Cass. 1re civ., 5 décembre 2006, n° 01-17.569
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
Attendu que les émissions radiophoniques produites par la société Europe 1 communication (Europe 1), aux droits de qui se trouve la société Lagardère active broadcast (la société Lagardère), se transmettent en France, depuis ses studios parisiens, par utilisation du satellite Télécom B 2 ; que, selon qu'elles sont diffusées en modulation de fréquence ou en grandes ondes, elles empruntent soit des réémetteurs situés sur le sol national, soit un émetteur situé au-delà de la frontière allemande, conformément à une concession accordée par le Land de Sarre à la Compagnie européenne de radiodiffusion et de télévision Europe1 (CERT), filiale à 99,70 % d'Europe1, dont elle diffuse exclusivement les programmes ; qu'à la suite d'un accord reconduit jusqu'au 31 décembre 1993 entre Europe 1 et la Société pour la perception de la rémunération équitable (SPRE), la redevance due par la première aux artistes-interprètes et producteurs pour l'usage de phonogrammes publiés à fins de commerce a toujours été diminuée de celle versée par la CERT à la société Gesellschaft zurVerwertung von Leistungsschutzrechten (GVL), homologue allemand de la société SPRE ;
qu'en 1996 cette dernière, estimant ces réductions illicites, a assigné en rappel des sommes correspondantes depuis le 1er janvier 1988 Europe 1, qui a fait citer en la cause la CERT et a demandé à être garantie par la société GVL ;
Sur le pourvoi principal de la société Lagardère, pris en la première branche de son premier moyen :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 3 octobre 2001) d'avoir jugé qu'à compter du 1er janvier 1994, la société SPRE était fondée à considérer la société Europe 1 tenue cumulativement de redevances pour l'un et l'autre sites de diffusion, alors, selon le moyen, que la rémunération au profit des artistes-interprètes et producteurs à laquelle ouvrent droit la radiodiffusion de phonogrammes publiés à des fins de commerce, ainsi que la distribution par câbles simultanée et intégrale de cette radiodiffusion à des fins de commerce, doit être équitable et unique ; que la cour d'appel, qui a refusé de déduire du montant des sommes réclamées par la société SPRE à la société Europe 1 le montant des redevances versées par la société CERT, filiale de la société Europe 1, à la société GVL, homologue allemand de la société SPRE, tout en constatant que ces redevances étaient versées à raison de la même utilisation des phonogrammes et en admettant que la désignation d'un seul pays par la directive 93/83/CEE avait pour effet d'éviter un cumul, a violé l'article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle, tel qu'interprété à la lumière de l'article 8,2 de la directive 92/100/CEE du 19 novembre 1992 relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d'auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle et de la directive 93/83/CEE du 27 septembre 1993, précitée ;
Mais attendu que saisie, sur le présent pourvoi, d'un renvoi préjudiciel par la première chambre civile de la Cour de cassation, la Cour de justice des communautés européennes a dit pour droit, par arrêt du 14 juillet 2005, que "dans le cas d'une radiodiffusion telle que celle en cause au principal, la directive 93/83/CEE du conseil, du 27 septembre 1993, relative à la coordination de certaines règles du droit d'auteur et des droits voisins du droit d'auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble, ne s'oppose pas à ce que la redevance pour l'utilisation de phonogrammes soit régie non seulement par la loi de l'Etat membre sur le territoire duquel est établie la société émettrice, mais également par la législation de l'Etat membre dans lequel se situe, pour des raisons techniques, l'émetteur terrestre diffusant ces émissions en direction du premier Etat" ; que par cette réponse, l'arrêt se trouve légalement justifié ;
Et sur les quatre autres branches du même moyen, pareillement exposées et reproduites :
Attendu que l'application des articles L. 217-1 et L. 122-2-1 du code de la propriété intellectuelle à une société française pour la raison d'émissions produites en France ne contrarie en rien son libre établissement au sens de l'article 43 du Traité instituant l'union européenne, et que les programmes diffusés par elle au travers de sa filiale allemande, en ce qu'elles sont des prestations permanentes, ne relèvent pas de la liberté des services posée aux articles 49 et 50 du même Traité ; enfin, que la société SPRE, qui met en oeuvre des dispositions qui s'imposent à elle, ne peut être dite abuser d'une position dominante et méconnaître ainsi les articles 82 du Traité et 1382 du code civil ; que par ces motifs, qui ne sont ni généraux ni de simple affirmation, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Et sur le second moyen du même pourvoi, pris en ses deux branches, pareillement énoncé et reproduit :
Attendu que par motifs propres ou adoptés l'arrêt, qui a débouté la société Lagardère de son action en garantie à l'encontre de la société GVL, a exactement retenu que la société de droit allemand CERT, citée en intervention sans faire l'objet d'aucune demande des parties, avait seule qualité pour agir contre elle au titre des sommes qu'elle lui avaient versées, et qu'en application de l'article 6-2 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, son action ressortissait aux juridictions allemandes, du reste déjà saisies ; que le moyen n'est donc pas fondé ;
Et sur le moyen unique du pourvoi incident de la société SPRE, pris en ses trois branches, pareillement énoncé et reproduit :
Attendu que saisie aussi, par le même renvoi préjudiciel, de la question de savoir si la société émettrice initiale était fondée à déduire les sommes versées par sa filiale de la redevance qui lui est réclamée au titre de la totalité de la réception observée sur le territoire national, la Cour de justice des communautés européennes a dit pour droit que "l'article 8, paragraphe 2, de la directive 92/100/CEE du Conseil, du 19 novembre 1992, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d'auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle, doit être interprété en ce sens que, pour la détermination de la rémunération équitable mentionnée à cette disposition, la société émettrice n'est pas fondée à déduire unilatéralement du montant de la redevance pour l'utilisation de phonogrammes due dans l'Etat membre où elle est établie celui de la redevance acquittée ou réclamée dans l'Etat membre sur le territoire duquel se situe l'émetteur terrestre diffusant les émissions en direction du premier Etat" ;
Attendu qu'il résulte de cette réponse que, par ses constatations et appréciations, selon lesquelles la convention intervenue en 1987 entre la société SPRE et la société Europe 1, reconduite jusqu'au 31 décembre 1993, et admettant que la seconde ne saurait payer deux fois les droits voisins pour l'utilisation des mêmes phonogrammes en Allemagne et en France, si elle portait défense expresse de voir là une quelconque reconnaissance juridique des conditions et modalités financières ainsi arrêtées, n'en traduisait pas moins, jusqu'à la cessation des reconductions, la renonciation certaine de la SPRE aux sommes dont s'agit, la cour d'appel a justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi principal et incident ;
Laisse à la société Lagardère active broadcast, venant aux droits de la société Europe 1 communication, et à la société SPRE la charge des dépens afférents à leurs pourvois respectifs ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette les demandes présentées par les sociétés GVL et SPRE ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq décembre deux mille six.