consenti à la réalisation et à la commercialisation de divers vidéogrammes et phonogrammes comprenant les vidéogrammes de la série 'Vidocq'.

L'INA lui ayant répondu en lui contestant sa qualité à agir, la SPEDIDAM l'a assigné devant la juridiction de fond sur le fondement de l'article L 212-3 du code de la propriété intellectuelle ; l'INA a assigné la société Gaumont en intervention forcée et en garantie.

Par jugement rendu le 03 février 2009, le tribunal de grande instance de Créteil a :

- dit que la SPEDIDAM est recevable à agir pour la défense des droits individuels des 37 artistes-interprètes visés dans ses conclusions et pour la défense de l'intérêt collectif de la profession d'artiste-interprète musicien qu'elle représente,

- débouté la SPEDIDAM de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la SPEDIDAM à verser la somme de 2.000 euros à l'INA, la même somme au profit de la société GAUMONT au titre de leurs frais non répétibles et à supporter les dépens.

La Société de Perception et de Distribution des Droits des Artistes Interprètes de la Musique et de la Danse (SPEDIDAM) appelante, par dernières conclusions signifiées le 09 septembre 2010 , demande en substance à la cour, au visa des articles L 212-3, L 212-4 et L 321-1 du code de la propriété intellectuelle , de confirmer le jugement en ce qu'il l'a déclarée recevable à agir et de le réformer pour le surplus en condamnant in solidum l'INA et la société Gaumont à lui verser la somme de 12.960 euros en réparation du préjudice personnel subi par les 37 artistes-interprètes du fait, principalement et sur le fondement de l'article L 212-3 du code de la propriété intellectuelle, de la reproduction et de la communication au public illicites de leurs prestations au sein des quatre vidéogrammes litigieux et du fait, subsidiairement et sur le fondement de l'article L 212-4 du code de la propriété intellectuelle, de l'absence de versement des rémunérations distinctes qui auraient dû leur être versées pour la nouvelle exploitation de leurs enregistrements sur les vidéogrammes litigieux.

Elle sollicite, en tout état de cause, la condamnation in solidum de l'INA et de la société Gaumont à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par l'intérêt collectif de la profession qu'elle représente, la condamnation de l'INA à lui verser la somme de 10.000 euros venant sanctionner sa résistance abusive, la publication du 'présent jugement' (sic) dans trois journaux aux frais de l'INA sans que le coût de ces insertions excède 15.000 euros ainsi que son affichage, sous astreinte de 150 euros par jour de retard trois mois après le prononcé de la décision à intervenir, sur la page d'accueil du site internet de l'INA et dans un encart représentant au moins un quart de la dimension de ladite page d'accueil, le débouté des intimés en leurs entières prétentions, et enfin la condamnation de l'INA à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de ses frais non répétibles et à supporter les entiers dépens.

Par dernières conclusions signifiées le 1er avril 2010 , l'Institut National de l'Audiovisuel (INA) demande principalement à la cour de confirmer le jugement déféré et, subsidiairement, de constater que si une condamnation devait être prononcée à son encontre, il devrait être garanti par la société Gaumont.

Il sollicite, en tout état de cause, la condamnation de la SPEDIDAM à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

Par dernières conclusions signifiées le 07 septembre 2010 , la société anonyme GAUMONT demande en substance à la cour, au visa des articles 9, 31 et 416 du code de procédure civile , L 212-3, L212-4, L 212-7 et L 321-1 du code de la propriété intellectuelle, 2, 1134 et 2003 du code civil et de l'article 3 des statuts de la SPEDIDAM, de la déclarer irrecevable à agir tant dans l'intérêt individuel d'artistes musiciens que dans l'intérêt collectif de leur profession et de considérer qu'elle n'est recevable à agir que pour la défense des droits individuels de ses membres ainsi des artistes qui lui en ont donné mandat en retenant qu'elle ne justifie pas de l'adhésion de Monsieur Pierre Labadie, que les mandats donnés par Michel Colombier, Pierre Doukan, Maurice Husson, Hubert Varron et Jean Wiener ont pris fin avec leur décès et en lui faisant, enfin, injonction de justifier du mandat donné par les musiciens encore vivants ou, à défaut, de leurs ayants-droit.

Elle poursuit, par ailleurs, l'infirmation du jugement en ce qu'il énonce que la SPEDIDAM est recevable à réclamer une somme globale en réparation du préjudice individuel des musiciens et, subsidiairement, en cas de condamnation, d'individualiser le montant des dommages-intérêts que la SPEDIDAM aura la charge de répartir.

