CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 6 avril 2018, n° 17/01312
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
STOREVER FRANCE (SAS), MUSICMATIC (SA), JAMENDO (SA)
Défendeur :
TAPIS SAINT MACLOU (SA), Société POUR LA PERCEPTION DE LA REMUNERATION EQUITABLE DE LA COMMUNICATION AU PUBLIC DES PHONOGRAMMES DU COMMERCE (SPRE), Société DES AUTEURS COMPOSITEURS ET EDITEURS DE MUSIQUE (SACEM)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Colette PERRIN
Conseillers :
Mme Véronique RENARD, Mme Laurence LEHMANN
Avocats :
Me Laurence T.-B., Me Lucie W., Me Annabelle L., SCP G.-B., Me Sandrine M., SELARL I. & T., Me Jean M., SCP JEANNE B., Cabinet M.
La société Tapis Saint Maclou exploite une chaîne de magasins qui proposent à la vente des produits de revêtement de sols et de décoration d'intérieur.
La société de droit luxembourgeois Jamendo, dont l'actionnaire majoritaire est la société belge Musicmatic SA, se présente comme une plate-forme de distribution en ligne d'oeuvres musicales, fournissant divers services aux artistes, utlisateurs et entreprises qui interagissent entre eux via ses sites web..
La société Musicmatic France, filiale de la société belge Musicmatic SAS, devenue la société Storever France (ci-après la société Musimatic France) propose des solutions digitales audios, vidéos et mobiles pour les réseaux de points de ventes et notamment de diffuser de la musique « libre de redevances » provenant du catalogue de la société Jamendo.
La Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique (ci-après la SACEM), est une société de gestion collective dont l'objet social est notamment de percevoir les redevances de droits d'auteur en raison de l'exploitation des œuvres relevant de son répertoire.
La Société pour la Perception de la Rémunération Équitable de la Communication au Public des Phonogrammes du Commerce (ci-après la SPRE) est une société civile de gestion collective chargée de percevoir, sous le contrôle du Ministère de la Culture, la rémunération due aux artistes interprètes et aux producteurs de phonogrammes au titre de l'article L. 214-1 du Code de la propriété intellectuelle. Elle redistribue les sommes collectées entre les sociétés de gestion collective représentant les artistes interprètes (ADAMI et SPEDIDAM) et celles représentant les producteurs (SCPP et SPPF).
La SPRE a confié mandat à la SACEM de procéder à la facturation de cette rémunération pour les lieux sonorisés, catégorie dont relèvent les magasins de la société Tapis Saint Maclou.
Les sociétés de gestion collective ADEMI et SPEDIDAM sont chargées du reversement de ces rémunérations à leurs bénéficiaires.
Par contrat du 5 février 2009, la société Musicmatic France s'est engagée à mettre à la disposition de la société Tapis Saint Maclou des « players MM BOX », pour une période de vingt quatre mois à compter du 1er mars 2009, renouvelable automatiquement à chaque échéance pour une période d'un an; il était stipulé que les titres ou musiques mis à disposition étaient libres de tous droits de diffusion.
Le 22 mars 2013, la SACEM, pour le compte de la SPRE, a demandé paiement à la société Tapis Saint Maclou de la somme de 117 826,82 euros au titre de la rémunération équitable instituée par l'article L. 214-1 du Code de la propriété intellectuelle.
Par courrier du 10 avril 2013, la société Tapis Saint Maclou a mis en demeure la société Musicmatic France de justifier du règlement de la rémunération équitable depuis 2009 ou, à défaut, de lui payer la somme de 117 826,82 euros.
Par lettre du 21 novembre 2013, la société Tapis Saint Maclou a notifié à la société Musicmatic France la résiliation du contrat du 5 février 2009 à la date d'échéance prévue en respectant un préavis de trois mois, le contrat devant prendre fin le 28 février 2014.
Ayant reçu le 5 décembre 2013 un courrier recommandé de la SPRE, intitulé «Dernier avis avant contentieux », lui demandant de régler la somme de 117 826,82 euros concernant la période courant du 15 avril 2009 au 31 décembre 2013, la société Tapis Saint Maclou a, par acte du 25 février 2014, assigné la société Musicmatic France afin de faire constater la résiliation du contrat pour faute et mettre en jeu la garantie due au titre du contrat, ainsi que la SPRE et la SACEM en déclaration de jugement commun.
Les sociétés Musicmatic SA et Jamendo sont intervenues volontairement à la présente procédure.
