CA Paris, 14e ch. A, 26 mars 2008, n° 07/19211
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Vernis Soudée (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Foulon
Conseillers :
M. Blanquart, Mme Graff-Daudret
Avoués :
Me Huyghe, SCP Petit Lesenechal
FAITS CONSTANTS
La SA VERNIS SOUDEE - VERNIS -est une SA à directoire et conseil de surveillance.
L'article 14 de ses statuts précise que : "les membres du directoire sont obligatoirement des personnes physiques choisies parmi les actionnaires".
En 1991 Monsieur Claude Y... devenait salarié, en qualité de directeur technique et financier de VERNIS et de la société Manufacture Blancomme - la Manufacture - autre société du groupe de familles Y... et E....
En 1997 il était élu directeur général unique.
Par lettre du 22 décembre 2006 le conseil de surveillance (article L.225-103 III du code de commerce et 26 des statuts) convoquait les actionnaires de VERNIS à une assemblée générale ordinaire le 16 janvier 2007.
Le 16 janvier 2007 l'assemblée générale décidait par 666 voix contre 334 de révoquer Monsieur Y... de son mandat de directeur général unique.
Par lettre du même jour Monsieur de F... -nouveau directeur général - convoquait Monsieur Y... à un entretien préalable à une révocation pour faute grave.
Monsieur Y... était licencié le 15 février 2007.
Par ordonnance du 27 mars 2007 le président du tribunal de commerce de Bobigny désignait Maître A... en qualité de mandataire ad hoc.
Ce mandataire déposait son rapport le 26 avril 2007.
Le 30 avril 2007 le tribunal de commerce de Bobigny ouvrait une procédure de redressement judiciaire, Maître A... était désigné administrateur judiciaire et Maître du D..., représentant des créanciers.
Par acte du 8 juin 2007 Monsieur Y... assignait VERNIS et les organes de la procédure collective devant le juge des référés du tribunal de commerce de Bobigny pour constater la nullité de la nomination de Monsieur de F..., et prononcer en conséquence l'inopposabilité de toutes les décisions prises par lui envers Monsieur Y....
Par ordonnance contradictoire du 17 octobre 2007 le juge déclarait "la demande de Monsieur Y... irrecevable en la forme des référés".
Monsieur Y... interjetait appel le 15 novembre 2007.
L'ordonnance de clôture était rendue le 19 février 2008.
Le 7 décembre 2007 le tribunal de commerce d'Evry a arrêté la cession totale de VERNIS.
Le 7 janvier 2008 le même tribunal a prononcé la liquidation judiciaire de Vernis.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DE M. Y...
Par dernières conclusions du 25 février 2008 auxquelles il convient de se reporter, Monsieur Y... soutient :
- que Monsieur de F..., non actionnaire, ne pouvait être désigné membre du directoire,
- que le "prêt d'actions" au profit de Monsieur de F... invoqué par VERNIS ne répond ni aux exigences de l'article L.239-2 du code de commerce et l'article L.228-1 alinéa 9 du même code ni à celle de l'article 11 des statuts, ce qui entraîne la nullité de la cession (article L.228-23 alinéa 4 du code de commerce),
- que l'article L.225-25 alinéa 2 du code de commerce ne s'applique qu'aux sociétés anonymes classiques,
- que le conseil du surveillance s'est tenu dans des conditions irrégulières,
- que l'article 873 du Code de procédure civile n'exige pas l'urgence.
Il demande :
- de dire illégale la nomination de Monsieur de F...,
- de déclarer cette nomination inopposable à Monsieur Y...,
- à VERNIS 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Cette partie entend bénéficier des dispositions de l'article 699 du CPC.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DE ME DU D... ET ME A...
Par dernières conclusions du 26 février 2008 auxquelles il convient de se reporter, ces parties soulèvent la nullité de l'assignation sur le fondement de l'article 56 du Code de procédure civile.
Elles ajoutent :
- que les conditions d'application de l'article 872 du Code de procédure civile ne sont pas réunies,
- que par acte du 16 janvier 2007 Monsieur de F... a conclu avec quatre actionnaires un contrat de prêt d'actions, et qu'il est ainsi devenu propriétaire de celles-ci (article 1893 du code civil), l'article L.239-2 du code de commerce ne s'appliquant pas au cas d'espèce, l'article L.225-25 alinéa 2 du même code octroyant un délai de trois mois pour régulariser la situation,
- que l'interprétation de l'article 11 des statuts excède la "compétence" du juge des référés,
- que l'article 15 des statuts prévoit le remplacement immédiat du membre du directoire par le conseil de surveillance,
- qu'il n'y a donc pas eu trouble manifestement illicite.
Elles demandent :
- l'infirmation de l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté leur exception de nullité,
- la confirmation de l'ordonnance pour le surplus,
- subsidiairement de relever "l'incompétence" du juge des référés en raison de contestations sérieuses,
- en tout état de cause 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Ces parties entendent bénéficier des dispositions de l'article 699 du CPC.
