CA Versailles, 14 septembre 2017, n° 17/00189
VERSAILLES
Ordonnance
Autre
PARTIES
Demandeur :
Amazon France Services (Sté), Société Amazon EU (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseiller :
Mme Bonnet
EXPOSE DU LITIGE
La société Pixmania exploitait jusqu'en février 2016, date de son placement en liquidation judiciaire, une plateforme électronique mettant en relation sur un site internet spécialisé des vendeurs professionnels, parmi lesquels la société Elite GSM, avec des clients.
Par deux ordonnances du 12 février 2016, le président du tribunal de commerce de Lille a autorisé la S.A.S. Pixmania à faire pratiquer à l'encontre de la société Elite GSM, d'une part une saisie conservatoire de tous les biens meubles corporels et notamment les stocks de produits finis dont la société Elite GSM serait propriétaire, et d'autre part de toutes les sommes, avoirs ou valeurs dont la société Elite GSM serait titulaire, entre les mains de la S.A.R.L. Amazon EU, et/ou la S.A.S. Amazon France Services, et/ou la société Amazon France Logistique, et/ou toute société affiliée à la société Amazon EU SARL, en garantie de sa créance de 600.000 euros TTC en principal ; cette saisie a été dénoncée à la société Elite GSM.
Les saisies ont été instrumentées le 12 février 2016 suivant procès-verbal de saisie conservatoire entre les mains de la société Amazon EU et de la société Amazon France Services.
Par ordonnance de référé du 25 février 2016, le président du tribunal de commerce de Nanterre a condamné la société Elite GSM à payer à la S.A.S. Pixmania à titre provisionnel la somme de 740 369,71 euros TTC, outre la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par acte d'huissier de justice du 8 juin 2016, la Selarl de K. représentée par Maître H. de K. en qualité de liquidateur de la S.A.S. Pixmania a assigné la S.A.S. Amazon France Services et la S.A.R.L. Amazon EU devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nanterre, au visa des articles L. 123-1 et R. 522-5 et R. 221-21 du code des procédures civiles d'exécution, afin de voir :
- constater le refus de répondre de la S.A.R.L. Amazon EU aux saisies pratiquées entre ses mains le 12 février 2016, le manquement de la S.A.S. Amazon France Services à son devoir de collaboration dans le cadre de la saisie sur stocks du 12 février 2016 et le préjudice consécutif en étant résulté pour la S.A.S. Pixmania à hauteur de la dette de la société Elite GSM soit 680 735,62 euros,
- condamner in solidum la S.A.S. Amazon France Services et la S.A.R.L. Amazon EU au paiement des causes de la saisie et, en conséquence, à verser au liquidateur de Pixmania la somme de 680 735,62 euros,
- condamner in solidum la S.A.S. Amazon France Services et la S.A.R.L. Amazon EU à lui payer la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 27 avril 2017, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nanterre a :
- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Amazon France Services,
- dit n'y avoir lieu d'annuler la saisie conservatoire diligentée par la société Pixmania le 12 février 2016 entre les mains de la société Amazon EU,
- condamné la société Amazon France Services et la société Amazon EU à payer à Maître H. de K. en qualité de liquidateur de la société Pixmania la somme de 400.000 euros de dommages et intérêts,
- rejeté le surplus des demandes,
- condamné la société Amazon France Services et la société Amazon EU à payer à Maître H. de K. en qualité de liquidateur de la société Pixmania la somme 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Amazon France Services et la société Amazon EU aux dépens.
Par déclaration du 12 mai 2017 la société Amazon France Services et la société Amazon EU ont interjeté appel de cette décision.
Par acte d'huissier du 23 mai 2017, la société Amazon France Services et la société Amazon EU ont assigné la Selarl de K. représentée par Maître de K. en qualité de liquidateur de la société Pixmania devant le premier président de la cour d'appel aux fins de voir ordonner, sur le fondement de l'article R. 121-22 du code des procédures civiles d'exécution, le sursis à l'exécution du jugement du 27 avril 2017 du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nanterre et la condamnation de la Selarl de K. au paiement d'une indemnité de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Dans leur assignation soutenue oralement à l'audience du 6 juillet 2017, la société Amazon France Services et la société Amazon EU font valoir qu'il existe des moyens sérieux d'infirmation du jugement du juge de l'exécution de sorte que le sursis à exécution du jugement devra être ordonné.
