ADLC, 9 janvier 2023, n° 23-DEX-01
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
relative à la création d’une entreprise commune de plein exercice entre les sociétés Select Service Partner et Aéroports de Paris
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé au service des concentrations le 28 octobre 2022, déclaré complet le 28 novembre 2022, relatif à la création d’une entreprise commune de plein exercice entre les sociétés Select Service Partner et Aéroports de Paris, formalisée par un contrat de cession des actions et des droits de vote de la société Extime Food & Beverage Paris du 4 novembre 2021 ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par les parties notifiantes au cours de l’instruction ; Vu les autres pièces du dossier ;
Adopte la décision suivante :
1. Aéroports de Paris SA (ci-après « ADP ») est une société anonyme contrôlée par l’État français. Aux termes de l’article L. 6323-2 du code des transports, ADP est chargée d’aménager, d’exploiter et de développer un ensemble d’installations aéroportuaires dans la région Île-de-France (principalement Paris-Charles de Gaulle, ci-après « Paris-CDG », Paris- Orly et Paris-Le Bourget). Le groupe ADP exploite 28 aéroports dans le monde. ADP est active sur l’ensemble de la chaîne de valeur des aéroports, depuis les études préalables aux aménagements des infrastructures jusqu’à leur exploitation. Elle met notamment ses infrastructures à la disposition des compagnies aériennes pour que ces dernières puissent assurer leurs activités (entre autres le décollage et l’atterrissage des avions, l’accueil des passagers et le traitement des bagages). ADP assure des missions de service public aéroportuaire, qui donnent lieu au versement de redevances, des prestations de sûreté et de sécurité et gère les parcs et accès routiers aux aéroports. Elle exploite également des emplacements commerciaux (boutiques et restaurants) situés dans les aéroports dont elle à la charge.
2. Select Service Partner SAS (ci-après « SSP ») est une filiale à 100 % de SSP France Financing, elle-même exclusivement détenue par SSP Group PLC. Le groupe SSP a pour activité principale la restauration commerciale, notamment dans les infrastructures de transports. Elle est ainsi active dans les aéroports (en France à Marseille, Nice, Nantes, Bordeaux, Lyon, Paris-CDG et Paris-Orly), dans les gares (notamment, en France, la gare de Lyon et la gare Montparnasse), sur les aires d’autoroutes et dans le métro parisien.
3. ADP et SSP contrôlent conjointement la société Epigo, société créée en 2015 et qui exploite des points de vente de restauration au sein de l’aéroport de Paris-CDG.
4. Extime Food & Beverage Paris anciennement BTA France (ci-après « Extime ») est, antérieurement à l’opération, une filiale à 100 % de la société Extime Food & Beverage, elle-même filiale à 100 % du groupe ADP. Elle a, à ce jour, pour activité la gestion de points de vente de restauration sur l’aéroport de Paris-Orly.
5. L’opération s’articule en différentes étapes. Dans un premier temps, il est prévu que SSP procède à l’acquisition de 50 % du capital et des droits de vote d’Extime, étant précisé qu’ADP a effectué un appel d’offres pour l’attribution de cette participation à l’issue duquel la société SSP a été retenue1.
6. Dans un second temps, deux contrats de concession entre ADP et l’entreprise commune seront conclus : ils attribueront à cette dernière un droit d’exploitation sur 77 points de vente de restauration à Paris-CDG et sur 32 points de vente à Paris-Orly. L’attribution des droits d’exploitation sera progressive, dans la mesure où, si certaines surfaces sont nouvelles, d’autres sont actuellement exploitées soit par des tiers, soit par ADP, soit par Epigo, soit par SSP. À terme, Extime gérera la quasi-totalité des points de restauration de chacun de ces aéroports.
7. Ce partenariat entre ADP et SSP est conclu pour une durée comprise entre 10 et 15 ans. En effet, les conventions d’autorisation d’activité sur les aéroports de Paris-CDG et de Paris-Orly signées entre ADP et Extime, à la suite de l’appel d’offres remporté par SSP, prendront fin au plus tôt le 31 janvier 2033. Extime pourra bénéficier d’un renouvellement de ces conventions pour une durée de 60 mois maximum, selon des critères de qualité de service ou de performance économique.