Elle sollicite la confirmation du jugement sur le fond et rejet des prétentions de la SPEDIDAM en raison de l'absence de démonstration de la participation des 37 musiciens concernés aux enregistrements litigieux ou, subsidiairement, du fait que l'article L 212-3 du code de la propriété intellectuelle n'est pas applicable à la détermination des autorisations données par les musiciens aux termes de contrats conclus avant l'entrée en vigueur de la loi du 03 juillet 1985 , ou, en tout état de cause, du fait que l'exploitation de l'interprétation d'une oeuvre musicale originale enregistrée avant l'entrée en vigueur de cette dernière loi aux seules fins de sonoriser une oeuvre audiovisuelle relève des dispositions des articles L 212-4 et L 212-7 du code de la propriété intellectuelle.

Elle demande, en toute hypothèse, que soit fixé le préjudice subi collectivement à une somme qui ne saurait excéder l'euro symbolique, qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle ne conteste pas devoir son entière garantie à l'INA et que la SPEDIDAM soit condamnée à lui verser la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

SUR CE,

Sur la qualité pour agir de la SPEDIDAM :

Considérant que la société Gaumont oppose à la SPEDIDAM trois fins de non-recevoir tenant au fait :

- que, société de gestion collective, elle n'est habilitée à représenter que les intérêts individuels de ses membres, c'est à dire de ceux qui lui ont confié la gestion de leurs droits,

- qu'elle ne peut agir dans l'intérêt des musiciens décédés ou qui seraient décédés en cours d'instance sauf à démontrer que leurs ayants-droit ont renouvelé les termes de l'apport qui lui a été confié,

- qu'agissant dans un intérêt déterminé au sens de l'article 31 du code de procédure civile, à savoir celui des musiciens dont les droits auraient été violés, elle se doit de former des demandes de réparation individuelle et non point se contenter d'une demande de réparation globale ;

Sur sa qualité à agir au nom de l'ensemble des trente-sept musiciens :

Considérant que la SPEDIDAM appelante soutient qu'au regard de l'article L 321-1 du code de la propriété intellectuelle qui lui est applicable et selon lequel 'ces sociétés civiles régulièrement constituées ont qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont elles ont statutairement la charge' et de l'article 3 de ses statuts définissant son objet - à savoir : 'l'exercice et l'administration (...) de tous les droits reconnus aux artistes-interprètes' en lui donnant 'qualité pour ester en justice tant dans l'intérêt individuel des artistes interprètes que dans l'intérêt collectif de la profession' - il importe peu que les artistes-interprètes au nom desquels elle agit soient adhérents de la SPEDIDAM ou ne le soient pas ;

Qu'elle estime que 'la défense des droits' prévue par cet article L 321 doit être entendue dans son acception la plus large et qu'admettre l'interprétation qu'en fait la société Gaumont aurait pour conséquence de restreindre contra legem le champ d'action de la SPEDIDAM ;

Mais considérant que les statuts de la SPEDIDAM ont une valeur contractuelle et sont donc inopposables à ceux qui n'en sont pas membres ;

Que la société Gaumont évoque, à cet égard, la situation particulière de Monsieur Pierre Labadie, artiste-interprète figurant parmi les 37 musiciens concernés par le présent litige et qui, non-adhérent de la SPEDIDAM, ne lui a pas donné mandat de représentation ;

Qu'elle soutient à juste titre que si l'article L 321-1 du code de la propriété intellectuelle habilite la SPEDIDAM à défendre les droits et intérêts des artistes-interprètes, il ne lui donne pas le pouvoir de s'arroger de manière universelle le droit de revendiquer l'indemnisation du préjudice causé à tout artiste-interprète du fait d'une atteinte à ses droits alors même que cet artiste-interprète, libre d'exercer les prérogatives que lui reconnaissent les dispositions de l'article L 212-3 du code de la propriété intellectuelle, ne l'aurait pas investie de ce pouvoir en décidant de ne pas adhérer à ses statuts ou en s'abstenant de lui confier un mandat exprès de représentation ;

Qu'il en résulte que la société Gaumont est fondée à poursuivre l'infirmation du jugement sur ce point et à prétendre que la SPEDIDAM est irrecevable à agir dans l'intérêt individuel de Monsieur Pierrre Labadie ;

Sur sa qualité à agir au nom des musiciens décédés ou de leurs ayants-droit :

