CA Limoges, ch. civ., 17 janvier 2013, n° 11/01356
LIMOGES
Arrêt
Autre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
Selarl Dauriac-Coudamy-Cibot, SCP Maury Chagnaud Chabaud, SCP Debernard Dauriac
Selon calendrier de procédure du Conseiller de la Mise en Etat, l'affaire a été fixée à l'audience du 22 Novembre 2012 pour plaidoirie avec arrêt rendu le 10 janvier 2013. L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 octobre 2012.
A l'audience de plaidoirie du 22 Novembre 2012, la Cour étant composée de Madame Martine JEAN, Président de chambre, de Madame Christine MISSOUX-SARTRAND et de Monsieur Gérard SOURY, Conseillers assistés de Madame Marie-Christine MANAUD, Greffier, Madame le Président a été entendue en son rapport, Maîtres COUDAMY, MALKA, LAURET, MARECHAL et FERRY, avocats, ont été entendus en leur plaidoirie.
Puis Madame Martine JEAN, Président de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 17 janvier 2013 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
LA COUR
La société Y..., société anonyme constituée en 1969 dont Pierre-Henri Y... était le président directeur général, s'est spécialisée dans la fourniture aux collectivités locales et aux industriels de prestations de services portant sur l'analyse et la maîtrise de leurs investissements dans le domaine de l'environnement.
Admise au nouveau marché de la bourse de Paris le 12 mai 2000, elle augmentait son capital par émission de 435 000 actions d'un montant nominal de 20 € ; trois autres augmentations de capital par voie d'appel public à l'épargne devaient avoir lieu par la suite, en juillet 2001 par émission de 250 000 actions à 35 €, décembre 2001 à hauteur d'un million d'euros, en juillet 2002 par émission de 366. 740 actions à 32, 50 €.
Le cours de l'action Y..., qui avait atteint 44 euros le 14 mai 2002, devait retomber à 7, 51 € le 31 décembre 2003 après que la marché eut été informé par un communiqué du 29 décembre 2003 des difficultés liées à la comptabilisation du chiffre d'affaires à l'avancement et de la nécessité de passer une provision de 13, 8 millions d'euros correspondant aux écarts constatés sur le poste clients arrêté au 30 juin 2003 ainsi que de l'existence de tensions sur la trésorerie du groupe.
la société Y... avait en effet changé de méthode comptable à compter de l'exercice allant du 1er janvier au 31 décembre 2000, passant de la comptabilisation à l " achèvement de son chiffre d'affaires, c'est à dire une fois la prestation réalisée et le prix payé, à une comptabilisation à l'avancement consistant à inscrire en comptabilité son chiffre d'affaires au fur et à mesure de l'accomplissement de ses prestations sans égard à leur paiement en sorte que son bilan comportait un poste clients très important, les créances étant pour la plupart des produits non encore facturés.
Le 30 avril 2004, la société Y... a suspendu la cotation de ses titres dans l'attente de la publication de ses comptes ensuite d'un audit effectué courant décembre 2003 qui avait conclu à la nécessité d'une évaluation du poste " produits non encore facturés " ; cet audit devait conclure à une évaluation de ce poste comprise entre 4 et 8 millions d'euros au lieu des 47 millions d'euros publiés au 31 décembre 2002.
Suite à la déclaration de cessation de ses paiements par les dirigeants en juillet 2004, la société Y... a fait l'objet d'une décision de redressement judiciaire ensuite de laquelle est intervenue en février 2005 la cession de la société Y... à la société SAUNIER de sorte que les autorités boursières ont ordonné la radiation de la côte EURONEXT le 14 avril 2005.