Par mémoire du 4 septembre 2014, les sociétés Musicmatic France, Musicmatic SA et Jamendo ont soulevé une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l'article L214-1 du Code de la propriété intellectuelle, question qui, par jugement du 6 mars 2015, a été écartée comme étant dépourvue de caractère sérieux.
Par jugement contradictoire en date du 18 novembre 2016, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Paris a :
- déclaré recevables les interventions volontaires de la société Musicmatic SA et de la société Jamendo SA ;
- dit n'y avoir lieu à renvoi des questions préjudicielles devant la Cour de justice de l'Union européenne ;
- condamné la société Tapis Saint Maclou à payer à la SPRE la somme de 117 826,82 euros avec intérêts au taux légal sur la somme de 93 464,29 euros à compter du 16 mai 2013, date de la mise en demeure, puis pour le surplus à compter du 5 décembre 2013 ;
- ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière à compter du 5 décembre 2013 conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil ;
- prononcé la résolution du contrat conclu le 5 février 2009 entre la société Tapis Saint Maclou et la société Musicmatic France aux torts de cette dernière ;
- condamné in solidum la société Tapis Saint Maclou, la société Musicmatic France, la société Musicmatic SA et la société Jamendo SA à payer à la SPRE la somme globale de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné la société Tapis Saint Maclou à payer à la SACEM, la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné la société Musicmatic France à garantir la société Tapis Saint-Maclou pour le paiement de l'intégralité des condamnations prononcées par le présent jugement contre cette dernière ;
- condamné la société Musicmatic France, la société Musicmatic SA et la société Jamendo SA à payer à la société Tapis Saint Maclou la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné in solidum la société Tapis Saint Maclou, la société Musicmatic France, la société Musicmatic SA et la société Jamendo SA aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Les sociétés SAS Musicmatic France, Musicmatic SA, Jamendo SA ont interjeté appel de cette décision le 16 janvier 2017.
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 26 janvier 2018 , les sociétés SAS Musicmatic France, Musicmatic et SA, Jamendo SA demandent à la cour d'appel de Paris , au visa des articles 214-1 et 214-5 du Code de la propriété intellectuelle, 1103 et 1104 du Code civil, de :
- les recevoir en leur appel et les y déclarer bien fondées,
- déclarer les sociétés Tapis Saint Maclou et SPRE mal fondées en leurs appels incidents, les en débouter ;
en conséquence
- infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 18 novembre 2016 en toutes ses dispositions ;
et statuant à nouveau :
- dire et juger qu'un renvoi préjudiciel devant la CJUE doit être opéré concernant les deux questions préjudicielles soulevées, à savoir :
- question 1 : « les articles 8§2 et/ou 10§2 et 3 de la Directive 2006/115 s'opposent-ils à une disposition nationale d'un État membre tel que l'article L 214-5 CPI en ce qu'il prévoit le principe d'une collecte obligatoire et systématique par une société de gestion collective de la rémunération équitable même pour les artistes-interprètes et/ou producteurs qui ne sont pas membres de cette société de gestion collective ' ».
- question 2 : « les articles 8§2 et/ou 10§3 de la Directive 2005/115 s'opposent-ils à une disposition nationale telle que l'article L 214-5 CPI ayant comme conséquences que les artistes-interprètes et les producteurs concernés qui ne sont pas membres des sociétés de gestion collective visées, mais dont le phonogramme, publié à des fins commerciales, ou une reproduction de ce phonogramme, est utilisé pour une radiodiffusion par le moyen des ondes radioélectriques ou pour une communication quelconque au public, ne reçoivent pas de rémunération équitable car ne se voient pas redistribuer la rémunération pourtant prélevée de manière systématique et obligatoire aux utilisateurs ' » ;
en conséquence :
- transmettre à la CJUE les deux questions préjudicielles telles qu'elles sont libellées dans les présentes conclusions ;
subsidiairement au fond :
- dire et juger qu'il n'y a pas lieu à résiliation du contrat du 5 février 2009 pour faute du chef de Musicmatic SAS ;
en conséquence :
- dire et juger qu'en l'absence de faute de Musicmatic SAS, il n'y a pas lieu de déclencher la garantie à laquelle s'était engagée Musicmatic SAS envers Tapis Saint-Maclou ;
