CJUE, 9e ch., 22 juin 2023, n° C-163/22 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Gmina Miasto Gdynia, Port Lotniczy Gdynia-Kosakowo sp. z o.o. w likwidacji
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Rossi
Juges :
M. Lycourgos (rapporteur), Mme Spineanu Matei
Avocat général :
M. Rantos
Avocats :
Me Gruszecka-Spychała, Me Rosiak
LA COUR (neuvième chambre)
1 Par leur pourvoi, Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia-Kosakowo sp. z o.o. w likwidacji demandent l’annulation de l’arrêt du 21 décembre 2021, Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia-Kosakowo/Commission (T 263/15 RENV, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:927), par lequel le Tribunal a rejeté leur recours tendant à l’annulation de la décision (UE) 2015/1586 de la Commission, du 26 février 2015, concernant la mesure SA.35388 (13/C) (ex 13/NN et ex 12/N) – Pologne – Reconversion de l’aéroport de Gdynia-Kosakowo (JO 2015, L 250, p. 165, ci-après la « décision litigieuse »), laquelle remplaçait la décision 2014/883/UE de la Commission, du 11 février 2014 (JO 2014, L 357, p. 51).
Les antécédents du litige
2 Le capital de Port Lotniczy Gdynia-Kosakowo sp. z o.o. w likwidacji (ci-après la « société PLGK ») est détenu à 100 % par les communes de Gdynia (Pologne) et de Kosakowo (Pologne), qui l’ont créée en 2007 dans le but, tout d’abord, de reconvertir à des fins civiles l’aéroport militaire de Gdynia-Oksywie, situé sur la commune de Kosakowo (ci-après l’« aéroport de Gdynia-Kosakowo »), et, ensuite, d’exploiter ce dernier.
3 Le 7 septembre 2012, la République de Pologne a notifié à la Commission européenne la mesure de financement du projet de reconversion de l’aéroport de Gdynia-Kosakowo (ci-après la « mesure en cause »).
4 Le 7 novembre 2012 et le 6 février 2013, la Commission a demandé aux autorités polonaises des informations complémentaires concernant la mesure en cause. Ces informations ont été transmises à la Commission le 7 décembre 2012 et le 15 mars 2013.
5 Le 15 mai 2013, la Commission a informé les autorités polonaises qu’elle entendait transférer le dossier relatif à la mesure en cause au registre des aides non notifiées, dans la mesure où la majeure partie du financement notifié avait déjà été octroyée de manière irrévocable.
6 Par sa décision C(2013) 4045 final, du 2 juillet 2013, relative à la mesure SA.35388 (2013/C) (ex 2013/NN et ex 2012/N) – Pologne – Reconversion de l’aéroport de Gdynia-Kosakowo (JO 2013, C 243, p. 25, ci-après la « décision d’ouverture »), la Commission a ouvert la procédure formelle d’examen concernant la mesure en cause, en application de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, et a invité les parties intéressées à présenter leurs observations. La Commission n’a reçu aucune observation de ces parties.
7 Le 11 février 2014, la Commission a adopté la décision 2014/883, dans laquelle elle a constaté que la mesure en cause constituait une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, notamment en raison du fait que, grâce à cette mesure, la société PLGK avait obtenu un avantage économique dont elle n’aurait pas bénéficié dans des conditions normales de marché. Par cette décision, la Commission a ordonné aux autorités polonaises de récupérer l’aide d’État versée à la société PLGK.
8 Le 8 et le 9 avril 2014, respectivement, la commune de Gdynia, conjointement avec la société PLGK, et la commune de Kosakowo ont introduit devant le Tribunal des recours tendant à l’annulation de la décision 2014/883 (affaires T 215/14 et T 217/14).
9 Le 26 février 2015, la Commission a procédé, par le même acte, au retrait de la décision 2014/883 et au remplacement de cette dernière par la décision litigieuse.
10 S’agissant du retrait de la décision 2014/883, la Commission a indiqué que, au cours de la procédure devant le Tribunal, il était apparu que l’aide d’État déclarée incompatible avec le marché intérieur par la décision 2014/883 comprenait certains investissements qui, selon la décision d’ouverture, ne constituaient pas des aides d’État dans la mesure où ils relevaient d’une tâche d’intérêt public. Sur cette base, la Commission a décidé qu’il convenait de retirer, par l’article 1er de la décision litigieuse, la décision 2014/883.