Par actes des 28 et 30 novembre 2007, Serge X... a fait assigner devant le tribunal de commerce de Guéret Pierre-Henri Y... ainsi que Cécile et Anne Y..., la société EPF PARTNERS, Olivier A... et Daniel Z... aux fins d'obtenir leur condamnation à lui payer la somme de 73. 414 € augmentés des intérêts au taux légal à compter de l'exploit introductif d'instance sur le fondement des articles L 123-21 et L 225-249 du Code de Commerce ainsi que de celles de 10. 000 € à titre de dommages et intérêts complémentaires et 7. 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile. Serge X..., qui exposait qu'il était porteur de 8 223 actions de la société Y... soutenait principalement devant la juridiction du premier degré que l'analyse de la situation comptable de la société Y... fait apparaître que les appels de fonds lors de l'introduction puis les augmentations de capital était appuyés par des informations sciemment erronées et de nature à induire en erreur les investisseurs.
Par jugement du 15 avril 2011, le tribunal, qui a considéré prescrite l'action engagée par Serge X..., a déclaré celui-ci irrecevable et l'a condamné à payer, sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile les sommes de 3. 000 € aux consorts Y..., 1. 000 € à Daniel Z..., 1. 500 € à Olivier A... et la société EPF PARTNERS.
Serge X... a interjeté appel de cette décision selon déclaration du 18 octobre 2011.
Les dernières écritures des parties, auxquelles la Cour renvoie pour plus ample information sur leurs demandes et moyens, ont été transmises à la cour les :
-3 octobre 2012 par Serge X...,
-24 février 2012 par les consorts Y...,
-12 mars 2012 par la SA EPF PARTNERS,
-31 juillet 2012 par Olivier A...,
-5 octobre 2012 par Daniel Z....
Serge X..., qui reprend devant la cour son argumentation de première instance, demande à la cour de réformer le jugement, de déclarer non prescrite et recevable son action, de faire droit à ses demandes et de condamner solidairement les intimés à lui payer la somme de 76. 214 € en indemnisation de son préjudice avec intérêts à compter de l'assignation ainsi que celles de 10. 000 € à titre de dommages et intérêts et 4. 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Il soutient essentiellement que la communication de l'entreprise a consisté à minimiser les difficultés en soulignant notamment ses perspectives de développement importantes après une phase d'assainissement de la situation, encourageant ainsi les tiers à investir dans les actions de la société ou à les conserver ; il estime, au regard des éléments du débat que son action n'est pas prescrite puisque la situation financière de la société n'a été révélé qu'à partir de la publication des comptes au BALO le 3 décembre 2004, considère que la dissimulation de la situation réelle de la société est fautive, comme l'a d'ailleurs admis l'AFM, dont la décision a été confirmée par la cour d'appel de Paris dont le pourvoi contre l'arrêt a été rejeté et fixe son préjudice en considération des profits qui auraient pu être les siens au regard des résultats des entreprises du CAC 40.
Les consorts Y... concluent au débouté de l'appel de Serge X... et à la confirmation de la décision déférée qui a, selon eux, à juste titre considéré que la demande de Serge X... était prescrite et sollicitent la condamnation de celui-ci à leur payer la somme de 5. 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ; ils font valoir que le marché a toujours été informé du manque de fiabilité de la comptabilisation à l'avancement du chiffre d'affaires et ce, a fortiori le 29 décembre 2003, date à laquelle le conseil d'administration a confirmé au marché les difficultés rencontrées et qui doit être considérée comme marquant, au plus tard, le point de départ du délai de prescription.
Ils contestent au fond les fautes des dirigeants faisant valoir qu'ils n'ont jamais présenté une comptabilité artificielle et fallacieuse, que les données communiquées au marché ont toujours été strictement conformes à celles dont disposaient les administrateurs au moment de leur publication et que les administrateurs n'ont pas davantage dissimulé au marché les réserves des commissaires aux comptes ; ils estiment par ailleurs que les informations communiquées n'ont pas privé Serge X... d'une chance d'investir autrement ses capitaux puisque celui-ci a acquis ses actions à une date où les difficultés de la société étaient connues et qu'il a en fait spéculé sur la reprise possible du titre.
