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Décisions

Cass. com., 9 janvier 2019, n° 16-23.675

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Avocats :

SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, SCP Ohl et Vexliard, SCP Ortscheidt, SCP Piwnica et Molinié, SCP Spinosi et Sureau

Paris, du 1er juill. 2016

1 juillet 2016

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er juillet 2016), statuant sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 30 mars 2010, pourvoi n° 08-17.841), que du mois de mai au mois d'octobre 1996, la Commission bancaire a procédé à l'inspection du Crédit martiniquais et de son actionnaire principal, la société Cofidom ; que deux rapports ont été déposés le 24 octobre 1996, concluant au constat d'une situation financière totalement obérée en raison d'une insuffisance considérable des provisions nécessaires pour couvrir les risques de pertes sur les dossiers de crédit compromis ; que, par une lettre du 30 septembre 1999, le président de la Commission bancaire a proposé au Fonds de garantie des dépôts (le Fonds) qui venait d'être créé par une loi du 25 juin 1999, insérant les articles 52.1 et suivants dans la loi du 24 janvier 1984, devenus les articles L. 312-4 et suivants du code monétaire et financier, d'intervenir à titre préventif pour le Crédit martiniquais ; que dans le cadre du plan qu'il a proposé et qui a été approuvé par les actionnaires du Crédit martiniquais, le Fonds a versé les 12 et 14 janvier 2000 à ce dernier, désormais dénommé Financière du forum, la somme de [...] francs (246 052 713,82 euros), dont [...] francs (210 684 541,82 euros) pour couvrir l'insuffisance d'actifs ; que, par assignation des 16, 17 et 18 mai 2000, le Fonds a engagé, sur le fondement de l'article L. 312-6 du code monétaire et financier, une procédure aux fins d'être remboursé des sommes engagées, diminuées de celles recouvrées, en dirigeant son action en responsabilité contre les anciens dirigeants du Crédit martiniquais et des personnes qui, selon lui, avaient contribué de façon fautive et délibérée à l'avènement de la situation gravement obérée et notamment les commissaires aux comptes ; que la société Financière du forum ayant été mise en liquidation judiciaire, son liquidateur est intervenu à l'instance ;

Sur le premier moyen :

Attendu que le Fonds de garantie des dépôts et de résolution fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes alors, selon le moyen :

1°/ que le juge a obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; que dans ses conclusions devant la cour d'appel de Versailles, le Fonds faisait valoir que le Crédit martiniquais avait délibérément omis de constituer les provisions nécessaires afin de dissimuler sa situation dégradée, puis obérée ; que, depuis 1991, les bilans et documents comptables du Crédit martiniquais ne correspondaient plus aux exigences formulées par les normes réglementaires relatives à l'établissement de ces documents et que les faits révélés par les rapports de la Commission bancaire caractérisaient des manquements graves, nombreux et répétés aux règles régissant l'activité des établissements de crédit, et notamment les règles applicables en matière de contrôle interne ; qu'en retenant, pour dénier de ce chef toute autorité de chose jugée à l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 3 mai 2007, que les fautes fondant l'action en responsabilité dont elle était saisie, parmi lesquelles précisément le manquement des administrateurs à leurs devoirs en matière de contrôle interne, n'auraient pas été celles qui étaient l'objet de la fin de non-recevoir rejetée par ledit arrêt, telles qu'invoquées dans les conclusions déposées par le Fonds, la cour d'appel, qui a dénaturé ces conclusions par omission, a méconnu le principe ci-dessus visé ;

2°/ qu'en retenant la prescription de l'action dirigée par le Fonds contre les dirigeants de droit du Crédit martiniquais en ce qu'elle reposait sur les fautes qui leur étaient reprochées tant au titre du contrôle interne qu'au titre de l'absence de délibération sur les comptes annuels motifs pris que celles-ci n'auraient pas été dissimulées, puisque le Fonds prétendait en trouver la preuve dans les procès-verbaux du conseil d'administration, cependant que le caractère dommageable des faits dénoncés à ce titre, qui dissimulaient l'insuffisance de provisionnement des créances douteuses et contentieuses, n'avait été révélé que par la découverte de l'insincérité des comptes des exercices 1991 à 1995 dont elle constate elle-même qu'elle était dissimulée, d'où il s'évinçait nécessairement que ces faits dommageables se trouvaient pareillement dissimulés, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 247 de la loi du 24 juillet 1966, devenu l'article L. 225-254 du code de commerce ;