8. À l’issue de l’opération, Extime sera contrôlée conjointement par ADP et SSP. En effet, en sus de détenir chacune 50 % du capital de la société, ADP et SSP seront paritairement représentées au sein d’un conseil composé de huit membres, en charge notamment de l’approbation des orientations et des plans stratégiques de la société, de ses plans d’affaires et de ses projets d’investissements ainsi que de la révocation du président et du directeur général de la société. Les décisions du conseil seront prises à la majorité des cinq-sixièmes. Ainsi, compte tenu des règles de vote, ces décisions stratégiques ne pourront être adoptées qu’avec l’accord de représentants des deux sociétés-mères. De plus, le président et le directeur général d’Extime seront désignés par ADP, après l’accord de SSP. Compte tenu de ces éléments, ADP et SSP exerceront donc, conjointement, une influence déterminante sur Extime.
9. L’opération se traduit donc par la création d’une entreprise commune, Extime, entre ADP et SSP, à laquelle les mères apportent des actifs qu’elles détenaient auparavant.
10. En l’espèce, Extime est une entreprise de plein exercice. En effet, elle a un caractère durable, puisque le partenariat qu’elle formalise a vocation à perdurer entre 10 et 15 ans. De plus, elle accomplit toutes les fonctions d’une entité économique autonome afin d’opérer de façon indépendante sur le marché. Elle dispose d’une autonomie fonctionnelle et financière, puisqu’elle emploie son propre personnel, a des ressources propres et sera seule responsable de sa politique commerciale et d’achat. Elle sera notamment titulaire des contrats de franchise qui lui permettront de déployer son activité de restauration commerciale. En outre, Extime disposera de son propre accès au marché puisqu’elle continuera d’exploiter les espaces de restauration commerciale au sein de l’aéroport de Paris-Orly. Les deux contrats de concession qui seront conclus entre Extime et ADP dans le cadre de l’opération lui permettront d’accroître cet accès au marché, puisqu’ils conduiront l’entreprise commune à exploiter d’autres espaces de restauration commerciale au sein des aéroports de Paris-Orly et de Paris-CDG.
11. En ce qu’elle se traduit par la création d’une entreprise commune de plein exercice entre ADP et SSP, l’opération constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.
12. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffres d’affaires hors taxes total sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (ADP : environ 2,8 milliards d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2021 dont 2,1 milliards au sein de l’Union européenne ; SSP : 974 millions d’euros pour l’exercice clos le 30 septembre 2021 dont 381 millions au sein de l’Union européenne). Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (ADP : environ 2,1 milliards d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2021 ; SSP : 83,3 millions d’euros pour l’exercice clos le 30 septembre 2021). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne2. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
13. ADP et SSP sont présents sur les marchés de la restauration de concession et de la restauration commerciale.
14. S’agissant du marché de la restauration de concession, les autorités française et européenne de concurrence définissent la restauration de concession comme l’activité qui consiste à fournir un service de restauration dans des zones affectées principalement à une autre activité : le transport (aéroport, gares, etc.), les loisirs ou le sport (musées, cinémas, parcs d’attraction, stades, etc.), le commerce de détail (galeries marchandes, grands magasins, etc.) et autres lieux dits publics3. La restauration de concession se caractérise par le fait que le prestataire verse une rémunération au concédant en contrepartie du droit d’exploiter pour son propre compte une partie de la zone concédée4.
15. La Commission européenne (ci-après « la Commission ») a également analysé, tout en laissant la question ouverte, un marché de la restauration de concession limitée aux aéroports5.
16. Le test de marché conduit dans le cadre de l’instruction identifie un marché de la restauration de concession spécifique au secteur des transports. En particulier, SSP et ses concurrents ne sont que très marginalement présents sur les autres secteurs tels que les loisirs ou le commerce de détail.