Considérant que la SPEDIDAM qui produit des actes d'adhésion concernant 36 musiciens tire liminairement argument du fait que la société Gaumont se prévaut du décès d'une partie d'entre eux sans en rapporter la preuve ;

Qu'elle se considère, en toute hypothèse, comme recevable à agir au nom de l'intérêt individuel des artistes-interprètes dont la prestation a été exploitée sans autorisation, qu'ils soient vivants ou décédés ;

Qu'elle invoque, pour ce faire, le principe général de transmission des droits du défunt à ses ayants-droit posé par l'article 724 du code civil, estime que les règles applicables au mandat n'ont pas vocation à être appliquées et se prévaut également de l'article 1870 du code civil selon lequel une société civile n'est pas dissoute par le décès d'un associé mais continue avec ses héritiers ou légataires ;

Qu'elle considère, en outre, que même si elle a pu estimer que la commission de contrôle des Sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD) qui lui rappelait, dans son rapport de juin 2004, son obligation d' accepter comme associés les ayants-droit de l'associé décédé ne pouvait déduire de l'article L 321-1 du code de la propriété intellectuelle qu'elle était soumise à une telle obligation, elle n'en a pas moins modifié, dans le souci de lever l'ambiguïté, ses statuts dans le sens de ce rapport, lors de son assemblée générale extraordinaire du 28 juin 2005, en sorte que la position qu'elle a alors prise ne peut lui être opposée ;

Qu'elle soutient, enfin, que les dispositions de l'article L 212-7 du code de la propriété intellectuelle , dans leur rédaction antérieure à la loi du 1er août 2006 qui prévoyait que le droit à rémunération des artistes-interprètes au titre des modes d'exploitation non prévus par le contrat s'éteignait à leur décès ne peuvent s'appliquer au cas d'espèce, puisque le contrat d'origine est inexistant ;

Considérant, ceci exposé, que la société Gaumont rapporte la preuve du décès de 5 des 37 musiciens concernés (à savoir : Michel Colombier, Pierre Doukan, Maurice Husson, Hubert Varron et Jean Wiener) ;

Que pour les 12 autres qu'elle cite, elle se borne à émettre l'hypothèse d'un décès en la seule considération de leurs dates de naissance (soit entre 1908 et 1924) sans pour autant démontrer l'événement alors qu'en regard des dispositions de l'article 1315 alinéa 2 du code civil, la charge lui en incombe ;

Qu'il est constant qu'au décès de l'artiste-interprète ses droits et actions sont transmis à ses ayants-droit ; que, dans cette occurrence, la recevabilité à agir de la SPEDIDAM s'évince tant des dispositions de l'article 1870 du code civil sus-évoqué que de celles de l'article L 321-1 du code de la propriété intellectuelle qui prévoit que les associés des SPRD 'doivent être des auteurs, des artistes-interprètes, (...) ou leurs ayants-droit' ;

Que les statuts de la SPEDIDAM, ne prévoient pas de procédure d'agrément des ayants-droit des musiciens décédés ; que les conventions qui la régissent leur reconnaissent des droits, tel l'article 7-1 de son règlement général prévoyant qu''en cas de décès d'un ayant-droit, les droits lui revenant seront versés par les soins de la SPEDIDAM à ses héritiers identifiés' ;

Qu'ainsi et sans qu'il y ait lieu d'exiger de la SPEDIDAM, comme le demande la société Gaumont, la production d'un mandat d'agir en justice pour défendre les intérêts des ayants-droit des musiciens décédés, il convient de la déclarer recevable à agir en leur nom ;

Sur l'individualisation des demandes indemnitaires :

Considérant que, dans le corps de ses dernières écritures (en page 78) la SPEDIDAM présente une répartition précise, pour chacun des 37 musiciens nommément désignés, du montant des dommages-intérêts réclamés ;

Que la société Gaumont ne peut, en conséquence, lui reprocher de globaliser ses prétentions indemnitaires ;

Qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'hormis la situation particulière de Monsieur Pierre Labadie , pour le compte duquel elle réclame la somme de 360 euros en raison de deux enregistrements, la SPEDIDAM est recevable à agir ;

Sur la participation des artistes-interprètes aux enregistrements reproduits dans les vidéogrammes litigieux :

Considérant qu'afin d'établir la participation, les 14 et 16 novembre 1966, à l'une ou à plusieurs des quatre séances d'enregistrement de la bande-son litigieuse, des 37 musiciens cités la présente procédure, à savoir :

