Cass. com., 2 octobre 2007, n° 06-14.682
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Besançon
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'aux termes d'une promesse de vente des 18 et 19 janvier 1998, la société Finadis a acquis pour un franc symbolique sept sociétés membres du groupe Joullié, qui exploitaient chacune, sous l'enseigne "Batifol", un fonds de commerce de restauration ; que la société Finadis s'étant engagée à prendre en charge le passif bancaire, évalué à la somme de 29 000 000 francs, qui grevait les sociétés cédées, une condition suspensive a été introduite dans l'acte subordonnant l'opération à l'obtention par la société Finadis, auprès de la caisse régionale de crédit agricole mutuel de Quercy-Rouergue (la caisse), aux droits de laquelle vient la caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord-Midi-Pyrénées, d'un crédit de même montant destiné à financer les besoins en fonds de roulement des filiales et à lui permettre de régler les dettes des sociétés du groupe Joullié auprès de cette même banque ; qu'en garantie du prêt consenti par acte notarié du 9 avril 1998, la caisse a obtenu des sociétés rachetées qu'elles lui consentent diverses sûretés ; que, par jugement des 18 mars et 15 avril 1999, le tribunal a prononcé le redressement judiciaire de la société Finadis, étendu à l'ensemble de ses filiales et a arrêté, par jugement du 16 décembre 1999, un plan de cession ; que M. X..., désigné en qualité de commissaire à l'exécution du plan, a assigné la caisse en paiement de dommages-intérêts pour octroi et soutien abusifs de crédit et annulation des garanties consenties à la caisse en période suspecte par les sociétés filiales de la société Finadis ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal :
Attendu que le commissaire à l'exécution du plan fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à ce que la caisse soit condamnée à lui payer la somme de 4 573 470,52 euros à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1 / qu'engage sa responsabilité à l'égard des tiers la banque qui apporte un soutien artificiel à une entreprise dont elle connaissait ou aurait dû connaître, si elle s'était informée, la situation irrémédiablement compromise, peu important à cet égard la nature des opérations que l'intervention de la banque avait pour objet de financer ; qu'en considérant qu'il ne pouvait être reproché à la caisse de n'avoir pas recueilli suffisamment d'informations sur la situation financière de la société Finadis, au motif que la caisse n'avait pas à "apprécier l'opportunité financière ou économique d'une opération", la cour d'appel s'est déterminée par une motivation inopérante et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
2 / qu'en considérant qu'il ne pouvait être reproché à la caisse de n'avoir pas recueilli suffisamment d'informations sur la situation financière de la société Finadis, tout en constatant que "la situation financière de la société Finadis était déficitaire et compromise avant même le prêt", d'où il résultait nécessairement que, si elle s'était informée, la caisse n'aurait pas manqué de constater la situation irrémédiablement compromise de l'emprunteur à la date du prêt litigieux, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1382 du code civil ;
3 / que, dans des conclusions demeurées sans réponse, le commissaire à l'exécution du plan faisait valoir que la caisse pouvait d'autant moins ignorer les difficultés insurmontables auxquelles allait se trouver confronté le groupe Finadis que la caisse était déjà titulaire de créances, restées impayées, sur les sept sociétés cédées à la société Finadis par le groupe Joullié et que la dégradation très importante de la situation du groupe Joullié, dont une partie des activités se trouvait cédée à la société Finadis, était connue de la caisse, qui était son banquier ;
qu'en laissant sans réponse ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau code de procédure civile ;
4 / qu'en exonérant la caisse de toute responsabilité au titre du soutien accordé à la société Finadis, au motif que le prêt de 29 000 000 francs était consenti à "un groupe dirigé par une personne spécialisée dans le secteur de la restauration, donc avertie, ce qui la dispensait de conseil" et que "le groupe Finadis ne soutient pas que la caisse ait eu sur sa propre situation financière des informations que lui-même ne connaissait pas", quand l'action avait été engagée contre la caisse par le commissaire à l'exécution du plan en vue de la défense de l'intérêt collectif des créanciers de la société Finadis, et non par le groupe Finadis, la cour d'appel s'est déterminée par une motivation inopérante et a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 du code civil, L. 621-39 et L. 621-68 du code de commerce ;
5 / qu'en considérant que la caisse n'avait commis aucune faute, dès lors que les prêts avaient été consentis à un groupe dirigé par une personne "avertie", quand la qualité de l'emprunteur ne dispense pas la banque de s'assurer, en vue de la protection des tiers, de la situation financière de son client, surtout s'agissant d'un prêt d'un montant considérable, la cour d'appel s'est déterminée par une motivation inopérante et a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