17. De plus, les réponses au test de marché ne permettent pas d’exclure l’existence d’un marché de la restauration de concession limitée aux aéroports. En effet, l’exploitation des points de restauration dans les aéroports présente des spécificités propres telles que l’existence d’un encadrement juridique plus contraignant se traduisant par la soumission des personnels et des marchandises à de lourds contrôles. Il apparaît en outre que l’offre pour ce type de restauration est plus limitée que pour les autres secteurs du transport. Alors que SSP, Areas, Lagardère et Sighor sont actifs sur le marché de la restauration de concession dans les lieux de transport, l’offre au sein des aéroports est organisée principalement autour de deux acteurs, SSP et Areas. En effet, Sighor n’est pas actif sur ce marché et Lagardère n’y est présent que de façon marginale.
18. S’agissant du marché géographique, les autorités de concurrence ont envisagé une dimension nationale du marché de la restauration de concession, notamment en raison des différences dans les réglementations (marchés publics et droit du travail), des préférences nationales (en termes de qualité et de prix) et des différences alimentaires nationales6.
19. La Commission a également envisagé, tout en laissant la question ouverte, un marché de dimension européenne, voire mondiale, dans la mesure où la plupart des concessions sont soumises à des appels d’offres ou à des procédures de négociation de gré à gré ouvertes à des opérateurs internationaux7.
20. En l’espèce, les résultats de l’enquête de marché ne permettent pas de conclure sur la dimension géographique du marché. Les opérateurs concurrents, tout comme les gestionnaires d’aéroports, sont partagés à égalité entre une délimitation nationale et supranationale du marché.
21. ADP, en tant que gestionnaire de ses infrastructures aéroportuaires, est présent sur le marché de la restauration de concession au sein des aéroports en tant que demandeur, tandis que SSP y est actif en tant qu’offreur.
22. Or, sur un éventuel marché français de la restauration de concession au sein des aéroports, la part de marché d’ADP en tant qu’acheteur s’élève à 40 %. Il y a donc lieu d’analyser si l’opération induit un risque d’exclusion des opérateurs concurrents de SSP du marché de la restauration de concession dans les aéroports au niveau national.
23. À cet égard, les parties notifiantes font valoir que tout risque d’atteinte à la concurrence sur ce marché peut être écarté dans la mesure où la concurrence demeurera stimulée par le biais des procédures d’appels d’offres, puisque, à l’expiration de l’autorisation d’activité, qui n’est que temporaire (10 à 15 ans), ADP procédera à une remise en concurrence des actions de l’entreprise commune détenues par SSP. Elles estiment en outre que le mode de gestion des points de vente détenus par ADP n’octroie pas d’avantages concurrentiels à SSP pour candidater dans d’autres aéroports nationaux. En tout état de cause, elles considèrent que le marché doit être analysé au moins au niveau européen.
24. Toutefois, l’opération, qui conférera à terme à Extime la gestion de la quasi-totalité des espaces de restauration des deux plus grands aéroports français, est susceptible de conférer à SSP un avantage concurrentiel significatif sur ce marché. En effet, elle lui permet d’acquérir un niveau de compétence et d’expérience dans la gestion des ce type d’espaces qui pourrait lui permettre d’être systématiquement le meilleur dans les appels d’offres lancés par ADP ou par les autres aéroports français.
25. Il résulte de ce qui précède qu’au terme de l’examen prévu au I de l’article L. 430-5 du code de commerce, l’Autorité considère qu’il subsiste un doute sérieux d'atteinte à la concurrence sur le marché français de la restauration de concession en aéroport.