11 Par l’article 2 de la décision litigieuse, les apports en capital réalisés en faveur de la société PLGK entre le 28 août 2007 et le 17 juin 2013 ont été qualifiés d’aide d’État illégalement mise à exécution par la République de Pologne, en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, et incompatible avec le marché intérieur, à l’exception de la part des apports en capital affectée aux investissements nécessaires à des activités relevant d’une tâche d’intérêt public. En vertu des articles 3 à 5 de la décision litigieuse, la République de Pologne doit récupérer cette aide auprès du bénéficiaire de cette dernière.
12 Par les ordonnances du 30 novembre 2015, Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia Kosakowo/Commission (T 215/14, non publiée, EU:T:2015:965) et Gmina Kosakowo/Commission (T 217/14, non publiée, EU:T:2015:968), le Tribunal a constaté qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur les recours déposés dans les affaires T 215/14 et T 217/14.
L’arrêt initial et l’arrêt du 11 mars 2020, Commission/Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia Kosakowo (C 56/18 P, EU:C:2020:192)
13 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 mai 2015, la commune de Gdynia et la société PLGK ont introduit un recours tendant à l’annulation des articles 2 à 5 de la décision litigieuse. La République de Pologne a été admise à intervenir dans la procédure au soutien des conclusions des requérantes.
14 Par l’arrêt du 17 novembre 2017, Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia Kosakowo/Commission (T 263/15, ci-après l’« arrêt initial », EU:T:2017:820), le Tribunal a fait droit aux conclusions des requérantes en accueillant le troisième grief du sixième moyen soulevé par celles-ci, en tant qu’il était tiré de ce que la Commission avait violé le droit dont disposaient les parties intéressées, en vertu de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, de soumettre des observations. Le Tribunal a fondé sa conclusion sur le fait que, entre la date de publication de sa communication intitulée « Lignes directrices sur les aides d’État aux aéroports et aux compagnies aériennes » (JO 2014, C 99, p. 3) et la date d’adoption de la décision litigieuse, les parties intéressées n’avaient pas été mises en mesure de présenter utilement leurs observations sur l’applicabilité et l’incidence éventuelle de ces lignes directrices, alors même que ces dernières constituaient un changement du régime juridique que la Commission avait décidé d’appliquer.
15 Par requête déposée au greffe de la Cour le 29 janvier 2018, la Commission a formé un pourvoi contre l’arrêt initial.
16 Par l’arrêt du 11 mars 2020, Commission/Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia Kosakowo (C 56/18 P, EU:C:2020:192), la Cour a annulé l’arrêt initial, a écarté le troisième grief du sixième moyen du recours en annulation dans la mesure où ce grief était tiré d’une violation des droits procéduraux des parties intéressées du fait que ces dernières n’avaient pas été mises en mesure de se prononcer, avant l’adoption de la décision litigieuse, sur la pertinence des lignes directrices sur les aides d’État aux aéroports et aux compagnies aériennes, a renvoyé l’affaire devant le Tribunal afin qu’il statue, d’une part, sur les aspects du sixième moyen de ce recours sur lesquels il ne s’était pas prononcé dans l’arrêt initial et, d’autre part, sur les premier à cinquième moyens dudit recours.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
17 Les requérantes et la République de Pologne ont déposé des observations écrites sur les conséquences à tirer de l’arrêt du 11 mars 2020, Commission/Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia Kosakowo (C 56/18 P, EU:C:2020:192), pour la solution du litige, respectivement le 19, le 21 et le 25 mai 2020. Les requérantes ont demandé au Tribunal d’annuler les articles 2 à 5 de la décision litigieuse et de condamner la Commission aux dépens. La Commission a demandé au Tribunal de rejeter le recours des requérantes et de condamner ces dernières aux dépens. La République de Pologne a soutenu les conclusions des requérantes.
