ADLC, 2 mai 2023, n° 23-DEX-02
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
relative à la prise de contrôle exclusif de Smartbox par Wonderbox
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cœuré
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 24 mars 2023, relatif à la prise de contrôle exclusif par la société Wonderbox de la société Topco, société de tête du groupe Smartbox, formalisée par la signature d’une promesse d’achat du 13 mai 2022 ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ; Vu les autres pièces du dossier ;
Adopte la décision suivante :
1. Wonderbox, société par actions simplifiée, est contrôlée de manière exclusive par la société W Group1 qui en détient [confidentiel] % du capital et des droits de vote. Elle forme avec ses filiales le groupe Wonderbox (ci-après « Wonderbox ») qui est principalement actif, en Europe et en Amérique du Nord, dans le secteur des titres cadeaux. Il est plus particulièrement actif dans l’édition et la commercialisation de coffrets cadeaux et d’autres titres cadeaux offrant l’accès à des expériences variées de tourisme et de loisir. Ces coffrets et titres cadeaux d’expérience sont commercialisés sous les marques Wonderbox, Vivabox, Cultur’in the City et Tick’N’Box. Plus de 8 000 prestataires d’expérience (hôtels, restaurants, spas, etc.) y sont référencés. Wonderbox propose également des cartes cadeaux multi-enseignes sous les marques Ma Carte Beauté, Ma Carte Mode et Supercard. Il opère, par ailleurs, une plateforme en ligne de réservation d’activités de loisirs, Funbooker. Les titres cadeaux de Wonderbox sont commercialisés auprès d’organismes intermédiaires (entreprises, collectivités ou comités d’entreprises) et des consommateurs. La vente aux consommateurs s’opère en points de vente physiques (dans les magasins Fnac-Darty et Cultura, ainsi que Leclerc, Carrefour, Auchan, Système U, Intermarché, Casino et Cora) ou en ligne sur ses propres sites internet ou sur des plateformes tierces (Amazon).
2. Topco, société par actions simplifiée, forme avec ses différentes filiales le groupe Smartbox (ci-après « Smartbox »). Smartbox opère principalement en Europe dans le secteur des titres cadeaux et plus particulièrement dans l’édition et la commercialisation de coffrets cadeaux et d’autres titres cadeaux offrant l’accès à des expériences variées de tourisme et de loisirs. Ceux- ci sont valables chez plus de 8 000 prestataires d’expérience, partenaires de Smartbox. Ces coffrets et autres titres cadeaux d’expériences sont commercialisés sous les marques Smartbox, Euphorie et Dakotabox. Smartbox propose également une carte cadeaux multi-enseignes aux comités d’entreprises, HappyCard, et opère une plateforme de réservation en ligne pour des courts séjours, Weekendesk. Les titres cadeaux de Smartbox sont commercialisés auprès d’organismes intermédiaires (entreprises, collectivités ou comités d’entreprises) et des consommateurs. La vente aux consommateurs s’opère en points de vente physiques (dans les magasins Fnac-Darty et Cultura, ainsi que Leclerc, Carrefour, Auchan, Système U, Intermarché, Casino, A.M.P. et Cora), ou en ligne sur ses propres sites internet et sur des plateformes tierces (Amazon).
3. L’opération a été formalisée par la signature d’une promesse unilatérale d’achat en date du 13 mai 2022. En ce qu’elle consiste en l’acquisition par Wonderbox de l’intégralité du capital et des droits de vote de la société Topco, société de tête du groupe Smartbox, l’opération se traduit par la prise de contrôle exclusif de Smartbox par Wonderbox.
4. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires mondial hors taxes de plus de 150 millions d’euros (Wonderbox : 153,1 millions d’euros pour l’exercice clos le 30 avril 2022 ; Smartbox : 228,2 millions d’euros pour l’exercice clos le 30 avril 2022). Chacune de ces entreprises réalise en France un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (Wonderbox : [≥ 50 millions] d’euros pour l’exercice clos le 30 avril 2022 ; Smartbox : [≥ 50 millions] d’euros pour l’exercice clos le 30 avril 2022). Compte tenu des chiffres d’affaires réalisés par les entreprises concernées, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au point I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
5. Les parties à l’opération sont les deux opérateurs spécialisés historiques et majeurs du secteur des coffrets cadeaux2. Elles opèrent ainsi, à titre principal et de manière simultanée, des activités d’offre de services de référencement, d’édition et de commercialisation en lien avec des coffrets cadeaux3 et, dans une moindre mesure, des cartes4 et autres titres cadeaux, dits d’ « expérience », sur lesquels elles référencent les activités de loisir et de tourisme proposées par des prestataires tiers. Les marchés concernés par l’opération sont de dimension nationale5.