3°/ qu'en cas de dissimulation, le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité est reporté, pour tous les faits ayant, ensemble, contribué à la réalisation du dommage, à la date à laquelle ceux d'entre eux qui ont été dissimulés ont été révélés ; qu'en l'espèce, le Fonds recherchait la responsabilité des dirigeants du Crédit martiniquais pour avoir, par leur action ou leur abstention, ayant consisté à arrêter des comptes annuels non sincères et à s'abstenir de débattre sur ces comptes comme de satisfaire à leurs devoirs au titre du contrôle interne, dissimulé la situation patrimoniale réelle de la banque et ainsi permis la poursuite d'une exploitation déficitaire à l'origine de l'insuffisance d'actif ; qu'à supposer même que, comme elle l'a retenu, les faits reprochés aux administrateurs tant au titre du contrôle interne qu'au titre de l'absence de délibération sur les comptes annuels doivent être considérés comme des faits dommageables non dissimulés, la cour d'appel, en retenant que la prescription de ces faits avait couru, au plus tard, le 2 mai 1996, cependant que ces manquements, ensemble avec l'arrêté des comptes infidèles des exercices 1991 à 1995, avaient produit le dommage et qu'elle constatait que cette insincérité avait été révélée au plus tôt à la date de nomination de l'administrateur provisoire de la Commission bancaire, soit le 20 mai 1997, aurait encore violé l'article 247 de la loi du 24 juillet 1966, devenu l'article L. 225-254 du code de commerce ;

Mais attendu, d'une part, qu'après avoir constaté que certaines des personnes morales et physiques poursuivies soutenaient que les fautes invoquées par le Fonds, dans ses dernières conclusions, étaient distinctes de celles qui avaient été jugées non prescrites par l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 3 mai 2007 et qu'elles en déduisaient que les agissements fautifs nouvellement invoqués n'avaient jamais été dissimulés et étaient en conséquence prescrits, et relevé que le Fonds opposait que cette fin de non-recevoir tirée de la prescription se heurtait à l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt du 3 mai 2007, devenu irrévocable, c'est par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, des conclusions du 21 février 2007 déposées par le Fonds devant la cour d'appel de Versailles, que leur ambiguïté rendait nécessaire, effectuée à la lumière de l'arrêt rendu par cette cour le 3 mai 2007, que la cour d'appel a retenu que les fautes fondant l'action en responsabilité dont elle était saisie n'étaient pas celles qui étaient l'objet de la fin de non-recevoir rejetée par la cour d'appel de Versailles dans son arrêt du 3 mai 2007 ;

Attendu, d'autre part, que la cour d'appel n'a pas retenu que les faits reprochés aux administrateurs au titre des absences de contrôle interne et de délibération sur les comptes annuels auraient, ensemble avec l'arrêté des comptes infidèles des exercices 1991 à 1995, contribué à la réalisation du dommage allégué ; que le moyen qui, en sa troisième branche, postule le contraire, ne peut être accueilli ;

Attendu, enfin, que, selon l'article L. 225-254 du code de commerce, l'action en responsabilité contre les administrateurs se prescrit par trois ans à compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation ; qu'ayant retenu que les fautes reprochées aux administrateurs d'avoir manqué à leurs obligations en matière de contrôle interne et de s'être abstenus de débattre sur les comptes annuels n'étaient pas dissimulées, puisque le Fonds prétendait en trouver la preuve dans les procès-verbaux du conseil d'administration dont il n'est nullement allégué qu'ils avaient été dissimulés, c'est à bon droit, et sans avoir à prendre en compte la date à laquelle le dommage a été connu, que la cour d'appel a décidé que la prescription avait couru à partir, au plus tard, du 2 mai 1996, date du conseil d'administration ayant arrêté les comptes du dernier exercice en cause et qu'elle était acquise le 2 mai 1999 ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les deuxième et troisième moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.