18 Dans le cadre de ce recours, les requérantes ont soulevé six moyens d’annulation, tirés :
– le premier, en substance, de la violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et de l’article 296 TFUE ainsi que du principe de sécurité juridique, en ce que la Commission avait qualifié la mesure en cause d’aide d’État ;
– le deuxième, en substance, de la violation de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, de l’article 296 TFUE et du principe d’égalité de traitement, en ce que la Commission avait considéré que la mesure en cause n’était pas compatible avec le marché intérieur ;
– le troisième, de la violation de l’article 5, paragraphe 4, TUE et du principe de proportionnalité ;
– le quatrième, de la violation du principe « impossibilium nulla obligatio est » et du principe de proportionnalité ;
– le cinquième, de la violation des principes de sécurité juridique, de non-rétroactivité, de coopération loyale et d’égalité de traitement ;
– le sixième, en substance, de la violation des droits de la défense de la République de Pologne, de la violation des droits des requérantes à être entendues à l’égard des nouveaux éléments factuels figurant dans la décision litigieuse ainsi que de la violation des principes de bonne administration, de coopération loyale et de protection de la confiance légitime.
19 Par l’arrêt attaqué, ayant écarté ces six moyens d’annulation, le Tribunal a rejeté ledit recours dans son intégralité.
Les conclusions des parties
20 Les requérantes demandent à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– de statuer définitivement sur le litige en considérant comme fondés les premier, quatrième et sixième moyens de leur recours, « pour ce qui relève du pourvoi », et en annulant la décision litigieuse, conformément aux conclusions de ce recours ;
– de statuer sur les dépens de la procédure de première instance et des procédures de pourvoi.
21 La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner les requérantes aux dépens.
22 La République de Pologne soutient les conclusions des requérantes.
Sur la recevabilité de l’un des moyens soulevés par la République de Pologne
Argumentation des parties
23 La République de Pologne invoque, outre des arguments au soutien des moyens soulevés par les requérantes, un moyen relatif à l’analyse, dans l’arrêt attaqué, du grief tiré de la violation de ses droits de la défense. En particulier, l’arrêt attaqué serait entaché d’erreurs de droit et de défauts de motivation, à ses points 86 à 89, auxquels le Tribunal a considéré ce grief comme étant irrecevable, et, à son point 90, auquel le Tribunal a considéré ledit grief comme étant, en tout état de cause, inopérant.
24 La République de Pologne fait valoir que l’article 40 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ne s’oppose pas à ce qu’une partie intervenante invoque des arguments ou moyens nouveaux voire différents de ceux de la partie principale, à condition que ces arguments ou moyens aient pour objet de soutenir les conclusions de cette dernière.
25 La Commission soutient que le mémoire en réponse déposé par la République de Pologne est irrecevable, au motif qu’il ne contient pas de conclusions tendant à l’annulation de l’arrêt attaqué et que, partant, il ne satisfait pas à l’exigence établie à l’article 173, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour, aux termes duquel « [l]e mémoire en réponse contient les conclusions ».
26 En outre, la Commission considère le moyen relatif aux droits de la défense de la République de Pologne comme étant irrecevable.Appréciation de la Cour
27 S’agissant de la recevabilité du mémoire en réponse déposé par la République de Pologne dans son ensemble, il convient d’observer que ce mémoire indique que la République de Pologne « soutient le pourvoi » ainsi que les « conclusions » des requérantes. Dès lors, ledit mémoire contient des conclusions, conformément à l’article 173, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure.
28 S’agissant du moyen invoqué par la République de Pologne en ce qui concerne la violation de ses droits de la défense, il convient de relever que l’article 178, paragraphe 1, du règlement de procédure dispose que les conclusions du pourvoi incident tendent à l’annulation, totale ou partielle, de la décision du Tribunal, sans limiter la portée de ces conclusions à la décision du Tribunal telle qu’elle figure au dispositif de cette décision, à la différence de l’article 169, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, relatif aux conclusions du pourvoi (arrêt du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C 362/19 P, EU:C:2021:169, point 110).
29 Or, le pourvoi ne comporte pas de moyens d’annulation portant sur la violation des droits de la défense de la République de Pologne. La République de Pologne aurait pu introduire un pourvoi incident remettant en cause le rejet, dans l’arrêt attaqué, du grief tiré de la violation de ses droits de la défense. Dès lors, en l’absence d’un tel pourvoi incident, la République de Pologne n’est pas recevable à contester le rejet de ce grief dans le cadre d’un pourvoi qui ne comporte aucun moyen visant cette partie de l’arrêt attaqué, ce dernier étant revêtu de l’autorité de la chose jugée dans la mesure où le Tribunal a écarté ledit grief.