Elles reprochent essentiellement au juge de l'exécution :
- d'avoir retenu la qualité de tiers saisi d'Amazon France Services, qui ne détenait aucun bien appartement à Elite GSM, ce qu'elle a déclaré à l'huissier le 12 février 2016, commettant une erreur d'appréciation et dénaturant les faits,
- d'avoir outrepassé les pouvoirs juridictionnels qui lui sont conférés par l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire dans la mesure où la demande en réparation de Pixmania n'avait pas directement trait à la mesure conservatoire mais reposait exclusivement sur un email adressé par Amazon France Services à l'huissier de justice le 22 février 2016, alors que la mesure conservatoire était épuisée à son égard,
- une appréciation erronée des textes et de la jurisprudence pour retenir la responsabilité d'Amazon EU au motif d'un manquement de celle-ci à son obligation de renseignement,
- un probable dépassement des limites du litige (ultra petita),
- un défaut de constatation de l'absence de lien de causal entre les fautes retenues à l'encontre d'Amazon France Services et Amazon EU et le préjudice allégué par Pixmania.
Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience la Selarl de K. es qualité formule les demandes suivantes :
- débouter Amazon EU SARL et Amazon France Services SAS de leur demande de sursis à exécution,
- lui donner acte que l'exécution du jugement du 27 avril 2017 portera sur une demande de paiement de la somme 400.000 euros (200.000 euros pour chaque société condamnée) outre les intérêts au taux légal et les frais irrépétibles, et qu'il ne s'oppose pas au sursis à exécution partiel pour le surplus de la condamnation (à considérer que surplus il y a au regard du dispositif du jugement),
- condamner in solidum Amazon EU SARL et Amazon France Services SAS à payer à la société Pixmania la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles de la présente instance, outre les frais de première instance,
- les condamner aux entiers dépens du référé.
Après avoir exposé les conditions dans lesquelles la saisie conservatoire s'est déroulée, la Selarl de K. fait valoir que :
- elle a fait pratiquer les deux saisies (de créances et de biens meubles) au siège de la holding du groupe en France, la société Amazon EU, dont le siège est également celui de Amazon France Services,
- Amazon EU n'a jamais apporté de réponse aux opérations de saisie pratiquées entre ses mains, alors que l'acte de saisie lui a été valablement signifié à domicile,
- la société Amazon France Services, visée par la saisie du 12 février 2016, a été déléguée par le groupe Amazon pour prendre en charge le suivi des saisies dans le cadre d'une mise en possession juridique des stocks litigieux et a manqué à son obligation de collaboration et de renseignement,
- ses déclarations contenues dans le mail du 22 février 2016 qui s'ajoutent à celles du 12 février sont tardives, parcellaires et fausses.
La SELARL de K. répond aux moyens d'infirmation développés par les sociétés Amazon que :
- l'action de Pixmania rentrait bien dans le champ de compétence du juge de l'exécution au sens de l'article L. 213-6 alinéa 4 du code de l'organisation judiciaire dès lors que sa demande en réparation s'est élevée à l'occasion de la mesure conservatoire pratiquée entre les mains de la société Amazon France Services,
- le juge de l'exécution n'a pas commis d'erreur d'appréciation en retenant un manquement d'Amazon France Services à son obligation de renseignement,
- le juge de l'exécution a parfaitement répondu au moyen tiré de la nullité de la saisie-conservatoire,
- il a également à juste titre retenu le manquement d'Amazon EU à son obligation de renseignement étant précis qu'elle n'a jamais satisfait à cette obligation et qu'elle ne peut donc se prévaloir d'un quelconque motif légitime,
- le juge de l'exécution n'a pas statué ultra petita, le dispositif portant clairement sur une condamnation à 400 000 euros, inférieure à la demande,
- le juge a caractérisé le lien de causalité, pour chaque société condamnée, entre la faute et le préjudice.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens soutenus par les parties, il est renvoyé à leurs écritures et à la décision du juge de l'exécution.