La société EPF PARTNERS demande à la cour, à titre principal, de déclarer prescrite l'action de M. X..., à titre subsidiaire, de constater qu'aucune faute n'a été commise par EPF PARTNERS, de constater que M. X... ne démontre pas le préjudice qu'il prétend avoir subi ni son lien de causalité éventuel avec une faute de EPF PARTNERS et de débouter en conséquence celui-ci, à titre encore plus subsidiaire, de procéder au partage de responsabilité entre les administrateurs et de juger que la part contributive d'EPF PARTNERS sera nécessairement très nettement inférieur à celle des autres administrateurs ; elle sollicite par ailleurs la condamnation de M. X... à lui payer la somme de 10. 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Elle estime prescrite l'action de M. X..., engagée selon elle plus de trois années après le 17 juin 2002, date à laquelle a été enregistré par la COB le rapport annuel de la société Y... qui reprend les réserves émises par les commissaires aux comptes, information qui a été reprise dans un communiqué d e presse diffusé le 24 juin 2002 et relève à cet égard que le fait dommageable est, selon M. X... lui-même, constitué par l'absence de fiabilité des informations communiquées sur la situation financière et comptable de la société qui n'auraient pas révélé l'ampleur des difficultés auxquelles la société était confrontée ; elle ajoute que le 29 décembre 2003, en tout cas, M. Y... a donné une information claire sur la situation de la société, laquelle a d'ailleurs été largement relayée par la presse.
Subsidiairement au fond, elle fait valoir que la responsabilité d'un administrateur ne peut être engagée que pour les fautes qu'il a commises pendant son mandat, qu'elle justifie avoir démissionné de son mandat d'administrateur avec effet au 23 septembre 2002, qu'aucun fait fautif ne peut lui être imputé postérieurement à cette date en sorte que ne subsiste en ce qui la concerne que le communiqué de presse du 15 avril 2002 qui ne peut être considéré comme le vecteur d'une rétention d'information dès lors qu'à cette date les commissaires aux comptes n'avaient pas encore exprimé de réserves sur la valorisation des travaux en cours ; elle ajoute qu'en tout cas seul M. Y... est à l'origine des communiqués et notamment de celui du 15 avril 2002.
Elle considère, sur le préjudice, que M. X... non seulement ne démontre pas en quoi consisterait son préjudice qui ne peut être constitué que de la perte d'une chance d'investir ses capitaux dans un autre placement ou de renoncer à celui déjà réalisée mais encore qu'en droit le préjudice prétendu doit être en lien de causalité avec un fait distinct de chacun des administrateurs en sorte que le juge doit caractériser autant de liens de causalité distincts qu'il existe d'administrateurs et, qu'en l'espèce, M. X..., qui avait, dès le 29 décembre 2003, une information complète et parfaitement transparente sur les difficultés financières rencontrées par la société a acquis des actions très tardivement dans un cadre que les premiers juges ont qualifié à bon droit de purement spéculatif.