Michel Cron, Georges Balbon, Léon Locatelli, Roger Berthier, Paulette Pinchinat, Jean Gitton, André Karren, Didier Saint-Aulaire,, Paul Hadjaje, Maurice Husson, Michel Varron, Claude Naveau, Hubert Varron, Jean Huchot, Willy Lockwood, Raymond Guiot, Robert Jeannoutot, Pierre Gossez, Daniel Dubar, Alain Jacquet, Jean-Claude Dubois, Lionel Gali, Pierre Doukan, Pierre Couzinier, Pierre Labadie, William Charlet, Pierre Cullaz, Francis Darizcuren, Stéphane Wiener, Guy Bruere, Claude Dambrine, Janet Puech, Yvan Jullien, Marcel Dubois, Georges Monnin, Gabriel Beauvais et Michel Colombier,

la SPEDIDAM verse aux débats, comme en première instance :

- un document manuscrit daté du 07 juillet 1967, composé de deux pages portant les mentions 'FP 1552 - 07.07.67 - Vidocq - 4 séances', sans en-tête ni signature, sur lequel figure la liste de ces 37 musiciens et en face de laquelle 4 colonnes matérialisant les 4 séances d'enregistrement supportent des signes venant préciser la présence de chacun des musiciens à l'une ou à plusieurs de ces séances (soit: 22 musiciens pour le 1ère, 25 pour la 2ème, 24 pour la 3ème et 1 pour la dernière),

- un document informatique interne à la SPEDIDAM daté du 16 décembre 1987 reprenant cette liste des 37 musiciens et le nombre de séances de participation avec la mention d'une feuille de présence '1152" et, s'agissant du type d'oeuvre, l'indication 'film Spedidam',

- quatre bulletins de salaire (dont l'un porte la date du 07 juillet 1967) et une feuille de congés-spectacle, établis par la société Gaumont Television International et afférents à 4 des 37 musiciens concernés, qui supportent un cachet 'Vidocq' et mentionnent un nombre et des dates d'enregistrement correspondant, pour chacun, à celles figurant dans le document daté du 07 juillet 1967,

et y ajoute en cause d'appel deux pièces, à savoir :

- une lettre qu'elle a adressée à la société Philipps, productrice commercialisant le disque sur support vinyle de la 'chanson du forçat' extraite de la série Vidocq, datée du 17 juillet 1967, afin d'accuser réception d'un chèque correspondant à des redevances,

- un extrait, certifié conforme, de son propre livre de banque pour la période du 1er juillet au 31 juillet 1967 faisant mention de ce paiement ;

Que les intimés soutiennent qu'il n'est nullement démontré que ces 37 musiciens, dont le nom ne figure pas au générique des films, ont participé aux enregistrements dont s'agit et procèdent à une analyse critique de chacune de ces pièces, prises isolément, en leur déniant toute valeur probatoire ;

Considérant, ceci exposé, que le document manuscrit établi le 07 juillet 1967 et qualifié de feuille de présence  1552 n'a pas pour support un document pré-imprimé et comporte des lacunes formelles ; que, pour autant, les intimés ne se prévalent pas de son caractère apocryphe ;

Que les quatre bulletins de salaire et la feuille de congés payés, en ce qu'elles comportent le nom de la société Gaumont, le cachet 'Vidocq' et les mentions manuscrites 'orchestre' et/ou les dates d'enregistrement dont s'agit, doivent être considérés comme des commencements de preuve par écrit dès lors qu'ils répondent à la définition de l'article 1342 alinéa 2 du code civil selon lequel 'On appelle ainsi tout acte par écrit qui est émané de celui contre lequel la demande est formée, ou de celui qu'il représente, et qui rend vraisemblable le fait allégué' ;

Que si ces écrits, produits aux débats alors qu'ils ont été établis il y a plus de 43 années, ne concernent que 4 des 37 artistes-interprètes, ils sont corroborées par l'ensemble des autres éléments de preuve repris ci-dessus qui établissent des concordances entre les personnes, les dates, la production et les prestations orchestrales dont il est débattu ;

Que ces éléments extrinsèques rendent vraisemblable le fait allégué, à savoir que ces 37 musiciens ont effectivement participé, les 14 et 16 novembre 1966 à la bande-son des films de la série Vidocq ;

Qu'il sera, au surplus, ajouté que la société Gaumont reconnaît dans ses dernières écritures (au § 98) qu'un groupe de musiciens a bien été engagé pour interpréter la partie musicale constituant la bande-son des films de la série Vidocq mais n'établit ni ne soutient qu'un autre groupe de musiciens a participé à son enregistrement ou qu'une partie seulement de ces 37 musiciens aurait pris part à cet enregistrement ;