30 Il s’ensuit que le moyen relatif aux droits de la défense de la République de Pologne doit être déclaré irrecevable et, partant, écarté.
Sur le pourvoi
31 À l’appui du pourvoi, les requérantes soulèvent trois moyens, tirés, le premier, d’une erreur de droit quant à l’interprétation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE s’agissant de l’identification d’un avantage économique et de la détermination du montant de l’aide à récupérer, le deuxième, d’une erreur de droit dans l’analyse de la légalité du retrait de la décision 2014/883 et du remplacement de cette dernière par la décision litigieuse et, le troisième, d’une erreur de droit dans l’analyse de la violation des droits procéduraux des requérantes, ainsi que des principes de bonne administration, de coopération loyale et de protection de la confiance légitime.
Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit relative à l’interprétation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE
Argumentation des parties
32 Le premier moyen de pourvoi est divisé, en substance, en deux branches, relatives, la première, à l’identification d’un avantage économique et, la seconde, à la détermination du montant de l’aide à récupérer.
33 Par la première de ces branches, les requérantes visent les points 161 à 164 de l’arrêt attaqué, auxquels le Tribunal a considéré que la distinction, invoquée par elles, entre la création de l’infrastructure aéroportuaire et l’exploitation de l’aéroport de Gdynia-Kosakowo procédait d’une confusion concernant la nature de l’avantage accordé à la société PLGK. Selon le Tribunal, cet avantage consiste en un financement au moyen d’apports au capital de la société PLGK, et non en un droit d’exploitation de cet aéroport.
34 Les requérantes soutiennent que la Commission aurait dû tenir compte du fait que la société PLGK n’était pas le propriétaire du terrain ou de l’infrastructure de l’aéroport de Gdynia-Kosakowo. Selon elles, la Commission aurait également dû distinguer entre l’avantage lié à l’activité de construction d’infrastructures aéroportuaires et l’avantage lié à l’activité opérationnelle.
35 Dès lors, les requérantes considèrent comme étant erronée l’appréciation du Tribunal selon laquelle c’est à juste titre que la Commission a analysé l’avantage accordé à la société PLGK au vu des apports réalisés par les deux actionnaires publics de celle-ci en vue de la réalisation du projet de reconversion de l’aéroport concerné, sans qu’il y ait lieu de tenir compte du fait que cette société n’était propriétaire ni du terrain de cet aéroport ni de l’infrastructure aéroportuaire.
36 L’arrêt du 19 décembre 2012, Mitteldeutsche Flughafen et Flughafen Leipzig-Halle/Commission (C 288/11 P, EU:C:2012:821), cité au point 162 de l’arrêt attaqué, ne remettrait pas en cause cette considération.
37 En tout état de cause, la notion d’« avantage économique », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, porterait sur un avantage qui ne peut être obtenu sur le marché et il ne serait pas possible d’analyser cet avantage indépendamment de toutes les circonstances qui influent sur l’étendue et la nature de celui-ci. Rien ne justifierait donc d’identifier l’avantage accordé à la société PLGK comme résultant des apports en capital dont a bénéficié cette société pour construire une infrastructure dont elle ne sera cependant jamais propriétaire. L’avantage dont aurait bénéficié ladite société n’aurait pu résulter que du droit d’exercer l’activité d’opérateur aéroportuaire en utilisant l’infrastructure construite, et non de la construction de cette infrastructure pour le Trésor public.
38 Le Tribunal aurait ainsi suivi, sans motiver sa position, une approche excessivement formaliste, alors que, dans la réalité économique, les fonds apportés à la société PLGK pour construire une infrastructure dont elle n’était pas propriétaire ne pouvaient être assimilés à un « avantage », au sens des règles en matière d’aides d’État.
39 Les requérantes précisent qu’elles contestent non pas l’avantage résultant des apports en capital relatifs aux infrastructures aéroportuaires, mais le fait qu’un tel avantage ait été imputé, dans la décision litigieuse et dans l’arrêt attaqué, à la société PLGK, sans tenir compte du fait que l’infrastructure créée appartenait non pas à cette société, mais au Trésor public.
