Cass. com., 24 juin 2003, n° 99-11.700
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Attendu, selon l'arrêt déféré, que, par acte du 7 décembre 1990, la société Comptoir des entrepreneurs (société CDE) a consenti, pour deux années, à la société en cours d'immatriculation Nationale Plazza, dont M. X... devait être le gérant, deux crédits d'un montant total de 60 000 000 francs pour financer l'acquisition à Lille d'un immeuble destiné à devenir un centre commercial ; que M. X... s'est porté caution de leur remboursement, de même que la société La Financière de caution (société Laficau), cette dernière se faisant contre-garantir par la société GAN incendie accidents (société GAN) ;
que, par bordereau du 9 mars 1994, la société CDE a cédé à la société Experts immobiliers associés (société EIA), dans les formes de la loi du 2 janvier 1981, les créances qu'elle détenait sur la société Nationale Plazza ; que cette dernière ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, les sociétés CDE et EIA ont demandé aux cautions d'exécuter leurs engagements ;
Sur le pourvoi principal :
Sur le deuxième moyen :
Attendu que les sociétés Comptoir des entrepreneurs et Experts immobiliers associés reprochent à l'arrêt d'avoir limité la condamnation de M. X... aux sommes de 52 000 000 francs et 8 000 000 francs outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure de payer qui lui a été notifiée, alors, selon le moyen, qu'il n'incombe pas à l'établissement prêteur de prouver que la caution a effectivement reçu l'information prévue par l'article 48 de la loi du 1er mars 1984, en sorte qu'en privant le CDE de son droit aux intérêts au prétexte que s'il produisait les lettres d'information, il ne justifiait pas les avoir expédiées, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé, outre la disposition précitée, l'article 1315 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel n'a pas inversé la charge de la preuve en retenant, dans l'exercice de son pouvoir souverain, que ni le CDE ni la société EIA ne justifiaient avoir expédié à la caution les lettres d'information prévues à l'article 48 de la loi du 1er mars 1984 ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen, pris en ses première et quatrième branches :
Vu l'article 1147 du Code civil ;
Attendu que pour retenir la responsabilité de la société CDE dans l'octroi et le maintien de crédit à la société Nationale Plazza, l'arrêt, après avoir relevé que le CDE avait prêté les sommes à une société non encore immatriculée et dont le capital était plus que modeste, étant de 100 000 francs, retient qu'il apparaît que le crédit principal de 52 000 000 francs correspondait non à la valeur de l'immeuble financé, mais à une créance de la banque Paribas sur une société SCM, propriétaire du centre commercial dont la cessation des paiements était imminente, et que dans le cadre de l'opération financée par lui, le CDE s'est octroyé une commission d'engagement payable semestriellement d'avance et une commission de risque d'un montant proportionnel à la marge bénéficiaire, et qu'il a ainsi agi avec une imprudence et une légèreté anormales ; que les pièces versées aux débats démontrent que le CDE a ensuite continué de maintenir et d'augmenter le crédit, acceptant un dépassement de 15 000 000 francs, ceci alors que le projet de centre commercial n'apparaissait plus viable et que l'on y avait substitué un projet d'hôtel ; que ce soutien de crédit présente également un caractère abusif ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans relever que la société CDE savait ou aurait dû savoir que la situation de l'entreprise était irrémédiablement compromise, et sans rechercher, dans le cas où elle l'aurait été, si, par suite de circonstances exceptionnelles, M. X..., gérant de la société cautionnée, l'ignorait, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Sur le troisième moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 1134 du Code civil ;
Attendu que pour dire le cautionnement souscrit par la société Laficau caduc, l'arrêt retient que cette société a souscrit son engagement le 5 décembre 1990 jusqu'au 31 décembre 1992 "sauf accord des parties pour une prorogation", étant précisé à l'acte que l'engagement était atteint par la caducité "à défaut d'avoir été mis en jeu par lettre recommandée avec accusé de réception ou par voie d'huissier dans le délai de quinze jours à compter de cette date, soit à défaut d'avoir été mis en jeu avant le 15 janvier 1993" et que la mise en demeure notifiée le 18 décembre 1992 par le CDE à la société Laficau pour mettre en oeuvre son engagement de caution était prématurée dès lors que la date d'exigibilité se situait au 31 décembre 1992 ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le CDE était fondé, en application de la convention des parties, à se prévaloir à l'égard de la caution de l'exigibilité anticipée des sommes prêtées et si la mise en demeure avait dès lors été envoyée dans le délai contractuellement prévu, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Et sur le moyen relevé d'office, après avertissement donné aux parties :
Vu l'article 1147 du Code civil ;
Attendu que pour retenir la responsabilité de la société CDE dans l'obtention de l'engagement de caution de M. X..., l'arrêt retient que cette caution a été obtenue par le CDE sans qu'il vérifie préalablement la surface du patrimoine de M. X..., que l'imprévision du CDE caractérisée par sa négligence dans la recherche ou la vérification d'informations, et son attitude consistant à obtenir une caution à hauteur de l'intégralité des montants prêtés, et dans un contexte dans lequel la caution supportait l'intégralité des risques, présentent un caractère fautif à l'origine directe d'une grande partie du préjudice subi par M. X... ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que M. X..., gérant de la société Nationale Plazza n'a jamais prétendu ni démontré que la société CDE aurait eu sur ses revenus, son patrimoine et ses facultés de remboursement raisonnablement prévisibles en l'état du succès escompté de l'opération immobilière entreprise par la société, des informations que lui-même aurait ignorées, de sorte qu'il n'était pas fondé à rechercher la responsabilité de ce créancier, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Sur le pourvoi incident :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 1er de la loi du 2 janvier 1981 devenu l'article L. 313-23 du Code monétaire et financier ;
Attendu que pour rejeter le moyen d'irrecevabilité tiré par M. X... du défaut de qualité pour agir de la société EIA, l'arrêt retient que le bordereau de cession de créances professionnelles fait expressément référence et est conforme aux dispositions de la loi du 2 janvier 1981 dite loi Dailly et qu'il ressort de la convention-cadre qui y est annexée qu'il s'agit d'une cession-escompte et donc d'une opération de crédit ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société EIA avait la qualité d'établissement de crédit, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du pourvoi principal et du pourvoi incident :
CASSE ET ANNULE, tant sur le pourvoi principal que sur le pourvoi incident, mais seulement en ce qu'il a rejeté le moyen d'irrecevabilité tiré du défaut de qualité pour agir de la société EIA soulevé par M. X..., dit que le CDE a engagé sa responsabilité dans l'octroi du crédit consenti à la société Nationale Plazza et dans le maintien de celui-ci, lesquels octroi et maintien présentent un caractère abusif, dit que le CDE a commis des fautes engageant sa responsabilité dans l'obtention de l'engagement de caution de M. X..., dit que ces fautes étaient en grande partie à l'origine du préjudice personnel de M. X... recherché à hauteur de l'intégralité des sommes dues à la société EIA, évalué ce préjudice à la somme de 30 000 000 francs et dit que ce montant viendra en compensation avec les montants mis à la charge de M. X... au profit de la société EIA aux droits du CDE, dit l'engagement souscrit par la société Laficau caduc, déchargé celle-ci de tout paiement au profit de la société EIA et débouté cette dernière de ses prétentions à l'égard du GAN, l'arrêt rendu le 11 décembre 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.