26. S’agissant de l’activité aval de restauration commerciale au sein des aéroports, celle-ci n’a jamais été analysée par les autorités de concurrence française et européenne. En revanche, la Commission européenne a déjà envisagé l’existence d’un marché des services de restauration sur les aires d’autoroutes, en raison de spécificités liées tant à la demande (consommateur captif) qu’à l’offre (importance des services accessoires, horaires d’ouverture et réglementation)8. Or, ces contraintes existent également pour les services de restauration en aéroports : ils sont en effet offerts à une clientèle qui, une fois passés les contrôles de sécurité, est captive. En outre, les opérateurs actifs sur ce marché en tant qu’offreurs sont soumis à des contraintes particulières, notamment en termes d’horaires d’ouverture et d’approvisionnement, pour lequel une certification du matériel et des denrées est nécessaire en zone réservée. À l’issue de la première phase d’examen, l’Autorité ne dispose pas de suffisamment d’informations pour déterminer s’il existe un marché distinct de la restauration commerciale au sein des aéroports, qui serait défini au niveau de l’aéroport, voire, compte tenu notamment de l’éloignement entre les terminaux et des contraintes liées aux contrôles des passagers, au niveau du terminal.
27. En tout état de cause, les autorités de concurrence nationales et européennes identifient de façon constante un marché de la restauration commerciale, au sein duquel elles distinguent (i) le marché de la restauration rapide à bas prix (qui comprend les « fast-foods », les « self-services » et la vente à emporter/livraison à domicile) et (ii) celui de la restauration plus sophistiquée incluant, notamment, un service à table9.
28. En outre, la Commission10 a envisagé de retenir un marché de la restauration « sur le pouce » comprenant les établissements de restauration rapide (appartenant à une chaîne ou indépendants), les pizzerias, les cafés, les « coffee shops », les sandwicheries et les enseignes de vente à emporter et de livraison à domicile. Tout en laissant la question ouverte, elle a également distingué les restaurants appartenant à une chaîne et les indépendants et a envisagé l’existence d’un marché distinct de la restauration rapide pratiquant la livraison à domicile ou la vente à emporter.
29. S’agissant du marché géographique, la pratique décisionnelle considère que la concurrence sur le marché de la restauration commerciale s’exerce au niveau local. Elle a ainsi retenu des zones de chalandise de 10 minutes à pied pour les restaurants situés à Paris et dans les dix villes les plus peuplées de France, de 10 minutes en voiture pour les restaurants situés dans le reste de la France (hors Corse) et de trente minutes en voiture pour les restaurants situés en Corse11. Or, compte tenu du temps de trajet, à pied, nécessaire pour se déplacer au sein d’un aéroport, voire, pour certains grands aéroports tels que ceux concernés par l’opération, au sein d’un même terminal, la dimension géographique du marché de la restauration commerciale pour les points de restauration concernés par l’opération s’étend, au maximum, à l’aéroport de Paris-Orly d’une part, et à l’aéroport Paris-CDG d’autre part, sans qu’une dimension géographique plus restreinte, au niveau des terminaux, ne puisse être exclue.
30. En l’espèce, compte tenu des éléments qui viennent d’être exposés, l’analyse des effets de l’opération s’agissant de l’activité de restauration commerciale a été menée au sein de l’aéroport de Paris-Orly, d’une part, et de Paris-CDG, d’autre part.
31. Or, au sein de chacun des deux aéroports, l’opération a pour conséquence de conférer, à terme, à l’entreprise commune un quasi-monopole sur les services de restauration d’ADP pour toute la durée des conventions d’autorisation d’activité12. Au contraire, en 2021, au moment de l’appel d’offres pour la création d’Extime*, les espaces de restauration d’ADP étaient gérés, outre ADP et ses filiales (Extime, Epigo), par trois opérateurs* : SSP *, Areas * et Lagardère
*. L’opération induit donc le passage, à terme, d’une situation de concurrence à une situation de quasi-monopole sur chacun de ces deux marchés.