6. Selon la pratique décisionnelle nationale, le secteur des titres cadeaux a un fonctionnement correspondant à celui d’un marché biface.6 Ainsi, la viabilité économique du prestataire de titres
cadeaux repose sur son rôle d’interface entre deux types d’agents distincts7. La pratique décisionnelle nationale a distingué un marché amont de l’acceptation des titres cadeaux, qui met en relation les émetteurs de titres cadeaux et les enseignes partenaires, et un marché aval de la distribution des titres cadeaux aux clients finals. S’agissant du marché aval, celui-ci est segmenté selon que la distribution se fait aux organismes intermédiaires — tels que les entreprises, collectivités ou comités d’entreprise –— (circuit BtoB) ou aux consommateurs (circuit BtoC). L’Autorité a envisagé d’opérer une segmentation du marché de la distribution des titres cadeaux selon le type de support (coffrets, chèques, cartes, etc.) et a considéré, tout en la laissant ouverte, la question de l’opportunité d’une éventuelle segmentation selon le caractère mono-enseigne ou multi-enseignes des cartes cadeaux. La délimitation géographique retenue est nationale. 8
7. La partie notifiante estime que la définition matérielle du marché doit être reconsidérée à différents égards. Elle considère que la segmentation selon le type de support devrait être abandonnée. Elle considère encore qu’une segmentation de marché par type d’« univers »9 devrait être introduite. Par ailleurs, la partie notifiante considère que le marché pertinent devrait intégrer les ventes en ligne en sus des ventes hors ligne. Enfin, considérant que les parts de marché fournies sur un « marché français de titres cadeaux d’expérience » permettraient de restituer l’environnement concurrentiel sur les marchés amont et aval10, la partie notifiante estime que la nouvelle entité ne disposera que de parts de marché limitées, sur le circuit BtoB comme sur le circuit BtoC11. La nouvelle entité resterait non seulement confrontée à la concurrence des émetteurs de titres cadeaux « traditionnels » mais également à la concurrence d’autres opérateurs. Parmi ces derniers, figurent notamment deux fournisseurs de solutions de titres cadeaux sous marque blanche (Secretbox et Mybeezbox) ainsi que certains prestataires d’expériences –— à savoir des partenaires auto-émettant des titres cadeaux portant sur leurs propres expériences et disposant d’une certaine taille ou d’une certaine notoriété.
8. S’agissant de l’analyse concurrentielle des effets de l’opération, la partie notifiante perçoit la concentration comme étant insusceptible de générer des effets anticoncurrentiels, notamment sur les marchés des coffrets cadeaux et autres titres cadeaux d’expérience destinés aux consommateurs. Elle considère, en substance, que la nouvelle entité ne serait pas en mesure de dégrader les conditions proposées aux partenaires ou d’augmenter le taux de commission vis- à-vis de ces derniers dans la mesure où elle ne constituerait pas un débouché incontournable pour eux. Elle ne serait pas plus en mesure d’imposer des conditions défavorables aux distributeurs physiques, compte tenu d’un déséquilibre dans le rapport de force au bénéfice de ces derniers. La nouvelle entité serait encore dans l’incapacité d’augmenter les prix des titres
cadeaux d’expérience proposés aux clients finals dans la mesure où tout écart de valeur entre le prix de vente du titre cadeau et les prestations incluses conduirait les acheteurs à se détourner des produits commercialisés par les parties. La partie notifiante observe encore que les prix des titres cadeaux d’expérience les plus plébiscités par les clients finals n’auraient pas évolué depuis plus de six ans.
9. Au terme de l’examen prévu au I de l’article L. 430-5 du code de commerce, l’Autorité considère que les éléments recueillis dans le cadre de l’instruction ne permettent pas de confirmer l’analyse de la partie notifiante.
10. En particulier, en l’espèce, le rôle d’interface entre une face « partenaires » et une face « clients finals » qui est joué par les émetteurs de titres cadeaux est crucial dans le fonctionnement des marchés concernés qui sont bifaces.
11. Dans ce contexte, les produits et services d’opérateurs ne jouant pas un tel rôle d’interface –— tels que Secretbox et Mybeezbox, ainsi que les partenaires visés par la partie notifiante qui auto- émettent des titres cadeaux –— n’apparaissent pas, à différents égards, comme étant suffisamment substituables pour être intégrés sur les marchés concernés.
12. En retenant une telle hypothèse, au vu des parts de marché combinées des parties, supérieures à 70 %, et du degré de concentration résultant de l’opération, même à considérer un marché unique des titres cadeaux d’expérience segmenté uniquement en fonction du circuit, BtoB ou BtoC, l’opération conduirait au rapprochement des deux principaux émetteurs de coffrets cadeaux et autres titres cadeaux d’expérience sur le circuit BtoC.
