Cass. com., 22 février 1994, n° 92-11.453
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Rémery
Avocat général :
M. Curti
Avocats :
Me Choucroy, Me Roger, Me Ryziger
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 19 novembre 1991), qu'après avoir acquis un domaine pour y développer une production avicole, MM. Jean-Fréderic et Marc-Noël X... ont avec leurs parents (les consorts X...) constitué la société Le Mas d'azur pour commercialiser cette production ; que le domaine était approvisionné en aliments pour volailles par la société Sodeva (la Sodeva) ; que ses livraisons étant restées impayées, la Sodeva, qui avait consenti aux consorts X... et à la société Le Mas d'azur des crédits sous forme de prorogation des échéances de lettres de change et de report de factures d'intérêts, a pris, entre le 8 février et le 4 novembre 1983, des garanties pour le recouvrement de sa créance ; qu'au 29 février 1984, l'encours des consorts X... et de la société Le Mas d'azur dans les livres de leur fournisseur s'est élevé à la somme de 3 877 000 francs ; qu'en avril 1984, la Sodeva a consenti à ses clients une ouverture de crédit en marchandises d'un montant de 600 000 francs ; que par jugement du 4 juillet 1984, le tribunal de commerce a mis la société Le Mas d'azur en règlement judiciaire, ultérieurement converti en liquidation des biens, puis a étendu cette procédure collective, sur le fondement de la confusion des patrimoines, à chacun des consorts X... ; que le syndic, invoquant le soutien abusif accordé par la Sodeva et l'existence d'une situation d'intégration entre les parties, a assigné la Sodeva afin qu'elle supporte le passif des consorts X... et de la société Le Mas d'azur ;
Attendu que le syndic fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté cette demande alors, selon le pourvoi, d'une part, que commet une faute le professionnel qui en connaissance de la situation obérée d'une entreprise lui consent des crédits et l'incite ainsi à poursuivre son activité dans son seul intérêt personnel afin notamment de se procurer des garanties ; qu'il résulte, en l'espèce, des propres constatations de l'arrêt que bien que la Sodeva ait su que l'activité des débiteurs était gravement déficitaire, elle leur a consenti des crédits et les a incités à poursuivre leur activité dans le but de se fournir des débouchés et de prendre des garanties ; que l'arrêt qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a entaché sa décision d'un manque de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; alors, d'autre part, que la preuve de l'intégration résulte de l'obligation d'approvisionnement de l'éleveur auprès d'un commerçant qui exerce un contrôle sur sa production sans que soit nécessaire une convention d'exclusivité ; qu'en l'espèce, le syndic avait montré que la Sodeva qui par les crédits fournis aux débiteurs avait sur eux une emprise certaine, avait mis en place une organisation, dans laquelle ceux-ci étaient intégrés, et dont elle usait pour trouver un débouché à ses marchandises en exerçant un contrôle sur les productions avicoles à la commercialisation desquelles les débiteurs contribuaient ; qu'ainsi l'arrêt a violé l'article 17-I de la loi n° 64-678 du 6 juillet 1964 et omis de se prononcer sur les conclusions du syndic rappelant le système mis en place par la Sodeva, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors enfin que l'incitation à la continuation d'une entreprise déficitaire a nécessairement pour effet de contribuer à l'aggravation du passif par l'accumulation du retard à payer les échéances, ce passif aurait-il une origine antérieure ; qu'en déniant tout lien de causalité entre l'incitation par la Sodeva à faire poursuivre une activité qu'elle savait déficitaire et l'importance de l'insuffisance d'actif des débiteurs, l'arrêt a violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a retenu que le volume des affaires traitées par la Sodeva avec les consorts X... et la société Le Mas d'azur expliquait l'importance de l'encours, que, pour la période considérée, les difficultés financières de l'entreprise avicole étaient dues à sa création récente, qu'une analyse économique effectuée sur la demande de la Sodeva, en juillet 1983, démontrait sa rentabilité, qu'un plan d'apurement avait été convenu en mars 1984 pour réduire l'encours le plus ancien par la conversion de la dette à court terme des consorts X... et de la société Le Mas d'azur en un prêt à moyen terme moyennant un faible taux d'intérêt et que les garanties prises légitimement par la Sodeva l'avaient été en second rang ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, desquelles il résulte que la Sodeva n'a pas cherché, par l'octroi d'un crédit abusif, à prolonger artificiellement l'activité des consorts X... et de la société Le Mas d'azur dans son intérêt personnel et en connaissance du caractère irrémédiablement compromis de la situation, la cour d'appel a pu décider que la Sodeva n'avait commis aucune faute ;
Attendu, d'autre part, qu'il ne résulte d'aucune disposition de la loi n° 64-678 du 6 juillet 1964 tendant à définir les principes et les modalités du régime contractuel en agriculture que l'entreprise industrielle ou commerciale qui a conclu avec un producteur agricole un contrat d'intégration au sens de son article 17-I doit supporter le passif de ce producteur, en cas d'ouverture d'une procédure collective à son égard ;
Attendu, enfin, que le motif critiqué par la troisième branche est surabondant ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.