Cass. com., 30 septembre 2008, n° 07-17.384
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
Mme Orsini
Avocat général :
Mme Bonhomme
Avocats :
Me Spinosi, SCP Defrenois et Levis
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'à la suite de la mise en redressement puis liquidation judiciaires de la société Félix Potin les 1er et 22 décembre 1995, et l'extension de cette procédure aux sociétés Saier investissements, Ranelagh finances, Domaine Saier et Domaine des Lambrays, en raison de la confusion des patrimoines et à la société La Parisienne pour fictivité, M. Y..., agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire, a assigné la BNP Paribas (la BNP) en paiement de dommages-intérêts lui reprochant d'avoir abusivement soutenu ces sociétés ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. Y..., ès qualités, fait grief à l'arrêt d'avoir limité à la somme de 897 514,39 euros la condamnation de la BNP à son égard, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Saier investissements et d'avoir rejeté sa demande tendant à voir déclarer la BNP responsable d'avoir abusivement soutenu les sociétés Félix Potin, Ranelagh finances, Domaine Saier, Domaine des Lambrays et La Parisienne, alors, selon le moyen :
1°/ que l'extension de la procédure collective pour confusion des patrimoines a pour effet de créer une dette unique de l'ensemble des sociétés en liquidation judiciaire ; que la faute de la banque, qui a octroyé un crédit à une ou plusieurs sociétés dont les patrimoines étaient confondus, doit être appréciée en fonction de la situation de l'ensemble de ce groupe de sociétés ; qu'en jugeant néanmoins que la faute de la BNP, qui avait accordé des crédits à chacune des sociétés du groupe Saier, dont les patrimoines étaient confondus, devait être appréciée au regard de la situation de chacune des sociétés de ce groupe, prises séparément, la cour d'appel a violé les articles L. 620-2 et L. 621-15 du code de commerce, en leur rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 ;
2°/ que la faute de la banque qui a octroyé un crédit à une ou plusieurs sociétés dont les patrimoines étaient confondus ne peut être écartée au motif qu'elle a été commise antérieurement au jugement d'extension de la procédure collective ; que la règle selon laquelle le jugement d'extension d'une procédure collective n'est pas rétroactif a pour seule vocation de régler le déroulement de cette procédure, sans incidence sur la responsabilité de la banque, fondée sur les dispositions de l'article 1382 du code civil, qui a abusivement soutenu les sociétés en cause ; qu'en retenant cependant que la règle de non rétroactivité du jugement d'extension s'opposait à ce que la responsabilité de la BNP soit appréciée à l'égard de l'ensemble des sociétés du groupe Saier, dont les patrimoines étaient confondus, la cour d'appel a violé les articles 1382 du code civil, L. 620-2 et L. 621-15 du code de commerce, en leur rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 ;
Mais attendu que l'arrêt retient exactement que si la confusion des patrimoines des sociétés du groupe Saier a été prononcée par jugement du 9 septembre 1996 et s'il convient de tenir compte des flux de capitaux entre ces sociétés à l'origine de cette décision, la recherche du soutien abusif et du crédit ruineux reprochés à la BNP doit être effectuée par la société en se plaçant à la date des décisions d'octroi des crédits ; qu'ayant retenu qu'il n'était pas établi que la situation des sociétés Félix Potin, Ranelagh finances, Domaine Saier, Domaine des Lambrays et La Parisienne était irrémédiablement compromise lors de l'octroi ou du renouvellement des crédits litigieux intervenus entre 1991 et 1995, ni que la BNP ait pratiqué, à l'égard de chacune de ces sociétés, une politique de crédit ruineux, la cour d'appel, abstraction faite des motifs surabondants critiqués à la deuxième branche, a légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Et sur le deuxième moyen :
Attendu que le liquidateur fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1°/ que l'octroi d'un crédit à un groupe de sociétés dont les patrimoines sont confondus engage la responsabilité du banquier dès lors que la situation de l'une de ces sociétés est irrémédiablement compromise au jour où le crédit lui est accordé ou lui est maintenu ; que la cour d'appel a retenu que la BNP avait engagé sa responsabilité en soutenant abusivement la société Saier investissement, dont la situation était irrémédiablement compromise ; que l'arrêt a relevé que la société Saier investissement a accordé des avances et garanties aux autres sociétés du groupe ; qu'en écartant néanmoins la responsabilité de la banque à l'égard des créanciers des sociétés Domaine Saier, Domaine des Lambrays, Félix Potin, Ranelagh finances, dont les patrimoines respectifs étaient confondus avec celui de la société Saier investissement et La Parisienne, qui était fictive, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a encore ainsi violé les articles 1382 du code civil et L. 620-2 et L. 621-15 du code de commerce en leur rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 ;
