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Décisions

Cass. com., 22 septembre 2009, n° 08-16.669

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Avocats :

Me Carbonnier, Me Foussard, SCP Vier, Barthélemy et Matuchansky, SCP Yves et Blaise Capron

Aix-en-Provence, du 21 févr. 2008

21 février 2008

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix en Provence, 21 février 2008) partiellement confirmatif, que la société Hôtel de France et restaurant Y... (la société), a bénéficié d'un prêt qui lui a été consenti le 24 avril 1991 par la Caisse foncière de crédit (la CFC), aux droits de laquelle se trouve la Compagnie financière et de gestion des capitaux ; qu'elle a également bénéficié des concours bancaires du Crédit lyonnais, qui lui a consenti des découverts en 1991, 1992, 1994 et 1995 et, le 17 juin 1993, un prêt d'équipement à long terme d'un montant de 2 300 000 francs ; que la société a été placée en redressement judiciaire le 9 juillet 1996, un plan de redressement par voie de continuation ayant été arrêté le 11 mars 1997 ; que Mme X..., désignée représentant des créanciers puis commissaire à l'exécution du plan a assigné la CFC et le Crédit lyonnais en leur reprochant un soutien abusif ; que le plan ayant été résolu le 8 juillet 2003 et la société mise en liquidation judiciaire, Mme X... est intervenue volontairement à l'instance en qualité de liquidateur judiciaire ;

Sur le premier moyen :

Attendu que Mme X..., ès qualités, fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à voir la CFC condamnée, solidairement avec le Crédit lyonnais à lui payer la totalité de l'aggravation du passif du redressement judiciaire de la société entre le 31 décembre 1990 et la date de dépôt de bilan, alors, selon le moyen :

1°/ qu'engage sa responsabilité la banque qui octroie, en connaissance de cause un crédit ruineux, dont le coût est insupportable pour l'équilibre de la trésorerie de l'entreprise et incompatible avec toute rentabilité ; qu'ayant constaté que le crédit consenti le 24 avril 1991 emportait une annuité de remboursement de 465 000 francs tandis que le bilan pour l'année 1989 faisait apparaître un fonds de roulement négatif de 787 885 francs, compensé à hauteur seulement de 371 305 francs par la marge brute d'autofinancement disponible, dont un résultat net de 1 611 francs, de sorte que les documents comptables retenus par la CFC faisaient apparaître une capacité de remboursement radicalement insuffisante pour permettre à l'entreprise de faire face aux mensualités de l'emprunt contracté, conclusion partagée par l'expert judiciaire Z..., la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations en violation de l'article 1382 du code civil ;

2°/ qu'engage sa responsabilité la banque qui, pouvant douter de la bonne santé financière de l'entreprise, lui octroie un crédit au seul vu des éléments comptables que celle-ci lui a fourni, sans procéder à des investigations complémentaires ni exiger l'établissement et la production, avant même leur date normale, d'autres documents dont la nécessité s'imposait en présence des difficultés apparentes constatées ; qu'ayant constaté que le crédit consenti le 24 avril 1991 ayant emporté une annuité de remboursement de 465 000 francs tandis que le bilan de 1989 faisait apparaître un fonds de roulement négatif de 787 885 francs compensée à hauteur seulement de 371 305 francs par la marge brute d'autofinancement disponible, et la CFC s'étant fondée uniquement sur le bilan de 1989 sans exiger la production, fut-ce même avant sa date normale d'établissement, du bilan de 1990 révélant un fonds de roulement négatif de 1 125 396 francs, et une capacité d'autofinancement de 180 985 francs, dont un résultat net de 186 francs, tous éléments comptables confirmant tant les difficultés apparentes déjà constatées que le coût insupportable du crédit pour l'équilibre de la trésorerie de l'entreprise , la cour d'appel, qui a écarté la faute caractérisée de la banque, a violé l'article 1382 du code civil ;

3°/ qu'engage sa responsabilité la banque qui accorde ou maintient un crédit à une entreprise dont elle sait ou aurait dû savoir, en faisant preuve d'une diligence normale, que la situation était irrémédiablement compromise ; qu'en appréciant la situation de l'entreprise à l'aune seulement des difficultés créées par la disparition du pont de Saint Cassien entre 1992 et 1997, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les comptes annuels au 31 décembre 1991, que l'entreprise était tenue contractuellement de remettre à sa banque ne révélaient pas déjà une situation irrémédiablement compromise, l'entreprise ayant une capacité d'autofinancement négative de 828 384 francs, un fonds de roulement négatif de 466 687 francs et un résultat net lui-même négatif de 1 047 906 francs, situation que l'expert judiciaire a imputé, non pas à la disparition du pont de Saint Cassien, mais à la structure financière déséquilibrée de l'entreprise, à son insuffisance de rentabilité et au poids des charges financières qu'elle ne pouvait supporter, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