en tout état de cause :
- débouter la SPRE, la SACEM et Tapis Saint Maclou de l'ensemble de leurs demandes à l'encontre de Musicmatic SAS, Musicmatic SA et Jamendo SA;
- condamner la SPRE, la SACEM et Tapis Saint Maclou à leur payer à chacune la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi par maître Laurence T. B. conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 09 juin 2017, la société Saint Maclou, au visa des articles 1134 et 1137 du code civil, L 214-4 du code de la propriété intellectuelle, demande à la cour d'appel de Paris de:
- donner acte à Tapis Saint Maclou qu'elle s'en rapporte quant au renvoi préjudiciel ;
à titre principal, infirmer le jugement et :
- débouter la SPRE et la SACEM de l'ensemble de leurs demandes ;
à titre subsidiaire, confirmer le jugement et :
- constater la résiliation pour faute du contrat en date du 5 février 2009;
- condamner Musicmatic France, Musicmatic SA à garantir Tapis Saint Maclou de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre suite à une réclamation présentée par la SPRE ou la Sacem ;
- les condamner solidairement à lui payer la somme de 15 000€ pour trouble de jouissance ;
- les condamner solidairement, et subsidiairement la Sacem et la SPRE, d'avoir à lui payer une somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens avec faculté de recouvrement direct au profit de la SCP G.B. dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 05 août 2017, la SACEM demande à la cour d'appel de:
- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice ;
- débouter les sociétés Musicmatic SAS, Musicmatic SA, Jamendo et Tapis Saint Maclou de leurs demandes dirigées à l'encontre de la Sacem ;
- condamner les sociétés Musicmatic France, Musicmatic SA, Jamendo et Tapis Saint Maclou à lui payer la somme de 2.500 € euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de la présente instance.
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 janvier 2018 , la S.P.R.E demande à la cour d'appel de Paris de:
en ce qui concerne l'appel principal :
à titre principal sur les questions préjudicielles :
- constater que les appelantes demandent à la Cour de transmettre à la CJUE les questions préjudicielles telles qu'elles sont libellées dans leurs conclusions d'appel,
- constater que les appelantes n'ont formulé aucune question préjudicielle dans leurs conclusions d'appel initiales signifiées dans le délai légal,
en conséquence
- juger que la Cour n'est pas saisie d'une demande de transmission de questions préjudicielles à la CJUE, débouter les appelantes principales.
Subsidiairement, sur le fond des questions préjudicielles
- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 18 novembre 2016, sauf en ce qui concerne le montant de l'article 700 du Code de procédure civile qui lui a été alloué,
en conséquence,
- juger qu'il n'y a pas lieu de déférer à la Cour de Justice de l'Union européenne les demandes de renvoi préjudiciel.
en ce qui concerne l'appel incident :
- juger l'appel incident mal fondé,
en conséquence,
- débouter la société Tapis Saint Maclou de toutes ses demandes à l'encontre de la société SPRE,
- confirmer le jugement entrepris, et dire que les conditions de l'article L.214-1 du CPI sont remplies et la rémunération qu'il prévoit est due;
sur ses demandes reconventionnelles
- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 18 novembre 2016,
- dire recevable la SPRE et la dire bien fondée en ses demandes reconventionnelles,
en conséquence,
- condamner la société Tapis Saint-Maclou à lui payer les sommes dues au titre de la rémunération prévue par l'article L.214-1 du Code de la propriété intellectuelle, soit 117 826,82€TTC au titre de la période du 15 avril 2009 au 31 décembre 2013, en deniers ou quittance, avec intérêts légaux
o sur la somme de 93.464,29 € à compter de la mise en demeure du 16 mai 2013
o sur la somme de 117.826,82 € à compter de la mise en demeure du 5 décembre 2013 et jusqu'à parfait paiement
- ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code civil ;
- débouter les sociétés Musicmatic France SAS, Musicmatic SA et Jamendo de leurs demandes à l'encontre de la SPRE
- condamner in solidum les sociétés Musicmatic France SAS, Musicmatic SA et Jamendo à payer à la SPRE,
et réformant le jugement entrepris sur ce point, fixer à 15.000 € le montant de l'indemnité par application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 01 février 2018 .