MOTIFS DE LA DECISION
L'article R. 121-22 du code des procédures civiles d'exécution, qui figure dans le chapitre relatif à la procédure ordinaire, dispose qu'en cas d'appel, un sursis à l'exécution des décisions prises par le juge de l'exécution peut être demandé au premier président de la cour d'appel. La demande est formée par assignation en référé délivrée à la partie adverse et dénoncée, s'il y a lieu, au tiers entre les mains de qui la saisie a été pratiquée. Jusqu'au jour du prononcé de l'ordonnance par le premier président, la demande de sursis à exécution suspend les poursuites si la décision attaquée n'a pas remis en cause leur continuation ; elle proroge les effets attachés à la saisie et aux mesures conservatoires si la décision attaquée a ordonné la mainlevée de la mesure. Le sursis à exécution n'est accordé que s'il existe des moyens sérieux d'annulation ou de réformation de la décision déférée à la cour.
Il convient d'examiner les différents moyens d'infirmation de la décision du juge de l'exécution soulevés par les sociétés Amazon à l'appui de leur demande de sursis à l'exécution.
1) sur le manquement retenu à l'encontre de la société Amazon France Services
Amazon reproche au juge de l'exécution d'avoir retenu la responsabilité d'Amazon France Services sur le fondement de l'article R. 221-21 du code des procédures civiles d'exécution alors qu'il ne pouvait conférer à cette dernière la qualité de tiers saisi .
Le juge de l'exécution s'est livré à une analyse minutieuse et très pertinente des mails adressés les 22 et 29 février 2016 à l'huissier instrumentaire par le service juridique d'Amazon France Services ayant pour objet 'votre saisie conservatoire en date du 12 février 2016" et a pu retenir, sans commettre d'erreur de droit et sans utiliser des éléments de fait tirés d'une mesure conservatoire subséquente, que ces réponses, concernant d'une part la valeur des stocks d'Elite GSM se trouvant dans les centres de distribution d'Amazon en France et d'autre part la confirmation du bloquage de ces stocks depuis le 12 février 2016, ont pu légitimement être considérées par le saisissant comme émanant du tiers - saisi afin de compléter sa première réponse effectuée à l'huissier instrumentaire le 12 février 2016, ou à tout le moins comme émanant de l'entité du groupe Amazon détentrice du pouvoir de rendre indisponibles les biens saisis.
Or, ces informations se sont révélées erronées en ce qui concerne l'indisponibilité des biens dès la saisie compte tenu de la disparition des stocks entre le 12 février et le 29 février et 1er mars 2016.
Et c'est à juste titre que le juge de l'exécution a retenu qu'Amazon France Services ne pouvait s'abriter derrière sa réponse faite à l'huissier le 12 février 2016 pour dénier sa qualité de tiers saisi dont toute réponse engage sa responsabilité.
Il doit être ici rappelé que le tiers entre les mains duquel est pratiquée une saisie et qui ne satisfait pas aux devoirs pesant sur les tiers saisis encourt une condamnation au paiement de dommages et intérêts, même s'il n'est tenu au jour de la saisie à aucune obligation envers le débiteur.
S'agissant du moyen tiré du dépassement du pouvoir juridictionnel du juge de l'exécution, la demande en réparation de la société Pixmania à l'encontre d'Amazon France Services s'est élevée à l'occasion de la mesure conservatoire pratiquée entre les mains de cette société et est fondée sur son exécution dommageable de sorte qu'elle rentre bien dans les pouvoirs juridictionnels conférés au juge de l'exécution par l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire.
Pour ces motifs, il ne peut être considéré qu'il existe un moyen sérieux d'infirmation du jugement en ce qu'il a retenu un manquement d'Amazon France Services à son obligation de renseignement et en ce qu'il a écarté la fin de non recevoir soulevée par cette société.
