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Décisions

Cass. com., 24 juin 2003, n° 00-12.566

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Rapporteur :

M. Soury

Avocat général :

M. Lafortune

Avocats :

SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez

Paris, du 10 déc. 1999

10 décembre 1999

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société BSC (la société) était titulaire d'un compte dans les livres de la Société générale (la banque) dont le solde débiteur s'est aggravé à compter de janvier 1984 ; que, par actes séparés du 12 juillet 1984, les époux X... et les époux Y..., actionnaires de la société dirigée par Mme X..., se sont portés cautions solidaires des dettes de cette société à concurrence de 400 000 francs chacun, en principal ; qu'en octobre 1984, la banque a consenti à la société une avance de trésorerie ; que la société ayant été mise en règlement judiciaire le 21 mai 1985, puis en liquidation de biens le 24 février 1987, la banque a assigné les cautions en exécution de leurs engagements ; que, par un arrêt du 8 novembre 1989, la cour d'appel de Poitiers a condamné les époux Y... à exécuter leurs engagements de caution, a rejeté leur action en responsabilité contre la banque pour soutien abusif de crédit et a confirmé un jugement du 21 juin 1988 condamnant Mme X... à payer à la banque le solde débiteur du compte de la société à concurrence de 400 000 francs outre les intérêts ;

que les époux X... ont assigné la banque en paiement de dommages-intérêts en faisant valoir qu'elle avait abusivement soutenu la société ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la banque fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en responsabilité engagée à son encontre par les époux X..., alors, selon le moyen :

1 / que l'action en responsabilité civile extracontractuelle se prescrit par dix ans à compter de la date de naissance de l'obligation et qu'à supposer démontrée l'aggravation du passif de la société par l'octroi des crédits accordés par la banque, le dommage en résultant pour les cautions aurait nécessairement été réalisé au plus tard au jour du prononcé du règlement judiciaire le 21 mai 1985, antérieur de plus de 10 ans à l'action en responsabilité des époux X... ; qu'ainsi la cour d'appel, qui a fait courir le délai à partir du jour où les cautions ont été assignées, a violé l'article 189 bis du Code de commerce ;

2 / que le point de départ du délai de prescription ne pouvant être retardé qu'en présence d'une ignorance du préjudice dont la preuve incombait à la victime, la cour d'appel, qui a constaté que, de par leurs fonctions de direction, les cautions ne pouvaient ignorer les risques des crédits demandés et accordés, a violé de plus fort l'article 189 bis du Code de commerce ;

Mais attendu que la cour d'appel, saisie d'une action en responsabilité engagée à titre principal par des cautions contre une banque pour soutien abusif de crédit, a exactement décidé que le point de départ du délai de prescription de l'article 189 bis de l'ancien Code de commerce, devenu l'article L. 110-4 du Code de commerce, doit être fixé au jour où les cautions ont su que les obligations résultant de leurs engagements étaient mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal, en l'espèce le 10 avril 1986, date à laquelle l'assignation en paiement leur a été délivrée, en sorte que la prescription n'était pas acquise lorsque les cautions ont engagé leur action en responsabilité ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la banque fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Poitiers le 8 novembre 1989 et déclaré recevable l'action en responsabilité engagée par les cautions pour soutien abusif de crédit, alors, selon le moyen, qu'il ressortait des termes de cet arrêt que les mêmes dettes de la société -et notamment le solde débiteur de son compte courant- avaient fait l'objet de cautionnements solidaires entre les époux Y... et X... ; que chaque codébiteur solidaire doit être considéré comme le représentant nécessaire de ses obligés, de sorte que la chose qui a été jugée à l'égard de l'un est opposable aux autres ; que les époux Y... ayant invoqué la faute de la banque dans le but de s'opposer à l'exécution de leurs engagements de caution, le dispositif de l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers les condamnant au paiement du solde débiteur du compte courant de la société emportait nécessairement rejet de leurs prétentions et que l'autorité de chose jugée s'attachant ainsi au dispositif était opposable aux époux X..., contrairement à la décision de l'arrêt qui viole les articles 1208 et 1351 du Code civil ;

Mais attendu qu'il ne résulte ni des énonciations de l'arrêt ni des conclusions de la banque que le moyen tiré de la représentation mutuelle des codébiteurs solidaires ait été soulevé devant la cour d'appel ; que, nouveau et mélangé de fait et de droit, le moyen est irrecevable ;

Mais sur les troisième et quatrième moyens, réunis :

Vu l'article 1147 du Code civil ;

Attendu que pour condamner la banque à payer des dommages-intérêts aux cautions, l'arrêt retient que celle-ci a soutenu artificiellement et abusivement l'activité de la société dès les premiers mois de 1984, et surtout en octobre 1984, et les mois qui ont suivi jusqu'au mois de mai 1985 ; qu'ainsi, elle a laissé des découverts s'accroître, puis a dispensé un crédit inapproprié au vu de l'évolution négative de la situation financière de la société, et a encore laissé des découverts se pérenniser, ceci en exigeant parallèlement, et à chaque étape matérialisant son soutien, les garanties des époux X... ; que cette faute de la banque, qui a eu pour conséquence la mise en oeuvre des engagements des époux X... et a généré l'appauvrissement de leur patrimoine, justifie le principe de la demande de dommages-intérêts qu'ils présentent ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si, à la date où elle a accordé les crédits à la société BSC, la banque savait ou aurait dû savoir que la situation de celle-ci était irrémédiablement compromise et, dans le cas où elle l'aurait été, si, par suite de circonstances exceptionnelles, les époux X... l'ignoraient eu égard à leur qualité et à leurs fonctions dans la société, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions condamnant la banque à payer des dommages-intérêts aux époux X... et ordonnant la compensation de ces dommages-intérêts avec les sommes dues par les époux X... au titre de leurs engagements de caution, l'arrêt rendu le 10 décembre 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.