Daniel Z... demande à la cour de juger prescrite l'action de Serge X..., de confirmer en conséquence le jugement et d'y ajouter pour condamner Serge X... à lui verser une indemnité supplémentaire de 5. 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ; à titre subsidiaire, il invite la cour à constater qu'il n'est apporté aucune preuve qu'il ait eu connaissance d'une présentation artificielle des comptes de la société Y... et encore moins de leur caractère mensonger, à constater qu'il ne pouvait disposer d'aucune information supplémentaire par rapport à celles qui avaient été publiées et qui ont été portées à la connaissance des investisseurs et des actionnaires et que ceux-ci avaient les éléments suffisants pour apprécier les incertitudes constatées sur les comptes, à constater que M. X... ne reproche aucun fait à M. Z..., à dire en conséquence que Daniel Z... en sa qualité d'administrateur n'a aucunement failli à ses missions dévolues par la loi et qu'il n'a commis aucun faute, en conséquence à débouter M. X... ; à titre infiniment subsidiaire, il demande à la cour de dire que le préjudice de M. X... ne peut être constitué que par une perte de chance d'investir ailleurs ses capitaux, de dire que la réparation éventuelle est mesurée à la chance perdue et que M. X... n'apporte aucun élément précis pour apprécier cette chance perdue, de dire que le préjudice invoqué n'est pas caractérisé par une perte de chance, de débouter en conséquence M. X..., de constater qu'aucun élément probant ne permet de déterminer la part contributive de chacun des administrateurs dans la prétendue faute en application de l'article L 225-251 al 2 du Code de Commerce, de dire qu'aucune part contributive ne peut être mise à sa charge, de constater l'absence de lien de causalité entre le faute alléguée et le dommage prétendument subi par M. X..., de débouter en tout état de cause M. X... de toutes ses demandes à l'encontre de M. Z... ; il conclut enfin à la condamnation de M. X... à lui payer la somme de 5. 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Il fait valoir, sur la prescription, que M. X... disposait lors de son acquisition de toutes les informations sur la société Y... mais a néanmoins attendu février 2004, en pleine connaissance de la baisse du titre pour acquérir des actions, manifestement en spéculant sur une hausse hypothétique des titres ; il estime que la date du 17 juin 2002, à laquelle ont été faites les réserves des commissaires aux comptes marque le point de départ de la prescription ou qu'à tout le moins doit être retenue la date du 29 décembre 2003 date du communiqué dans lequel M. Y... a donné une information claire sur la situation de la société.
Pour le surplus de ses explications, elles sont contenues dans le conclusif, rappelé ci-dessus de ses écritures.
Olivier A... demande à la cour de débouter Serge X... de son appel, de déclarer son action prescrite et, subsidiairement, de le débouter de son action ; il demande en toutes hypothèses la condamnation de celui-ci à lui payer une indemnité supplémentaire de 6. 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Il soutient, sur la prescription, que la faute reprochée a consisté, en ce qui concerne les administrateurs, dans la connaissance qu'ils avaient ou auraient du avoir de l'inexactitude des comptes sociaux et considère en conséquence que le fait dommageable a été exactement fixé par le tribunal au 17 juin 2002, date à laquelle la commission des opérations de bourse a reproduit sous le titre " avertissement " les réserves émises par les commissaires aux comptes ; il en déduit que l'action est prescrite.
Au fond, il fait valoir qu'il n'a eu, en qualité d'administrateur, aucune responsabilité dans le choix du recours à la méthode de comptabilisation ou dans la communication menée par la société Y... en sorte qu'il n'a commis aucune faute ; il considère qu'en tout cas, Serge X..., qui ne pouvait au regard de l'information transmise le 29 décembre 2003 qu'avoir intégré le risque que les comptes de la société soient inexacts, a estimé qu'il était opportun d'investir en sorte qu'il n'existe en tout cas aucun lien de causalité entre une éventuelle faute des administrateurs et sa décision ; il estime encore que Serge X... ne fait pas la démonstration, alors que ses achats se révèlent avoir été purement spéculatifs et qu'il est ainsi à l'origine de son propre préjudice, de ce qu'il a subi une perte de chance qui est constitué en l'espèce par la probabilité d'une valorisation du titre Y....
