Cass. com., 25 février 2004, n° 01-13.588
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Rapporteur :
Mme Graff
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
SCP Gatineau, SCP Vier et Barthélemy
Attendu, selon l'arrêt déféré, que le Crédit lyonnais (la banque), seul ou constitué en groupement avec d'autres banques, a consenti à la société Dejou (la société) différents prêts garantis par le cautionnement de M. X... ; que la société ayant été mise en règlement judiciaire, puis en liquidation des biens, la banque a assigné M. X... en exécution de ses engagements ; qu'après la péremption de l'instance, les établissement de crédit ont assigné à nouveau la caution ;
Sur le premier moyen, pris en ses première, seconde, troisième, cinquième et sixième branches :
Attendu que M. X... reproche à l'arrêt d'avoir déclaré l'action des banques non prescrite et, en conséquence, recevable et de l'avoir condamné à payer au "pool bancaire" la somme de 280 030,46 francs, outre intérêts au taux légal à compter du 17 décembre 1992 et la somme de 68 894,15 francs à la banque, outre intérêts au taux légal à compter du 17 décembre 1992, alors, selon le moyen :
1 / que la caution peut contester les créances déclarées, dans leur existence comme dans leur montant, tant que n'est pas expiré le délai pour ce faire, qui est de quinze jours à compter de la publication de l'état des créances au BODACC ; que les juges du fond ne peuvent rejeter une telle réclamation au prétexte que l'admission serait définitive, sans caractériser l'expiration dudit délai, et donc au préalable l'existence d'une publication de l'état des créances au BODACC, condition nécessaire pour que le délai de réclamation ait valablement couru ; qu'en l'espèce, en considérant que les créances avaient été définitivement admises et ne pouvaient plus être contestées, sans à aucun moment caractériser l'expiration du délai de réclamation, et partant, au préalable, l'existence d'une publication de l'état des créances au BODACC, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 42 de la loi du 13 juillet 1967 et 51 du décret du 22 décembre 1967 ;
2 / que M. X... soutenait explicitement en l'espèce que le Crédit lyonnais n'avait déclaré sa créance que dans le cadre d'une déclaration de créance commune pour l'ensemble du pool bancaire, déclaration nulle et de nul effet, le pool n'ayant pas la personnalité morale ; qu'était donc explicitement invoquée devant la cour d'appel la cause de la nullité de la production des créances ; qu'en affirmant qu'il n'était pas précisé en quoi la production serait nulle, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de M. X..., et partant méconnu les termes du litige, en violation des articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / qu'une déclaration de créance ne peut être faite valablement au nom d'un pool bancaire, qui n'a pas la personnalité morale, par l'une des banques membre de ce pool, en fût-elle le chef de file, sans que celle-ci ait reçu un mandat spécial écrit à cette fin de la part des autres membres du pool ; qu'en l'espèce, en ne recherchant pas si le Crédit lyonnais était en mesure de faire état d'un tel mandat spécial, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 40 et suivants de la loi du 13 juillet 1967 ;
4 / que le cautionnement, fût-il solidaire, est soumis à la prescription décennale dès lors qu'il a un caractère commercial ; que la caution peut être actionnée par le créancier, même après l'arrêt des poursuites individuelles à l'encontre du débiteur principal ; que la substitution de la prescription trentenaire à la prescription décennale, consécutive à l'admission de la créance, dans les rapports entre le créancier et le débiteur en liquidation judiciaire, n'a pas pour effet de modifier la prescription propre au cautionnement ; qu'en considérant en l'espèce que l'action des banques, engagée plus de dix ans après l'exigibilité de la dette de la caution commerciale, n'était pas prescrite, eu égard à la substitution de prescription découlant de l'admission de leur créance dans leur rapport avec le débiteur en liquidation judiciaire, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du Code de commerce ;
5 / que l'établissement de crédit créancier doit informer chaque année la caution du terme de son engagement ; qu'en l'espèce, en considérant la substitution de prescription opposable à la caution, entraînant de fait un allongement de vingt ans de son engagement, sans même rechercher si les banques avaient pris la peine d'informer la caution de cet allongement du terme de son engagement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 48 de la loi du 1er mars 1984 ;
