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Décisions

Cass. com., 14 juin 2023, n° 21-24.458

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Barbot

Avocats :

Me Bertrand, SCP Foussard et Froger, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol

Paris, du 22 sept. 2021

22 septembre 2021

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 21-24.458 et 21-25.638 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 septembre 2021), par trois actes notariés du 10 août 2005, la Banque française, devenue la Banque française mutualiste (la banque), a consenti à la société Pram Invest (la société Pram) un prêt destiné à financer l'acquisition de biens immobiliers, remboursable au plus tard le 10 août 2010 et garanti par l'inscription du privilège de prêteur de deniers et une hypothèque.

3. Après la délivrance d'une mise en demeure, le 29 août 2008, pour non-paiement des échéances contractuelles, la créance de prêt est devenue exigible.

4. La banque et la société Pram ont successivement régularisé trois protocoles d'accord, chacun se substituant au précédent, et, dans le dernier, conclu le 25 mai 2012, la société Pram a reconnu devoir à la banque la somme de 1 352 019,93 euros et les parties ont organisé les modalités de la cession des derniers biens immobiliers dont la société Pram demeurait propriétaire au profit d'une société tierce, la banque s'engageant à donner mainlevée des sûretés réelles dont elle bénéficiait contre le paiement de la somme de 760 000 euros.

5. Le 14 avril 2013, la banque a informé la société Pram de ce qu'à défaut de régularisation de la cession des biens immobiliers avant le 30 avril 2013, elle constaterait la caducité du protocole et engagerait une saisie immobilière.

6. Le 29 avril 2014, la liquidation judiciaire ouverte le 8 novembre 2012 à l'égard de la société Floreal Invest a été étendue à la société Pram, pour confusion de leurs patrimoines, la société Actis mandataires judiciaires étant nommée en qualité de liquidateur.

7. La banque a déclaré au passif de la liquidation judiciaire de la société Pram sa créance au titre du solde du prêt consenti le 10 août 2005, à titre privilégié.

8. Cette créance a été partiellement contestée par la société débitrice et, devant le juge-commissaire, la société Frageco, nommée en qualité de contrôleur, est intervenue pour contester également la créance et soulever l'incompétence du juge-commissaire, aux motifs que le protocole du 25 mai 2012 avait emporté novation des obligations des parties, de sorte que la banque ne pouvait plus se prévaloir du prêt du 10 août 2005 et que son éventuelle créance, résultant de l'inexécution de ce protocole, ne pouvait qu'être chirographaire.

9. Par une ordonnance du 19 septembre 2018, le juge-commissaire a retenu que cette contestation soulevait une difficulté sérieuse ne relevant pas de son office et renvoyé la banque à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois prévu à l'article R. 624-5 du code de commerce.

10. Les 12 et 18 octobre 2018, la banque a assigné le liquidateur de la société Pram et la société Frageco devant un tribunal de commerce, en demandant la fixation de sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Pram, à titre privilégié.

11. Le 10 avril 2019, la banque a assigné en intervention forcée la dirigeante de la société Pram, Mme [R].

12. Le liquidateur de la société Pram a soulevé l'inopposabilité de la créance de la banque à la procédure collective, au motif que la mise en cause de la dirigeante de la société débitrice était intervenue postérieurement au délai d'un mois prévu à l'article R. 624-5, alinéa 1, précité.

Examen des moyens

Enoncé des moyens

13. Par son moyen, le liquidateur de la société Pram fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la forclusion de l'action de la banque, alors « que l'instance introduite devant la juridiction compétente par l'une des parties à la procédure de vérification des créances sur l'invitation du juge-commissaire s'inscrit dans cette même procédure, laquelle est indivisible entre le créancier, le débiteur et le mandataire judiciaire ou le liquidateur ; qu'il en résulte que la partie qui saisit le juge compétent doit mettre en cause devant ce juge les deux autres parties et que cette mise en cause doit intervenir à peine de forclusion dans le mois de la notification de l'ordonnance d'incompétence rendue par le juge-commissaire, sans régularisation possible passé ce délai ; qu'ayant constaté que la Banque française mutualiste, créancière, n'avait assigné dans ce délai d'un mois devant la juridiction désignée comme compétente par le juge-commissaire que le liquidateur judiciaire et le contrôleur, la débitrice n'ayant été assignée que postérieurement à l'expiration de ce délai, la cour d'appel ne pouvait considérer que la banque échappait à la forclusion dès lors que la débitrice avait "été attraite devant cette juridiction avant que celle-ci ait statué", la forclusion étant nécessairement encourue dès lors que l'une des parties au litige indivisible portant sur l'admission de la créance n'avait pas été assignée devant la juridiction compétente dans le délai utile d'un mois, sans régularisation possible s'agissant d'une irrégularité affectant la validité de l'assignation, sans violer l'article R. 624-5 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2014-736 du 30 juin 2014, par refus d'application, ensemble les articles 121 du code de procédure civile et 2241 du code civil par fausse application. »

14. Par son moyen, la société Frageco fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la forclusion et de dire que le protocole d'accord transactionnel du 25 mai 2012 ne stipule aucune novation des obligations des parties, alors « que le créancier ayant déclaré sa créance, invité par le juge-commissaire à saisir la juridiction compétente pour trancher la contestation relative à sa créance, doit mettre en cause devant ce juge le débiteur et le mandataire judiciaire ou le liquidateur dans le délai de forclusion d'un mois de l'article R. 624-5 du code de commerce, lequel ne prévoit aucune faculté de régularisation ultérieure, cependant que le litige est indivisible ; qu'en écartant au contraire cette forclusion au motif que la société BFM pouvait mettre en cause la dirigeante de la société Pram Invest tant que le tribunal compétent n'avait pas statué, donc y compris après l'expiration du délai de forclusion d'un mois, la cour d'appel a violé l'article R. 624-5 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

15. L'instance introduite devant la juridiction compétente par l'une des parties à la procédure de vérification des créances s'inscrit dans cette procédure qui est indivisible entre le créancier, le débiteur et le mandataire judiciaire ou le liquidateur. Il en résulte que la partie qui saisit le juge compétent doit mettre en cause devant ce juge les deux autres parties. Par conséquent, dès lors qu'elle a saisi la juridiction compétente dans le délai de l'article R. 624-5 du code de commerce, elle n'encourt pas la forclusion qu'il prévoit et a la faculté d'appeler les parties omises après l'expiration de ce délai jusqu'à ce que le juge statue.

16. Ayant relevé qu'à la suite de l'ordonnance du juge-commissaire notifiée aux parties le 27 septembre 2018, la banque avait saisi le tribunal de commerce de la contestation de sa créance par des assignations délivrées au liquidateur de la société débitrice et à la société Frageco les 12 et 18 octobre 2018, soit dans le délai d'un mois prévu à l'article R. 624-5 précité, et que Mme [R], représentante légale de la société débitrice, avait été assignée devant ce tribunal le 10 avril 2019, avant que le tribunal ne statue, la cour d'appel en a exactement déduit que la forclusion prévue par ce texte ne pouvait être opposée à la banque.

17. Les moyens ne sont donc pas fondés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.