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu que subissent un préjudice personnel les actionnaires qui ont été incités soit à souscrire soit à conserver des titres par les manoeuvres de leur dirigeants ayant consisté à donner une image tronquée de la situation de l'entreprise ; que la société elle-même ne subit en effet en cette hypothèse, contrairement à ses actionnaires, aucun préjudice propre lié à une perte de son patrimoine ; que, dans ces conditions, sous réserve de la prescription qui commande la recevabilité de l'action, le bien-fondé de l'action de Serge X... sera reconnue sur le fondement des dispositions de l'article L 225-251 du Code de commerce si celui-ci fait la démonstration à la fois de l'existence de manoeuvres des dirigeants destinées à donner une image tronquée de la situation de l'entreprise et du préjudice qui en est pour lui résulter ;
Sur la prescription
Attendu que, selon les dispositions de l'article L 225-254 du Code de Commerce, l'action en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général, tant sociale qu'individuelle, se prescrit par trois ans, à compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation ;
Attendu qu'il ne peut être sérieusement contesté que c'est avec la publication au BALO du 3 décembre 2004 des comptes 2003 portant annulation de tous produits non encore facturés au 31 décembre 2003 à hauteur de 45. 056. 000 € que les actionnaires ont été avertis de la situation exacte de l'entreprise et ont pu constater que tant les comptes que les communiqués portés à leur connaissance par les dirigeants de la société ne donnaient pas une image fidèle de sa situation ; que c'est en conséquence à compter de cette date que commence à courir le délai de prescription ; que le fait dommageable n'est en effet pas constitué par la difficulté liée à l'absence d'outils fiables au sein de la société Y..., mise en exergue dès 2002 par les commissaires aux comptes et portée sur les documents de référence de la société, mais par les agissements de ses dirigeants ayant consisté, selon M. X..., à induire le public en erreur ; que de tels agissements, s'ils sont établis, ce qui sera examiné plus avant, n'ont de fait pu être appréhendés que le 3 décembre 2004 avec la publication des comptes 2003 qui révèlent dans toute son ampleur la distorsion existant entre la situation réelle de la société et celle présentée par ses dirigeants ; que ce sont bien à cet égard de tels agissements qui, en ce qu'ils auraient incité le public à acquérir ou conserver des titres de la société, sont à l'origine du préjudice allégué ; qu'à cet égard la dissimulation, telle que visée par le texte sus-repris, est inhérente au fait dommageable lui-même qui consistait en l'espèce à donner une information sur la situation de l'entreprise dont il s'est avéré, ultérieurement seulement, qu'elle ne correspondait pas à l'exacte situation économique, patrimoniale et financière de celle-ci ; qu'ainsi, l'assignation ayant été délivrée moins de trois ans après le 3 décembre 2004, l'action de Serge X... n'apparaît pas prescrite et le jugement sera réformé pour déclarer l'action recevable ;
Sur le fond
Attendu qu'il est établi et non contesté que la société Y... ne disposait pas d'outils de gestion fiable, n'assurait pas la tenue d'une comptabilité analytique précise et ne pouvait exercer les contrôles nécessaires, peu important à cet égard qu'elle soit ou non à l'origine du changement de méthode de comptabilisation, lequel avait été semble-t-il conseillé par la COB ; que les dirigeants de la société n'ignorait pas en effet les difficultés inhérentes à ce nouvel outil de gestion de la comptabilité dès lors que les commissaires aux comptes avaient dans leur rapport du 10 juin 2002 sur les comptes sociaux émis la réserve suivante : " votre société a opté dès l'exercice 2000 pour la comptabilisation de son chiffre d'affaires à l'avancement et a entrepris fin 2001 de mettre en place un outil informatique pour ce suivi. Cette mise en place n'est pas encore achevée. Pour cet exercice, compte tenu du contexte de croissance interne et externe très rapide le processus actuel a trouvé ses limites en terme de contrôle interne, notamment sur les aspects de fiabilité des pourcentages d'avancement et d'enregistrement exhaustifs des affaires " ; que le rapport des commissaires