2°/ que le concours apporté à une société dont le chiffre d'affaires est en constant déclin, dont le résultat net est devenu lourdement déficitaire, dont les pertes ne sont financées que grâce à des dégagements d'actifs et qui se trouve ainsi dans une situation irrémédiablement compromise, engage la responsabilité de la banque qui a accordé ce concours ; que la cour d'appel a relevé que les découverts accordés par la BNP à la société Félix Potin avaient augmenté dans des proportions importantes jusqu'à atteindre 155 millions de francs en 1995, tandis que le chiffre d'affaires de cette société diminuait constamment depuis 1991 en raison de la vente des magasins, que le résultat net se dégradait jusqu'à atteindre (-520) millions de francs en 1995 et que les mesures de restructuration envisagées consistaient essentiellement en la vente des magasins de cette société ; qu'en jugeant néanmoins que la situation de la société Félix Potin n'était pas irrémédiablement compromise au moment où la BNP lui accordait son crédit, au motif que la croyance dans un rétablissement de la société était partagée par d'autres que la banque, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a encore méconnu les articles 1382 du code civil et L. 620-2 et L. 621-15 du code de commerce en leur rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 ;
3°/ que M. Y... faisait valoir, dans ses conclusions, que la BNP s'était immiscée fautivement dans la gestion des sociétés du groupe Saier ; qu'en ne répondant pas à ce chef des écritures du liquidateur, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant constaté que la BNP n'avait pas consenti de crédits ruineux aux sociétés Domaine Saier, Domaine des Lambrays, Félix Potin, Ranelagh finances et La Parisienne et qu'il n'était pas établi que ces sociétés se trouvaient, lors de l'octroi ou du renouvellement des concours, dans une situation irrémédiablement compromise, la cour d'appel a, à bon droit, écarté la responsabilité de la BNP à l'égard des créanciers de ces sociétés ;
Et attendu, en second lieu, que l'arrêt relève que si le montant des découverts consentis à la société Félix Potin a augmenté dans des proportions importantes tandis que le chiffre d'affaires de la société diminuait depuis 1991 en raison de la vente des magasins et que le résultat net se dégradait entre 1991 et 1995, cependant, le montant des "produits" était encore en 1994 supérieur à un milliard de francs tandis que le chiffre d'affaires se maintenait, fin 1993, au dessus du milliard de francs et se montait, fin 1994, à 993 176,76 francs ; que l'arrêt relève encore que la croyance dans un possible rétablissement de la société Félix Potin était partagée par le commissaire aux comptes ainsi que par plusieurs experts et s'était même traduite dans les décisions du tribunal de commerce appelé à statuer en 1995 ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre au simple argument dont fait état la dernière branche, a pu décider que la situation de la société Félix Potin n'était pas irrémédiablement compromise au moment où la BNP lui accordait son crédit ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le troisième moyen :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu que pour condamner la BNP à verser au liquidateur la seule somme de 897 514,39 euros au titre du soutien abusif de la société Saier investissement, l'arrêt retient que la banque avait en face d'elle une société professionnelle de l'investissement et des dirigeants rompus aux affaires avec lesquels elle entretenait des relations anciennes et confiantes et que ces dirigeants avaient en 1994 et 1995 porté les découverts à des volumes au-delà de ce que la banque avait autorisé dans les protocoles intervenus et étaient titulaires de comptes courants débiteurs, témoignant, au-delà d'une situation irrémédiablement compromise, d'anomalies ayant concouru à créer cette situation, et en déduit qu'un partage par moitié de la responsabilité du soutien abusif s'impose, de sorte que l'indemnité due par la banque au titre de l'aggravation de l'insuffisance d'actif doit être réduite dans cette mesure ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'ayant par ses fautes contribué à la réalisation du dommage, la BNP était tenue de le réparer entièrement, sauf son recours contre les éventuels coauteurs du même dommage, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société BNP Paribas à payer à M. Y..., en sa qualité de mandataire judiciaire liquidateur de la société Saier investissements la somme de 897 514,39 euros, l'arrêt rendu le 28 juin 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.