6 / que, dans des conclusions demeurées sans réponse, le commissaire à l'exécution du plan prenait acte de l'aveu de la caisse, qui admettait avoir fait figurer sur l'acte de prêt du 9 avril 1998 un intitulé sciemment erroné de manière à éluder les règles applicables en matière de sûretés ; qu'en jugeant cependant qu'aucune faute n'était établie à l'encontre de la caisse, dès lors que les sûretés litigieuses encouraient l'annulation dans le cadre des dispositions de l'article 225-216 du code de commerce, quand, au-delà de cette annulation prévue par les textes, est nécessairement fautif, sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du code civil, le fait pour une banque de détourner la finalité d'un prêt pour se réserver des opportunités de remboursement préférentiel, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1382 du code civil ;
7 / que le commissaire à l'exécution du plan avait fait valoir devant la cour d'appel que l'ensemble de l'opération de financement menée par la caisse avait pour finalité de désendetter le groupe Joullié au détriment du groupe Finadis, en se faisant de surcroît consentir des garanties de paiement prohibées ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si la caisse n'avait pas mené une opération de financement dans l'intérêt exclusif de son client, le groupe Joullié, au détriment de la société Finadis et de ses créanciers, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé que la société Finadis se trouvait dans une situation déficitaire et compromise avant même le prêt, l'arrêt retient que ce prêt, accordé à un groupe dirigé par une personne spécialisée dans le secteur de la restauration, était justifié par des perspectives économiques ; qu'ayant ainsi fait ressortir que la société Finadis, dès lors qu'elle avait une perspective de redressement, ne se trouvait pas dans une situation financière irrémédiablement compromise lors de l'octroi du prêt, la cour d'appel, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les première, quatrième et cinquième branches, a pu décider que la banque n'avait pas commis de faute ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'en retenant que la situation d'endettement des sociétés filiales achetées au groupe Joullié était bien connue des parties, l'arrêt relève que des perspectives économiques avaient été justifiées, ce dont il résulte que ce groupe paraissait lors de l'octroi du prêt en mesure de surmonter les difficultés constatées ;
qu'ainsi, la cour d'appel a répondu, en les écartant, aux conclusions prétendument délaissées dont fait état la troisième branche ;
Attendu, en troisième lieu, qu'après avoir relevé que le mandataire judiciaire faisait valoir que le prêt n'avait pas servi à financer les besoins en fonds de roulement, comme mentionné dans l'acte de prêt, mais à renforcer les garanties de la caisse pour le désendettement des filiales, afin de contourner les dispositions de l'article 217-9 de la loi du 24 juillet 1966, codifié à l'article 225-216 du code de commerce, l'arrêt retient que la méconnaissance de ce texte n'entraîne la nullité que de la sûreté irrégulièrement consentie, ce qui n'était pas demandé sur le fondement de ce texte ; que la cour d'appel a ainsi fait ressortir que la mention erronée était sans lien avec la faute consistant à avoir créé une fausse apparence de solvabilité ;
Attendu, enfin, que l'arrêt retient que le crédit avait été consenti dans un cadre professionnel à un groupe dirigé par une personne spécialisée dans le secteur de la restauration et que des perspectives économiques avaient été justifiées par l'emprunteur ;
qu'ayant ainsi fait ressortir que la finalité de l'opération était d'assurer la restructuration du groupe, la cour d'appel a procédé à la recherche prétendument omise dont fait état la septième branche ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi incident :
Vu l'article L. 621-107, 1, 6e, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises ;
Attendu que, pour annuler les hypothèques et nantissements de parts, d'actions et de fonds de commerce des sociétés filiales de Finadis, l'arrêt retient que la date de cessation des paiements a été fixée au 18 septembre 1997, soit avant la date du prêt consenti par acte notarié du 9 avril 1998, que les nantissements d'actions, de parts et de fonds de commerce et hypothèques ont été accordés sur les sociétés filiales dans le même acte, que la somme de 29 000 000 francs, loin de représenter des besoins en fonds de roulement des sociétés achetées, permettait d'apurer leurs dettes, qu'il s'agissait ainsi de dettes antérieurement contractées qui ne pouvaient donner lieu aux garanties visées par le texte, que celles-ci sont nulles ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que les sûretés avaient été données à la garantie d'un prêt consenti à la société Finadis dans l'acte constatant ce prêt, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi principal ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a annulé les hypothèques et nantissements de parts, d'actions et de fonds de commerce des sociétés filiales de Finadis et de la SCI Prigent Montmartre accordés au profit de la caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord-Midi-Pyrénées, l'arrêt rendu le 10 mars 2006, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.