32. Dans ce contexte, l’opération génère un risque de hausse de prix ou de baisse de la qualité des prestations de restauration au détriment des consommateurs, ainsi qu’un risque de baisse de la diversité de l’offre. Il convient à cet égard de noter qu’il ne peut pas être exclu qu’une dégradation de la situation concurrentielle se concrétise dès la réalisation de l’opération13*, et avant même le transfert de l’intégralité des points de vente concernés par l’appel d’offres, en 2033. En effet, sur le marché aval, Extime et Epigo, entreprises communes toutes deux contrôlées par ADP et SSP, disposeront d’une part de marché supérieure à [60-70] % en valeur et [70-80] % en nombre de points de vente au sein de l’aéroport Paris-CDG, et de [70-80] % en valeur et [70-80] % en nombre de points de vente sur ce même marché au sein de l’aéroport Paris-Orly14 . Cette part de marché va progressivement augmenter pendant l’exécution du contrat pour s’élever, en 2032*, à respectivement [80-90] % et [80-90] % au sein de l’aéroport Paris-CDG et [80-90] % et [90-100] %* au sein de l’aéroport Paris-Orly.
33. Au surplus, l’opération conduira à réduire les débouchés possibles pour les franchiseurs actifs dans le secteur de la restauration commerciale. Ces derniers ne disposeront en effet, à terme, plus que d’un interlocuteur pour accéder aux espaces de restauration des deux plus grands aéroports français.
34. Les parties notifiantes estiment que, malgré la quasi-monopolisation des activités de restauration commerciale au sein d’une unique entité, co-contrôlée par ADP et SSP, l’opération ne soulève pas de problème de concurrence. Elles affirment notamment qu’en l’absence de création de l’entreprise commune, ADP aurait, à terme, internalisé l’activité d’exploitation de la quasi-totalité des points de restauration des aéroports pour l’exploiter de manière autonome afin de renforcer la performance de son offre de restauration, qui serait indispensable pour améliorer l’attractivité des aéroports d’ADP. Elles estiment en outre que les espaces de restauration situés dans les aéroports de Paris-Orly et de Paris-CDG sont en concurrence avec d’autres modes de restauration (notamment, les points de restauration situés dans le centre de Paris et à proximité immédiate des aéroports et la restauration dans les avions).
35. Toutefois, les parties notifiantes n’ont pas apporté suffisamment d’éléments de nature à permettre de conclure qu’en l’absence de l’opération, ADP aurait repris seule la gestion des espaces de restauration commerciale de ses aéroports. En effet, ADP n’a pas été en mesure d’identifier précisément un aéroport européen ayant adopté un modèle de fonctionnement similaire (le seul exemple cité par les parties notifiantes est situé aux États-Unis). Par ailleurs, les éléments communiqués par les parties afin de démontrer l’importance de l’offre de restauration dans le choix des compagnies aériennes de s’établir au sein des aéroports parisiens d’ADP sont très parcellaires. ADP n’a fourni qu’une seule présentation promotionnelle dans laquelle un tel argument aurait été mis en avant, parmi de nombreux autres éléments (notamment proximité de Paris et facilité d’accès, applications informatiques destinées à faciliter l’accueil des passagers, correspondances). Au contraire, si comme indiqué par les parties notifiantes, les aéroports doivent être considérés comme un marché biface, il ne peut pas être exclu que la hausse de prix engendrée par la quasi-monopolisation de l’activité de restauration au sein des aéroports d’ADP permette à cette dernière de financer une baisse de ses redevances aéroportuaires, ce qui la rendrait plus attractive pour les compagnies aériennes.
36. Au surplus, à supposer qu’un tel scénario contrefactuel puisse être considéré comme crédible, il n’est pas établi, à ce stade, qu’une situation dans laquelle ADP serait le seul gestionnaire des espaces de restauration ne serait pas moins dommageable pour les consommateurs qu’une situation dans laquelle ces espaces seraient gérés conjointement par ADP et SSP, les incitations des deux sociétés-mères d’Extime n’étant pas nécessairement alignées. Il n’est donc pas établi que la situation créée par l’opération ne serait pas plus dommageable que le scénario contrefactuel allégué par les parties.
37. Dans un tel contexte, le scenario contrefactuel proposé par les parties notifiantes n’apparaît pas pouvoir écarter tout doute raisonnable quant aux effets de l’opération sur le marché de la restauration commerciale.