aux comptes sur les comptes consolidés relatifs à l'exercice clos le 31 décembre 2002 établi le 6 juin 2003 contient une nouvelle réserve rappelant la réserve précédente et ajoutant " au 31 décembre2002 le groupe, progressant dans ses objectifs pour améliorer le suivi des affaires, ne dispose pas encore des outils nécessaires nous permettant de lever la réserve existante. " ; que les dirigeants avaient d'ailleurs pleinement conscience des difficultés et du caractère très imparfait de la formation des résultats dès lors qu'il était reconnu dans un communiqué du 29 décembre 2003, rendu nécessaire par la réunion du conseil d'administration du13 octobre 2003 au cours duquel les commissaires aux comptes avaient précisé qu'il était impossible de certifier les comptes consolidés au 30 juin 2003 en raison notamment de l'absence de fiabilité du résultat à l'avancement que " la complexité et la diversité d'affaires indépendantes, leur petite taille et leur grand nombre rendent la traçabilité de la formation de ce résultat trop incertaine " ; que l'écart, révélé ultérieurement, entre les résultats publiés au 31 décembre 2002 évaluant à 47 millions d'euros le poste " produits non encore facturés " et la fourchette située entre 4 et 8 millions d'euros correspondant à l'évaluation de ce même poste donnée par le cabinet B... donne à cet égard la mesure de l'incapacité de la société à contrôler par un moyen efficace les informations transmises par ses propres services ;
Or attendu que la carence de la société à mettre en place des outils efficaces et les difficultés connues que cette situation générait quant à la fiabilité des comptes sont à rapprocher des communiqués diffusés dans la presse des 15 avril 2002, 23 octobre 2002, 14 février 2003, 11 avril 2003, 9 octobre 2003, 29 décembre 2003 ; que non seulement les comptes qui y sont présentés, sans être inexacts, ne donnent pas une image fidèle de l'entreprise, ce que n'ignoraient pas les dirigeants qui n'ont pas cru utile néanmoins de rappeler les réserves des commissaires aux comptes, mais encore font état, pour certains, de comptes consolidés pro forma sans préciser que les évolutions d'une année sur l'autre ne sont pas à périmètres constants, notamment en ce que, alors que la société Y... avait acquis quatre entreprises en 2001 et quatre autres en 2002, les données relatives à un exercice prenaient en compte l'ensemble de l'activité réalisée dès le premier janvier de l'année concernée, même si les acquisitions des entreprises étaient intervenues ultérieurement tandis que les informations relatives à l'exercice précédent n'étaient pas corrigés à la hausse, ce qui avait pour effet d'abuser le public sur les performances du groupe ; que par une décision aujourd'hui définitive (confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Paris contre lequel le pourvoi en cassation a été rejeté) la commission des sanctions de l'autorité des marchés financiers, qui a prononcé une sanction à l'encontre de M. Y... en sa qualité de président du conseil d'administration et directeur général de la société Y..., a d'ailleurs relevé :
que sont inexactes car non assorties des réserves nécessaires mais aussi trompeuses car incomplètes, les indications :
- " d'une production pro forma de 51, 8 Mn €, en forte croissance par rapport à 2000 (+ 61 %) " données par le communiqué du 15 avril 2002 à propos de l'exercice 2001,
- d'une hausse des produits d'exploitation de 70 % et du résultat d'exploitation de plus de 120 % du chiffre d'affaires comme des données consolidées pro forma et figurant dans le communiqué du 23 octobre2002 concernant le premier semestre 2002,
- d'une production pro forma annuelle de 68, 8 Mn € fournies dans le communiqué du 14 février 2003 et d'une production annuelle en progression de 31 % par rapport à 2001 fournies dans le communiqué du 11 avril 2003, relatifs l'un et l'autre à l'exercice 2002,
- d'une " production consolidée pro forma de 36, 03 M € " soit " une hausse par rapport au premier trimestre 2002 de 9, 2 % en données pro forma " qui figurent dans le communiqué du 27 octobre 2003 concernant les comptes au premier semestre 2003 ;
