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Décisions

CA Colmar, 3e ch. civ. A, 23 novembre 2020, n° 19/02629

COLMAR

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Martino

Conseillers :

Mme Fabreguettes, M. Frey

JEX Mulhouse, du 10 mai 2019

10 mai 2019

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par jugement réputé contradictoire et en premier ressort rendu le 12 décembre 2003 par le tribunal d'instance de Mulhouse, la résiliation du bail consenti par Monsieur Marc S. à Monsieur Patrick D. a été prononcée et Monsieur Patrick D. a été condamné à payer à Monsieur Marc S. une indemnité mensuelle d'occupation de 650 €, une somme de 3384 € au titre des loyers et charges impayés au 31 août 2003, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, la somme de 1128 € au titre du dépôt de garantie, avec intérêts au taux légal à compter du jugement et la somme de 300 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 27 octobre 2004, Monsieur Marc S. a fait signifier à Monsieur Patrick D. un commandement de payer aux fins de saisie vente, portant sur la somme totale de 9402,32 € en principal, intérêts et frais.

Selon procès-verbal du 11 février 2019, Monsieur Marc S. a fait procéder à la saisie attribution des sommes détenues sur le compte ouvert au nom de Monsieur Patrick D. au Crédit Agricole Alsace Vosges, pour paiement d'une créance totale de 12'532,21 € en principal, intérêts et frais, sur le fondement du jugement précité, signifié le 6 mai 2013.

Par acte d'huissier du 12 mars 2019, Monsieur Patrick D. a assigné Monsieur Marc S. devant le juge de l'exécution délégué du tribunal d'instance de Mulhouse, aux fins de voir déclarer le jugement du 12 décembre 2003 non avenu pour défaut de signification dans les délais requis, déclarer la saisie attribution nulle et de nul effet, subsidiairement, en voir ordonner la mainlevée immédiate et aux fins de voir condamner le défendeur aux dépens et à lui payer la somme de 1000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur Marc S. a contesté les demandes et a sollicité paiement d'une somme de 1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 10 mai 2019, le juge de l'exécution délégué du tribunal d'instance de Mulhouse a rejeté la demande de Monsieur Patrick D., débouté Monsieur Marc S. de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné Monsieur Patrick D. aux dépens.

Pour se déterminer ainsi, le premier juge a notamment retenu que le jugement du 12 décembre 2003 a été signifié le 11 mars 2004 par acte remis à personne.

Monsieur Patrick D. a interjeté appel de ce jugement le 5 juin 2019, le recours portant sur l'annulation, l'infirmation, respectivement la réformation du jugement entrepris et en ce qu'il a été condamné aux dépens.

Par arrêt avant-dire droit du 13 janvier 2020, Monsieur Marc S. a été invité à produire les actes d'exécution forcée réalisés en 2013 et 2015.

Par écritures notifiées le 27 mars 2020, Monsieur Patrick D. a conclu à l'infirmation du jugement déféré et demande à la cour de :

-dire que le jugement du 12 décembre 2003 n'a pas été régulièrement signifié dans le délai de six mois et qu'il est non avenu,

En conséquence,

-annuler toutes les mesures d'exécution forcée et notamment la saisie attribution litigieuse fondée sur un titre qui sera déclaré non avenu et non régulièrement signifié,

Subsidiairement,

-dire que la prescription doit s'appliquer et que Monsieur Marc S. est irrecevable à poursuivre l'exécution du jugement,

Plus subsidiairement,

-dire que les mesures d'exécution forcée sur les créances périodiques sont prescrites et en tout état de cause, au regard de la prescription quinquennale, dire que les intérêts échus ne peuvent être recouvrés que dans la limite de cinq ans à compter du procès-verbal de saisie,

-dire que les frais de la mesure de saisie resteront à la charge de Monsieur Marc S.,

-condamner Monsieur Marc S. aux entiers dépens des deux instances et à lui payer la somme de 1500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Il maintient que l'acte de signification dont se prévaut Monsieur Marc S. le 11 mars 2004 n'est pas versé aux débats ; qu'il n'est toujours pas justifié d'une signification régulièrement intervenue dans le délai de six mois, de sorte que le jugement est non avenu.

Il fait valoir en tout état de cause que l'exécution du jugement est prescrite, la saisie-attribution ayant été pratiqué plus de dix ans après l'obtention du titre exécutoire ; que les actes dont se prévaut Monsieur Marc S. ne sont pas interruptifs de prescription, en ce qu'ils sont nuls ou n'ont pas été régulièrement signifiés ; que le procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation ne lui a pas été signifié régulièrement ; que l'acte de saisie ne comporte pas de copie du titre, de sorte qu'il encourt la nullité ; qu'il n'a de même pas été dénoncé dans le délai de huit jours.