La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Sur les demandes de renvoi de questions préjudicielles devant la CJUE
Les appelantes demandent à la cour de soumettre à la CJUE deux questions préjudicielles à savoir :
- question 1 : « les articles 8§2 et/ou 10§2 et 3 de la Directive 2006/115 s'opposent-ils à une disposition nationale d'un État membre tel que l'article L 214-5 du Code de la propriété intellectuelle en ce qu'il prévoit le principe d'une collecte obligatoire et systématique par une société de gestion collective de la rémunération équitable même pour les artistes-interprètes et/ou producteurs qui ne sont pas membres de cette société de gestion collective ' ».
question 2 : « les articles 8§2 et/ou 10§3 de la Directive 2005/115 s'opposent-ils à une disposition nationale telle que l'article L 214-5 du Code de la propriété intellectuelle ayant comme conséquences que les artistes-interprètes et les producteurs concernés qui ne sont pas membres des sociétés de gestion collective visées, mais dont le phonogramme, publié à des fins commerciales, ou une reproduction de ce phonogramme, est utilisé pour une radiodiffusion par le moyen des ondes radioélectriques ou pour une communication quelconque au public ne reçoivent pas de rémunération équitable car ne se voient pas redistribuer la rémunération pourtant prélevée de manière systématique et obligatoire aux utilisateurs ' »
Elles font valoir que les questions posées sont de nature à influencer la résolution du litige, la rémunération équitable constituant le fondement de la faute contractuelle qui est reprochée par la société Tapis Saint Maclou à la société Musicmatic SAS.
La SPRE soutient que les appelantes n'ont formulé dans leurs conclusions initiales aucune demande de questions préjudicielles ou de saisine de la CJUE;
Pour autant, la Cour est saisie par les dernières conclusions des parties, qui contiennent une demande de transmission à la CJUE de deux questions préjudicielles clairement énoncées; en conséquence les appelantes sont recevables en leur demande de transmission de ces deux questions.
L'article 8.2 de la directive 2006/115 dispose que 'Les Etats membres prévoient un droit pour assurer qu'une rémunération équitable et unique est versée par l'utilisateur lorsqu'un phonogramme publié à des fins de commerce ou une reproduction de ce phonogramme est utilisé pour une radiodiffusion par le moyen des ondes radioélecriques ou pour une communication quelconque au public, et pour assurer que cette rémunération est partagée entre les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes concernés, ils peuvent faute d'accord entre les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes, déterminer les conditions de la répartition entre eux de cette rémunération'.
L'article 10§2 et 3 dispose que :
'Sans préjudice du paragraphe 1, tout Etat membre a la faculté de prévoir, en ce qui concerne la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes, des organismes de radiodiffusion et des producteurs des premières fixations de films, des limitations de même nature que celles prévues par la législation concernant la protection du droit d'auteur sur les oeuvres littéraires et artistiques.
Toutefois des licences ne peuvent être prévues que dans la mesure où elles sont compatibles avec la Convention de Rome.
3 Les limitations visées aux paragraphes 1 et 2 ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l'exploitation normale de l'objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire de droit'.
La première question tend à interroger la CJUE afin de savoir si la directive 2006/15 interdit l'instauration par une législation nationale d'un régime de gestion collective obligatoire pour la rémunération prévue à l'article 8.2 de celle-ci.
L'article 8.2 de la directive 2006/115 ne contient pas de dispositions instaurant des modalités impératives sur le mode de perception de la rémunération équitable, laissant dès lors aux Etats membres de l'Union Européenne, la liberté de mettre en œuvre au niveau national le dispositif pour lequel ils auront opté, notamment la gestion collective obligatoire, comme l'a fait la France par la loi du 3 juillet 1985.
L'objectif de la directive précitée est de permettre d'atteindre un équilibre adéquat entre l'intérêt des artistes interprètes ou exécutants et des producteurs de phonogrammes à percevoir une rémunération au titre de la radiodiffusion d'un phonogramme déterminé et l'intérêt des tiers à pouvoir radiodiffuser ce phonogramme dans des conditions raisonnables.
Si le législateur européen avait souhaité qu'une gestion collective de la rémunération pouvait être impérative, il l'aurait explicitement prévu dans la directive 2006/115, comme il l'a fait par exemple dans l'article 9 de la directive 93/83 relative à la coordination de certaines règles du droit d'auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble.
En conséquence, il n'y a pas lieu d'interroger la CJUE sur l'interprétation d'une disposition qui n'existe pas dans la directive à savoir le mode de gestion du droit à rémunération, la demande de renvoi préjudiciel ne pouvant avoir pour objet de demander à la CJUE s'il y a lieu d'ajouter de nouvelles obligations ou interdictions aux Etats membres non prévues par la directive.