2) sur le manquement retenu à l'encontre de la société Amazon EU
- sur l'exception de nullité du procès-verbal de saisie conservatoire soulevée par Amazon EU
Après avoir rappelé les dispositions de l'article 654 du code de procédure civile relatives à la signification des actes d'huissier, le juge de l'exécution s'est livré à une analyse complète des diligences mentionnées par l'huissier concernant les modalités de remise du procès verbal de saisie conservatoire signifié à Amazon EU. Amazon EU se contente de conclure à la nullité du procès-verbal de saisie conservatoire au motif qu'il a été remis au domicile du destinataire sans préciser quelle diligence complémentaire n'aurait pas été accomplie par l'huissier. L'acte de signification précise bien qu'une copie de l'acte a été remise à la personne présente, que l'avis de passage prévu à l'article 655 du code de procédure civile a été laissé au domicile du signifié et que la lettre prévue à l'article 658 contenant copie de l'acte de signification lui a été adressée.
Aucun moyen sérieux d'infirmation n'existe concernant le rejet de l'exception de nullité du procès-verbal de saisie conservatoire concernant Amazon EU.
- sur l'appréciation erronée du motif légitime alléguée par Amazon EU
L'article R. 221-21 du code des procédures civiles d'exécution prévoit qu'en cas de refus de déclaration ou de déclaration inexacte ou mensongère, le tiers peut être condamné au paiement des causes de la saisie sauf son recours contre le débiteur. Il peut aussi être condamné à des dommages et intérêts.
Il est constant qu'aucune réponse n'a été apportée par Amazon EU contrairement aux prescriptions de l'article susvisé. Cette société n'a justifié devant le juge de l'exécution ni dans le cadre du présent référé d'aucun motif légitime. C'est donc de manière totalement inopérante qu'elle invoque une contradiction dans la motivation du jugement et une dénaturation par le juge de la règle de droit applicable.
Aucun moyen sérieux d'infirmation ne peut être retenu en ce que le jugement, conformément à la jurisprudence constante, a retenu la responsabilité d'Amazon EU.
3) sur le dépassement des limites du litige
La demande de dommages et intérêts formée par le liquidateur de Pixmania s'élevait à 593.756,01 euros. Aux termes du dispositif du jugement, les sociétés Amazon France Services et Amazon EU sont condamnées à payer à la Selarl de K. en qualité de liquidateur de la société Pixmania la somme de 400.000 euros de dommages et intérêts.
Il est vrai que dans les motifs, le jugement énonce une condamnation de chaque société à payer à la Selarl de K. la somme de 400 000 euros et que le juge a rejeté la demande de condamnation in solidum des sociétés. Le dispositif s'entend donc d'une condamnation conjointe des deux sociétés à payer la somme globale de 400 000 euros, et non pas de 800.000 euros comme le soutiennent à tort les sociétés Amazon. Le juge n'a pas statué ultra petita mais dans les limites de la demande.
4 ) sur le lien de causalité entre les fautes retenues à l'encontre des deux sociétés Amazon et le préjudice allégué par Pixmania
Pour chaque faute retenue à l'égard de chaque société, le juge de l'exécution a caractérisé le lien de causalité avec le préjudice de la société Pixmania résultant de sa perte de chance de saisir des stocks d'un montant supérieur à sa créance, en tenant compte, pour l'évaluation du préjudice, de l'abstention fautive du créancier saisissant.
En conclusion de ce qui précède, faute pour les sociétés Amazon de justifier d'un moyen sérieux d'infirmation du jugement, leur demande de sursis à l'exécution du jugement ne peut prospérer. Elle est rejetée.
Les sociétés Amazon France Services et Amazon EU, parties perdantes, supporteront la charge des dépens de la présente instance.
L'équité commande de faire droit à la demande de la Selarl de K. présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Les deux sociétés appelantes seront condamnées in solidum à lui régler une indemnité au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre du présent référé.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement,
Rejette la demande de sursis à l'exécution du jugement rendu entre les parties le 27 avril 2017 par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nanterre,
Condamne in solidum la société Amazon France Services et la société Amazon EU aux dépens de la présente instance,
Condamne in solidum la société Amazon France Services et la société Amazon EU à payer à la Selarl de K. représentée par Maître Christian H. de K. en qualité de liquidateur de la S.A.S. Pixmania la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.