Plus subsidiairement encore, s'agissant de créances périodiques et des intérêts dus sur le principal, il fait valoir que le créancier ne peut en obtenir recouvrement plus de cinq ans avant la date de la demande pour les termes non encore exigibles à la date du jugement.

Par écritures notifiées le 2 juin 2020, Monsieur Marc S. a conclu à la confirmation du jugement entrepris et sollicite la condamnation de Monsieur Patrick D. aux dépens et à lui payer la somme de 1500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Il maintient que le jugement du 12 mars 2003 a été signifié le 11 mars 2004 par acte remis à personne ; qu'il en a entrepris l'exécution dès le 27 octobre 2004, par la signification d'un commandement de payer aux fins de saisie vente ; que la signification du 6 mai 2013 ne vise que la deuxième copie exécutoire.

Il fait valoir que l'argument tiré de la prescription du titre est un moyen nouveau qui est irrecevable ; qu'en tout état de cause, les mesures d'exécution constituent des causes interruptives de prescription ; que de même, le moyen relatif à la prescription des indemnités d'occupation est nouveau et irrecevable en appel ; que l'indemnité d'occupation ne constitue pas une créance de nature périodique, s'agissant de dommages-intérêts pour une détention abusive des locaux, dont le montant dépend du temps passé jusqu'à l'évacuation effective ; que l'indemnité d'occupation n'avait vocation à s'appliquer qu'au jour de l'acquisition de la résiliation, soit le 28 janvier 2004, de sorte que le jugement se suffisait à lui-même pour son exécution.

Il soutient que le procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation et la saisie-attribution antérieurement pratiquée ont interrompu la prescription ; que la nullité tirée de l'absence de copie du titre constitue une nullité de forme et qu'aucun grief n'est démontré, le débiteur ayant déjà eu connaissance du jugement par acte remis à sa personne ; que les créances et leur recouvrement ne sont pas prescrits ; que les intérêts sont également dus pour les cinq dernières années depuis la saisie, soit depuis le 10 février 2014.

MOTIFS

Vu l'ordonnance de fixation de l'affaire en date du 10 juillet 2019 ;

Sur le titre :

En vertu des dispositions de l'article 478 du code de procédure civile, le jugement rendu par défaut ou le jugement réputé contradictoire au seul motif qu'il est susceptible d'appel, est non avenu s'il n'a pas été notifié dans les six mois de sa date.

Il résulte en l'espèce des éléments du dossier et notamment des pièces contenues dans le dossier de première instance, que le jugement du 12 décembre 2003 a été régulièrement signifié à Monsieur Patrick D. par acte du 11 mars 2004 de Maître Jean-Pierre S., huissier de justice à Mulhouse, remis à sa personne.

Ce jugement, signifié dans le délai imparti, est régulier et constitue un titre exécutoire pouvant fonder les mesures d'exécution entreprises.

Il importe peu pour la régularité de la procédure que le procès-verbal de saisie-attribution porte mention d'une signification en date du 6 mai 2013, puisque le titre avait fait l'objet d'une signification régulière dès le 11 mars 2004, ce que Monsieur Patrick D. ne pouvait d'ailleurs ignorer, compte tenu du mode de remise de l'acte à personne.

Sur la saisie-attribution :

Si l'article 564 du code de procédure civile pose que les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, l'article 563 du même code dispose cependant qu'elles peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves pour justifier en appel les prétentions soumises au premier juge.

En l'espèce, la demande formulée par Monsieur Patrick D. devant le premier juge tendait à obtenir l'annulation, subsidiairement la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée. Le moyen tiré de la prescription tend de même à voir ordonner la mainlevée de la mesure d'exécution forcée pour absence de créance, de sorte qu'il n'y a pas lieu de déclarer irrecevables les moyens nouveaux invoqués en appel.

L'article L 111-4 du code des procédures civiles d'exécution dispose que l'exécution des titres exécutoires mentionnés au 1° et 3° de l'article L 111-3 ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui sont constatées se prescrivent par un délai plus long.

Antérieurement à la loi 2008-561 du 17 juin 2008, les titres exécutoires se prescrivaient par trente ans. La loi du 17 juin 2008 a raccourci ce délai à dix ans. Conformément aux dispositions de l'article 26 II de ce texte, qui prévoit l'application du délai de dix ans à la prescription en cours à la date de l'entrée en vigueur de la loi, un délai de dix ans a commencé à courir à compter du 19 juin 2008, date d'entrée en vigueur de la loi, de sorte que la prescription du jugement était acquise au 19 juin 2018.

L'article 2244 du code civil prévoit que le délai de prescription ou le délai de forclusion est interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ou un acte d'exécution forcée.

Monsieur Marc S. verse aux débats un procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation du véhicule du débiteur, adressé le 19 novembre 2013 par Maître Philippe S., huissier de justice à Mulhouse, à la sous-préfecture du Haut-Rhin pour recouvrement de la somme totale de 9830,79 € en principal, intérêts et frais, sur le fondement du jugement du 12 décembre 2003.