SUR QUOI, LA COUR
Sur la nullité
Considérant qu'il y a contradiction à soulever la nullité de l'assignation introductive d'instance qui aurait pour conséquence de constater que "celle-ci est dénuée de tout effet", tout en demandant la confirmation de l'ordonnance pour le surplus ; que de toutes façons Monsieur Y... a précisé le fondement juridique de sa demande, et a ainsi couvert cette nullité (article 115 du Code de procédure civile) ;
Sur la compétence
Considérant que c'est par une impropriété de langage qu'est soulevée l'incompétence du juge des référés, puisque seuls sont concernés les pouvoirs de celui-ci ;
Sur le trouble manifestement illicite
Considérant que Monsieur Y... fonde sa demande sur le seul article 873 alinéa 1 dernier membre de phrase du Code de procédure civile ; que selon cet article - qui n'exige pas l'urgence - le président (du tribunal de commerce) peut ... même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent ... pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;
Considérant qu'a été, et est, soumis au juge le fait de savoir si la désignation de Monsieur de F... était "illégale" - page 4 de l'ordonnance - (avec la conséquence évidente sur le licenciement de Monsieur Y...) et non pas si la révocation du directeur général unique de Monsieur Y... était illégale (cette révocation n'étant pas contestée) ;
Considérant qu'aucun document - notamment le procès verbal prévu à l'article 20 dernier alinéa des statuts - ne permet de savoir dans quelle condition Monsieur de F... a été désigné, Maître du D... se bornant page 7 des conclusions à affirmer : "Monsieur de F... était désigné à cet effet par lettre du même jour", et à préciser page 13, que le conseil s'était réuni le même jour sur convocation verbale, hors la présence de Madame Y... (mère de Claude) qui avait cependant été convoquée à l'assemblée générale ;
Considérant que si l'article 19 des statuts prévoit un conseil de surveillance de trois membres, il ne précise pas le mode de convocation de ses membres ;
Que dans ces conditions, Monsieur Y... ne démontre pas, en quoi la régularité de la convocation pourrait constituer un trouble manifestement illicite alors que l'intéressée - Madame Y... - ne l'a pas invoquée ;
Considérant qu'il résulte des articles 11 (susvisé) et 14 des statuts que le directeur général unique, qui exerce les fonctions du directoire, doit être un actionnaire ;
Considérant que sont communiqués quatre contrats de prêt de consommation "par lesquels le prêteur a remis à Monsieur de F... quatre actions à titre de prêt" (articles 1892, 1893 et 1902 du code civil) dans les conditions suivantes :
action
prêteur
date
1
1
1
1
Mme Sylvie E...
Mme G... BLUM
Mme Laurence E...
Mme Nadine E...
janvier 2007
16 janvier 2007
16 janvier 2007
16 janvier 2007
Considérant que selon l'article L.228-1 alinéa 9 du code de commerce "le transfert de propriété (des valeurs mobilières) résulte de l'inscription des valeurs mobilières au compte de l'acheteur, alors que l'article 11 1/ des statuts prévoit que la propriété résulte de leur inscription au nom du titulaire sur les comptes et registres tenus à cet effet au siège social" ; que n'est pas applicable au cas d'espèce, ni l'article L.225-25 du même code placé dans la sous-section consacrée aux sociétés anonymes munies d'un conseil d'administration et non pas dans la sous-section réservée aux sociétés anonymes munies d'un directoire et d'un conseil de surveillance, ni l'article L.225-72 réservé aux membres du conseil de surveillance, et ni encore l'article L.239-2 consacré aux locations d'action ;
Considérant qu'il résulte d'un constat d'huissier du 26 janvier 2007, que ni "le registre des mouvements de titres", ni le compte d'actionnaire, de VERNIS, ne comportent la mention du transfert de propriété des quatre actions qui auraient donné à Monsieur de F... la qualité d'actionnaire et qui lui auraient permis d'être régulièrement désigné et par là même d'envoyer la lettre de licenciement litigieuse ;
Considérant que la demande de Monsieur Y... tendant à ce que la nomination de Monsieur de F... lui soit inopposable, constitue la mesure de "remise en état" que le juge des référés peut prendre pour faire cesser le trouble manifestement illicite susvisé ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur Y... les frais non compris dans dépens ; qu'il y a lieu de lui accorder à ce titre la somme visée dans le dispositif ;
PAR CES MOTIFS
Infirme l'ordonnance entreprise ;
Statuant à nouveau :
Déclare inopposable à Monsieur Y... la nomination de Monsieur de F... à la fonction de directeur général unique (de la SA VERNIS SOUDEE) ayant envoyé la lettre de licenciement dudit Claude Y... directeur technique et financier ;
Condamne Maître Marie Dominique du D... agissant en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société VERNIS SOUDEE à payer à Monsieur Claude Y... 1500 € au titre de l'article 700 du CPC ;
Condamne Maître Marie Dominique du D... aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du CPC.