Que de son côté, l'INA se borne à affirmer que le courrier adressé à la société Philipps et produit en cause d'appel ne fait qu'attester d'une exploitation secondaire mais ne permet pas de faire un lien avec la bande-son litigieuse ;

Qu'ainsi, l'appréciation globale de ces pièces conduit à retenir la participation des 37 musiciens concernés aux enregistrements litigieux ; que le jugement sera infirmé en ce qu'il a considéré que la SPEDIDAM n'en rapportait pas la preuve ;

Sur l'exploitation de la bande originale du téléfilm sous forme de vidéogramme du commerce :

Considérant que l'appelante soutient que la série télévisée 'Vidocq' a été produite par la société Gaumont en 1967 et que la seule et unique autorisation consentie par les 37 artistes-interprètes a porté sur la fixation de leur interprétation en vue de la sonorisation d'un téléfilm destiné à une télédiffusion ;

Que cette série a été exploitée sous forme de support vidéographique par l'INA postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 03 juillet 1985, et que doit être appliqué aux faits de l'espèce l'article L 212-3 du code de la propriété intellectuelle, codifiant l'article 18 de cette loi, qui introduit l'obligation d'obtenir une autorisation écrite et préalable de l'artiste-interprète pour une nouvelle destination des enregistrements de ses prestations ;

Qu'elle estime que l'article L 212-4 de ce code n'a pas, en l'espèce, vocation à s'appliquer en l'absence de signature de contrats conclus entre le producteur et les artistes-interprètes, pour la réalisation d'une oeuvre audiovisuelle et en l'absence de rémunération distincte pour chaque type d'exploitation ; qu'il en est de même de l'article L 212-7 du même code qui renvoie, notamment, aux conditions d'application de l'article L 212-4 précité ;

Considérant, ceci exposé, que l'article L 212-3 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle dispose : ' sont soumises à autorisation écrite de l'artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l'image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l'image' ;

Que la société Gaumont soutient à tort que ces dispositions ne sont pas applicables du fait que la loi du 03 juillet 1985 dont elles sont issues n'a pas d'effet rétroactif ;

Qu'elles sont d'application immédiate à toute forme d'exploitation des enregistrements postérieurs à son entrée en vigueur comme c'est le cas, en l'espèce, de l'exploitation sous forme de vidéogrammes réalisée en exécution des conventions signées en 1991 ;

Que cette application immédiate ne constitue pas une atteinte aux prétendus droits acquis de la société Gaumont qui ne justifie pas d'une autorisation écrite, en des termes non équivoques, de chacun des artistes-interprètes en vue de la reproduction sur vidéogrammes de l''uvre qu'ils ont fixée, l'absence de toute réclamation, à la supposer établie, ne pouvant y remédier ;

Considérant qu'à défaut de contrat signé entre chacun des 37 artistes-interprètes et la société Gaumont, les intimés ne peuvent se prévaloir de la présomption de cession résultant de l'application de l'article L 212-4 du code de la propriété intellectuelle aux termes duquel 'la signature du contrat conclu entre un artiste-interprète et un producteur pour la réalisation d'une oeuvre audiovisuelle vaut autorisation de fixer, reproduire et communiquer au public la prestation de l'artiste-interprète' ;

Que la société Gaumont et l'INA ne peuvent pas davantage invoquer les dispositions de l'article L 212-7 de ce code selon lequel 'les contrats passés antérieurement au 1er janvier 1986 entre un artiste-interprète et un producteur d''uvre audiovisuelle ou leurs cessionnaires sont soumis aux dispositions qui précèdent, en ce qui concerne les modes d'exploitation qu'ils excluaient. La rémunération correspondante n'a pas le caractère d'un salaire' dans la mesure où elles renvoient, notamment, à celles de l'article L 212-4 du code de la propriété intellectuelle qui a été écarté ;

Considérant qu'il s'en suit qu'en l'absence d'autorisation écrite de chacun des artistes-interprètes, la reproduction de l'enregistrement sur vidéogrammes porte atteinte aux droits de ces derniers ;

Sur l'indemnisation du préjudice :

Considérant que la SPEDIDAM poursuit, d'abord, le paiement de la somme totale de 12.960 euros en réparation du préjudice causé par l'atteinte aux droits des 37 musiciens concernés ;