Ce procès-verbal a été dénoncé à Monsieur Patrick D. par acte du même huissier du 26 novembre 2013, remis selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile, à la dernière adresse connue du débiteur. L'appelant ne peut contester la régularité de cette signification au motif que l'adresse de dénonciation ne serait pas la sienne, dans la mesure où il ressort des mentions de l'acte que l'huissier a procédé aux diligences nécessaires pour tenter de le retrouver, en interrogeant les services de la mairie, qui ont répondu qu'il était parti sans laisser d'adresse, en consultant l'annuaire téléphonique électronique, ainsi qu'en effectuant des recherches sur Internet.

S'il n'apparaît pas que l'acte comporte, conformément aux dispositions de l'article R 522-5 du code des procédures civiles d'exécution,'une copie de l'autorisation du juge ou du titre, selon le cas, en vertu duquel la saisie a été pratiquée, la nullité encourue est une nullité de forme qui nécessite, pour être retenue, que soit prouvée l'existence d'un grief. En l'espèce, Monsieur Patrick D. n'explique pas en quoi l'omission de la copie du titre lui cause un grief, ce d'autant qu'il lui était déjà connu pour lui avoir été signifié à personne le 11 mars 2004.

Conformément aux dispositions de l'article L 223-1 du code des procédures civiles d'exécution, la notification de la déclaration d'indisponibilité du certificat d'immatriculation au débiteur produit tous les effets d'une saisie. Le procès-verbal du 19 novembre 2013, régulièrement signifié au débiteur, a donc eu pour effet d'interrompre le délai de prescription à compter du 26 novembre 2013 et de faire partir un nouveau délai de dix ans.

Il en résulte que la saisie-attribution litigieuse a été pratiquée sur le fondement d'un titre dont l'exécution n'était pas prescrite.

Il sera précisé qu'en revanche, aucun effet interruptif de prescription ne peut être tiré du procès-verbal de saisie-attribution versée aux débats, qui ne comporte pas d'autre date que la mention de l'année 2015 et qui n'a manifestement pas fait l'objet d'une signification au tiers saisi ni d'une dénonciation au débiteur.

Sur la nature de la créance et des intérêts :

En vertu de l'article 2224 du code civil, applicable en raison de la nature de la créance, le créancier ne peut obtenir le recouvrement des arriérés d'indemnité d'occupation échus plus de cinq ans avant la date de sa demande et non encore exigibles à la date à laquelle le jugement avait été obtenu et l'intimé n'est pas fondé à soutenir qu'il ne s'agirait pas d'une créance à exécution successive, mais de dommages et intérêts dont le montant dépend de la durée écoulée jusqu'à restitution du logement.

En l'espèce, la saisie-attribution pratiquée le 11 février 2019 porte sur les sommes principales de 3384 €, 1128 € et 300 € allouées par jugement du 12 décembre 2003, ainsi que sur les indemnités d'occupation courant à compter du mois de décembre 2003 jusqu'au mois de mai 2004, outre les intérêts échus pour un montant de 2919,92 €.

Compte tenu de la prescription invoquée par Monsieur Patrick D., Monsieur Marc S. ne peut revendiquer des montants échus antérieurement au 10 février 2014, en ce qui concerne les indemnités d'occupation courues postérieurement au jugement du 12 décembre 2003 et des intérêts courus sur les créances en principal.

Il convient en conséquence de ne valider la saisie-attribution que dans les conditions précitées. Cependant, le montant saisi le 11 février 2019 n'étant que de 1237,40 € après déduction du Rsa, et les créances en principal figurant dans le titre exécutoire dont l'exécution n'est pas prescrite étant supérieures au montant saisi , le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur Patrick D. de ses demandes tendant à voir annuler la saisie-attribution litigieuse ou d'en ordonner la mainlevée.

Sur les frais et dépens :

Les dispositions du jugement déféré quant aux frais et dépens seront confirmées.

Partie perdante, Monsieur Patrick D. sera condamné aux dépens de l'instance d'appel et sera débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Il sera en revanche fait droit à la demande de l'intimé sur le même fondement, à hauteur de la somme de 1200 €.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement,

DECLARE recevables les moyens développés en appel par Monsieur Patrick D.,

CONFIRME le jugement déféré,

Y ajoutant,

PRECISE que Monsieur Marc S. ne peut revendiquer des montants échus antérieurement au 10 février 2014, en ce qui concerne les indemnités d'occupation courues postérieurement au jugement du 12 décembre 2003 et des intérêts courus sur les créances en principal,

CONDAMNE Monsieur Patrick D. à payer à Monsieur Marc S. la somme de 1200 € (mille deux cents euros) par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE Monsieur Patrick D. de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Monsieur Patrick D. aux dépens de l'instance d'appel.