13. Compte tenu de l’ensemble des éléments qui précèdent, il y a lieu d’engager un examen approfondi, en application du III de l’article L. 430-5 du code de commerce.
DÉCIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 22-126 est soumise à un examen approfondi dans les conditions prévues à l’article L. 430-6 du code de commerce.
NOTES :
1 La société W Group est détenue à [confidentiel] % par Madame Bertile Burel et à [confidentiel] % par Monsieur Jacques-Christophe Blouzard.
2 L’Autorité mentionnait déjà les parties à l’opération à titre d’exemple en 2010, lorsqu’elle indiquait que les coffrets cadeaux étaient
« majoritairement émis par des opérateurs spécialisés comme les sociétés Smart&Co ou Wonderbox » (voir la décision n° 10-D-07 du 2 mars 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Kadéos dans le secteur des titres cadeaux prépayés, para. 57).
3 Les coffrets cadeaux matérialisent le cadeau qui est offert. Contrairement aux chèques et cartes cadeaux, les coffrets cadeaux ne sont pas utilisés comme des moyens de paiement permettant d'acquérir des biens et des services; c'est le bien ou le service contenu dans le coffret qui représente le cadeau. Les coffrets contenant des biens (par exemple un coffret « kit de brassage de bière »), ou encore ceux à abonnements (par exemple les coffrets mensuels), ne doivent pas être considérés comme des « coffrets cadeaux » au sens de la présente décision.
4 Titres cadeaux devant être crédités d’un montant utilisable chez les commerçants partenaires afin de payer des biens et services. Elles prennent généralement la forme de cartes prépayées de la taille d’une carte de crédit. Contrairement au chèque, la carte n’a pas de valeur faciale et doit être créditée.
5 À ce stade de l’instruction et compte tenu des activités des parties à l’opération, les marchés concernés par l’opération sont ceux des titres cadeaux (coffrets cadeaux et autres titres cadeaux d’ « expérience », d’une part, et cartes multi-enseignes, d’autre part) et ceux des plateformes de réservation en ligne.
6 Voir, notamment, la décision de l’Autorité relatives à des pratiques mises en œuvre par la société Kadeos n° 10-D-07 relative à la prise de contrôle exclusif de ProwebCE par Edenred France SAS.
7 Voir, en particulier, la lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie C2006-06 du 17 février 2006, au conseil des sociétés Natexis Banques Populaires et Banque Postale, relative à une concentration dans le secteur des chèques cadeaux : « La configuration [du secteur des titres cadeaux] s’assimile à celle d’un marché « double-face » (two-sided market). La viabilité économique du prestataire de titres cadeaux repose sur son rôle d’interface entre deux types d’agents distincts, les commerçants d’une part, et les consommateurs d’autre part. La satisfaction retirée de l’usage d’un titre cadeau est fonction, pour le consommateur, du nombre et de la qualité des commerçants qui l’acceptent ; inversement, un commerçant sera plus enclin à accepter un titre cadeau s’il est susceptible d’être utilisé par un grand nombre de clients. La valeur économique accordée à l’utilisation de l’interface n’est donc pas indépendante, pour chaque agent, des choix opérés par l’autre type d’agents. En permettant une interconnexion entre deux types d’acteurs, l’interface joue un rôle de catalyseur des transactions. »
« Sur les marchés doubles-faces, le prix perçu pour sa prestation par l’interface, en l’espèce la délivrance de titres cadeaux, est réparti inégalement entre les deux types d’acteurs. Chaque cas de répartition est envisageable, du partage égal à la subvention d’une partie par l’autre. En l’espèce, ce sont les commerçants qui financent l’intégralité du service, et le coût d’utilisation du titre cadeau pour le consommateur est donc nul. »
8 Voir, notamment, les décisions de l’Autorité relatives à des pratiques mises en œuvre par la société Kadeos n° 10-D-07 et n° 11-D-08 ainsi que la décision n° 15-DCC-58 du 26 mai 2015 relative à la prise de contrôle exclusif de ProwebCE par Edenred France SAS.
9 Soit, comme proposé par la partie notifiante, les univers du séjour, de la gastronomie, du bien-être et des loisirs et aventure.
10 Bien qu’elle souligne que cette approche n’en resterait pas moins particulièrement conservatrice.
11 Sa part de marché resterait inférieure à 25 % sur le circuit BtoB. Sur le circuit BtoC, elle n’excèderait pas 50 %, en considérant distinctement un marché pour chaque univers.