Que la somme réclamée comprend le montant de la rémunération supplémentaire dont ils ont été privés outre une indemnité réparant l'atteinte à leur droit d'autoriser ou d'interdire l'exploitation de leurs prestations ;

Qu'elle prend pour base d'évaluation le barème applicable aux vidéogrammes réalisés à partir d'enregistrements audiovisuels radiodiffusés (soit la somme totale de 9.132,75 euros HT correspondant au nombre de prestations effectuées) et y ajoute le montant du préjudice résultant de l'atteinte à leurs droits pour parvenir à une indemnité de 180 euros au titre de chaque prestation réalisée ;

Considérant, ceci exposé, que l'atteinte aux droits des 36 artistes-interprètes représentés par la SPEDIDAM du fait de la violation des dispositions de l'article L 212-3 du code de la propriété intellectuelle qui les a, au surplus, privés de la rémunération à laquelle ils pouvaient prétendre du fait de l'exploitation incriminée sera justement réparée par l'allocation des sommes suivantes :

Michel Cron : 360 euros Georges Balbon : 180 euros, Léon Locatelli : 540 euros, Roger Berthier: 360 euros, Paulette Pinchinat : 540 euros, Jean Gitton : 540 euros, André Karren : 360 euros, Didier Saint-Aulaire : 540 euros, Paul Hadjaje : 360 euros, Maurice Husson : 360 euros, Michel Varron : 540 euros, Claude Naveau : 180 euros, Hubert Varron : 540 euros, Jean Huchot: 180 euros, Willy Lockwood : 540 euros, Raymond Guiot : 360 euros, Robert Jeannoutot : 540 euros, Pierre Gossez : 540 euros, Daniel Dubar : 540 euros, Alain Jacquet: 540 euros, Jean-Claude Dubois : 540 euros, Lionel Gali : 360 euros, Pierre Doukan : 180 euros, Pierre Couzinier: 360 euros, William Charlet : 180 euros, Pierre Cullaz : 180 euros, Francis Darizcuren : 180 euros, Stéphane Wiener : 180 euros, Guy Bruere : 180 euros, Claude Dambrine: 180 euros, Janet Puech: 180 euros, Yvan Jullien : 180 euros, Marcel Dubois : 180 euros, Georges Monnin : 180 euros, Gabriel Beauvais : 180 euros et Michel Colombier : 540 euros,

soit la somme totale de 12.600 euros que les intimés seront condamnés à payer in solidum à la SPEDIDAM ;

Considérant qu'il convient, par ailleurs, d'accorder à la SPEDIDAM la somme d'UN euro en réparation de l'atteinte portée à l'intérêt collectif de la profession qu'elle représente ;

Considérant que la société Gaumont ne conteste pas sa garantie à l'INA ;

Sur les demandes complémentaires :

Considérant que la SPEDIDAM qualifie de résistance abusive la multiplication des moyens de droit que lui ont opposés l'INA, professionnel qui ne pouvait se méprendre sur l'étendue de ses droits, et demande réparation du préjudice subi ;

Mais considérant qu'il n'est pas établi que dans l'exercice de son droit de se défendre, l'intimé ait commis une faute constituant un abus ; que la demande sera, par voie de conséquence, rejetée ;

Considérant que la demande de publication et d'affichage en page d'accueil du site internet de l'INA ne se justifie pas, le préjudice subi par l'appelante étant suffisamment réparé par les dommages-intérêts octroyés ;

Considérant que l'équité conduit à allouer à la SPEDIDAM une somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Que, succombants, les intimés seront déboutés de ce dernier chef de prétentions et condamnés aux dépens de première instance et d'appel ;

PAR CES MOTIFS,

Infirme la décision déférée et, statuant à nouveau ;

Déclare la Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes de la musique et de la danse - SPEDIDAM recevable à agir tant pour le compte de l'ensemble des musiciens individualisés dans les motifs du présent arrêt, à l'exception de Monsieur Pierre Labadie, que pour le compte de leurs ayants-droit ;

Condamne in solidum l'Institut National de l'Audiovisuel - INA et la société anonyme GAUMONT à verser à la SPEDIDAM :

- la somme de 12.600 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice personnel subi par les 36 artistes-interprètes ci-avant individualisés à répartir à due concurrence,

- la somme d'UN euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par l'intérêt collectif de la profession qu'elle représente,

Condamne l'INA à verser à la SPEDIDAM la somme de 8.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société GAUMONT à garantir l'INA de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre ;

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ;

Condamne l'INA aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.