4°/ qu'engage sa responsabilité la banque qui pratique une politique de crédit ruineux pour l'entreprise devant nécessairement provoquer une croissance continue de ses charges financières insupportables pour l'équilibre de la trésorerie et incompatible avec toute rentabilité ; que le paiement décidé par la CFC des seuls intérêts du prêt consenti, sans amortissement du capital, ayant emporté augmentation des concours et aggravation de l'endettement global de l'entreprise, à une date où sa situation irrémédiablement compromise était connue de la banque, en écartant la faute caractérisée de celle-ci, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu, que par motifs propres et adoptés, l'arrêt retient, que le prêt du 24 avril 1991 avait pour fonction de se substituer à d'autres prêts moins avantageux pour la société, de permettre à la société de rembourser une part plus importante de capital et d'obtenir de la trésorerie, que la CFC a fait une étude préalable démontrant que la marge brute dégagée permettait de payer les échéances du prêt et que ce prêt ponctuel s'est effectué dans des conditions tout à fait normales au vu des éléments comptables et financiers produits par la société ; que l'arrêt retient encore, qu'à part ces emprunts dont elle envisageait la restructuration, la société n'avait pas de dettes sociales ou envers ses fournisseurs et qu'en l'absence de dettes exigibles, elle ne se trouvait pas en état de cessation des paiements, qu'en 1991 et 1992 les échéances ont été normalement remboursées et que ce n'est qu'à la fin de l'année 1993, soit après l'effondrement du pont de Saint Cassien, que des retards de paiement significatifs sont intervenus ; que par ces constatations et appréciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le second moyen :

Attendu que Mme X..., ès qualités, fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à voir le Crédit lyonnais condamné solidairement avec la CFC à lui payer la totalité de l'aggravation du passif du redressement judiciaire de la société entre le 31 décembre 1990 et la date du dépôt de bilan, évalué à 6 797 132,29 francs, alors, selon le moyen :

1°/ qu'engage sa responsabilité la banque qui apporte un soutien artificiel à une entreprise en situation qu'elle pouvait savoir irrémédiablement compromise ; que le prêt consenti la CFC le 24 avril 1991 ayant servi au remboursement du concours par découvert à hauteur de 1 000 000 francs octroyé par le Crédit Lyonnais, et un nouveau concours par découvert atteignant 1 800 000 francs au 30 décembre 1992 ayant été accordé à l'entreprise nonobstant l'engagement de la banque, formalisé le 11 juillet 1991, de ne plus accorder aucune facilité de caisse à la société, en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si la banque n'avait pas laissé subsister artificiellement l'entreprise, qu'elle savait dans une situation irrémédiablement compromise, par le seul effet des concours financiers qu'elle lui maintenait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

2°/ qu'engage sa responsabilité la banque qui octroie, en connaissance de cause, un crédit dont le coût est insupportable pour l'équilibre de la trésorerie de l'entreprise et incompatible avec toute rentabilité ; qu' en énonçant que le prêt de 2 300 000 francs consenti le 17 juin 1993 par le Crédit lyonnais avait créé une charge financière acceptable pour l'entreprise compte tenu des prévisions de redressement raisonnablement envisagées, sans rechercher, comme elle y aurait été invitée, si, le crédit de 2 500 000 francs consenti le 24 avril 1991 par la CFC ayant emporté une annuité de remboursement de 465 000 francs, ce dont le Crédit lyonnais était informé, et le prêt de 2 300 000 francs consenti par ce dernier ayant emporté une nouvelle annuité de remboursement de 362 000 francs, portant la charge financière annuelle globale à 827 000 francs, cette charge, rapportée aux données comptable arrêtées au 31 décembre 1992, qui faisaient apparaître une capacité d'autofinancement négative de 1 030 392 francs, un fonds de roulement négatif de 1 773 852 francs et un résultat net lui-même négatif de 1 233 037 francs, n'était pas été insupportable pour l'équilibre à court terme de la trésorerie de l'entreprise, conclusion partagée par l'expert Z... la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

3°/ qu'engage sa responsabilité la banque qui pratique une politique de crédits ruineux pour la société incompatible avec toute rentabilité ; qu'en énonçant que les pertes comptables de l'entreprises avaient nettement diminué entre 1993 et 1995 sans rechercher, comme elle y était invitée, si le Crédit lyonnais, en accordant, en sus du prêt de 2 300 000 francs consenti le 17 juin 1993, de nouveaux concours par découvert de 79 000 francs en 1994 et 99 000 francs en 1995, n'avait pas obéré la rentabilité de l'entreprise par une politique de crédit ruineux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant retenu, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que malgré la fragilité financière de l'entreprise, l'opération n'était pas inexorablement vouée à l'échec compte tenu du redressement sensible obtenu, et que les concours accordés par le Crédit lyonnais n'étaient pas disproportionnés par rapport au chiffre d'affaires de l'entreprise et créaient une charge financière acceptable compte tenu des prévisions de redressement raisonnablement envisagées et présentées au Crédit lyonnais par un expert, à la suite des mesures de restructuration internes entreprises et des perspectives de développement attendues après la réouverture du pont de Saint Cassien, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Attendu, en second lieu, qu'ayant relevé que les concours du Crédit lyonnais permettaient à la société, dans les circonstances connues de l'époque, de se restructurer pour surmonter la crise économique et attendre la réouverture du pont de Saint Cassien, que les pertes comptables ont été diminuées dans de fortes proportions dans les années 1991 à 1995, la cour d'appel qui a ainsi fait ressortir que les crédits octroyés par le Crédit lyonnais, y compris ceux postérieurs au prêt de 2 300 000 francs n'étaient pas ruineux, a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.