40 Par la seconde branche du premier moyen de pourvoi, les requérantes critiquent le point 274 de l’arrêt attaqué, auquel le Tribunal a considéré que le fait que la société PLGK ne disposait plus de la jouissance effective de l’infrastructure aéroportuaire s’inscrivait dans l’objectif poursuivi par le remboursement de l’aide en cause, et le point 277 de l’arrêt attaqué, auquel le Tribunal a écarté l’argument des requérantes tiré de l’absence de précision du montant de l’aide à rembourser.
41 Les requérantes font valoir que, dans la mesure où la Commission n’a pas apprécié correctement, dans la décision litigieuse, l’existence d’un avantage et donc d’une aide d’État, elle n’a pas non plus examiné correctement la question du montant de l’aide qui serait liée au fait d’avoir confié l’exploitation à la société PLGK et qui devrait, le cas échéant, être récupérée. Partant, le Tribunal aurait dû constater que, dans la décision litigieuse, la Commission n’avait pas déterminé correctement le montant de l’aide à rembourser.
42 Selon les requérantes, si, au point 277 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que l’argument tiré de l’absence de précision du montant de l’aide à rembourser n’était pas fondé, c’est toutefois uniquement sur la base de sa constatation selon laquelle la Commission avait, à juste titre, considéré que l’avantage octroyé à la société PLGK correspondait au montant des apports en capital dont cette dernière avait bénéficié. Or, le Tribunal aurait dû considérer que cet avantage pouvait tout au plus résulter de ce que l’octroi du droit d’exploiter l’infrastructure aéroportuaire concernée n’avait pas été rémunéré conformément aux conditions du marché.
43 Les requérantes font, au demeurant, remarquer que, au point 274 de l’arrêt attaqué, le Tribunal semble reconnaître que la récupération de l’aide en cause vise non pas la récupération des capitaux investis, mais, en substance, à priver la société PLGK de son droit d’exploiter cette infrastructure aéroportuaire.
44 La Commission considère que la première branche du premier moyen de pourvoi est dénuée de fondement et que la seconde branche de ce moyen est inopérante et, en tout état de cause, non fondée.
Appréciation de la Cour
45 Par la première branche du premier moyen de pourvoi, les requérantes font valoir que l’identification d’un avantage effectuée par le Tribunal dans l’arrêt attaqué est erronée.
46 Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, la qualification d’une mesure d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient satisfaites. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêt du 11 novembre 2021, Autostrada Wielkopolska/Commission et Pologne, C 933/19 P, EU:C:2021:905, point 103 ainsi que jurisprudence citée). L’argumentation invoquée par les requérantes dans le cadre de la première branche du premier moyen de pourvoi concerne exclusivement la troisième de ces conditions.
47 À cet égard, il y a lieu de constater, en premier lieu, que le fait que la société PLGK n’est pas le propriétaire du terrain de l’aéroport concerné ou de l’infrastructure aéroportuaire n’est pas de nature à remettre en cause l’existence d’un avantage, au sens de la jurisprudence rappelée au point précédent du présent arrêt, à l’égard de cette société.
48 En effet, un tel avantage existe dès lors que la situation financière d’une entreprise est améliorée du fait d’une intervention de l’État réalisée à des conditions autres que les conditions normales du marché (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 2021, Autostrada Wielkopolska/Commission et Pologne, C 933/19 P, EU:C:2021:905, point 104 ainsi que jurisprudence citée).
49 Or, sous réserve des investissements relevant d’une tâche d’intérêt public, il n’est pas contesté que les apports au capital de la société PLGK ont été réalisés à des conditions autres que les conditions normales du marché et que cette société a obtenu la jouissance de ces apports en capital pour l’exercice de son activité économique. Il s’ensuit que la situation financière de ladite société a été améliorée.
50 Ainsi qu’il a été constaté à la quatrième phrase du point 162 de l’arrêt attaqué, lesdits apports en capital, dont la même société a été la bénéficiaire, ont permis le financement, d’une part, des investissements nécessaires pour la reconversion de l’aéroport concerné et, d’autre part, d’une partie des coûts d’exploitation de celui-ci.
51 L’existence d’un avantage n’est pas remise en cause par le fait que l’amélioration de la situation financière de la société PLGK est intervenue autrement que par l’acquisition de la propriété du terrain de l’aéroport concerné ou de l’infrastructure aéroportuaire ou par l’augmentation de la valeur de biens immobiliers qui appartenaient à cette société.