que cette commission a encore observé que dans le communiqué du 11 avril 2003 la société n'a pas précisé que les comptes de l'exercice 2002 n'avaient pas encore été consolidés alors que les chiffres définitifs ont été en juillet 2003 corrigés à la baisse de 23 %, que la société s'est bien gardé en outre de faire état dans le communiqué du 27 octobre 2003 des avertissements des commissaires aux comptes à l'occasion du conseil d'administration du 14 octobre 2003 donnant au contraire les chiffres très optimistes par elle rappelés, qu'encore le 29 décembre 2003 il a été passé sous silence les réserves émises par les commissaires aux comptes le 19 décembre 2003 et a été laissé croire au public par la formulation que " les commissaires aux comptes ont ainsi pu délivrer une attestation sur les comptes semestriels au 30 juin 2003 et ont conclu à une absence d'opinion, sans formuler de remarques particulières " que les commissaires aux comptes avaient attesté de la sincérité des comptes de la société ;
Attendu ainsi, au regard de ces éléments, que Serge X... établit le caractère trompeur de l'information diffusée par les responsables de la société ; qu'à cet égard, il ne peut être admis que rien n'obligeait les responsables de la société à rappeler les réserves des commissaires aux comptes dont les rapports avaient été publiés au BALO ; que ces publications ne les autorisaient pas en effet à présenter une image de la société dont ils savaient qu'elle était nécessairement tronquée dès lors qu'étaient passées sous silence les réserves émises par les commissaires aux comptes ; que l'information financière se doit en effet d'être exacte, ce qui n'est pas le cas si elle se trouve amputée d'un élément déterminant, celui-ci-ci aurait-il été par ailleurs porté à la connaissance du public, étant observé que ces omissions, dont on ne peut penser qu'elles étaient involontaires au regard à la fois du caractère déterminant des information dissimulées et de leur récurrence, ont manifestement eu pour objet de présenter l'image d'une société florissante malgré les difficultés connues de ses dirigeants ; qu'à cet égard le caractère délibéré des agissements reprochés aux dirigeants de la société résulte à l'évidence du communiqué du 9 octobre 2003 par lequel la société annonçait l'acquisition de la société SOMIVAL donnant ainsi l'image d'une société en pleine croissance alors qu'elle passait ultérieurement sous silence l'endettement de la société qui devait conduire, dans le même mois, au refus des banques de financer toute acquisition nouvelle ; que Serge X... est fondé en conséquence à rechercher la responsabilité de tous les administrateurs et non seulement celle de Pierre-Henri Y... ;
Attendu en effet que s'il est vrai que seul Pierre-Henri Y... est l'auteur de ces communiqués trompeurs, les administrateurs, qui se doivent de débattre de toutes difficultés portées à leur connaissance, ne justifient, alors qu'ils ne pouvaient ou ne devaient ignorer ni les réserves des commissaires aux comptes ni la teneur des communiqués faits par le président directeur général, d'aucune réserves sur la véracité des informations transmises au public et n'apparaissent pas avoir évoqué la nécessité de communiquer des informations plus conformes à la réalité financière et économique de la société qu'ils dirigeaient ; qu'ils ont ainsi chacun engagé leur propre responsabilité à l'égard des actionnaires au même titre que Pierre-Henri Y..., même si, dans leur rapports entre eux, un partage de responsabilité pourra être opéré dès lors que les fautes de chacun n'ont pas la même gravité, même si elles sont, en ce qu'elles ont participé chacune à donner une image tronquée de l'entreprise, à l'origine de l'entier préjudice subi par les actionnaires ; qu'à cet égard, c'est à tort que la société EPF PARTNERS conclut à sa mise hors de cause au motif qu'elle a démissionné, avec effet au 23 septembre 2002, de ses fonctions d'administrateur ; que l'image trompeuse distillée dans le public sur les résultats de la société est en effet la résultante de l'ensemble des communiqués successifs intervenus, la société EPF PARTNERS étant elle-même toujours administratrice lorsqu'ont été portés, le 15 avril 2002, à la connaissance du public les chiffres inexacts et trompeurs rappelés plus avant ;
Sur le préjudice