De plus, l'article 5 de la directive dispose que 'Les Etats membres peuvent réglementer la question de savoir, et dans quelle mesure, la gestion par les sociétés de gestion collective du droit d'obtenir une rémunération équitable peut être imposée...'. Le législateur européen a ainsi confirmé que la gestion collective obligatoire est compatible avec les objectifs de la directive.
La directive 2014/26 relative à la gestion collective du droit d'auteur et des droits voisins précise au considérant 2 que : 'Il appartient normalement au titulaire de droits de choisir entre la gestion individuelle ou collective de ses droits à moins que les Etats membres n'en disposent autrement conformément au droit de l'Union' et au considérant 12 : 'La présente directive... n'interfère pas avec les dispositifs relatifs à la gestion des droits dans les Etas membres tels que... la gestion collective obligatoire'.
En conséquence, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande des appelantes de saisir la CJUE de la question préjudicielle précitée.
La seconde question a pour objet de savoir si l'article 10 alinéas 2 et 3 de la directive 2006/15 interdirait aux Etats membres d'instaurer un régime de gestion collective de la rémunération prévue à l'article 8.2de la directive qui exclurait du droit à rémunération les titulaires de droits non membres d'une société de gestion collective.
Les appelantes font valoir que l'article L 214-5 du Code de la propriété intellectuelle porte atteinte à l'article 1 du 1er protocole de la CEDH car il limite le droit au respect des biens et de la propriété de manière non proportionnelle et inappropriée ainsi qu'au libre choix des artistes-interprètes/exécutants d'opter pour un mécanisme de collecte individuel, libre choix qui est prévu par la directive. Elles affirment que contrairement à ce qui a été retenu par le jugement, la gestion collective impérative telle que prévue par la loi française constitue une mesure moins protectrice dans la mesure où les non-membres de la SPRE ne perçoivent dans les faits aucune rémunération équitable.
L'article L214-1 du Code de la propriété intellectuelle écarte le droit exclusif de l'artiste interprète et celui du producteur dans l'hypothèse où le phonogramme a été publié à des fins de commerce et prévoit en contrepartie le versement d'une rémunération au profit des artistes interprètes et des producteurs sans poser aucune autre condition et en aucun cas celle d'être 'membres' d'une société de gestion collective.
Si les appelantes soutiennent qu'il résulte de la lecture des statuts de la SPRE que seuls les membres associés sont habilités à percevoir les rémunérations collectés en leur nom et pour leur compte, elles ne précisent pas sur quelle disposition des statuts elles font reposer cette affirmation.
La SPRE produit des attestations émises par les 4 sociétés de gestion collective chargées des reversements qui attestent procèder à des répartitions indépendamment de toute adhésion du bénéficiaire. De plus, ces sociétés sont soumises au contrôle de la Commission permanente de contrôle placée auprès de la Cour des comptes, laquelle s'assure notamment de la légalité de leurs répartitions aux ayants-droits.
L'article 4 de l'objet social de l'ADAMI dispose qu'elle a pour objet 'La perception et la répartition des rémunérations dues aux titulaires de droits qu'elle représente au titre des licences légales telles que la rémunération pour copie privée des prestations fixées sur phonogramme et vidéogramme et la rémunération équitable pour la communication au public des phonogrammes du commerce'
L'article 1 du règlement de l'ADAMI dispose que 'tout candidat doit justifier de son identité et de critères professionnels tout document prouvant une prestation d'artiste interprète ayant fait l'objet d'une fixation au sens de l'article L212-3 du Code de la propriété intellectuelle est admis, notamment un contrat, un bulletin de salaire attachés à une prestation, un bordereau de répartition des droits émanant de la société sous réserve des homonymes possibles'.
Il résulte de ces dispositions qu'il n'est exigé aucune adhésion, mais seulement la justification par l'artiste de sa qualité lui permettant de prétendre à une rémunération .
De même, les statuts de la SPEDIDAM font référence aux 'droits reconnus aux artistes interprètes'et l'article 6 de son règlement vise les ayants droits et bénéficiaires.
Il résulte enfin du rapport moral 2017 de la SPEDIDAM que celle-ci comptait en 2016 , 32 238 associés et qu'elle a réparti des droits à 87 910 bénéficiaires.
Si les appelantes produisent quatre attestations d'artistes interprètes, comme l'ont relevé les premiers juges, celles-ci sont imprécises quant aux revendications et ne démontrent pas en tout état de cause que les artistes concernés auraient formulé une quelconque demande ni auprès de la SRE ni auprès des sociétés chargées de procéder au reversement de sorte qu'ils ne peuvent se pas arguer d'un défaut de versement de redevances qui leur seraient dues .