52 En outre, il ne ressort pas du dossier de l’affaire que l’avantage ainsi accordé à la société PLGK ait été transféré, totalement, ou ne serait-ce que partiellement, à d’autres entreprises. En effet, le Trésor public n’étant pas une entreprise, l’éventuel bénéfice indirect que ce dernier pourrait tirer, en tant que propriétaire de l’infrastructure créée, du financement de cette société ne constitue pas un « avantage », au sens du droit des aides d’État.
53 Il découle de ces considérations que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en considérant, au point 163 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait à juste titre refusé, dans son analyse de l’avantage accordé à cette société, de tenir compte du fait que cette dernière n’était pas propriétaire du terrain de l’aéroport concerné ou de l’infrastructure aéroportuaire.
54 En second lieu, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a refusé, aux points 161 et 164 de l’arrêt attaqué, d’exclure de son analyse la composante de cet avantage liée à la reconversion de l’infrastructure aéroportuaire ou de traiter cette composante différemment de celle liée à l’exploitation de l’aéroport concerné.
55 À cet égard, à la première phrase du point 162 de l’arrêt attaqué, en application de la jurisprudence établie dans l’arrêt du 19 décembre 2012, Mitteldeutsche Flughafen et Flughafen Leipzig-Halle/Commission (C 288/11 P, EU:C:2012:821, points 43 et 44), le Tribunal a considéré que la construction de l’infrastructure nécessaire à la reconversion de l’aéroport concerné était une activité économique indissociable de l’exploitation de cet aéroport, ce que les requérantes ne contestent pas.
56 Certes, ce constat porte sur les activités économiques concernées et non sur l’avantage accordé à la société PLGK.
57 Toutefois, aux deuxième et troisième phrases de ce point 162, le Tribunal a effectué une constatation de fait, à savoir que ladite société était chargée tant de la construction de l’infrastructure aéroportuaire que de l’exploitation de l’aéroport de Gdynia-Kosakowo.
58 Puisque la mesure d’aide en l’espèce consiste en un apport au capital de la société PLGK, l’avantage qui découle de cet apport ne saurait être directement affecté à l’une ou l’autre des deux activités économiques dont cette société est chargée, et cela indépendamment même du caractère dissociable ou indissociable de ces activités.
59 Au vu de ce qui précède, il convient d’écarter la première branche du premier moyen de pourvoi.
60 Par la seconde branche de ce moyen, les requérantes soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit dans la détermination du montant de l’aide à récupérer.
61 À cet égard, il convient de rappeler que la récupération d’une aide est la conséquence logique de la constatation de l’illégalité de celle-ci [voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2022, Fossil (Gibraltar), C 705/20, EU:C:2022:680, point 39 et jurisprudence citée]. L’objet de l’obligation de récupération est non pas l’avantage, mais l’aide elle-même. La récupération de l’aide vise à faire perdre au bénéficiaire l’avantage dont il a bénéficié sur le marché par rapport à ses concurrents (voir, en ce sens, arrêt du 4 avril 1995, Commission/Italie, C 348/93, EU:C:1995:95, point 27).
62 En l’espèce, en premier lieu, les requérantes ne contestent pas expressément que le critère de l’investisseur privé, tel que celui-ci a été analysé dans l’arrêt attaqué, n’était pas rempli lors de l’octroi des apports au capital de la société PLGK. En particulier, elles ne soutiennent pas qu’un investisseur privé aurait apporté, à des conditions similaires, un montant égal à celui apporté par l’investisseur public. Par la première branche du premier moyen de pourvoi comme, implicitement, par la seconde branche de ce moyen, les requérantes se limitent à contester l’un des aspects de l’analyse du Tribunal, à savoir le constat que l’aide en cause consiste en les apports au capital de cette société.
63 Or, ainsi qu’il est indiqué aux points 45 à 59 du présent arrêt, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a constaté que les apports au capital de la société PLGK procuraient un avantage à l’entreprise bénéficiaire, sans qu’il y ait lieu de distinguer entre les activités de construction de l’infrastructure aéroportuaire et les activités d’exploitation de l’aéroport concerné.