Attendu que la diffusion d'informations tronquées sur la situation exacte d'une entreprise a pour but d'inciter les tiers à acquérir ou conserver les titres de la société ; qu'il ne peut être utilement soutenu en conséquence qu'il n'existe pas de lien de causalité entre la faute commise et le préjudice des actionnaires constitué par la perte d'une chance d'investir leurs capitaux dans un autre placement ou de renoncer à celui déjà réalisé ; que la perte de chance doit s'apprécier en fonction de l'importance qu'ont pu avoir les informations inexactes portées à la connaissance des tiers sur leur décision d'acquérir ou conserver les titres de la société concernée ; qu'en l'espèce, s'il ressort des éléments du débat que Serge X... a acquis ses titres de la société Y... après que celle-ci eut révélé, le 29 octobre 2003, qu'elle n'était pas en mesure de déterminer par affaire en cours la formation du résultat et qu'une provision correspondant aux écarts constatés de 13, 8 M € apparaissait nécessaire et à une date où le titre Y... était au plus bas, ces circonstances, loin de permettre d'en déduire qu'il n'existe aucun lien de causalité entre le préjudice de M. X..., dont le placement était selon les intimés purement spéculatif et la faute commise, établissent au contraire que celui-ci conservait, malgré les informations récentes portées à la connaissance du public sur la tension de la trésorerie, confiance dans l'avenir de la société dont les dirigeants persistaient à donner l'image d'une société en pleine croissance et dont les difficultés actuelles n'étaient que passagères ; que le communiqué du 29 octobre 2003 susvisé laissait d'ailleurs penser, comme il l'a été plus avant relevé, que les commissaires aux comptes non seulement n'avaient pas estimé devoir faire d'observations particulières sur les comptes mais encore avaient attesté de leur sincérité ; qu’ainsi si M. X... a manifestement cherché à réaliser une bonne opération, comme c'est somme toute le cas pour tous les investisseurs en bourse, ce fait est sans conséquence sur l'existence et l'ampleur son préjudice dont la cour estime qu'il doit être réparé, au regard des éléments sus-repris, à hauteur de la somme de 70. 000 €, au paiement de laquelle les administrateurs seront in solidum condamnés ; que Serge X..., qui ne justifie pas d'un préjudice autre que celui ci-dessus caractérisé, sera débouté en revanche de sa demande tendant à obtenir en sus la somme de 10. 000 € à titre de dommages et intérêts ;
Sur la répartition des responsabilités entre les administrateurs
Attendu que Pierre-Henri Y..., à l'origine des communiqués trompeurs, conservera, dans les rapports entre administrateurs la plus grande part de responsabilité, soit 45 % ; que les autres administrateurs assumerons la responsabilité à concurrence de 55 % dans la proportion de 5 % pour la société EPF PARTNERS, dès lors que celle-ci a démissionné de ses fonctions en septembre 2002 et 12, 5 % pour chacun des autres, la cour observant qu'il n'est pas soutenu par Cécile et Anne Y... qu'elle n'étaient pas des administrateurs avisés ;
Sur les dépens et l'application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile
Attendu que les intimés supporteront in solidum la charge des dépens d'instance et d'appel ; que l'équité commande de les condamner in solidum à payer à Serge X... la somme de 4. 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par décision Contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
REFORME le jugement déféré,
Statuant à nouveau,
DECLARE recevable l'action de Serge X...,
CONDAMNE Pierre-Henri Y..., Anne Y..., Cécile Y..., la société EPF PARTNERS, Olivier A... et Daniel Z... à payer in solidum à Serge X... la somme de 70. 000 € ,
DÉBOUTE Serge X... du surplus de ses demandes,
DIT que dans les rapports entre les intimés la responsabilité sera partagée entre eux à hauteur de 45 % pour Pierre-Henri Y..., 12, 5 % chacun pour Anne Y..., Cécile Y..., Olivier A... et Daniel Z... et 5 % pour la société EPF PARTNERS,
DEBOUTE les intimés de leurs demandes fondées sur l'application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
CONDAMNE Pierre-Henri Y..., Anne Y..., Cécile Y..., la société EPF PARTNERS, Olivier A... et Daniel Z... à payer in solidum à Serge X... la somme de 4. 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
CONDAMNE les mêmes, sous la même solidarité, aux dépens d'instance et d'appel qui seront recouvrés, en ce qui concerne ces derniers, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.