Au demeurant, si l'existence d'une discrimination était avérée, laquelle peut être invoquée directement par l'auteur devant le juge national, il appartiendrait à celui-ci d'en tirer toutes les conséquences.
Dès lors c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté la demande de question préjudicielle des appelants au titre de cette deuxième question.
Sur la demande en paiement de la SPRE
La société Tapis Saint Maclou ne conteste pas avoir diffusé les phonogrammes, qui sont l'objet des contrats passés avec la société Musicmatic France afin d'animer ses magasins.
L'utilisation de ceux-ci a donc bien été faite à des fins de commerce et relève dès lors des dispositions de l'article L214-1 du Code de la propriété intellectuelle qui met à la charge de l'utilisateur le versement de la rémunération prévue.
La volonté des parties aux conventions Jamendo est impuissante à modifier le champ d'application respectif de la licence légale et des droits exclusifs fixé par l'article L214-1 du Code de la propriété intellectuelle dont l'application est d'ordre public et qui dispose que la rémunération est versée par celui qui effectue les utilisations visées.
En conséquence, c'est à bon droit par des motifs que la cour fait siens que les premiers juges ont dit que la société Tapis Saint Maclou était redevable de la rémunération équitable.
La société Tapis Saint Maclou ne conteste pas le montant retenu par le tribunal soit la somme de 117 826,82€; il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement de cette somme et a ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière à compter du 5 décembre 2013.
Sur la résolution du contrat pour faute
La société Tapis Saint Maclou fait valoir que la société Musicmatic France n'a pas rempli ses obligations dans la mesure où il avait été convenu la fourniture d' oeuvres libres de droits.
La société Musicmatic France ne conteste pas cette obligation mais soutient que l'article L214-1 du Code de la propriété intellectuelle n'était pas applicable et qu'en conséquence elle n'a commis aucune faute.
L'article L214-1 prévoit une rémunération dès lors 'qu'un phonogramme est publié à des fin s de commerce' et met celle-ci à la charge des 'personnes qui utilisent les phonogrammes publiés à des fins de commerce' ; dès lors, les conditions dans lesquelles la société Jamendo permet aux artistes de publier sur sa plate-forme leurs musiques sous licence dite 'créative commons' ne saurait dispenser l'utilisateur des phonogrammes de ses obligations légales.
Les dispositions de l'article L214-1 sont d'ordre public de sorte que l'utilisateur ne peut s'y soustraire et l'artiste renoncer à s'en prévaloir; dès lors en se fondant sur un tel renoncement la société Musicmatic France a trompé son cocontractant sur les droits qu'elle pouvait lui consentir sur les oeuvres en cause.
La société Musicmatic, qui ne pouvait pas même prétendre livrer des musiques libres de droit alors qu'elles étaient destinées à des fins commerciales n'a pas rempli l'obligation à laquelle elle s'était engagée, peu importe qu'elle se soit engagée à garantir la société Tapis Saint Maclou .
En conséquence, c'est à bon droit que les premiers juges ont prononcé la résolution du contrat aux torts de la société Musicmatic France et l'ont condamnée à garantir la société Tapis Saint Maclou des sommes mises à sa charge.
En revanche, comme l'ont retenu les premiers juges la société Tapis Saint Maclou a bien disposé des phonogrammes de sorte qu'elle ne saurait invoquer un trouble de jouissance.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
La SPRE, la SACEM et la société Saint Maclou ayant dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à leur charge, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif.
LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement déféré,
Y ajoutant,
DIT que la société Tapis Saint Maclou exécutera la condamnation à paiement mise à sa charge en deniers ou quittance,
CONDAMNE in solidum la société Musicmatic France SAS devenue Storever France, les sociétés Musicmatic SA et Jamendo à payer à la Société pour la Perception de la Rémunération Équitable de la Communication au Public des Phonogrammes du Commerce (SPRE) la somme de 10 000€ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
CONDAMNE in solidum la société Musicmatic France SAS devenue Storever France, les sociétés Musicmatic SA et Jamendo à payer à la Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique (SACEM) la somme de 2 500€ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
CONDAMNE solidairement la société Musicmatic France SAS devenue Storever France et la société Musicmatic SA à payer à la société Tapis Saint Maclou la somme de 10 000€ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
CONDAMNE solidairement la société Musicmatic France SAS devenue Storever France et la société Musicmatic SA aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.