Mais attendu, en premier lieu, que d'après l'alinéa 3 de l'article 42 de la loi du 13 juillet 1967, tout intéressé a la faculté de formuler ses réclamations à l'encontre de l'état des créances ; que l'arrêt retient qu'il n'est pas soutenu que des réclamations auraient été formulées, qu'il s'ensuit que les créances sont définitivement admises et qu'elles ne sauraient être contestées ni quant à leur existence ni quant à leur montant ; que par ces motifs, abstraction faite de ceux critiqués par la deuxième branche, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer les recherches invoquées par les première et troisième branches, a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en second lieu, que la décision d'admission de la créance au passif du débiteur principal en procédure collective est opposable à la caution tant en ce qui concerne l'existence et le montant de la créance que la substitution de la prescription trentenaire à la prescription originaire ; qu'ainsi, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Attendu, enfin, que l'article 48 de la loi du 1er mars 1984, devenu l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier, ne prévoit pas d'information portant sur les effets de la prescription ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que M. X... fait encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen, que s'il incombe à la caution d'établir la perte d'un droit préférentiel par la faute du créancier, une fois cette perte établie, c'est au créancier, s'il veut échapper à la sanction prévue par l'article 2037 du Code civil, de prouver que cette perte n'est pas de son fait exclusif ; qu'en l'espèce, en mettant à la charge de M. X... la preuve, non seulement de la perte de sûretés, mais aussi celle de ce que cette perte était le fait exclusif des créanciers, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, et violé l'article 1315 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que M. X... ne démontrait pas que par le fait exclusif des créanciers, il ne pourrait pas être subrogé aux droits, hypothèques et privilèges de ces derniers, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le troisième moyen :
Attendu que M. X... fait encore grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de dommages-intérêts dirigée contre des banques dispensatrices de crédit au débiteur, alors, selon le moyen, que la caution peut rechercher la responsabilité du banquier dispensateur de crédit, non seulement si au moment de la souscription de l'engagement de caution, le banquier savait la situation du débiteur cautionné d'ores et déjà compromise, mais aussi dans l'hypothèse où, postérieurement à l'engagement de la caution, le banquier a soutenu abusivement le débiteur, contribuant à l'aggravation de son passif, et hâtant la mise en jeu de la caution tout en rendant illusoires les chances de remboursement de cette dernière ; que le comportement du banquier postérieurement à la souscription de l'engagement de caution peut donc parfaitement engager sa responsabilité à l'égard de cette caution ; qu'en l'espèce, en considérant que la situation devait s'apprécier au moment où les cautionnements avaient été souscrits, sans rechercher si par la suite, les banques, et en particulier la BNP ayant accordé au débiteur un crédit de 1 000 000 francs trente jours avant la date de la cessation des paiements, n'avaient pas adopté un comportement préjudiciable à la caution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient que M. X... était président du conseil d'administration de la société cautionnée ; qu'ainsi, dès lors qu'il n'a jamais prétendu ni démontré que les établissements de crédit auraient pu avoir sur la société emprunteuse des informations que, par suite de circonstances exceptionnelles, lui-même ignorait, il n'était pas fondé à rechercher leur responsabilité ; que la cour d'appel ayant légalement justifié sa décision, le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche :
Vu les articles 1153, alinéa 3, du Code civil et 389 du nouveau Code de procédure civil ;
Attendu que lorsqu'une nouvelle instance est introduite après une demande en justice périmée, eût-elle été précédée d'une mise en demeure, les intérêts moratoires ne sont dus que postérieurement à la péremption de la première instance à compter de l'un des actes prévus au premier des textes susvisés ;
Attendu que pour dire que les intérêts au taux légal étaient dus à compter du 17 décembre 1992, l'arrêt, après avoir relevé que M. X... avait été mis en demeure de payer par lettre du 7 février 1981, retient que celui-ci oppose à juste titre la prescription édictée par l'article 2277 du Code civil, et décide que sont prescrits tous les intérêts antérieurs au 17 décembre 1992, la seconde assignation ayant été délivrée le 17 décembre 1997 ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a fixé le point de départ des intérêts au taux légal au 17 décembre 1992, l'arrêt rendu le 2 mai 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bourges.