Livv
Décisions

Cass. 1re civ., 14 novembre 2012, n° 11-15.656

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

Paris, du 8 déc. 2010

8 décembre 2010

Attendu qu'en l'absence de toute revendication émanant de la personne physique ou morale qui a pris l'initiative et la responsabilité de la première fixation d'une séquence de sons, ou de ses ayants droit, l'exploitation publique, paisible et non équivoque d'un enregistrement par une personne physique ou morale sous son nom, est de nature à faire présumer à l'égard des tiers recherchés pour contrefaçon que celle-ci est titulaire sur l'enregistrement des droits prévus à l'article susvisé ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que les sociétés Lennox Holdings Ltd et Charly Acquisitions Ltd, qui exploitaient des enregistrements phonographiques de jazz et de variétés, et la société Charly Licensing APS présentée comme l'agent exclusif des deux premières, prétendant que des enregistrements dont elles se déclaraient titulaires des droits prévus à l'article L. 213-1 du code de la propriété intellectuelle, avaient été reproduits et commercialisés sans leur autorisation dans un coffret fabriqué par la société Tim et distribué en France par la société Top Link, ont assigné ces dernières en réparation de l'atteinte portée à leurs droits patrimoniaux ;

Attendu que pour rejeter les prétentions des sociétés Charly Acquisitions Ltd et Lennox Holdings Ltd qui affirmaient avoir exploité les enregistrements litigieux de manière paisible, depuis plusieurs années, sans revendication des artistes et des producteurs, et déclaraient se trouver en possession du matériel d'exploitation des enregistrements, l'arrêt, constatant que le litige portait non sur les droits d'auteur mais sur les droits que le producteur de phonogramme tient de l'article L. 213-1 du code de la propriété intellectuelle, en déduit que les sociétés Lennox Holdings Ltd et Charly Acquisitions Ltd ne peuvent être présumées titulaires de ceux-ci ;

En quoi la cour d'appel a violé, par refus d'application, le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 décembre 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

Condamne MM. B... et C..., ès qualités, aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze novembre deux mille douze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour les sociétés Charly Acquisitions Limited, Charly Licensing APS et Lennox Holdings Limited

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté les demandes des sociétés Charly Acquisitions Ltd, Lennox Holdings Ltd et Charly Licensing APS dirigées contre les sociétés T.I.M. et Top Link ;

AUX MOTIFS QUE, sur la présomption de titularité des droits, les sociétés Charly Acquisitions Ltd, Lennox Holdings Ltd et Charly Licensing APS, qui affirment avoir exploité les enregistrements litigieux de manière paisible, depuis plusieurs années, sans la moindre revendication des artistes et producteurs avec lesquels elles ont contracté, et déclarent se trouver en possession du matériel d'exploitation qui leur aurait été remis par ces producteurs, prétendent, pour ces raisons, bénéficier de la présomption tirée des dispositions de l'article L. 113-5 du code de la propriété intellectuelle suivant lesquelles : "l'oeuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée. Cette personne est investie des droits de l'auteur" ; que, cependant, le litige porte, non sur des droits d'auteur attachés à la création d'une oeuvre de l'esprit, mais sur les droits que le producteur de phonogramme tient de l'article L. 213-1 du code de la propriété intellectuelle pour avoir pris l'initiative et la responsabilité de la première fixation de la séquence de sons ; que c'est donc à juste titre que le tribunal a écarté la présomption revendiquée en retenant que celle-ci ne concernait pas les droits voisins des producteurs de phonogrammes ;

1°/ ALORS QUE, loin de se prévaloir directement des dispositions de l'article L. 113-5 du code de la propriété intellectuelle, les sociétés Charly Acquisitions Ltd, Lennox Holdings Ltd et Charly LicensingAPS faisaient valoir, en cause d'appel, que la présomption de titularité des droits d'auteur dégagée sur son fondement « fait depuis lors l'objet d'une application constante » et qu'« aucune raison ne s'oppose à étendre cette jurisprudence en matière de droits voisins » (conclusions récapitulatives des sociétés exposantes, signifiées le 28 juin 2010, p. 19) ; qu'en affirmant, pour rejeter leurs prétentions, que les sociétés Charly Acquisitions Ltd, Lennox Holdings Ltd et Charly Licensing APS prétendaient bénéficier de la présomption tirée des dispositions de l'article L. 113-5 du code de la propriété intellectuelle, qui ne concerne que le droit d'auteur, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ ALORS QU' en toute hypothèse, en l'absence de revendication de l'artiste-interprète et du producteur de phonogramme, la personne physique ou morale qui exploite un enregistrement est présumée, à l'égard du tiers recherché pour atteinte illicite aux droits patrimoniaux, être titulaire des droits voisins ; qu'en retenant, pour rejeter les prétentions des sociétés Charly Acquisitions Ltd, Lennox Holdings Ltd et Charly Licensing APS, qu'aucune présomption de titularité des droits voisins n'existe au bénéfice de la personne physique ou morale qui exploite de manière paisible un enregistrement, la cour d'appel a violé les articles L. 212-3 et L. 213-1 du code de la propriété intellectuelle.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté les demandes des sociétés Charly Acquisitions Ltd, Lennox Holdings Ltd et Charly Licensing APS dirigées contre les sociétés T.I.M. et Top Link,

AUX MOTIFS QUE, sur les chaînes des droits revendiquées par les appelantes, il résulte de ce qui précède qu'il incombe aux sociétés appelantes de prouver, par la production des contrats successifs démontrant l'existence de la chaîne des droits qu'elles revendiquent, qu'elles sont recevables à agir sur le fondement de la contrefaçon ;

ALORS QUE nul ne peut se contredire au détriment d'autrui ; que les sociétés Charly Acquisitions Ltd, Lennox Holdings Ltd et Charly Licensing APS faisaient valoir, en cause d'appel, que « la société Charly Licensing APS est créditée sur les jaquettes des albums poursuivis (pièce n° 3) » (conclusions récapitulatives des sociétés exposantes, p. 20) ; qu'en s'abstenant de rechercher si, en indiquant faussement sur les jaquettes des phonogrammes en litige qu'elles tenaient leurs droits de la société Charly Licensing APS, agent exclusif des sociétés Charly Acquisitions Ltd et Lennox Holdings Ltd, les sociétés T.I.M. et Top Link ne s'étaient pas nécessairement privées du droit de contester leur qualité de titulaires du droit exclusif d'autoriser l'exploitation des enregistrements reproduits, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe précité.