38. Pour ce qui concerne la concurrence des autres lieux de restauration, ainsi qu’il a été rappelé précédemment, l’Autorité considère que le marché des services en aéroport est limité à l’aéroport concerné et à son environnement immédiat. Au surplus, une partie de la clientèle des restaurants commerciaux des aéroports est captive, puisqu’elle est uniquement là en escale. Cela représente, selon les informations communiquées par ADP, plus de 40 % de la clientèle des aéroports de Paris-Orly et de Paris-CDG.
39. Ainsi, au terme de l’examen prévu au I de l’article L. 430-5 du code de commerce, l’Autorité considère qu’il subsiste un doute sérieux d’atteinte à la concurrence résultant de l’opération sur les marchés de la restauration de concession et de la restauration commerciale.
40. Compte tenu de l’ensemble des éléments qui précèdent, il y a lieu d’engager un examen approfondi de la création d’une entreprise commune entre ADP et SSP, en application du III de l’article L. 430-5 du code de commerce.
DÉCIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 21-234 est soumise à un examen approfondi dans les conditions prévues à l’article L. 430-6 du code de commerce.
NOTES
1 L’appel d’offres a été organisé par ADP en mars 2021. La société SSP a été retenue en juillet 2021 pour entrer au capital de la société BTA France SA, devenue Extime Food & Beverage Paris SAS depuis le 1er septembre 2021.
2 Au sein de l’Union européenne, ADP réalise un chiffre d’affaires supérieur à 25 millions d’euros uniquement en France.
3 Voir, par exemple, la lettre n° C2007-69 du ministre de l’économie, des finances et de l’emploi du 13 juin 2007 aux conseils de la société Avenance, relative à une concentration dans le secteur de la restauration collective et la décision de la Commission européenne du 10 août 2007, n° COMP/M.4762 – Autogrill / Ampha Airports Group.
4 Voir la lettre du ministre n° C2007-69 précitée.
5 Voir la décision n° COMP/M.4762 – Autogrill / Ampha Airports Group, précitée.
6 Voir les décisions de la Commission COMP/M.3728 – Autogrill / Altadis / Aldesa du 23 mars 2005, COMP/M.8894 – ACS / Hochtief / Atlantia / Albertis Infraestructuras du 6 juillet 2018, et les lettres du ministre en date du 3 septembre 2002 relative à une concentration dans les secteurs de la restauration collective et de la restauration de concession et du 13 juin 2007 précitée.
7 Voir les décisions de la Commission COMP/M.1972 – Granada / Compass du 29 juin 2000, COMP/M.2373 – Compass / Selecta du 8 mai 2001, COMP/M.8894 précitée et la lettre du ministre en date du 3 septembre 2002 précitée.
8 Voir notamment la décision de la Commission européenne M.8536 – Atlantia/Abertis Infraestructuras du 13 octobre 2017.
9 Voir par exemple la décision de l’Autorité n° 17-DCC-63 du 23 mai 2017 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Financière Flo par le Groupe Bertrand, ainsi que les décisions de la Commission européenne COMP/M.4220 – Food Service Project/Tele Pizza du 6 juin 2006 et COMP/M.2490 – TPG Advisors/Goldman Sachs/Bain Capital Investors/Burger King du 11 octobre 2002.
10 Décision de la Commission européenne COMP/M.6895 3G Special situations fund III/Berkshire Hathaway/H.
J. Heinz company du 31 mai 2013.
11 Voir notamment la décision n° 18-DCC-172 du 18 octobre 2018 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Sushi Shop Group par la société AmRest Holdings.
12 L’inclusion des points de restauration situés dans l’environnement immédiat des deux aéroports ne modifie que marginalement cette part de marché, puisque cela ne concernerait qu’un nombre très limité de points de vente.
13 Dans l’hypothèse où celle-ci serait réalisée courant 2023.
14 Ces parts de marché n’intègrent pas l’activité d’ADP via l’entreprise commune Relay@ADP, co-contrôlée avec Lagardère.
* Rectification d’erreur matérielle.