64 Dès lors, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, au point 161 de l’arrêt attaqué, que l’avantage accordé à la société PLGK consistait en un financement, au moyen de ces apports en capital, et non en un droit d’exploitation de l’aéroport concerné. Partant, le raisonnement par lequel le Tribunal a implicitement confirmé l’appréciation, figurant dans la décision litigieuse, selon laquelle, sous réserve des investissements relevant d’une tâche d’intérêt public, les apports au capital de la société PLGK constituaient la mesure qualifiée d’aide d’État, n’est pas davantage entaché d’une erreur de droit.
65 Il s’ensuit que l’argumentation visant à reprocher au Tribunal de ne pas avoir conclu que la récupération de l’aide en cause devait porter tout au plus sur l’avantage que la société PLGK aurait reçu en raison de l’octroi du droit d’exploiter l’infrastructure aéroportuaire à un prix inférieur à celui du marché doit être écartée.
66 En deuxième lieu, au point 277 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté l’argument des requérantes tiré de l’absence de précision du montant de l’aide à rembourser, constatant que la décision litigieuse comportait des indications permettant à la République de Pologne, qui en est destinataire, de déterminer elle-même, sans difficultés excessives, le montant de l’aide à récupérer. En particulier, le Tribunal a constaté que la décision litigieuse précisait que l’aide à récupérer recouvrait les montants apportés au capital de la société PLGK, qui étaient récapitulés dans un tableau, déduction faite des investissements relevant d’une tâche d’intérêt public, évalués sur la base des données fournies par les autorités polonaises.
67 Il en découle que le Tribunal s’est fondé sur la considération selon laquelle, sous réserve des investissements relevant d’une tâche d’intérêt public, le montant de l’aide en cause était égal aux apports au capital de la société PLGK et, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 61 du présent arrêt, c’était ce montant qui devait être récupéré. Or, ainsi qu’il est constaté au point 65 du présent arrêt, l’appréciation du Tribunal concernant le montant de l’aide à récupérer n’est entachée d’aucune erreur de droit.
68 En troisième lieu, le Tribunal a jugé, au point 274 de l’arrêt attaqué, que le fait que la société PLGK ne disposait plus, en raison de la procédure de récupération, de la jouissance effective de l’infrastructure aéroportuaire concernée « s’[inscrivait] dans l’objectif poursuivi par le remboursement », c’est-à-dire qu’il faisait partie des situations compatibles avec cet objectif. Ce dernier consistait, ainsi qu’il a été précisé à ce point 274, non pas à priver la société PLGK du droit d’exploiter l’aéroport concerné, mais à « éliminer la distorsion de concurrence causée par l’avantage concurrentiel procuré par l’aide illégale », ce qui est conforme à la jurisprudence mentionnée au point 61 du présent arrêt.
69 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’il y a lieu d’écarter également la seconde branche du premier moyen de pourvoi comme étant non fondée et, partant, d’écarter ce moyen dans son ensemble.
Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur de droit dans l’analyse de la légalité du retrait de la décision 2014/883 et du remplacement de cette dernière par la décision litigieuse
Argumentation des parties
70 Par le deuxième moyen de pourvoi, les requérantes visent les points 47 à 49 de l’arrêt attaqué, auxquels le Tribunal a estimé que les institutions de l’Union européenne pouvaient retirer un acte non créateur de droits entaché d’une illégalité et que la décision litigieuse était plus favorable aux requérantes et à la République de Pologne que la décision 2014/883.
71 Les requérantes font grief au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit dans la qualification juridique des actions de la Commission, en ce que celui-ci n’a pas tenu compte, dans le cadre de l’examen de la légalité du retrait de la décision 2014/883 et du remplacement de cette dernière par la décision litigieuse, des principes de protection de la confiance légitime, de sécurité juridique et de protection juridictionnelle effective. Elles font également valoir, en substance, que les appréciations du Tribunal sont insuffisamment motivées, comme le soutient la République de Pologne.
72 Les requérantes exposent que le Tribunal n’a pas fait référence au point 10 de l’arrêt du 3 mars 1982, Alpha Steel/Commission (14/81, EU:C:1982:76), auquel la Cour aurait jugé que le retrait d’un acte illégal est permis, d’une part, s’il intervient dans un délai raisonnable et, d’autre part, si la Commission a tenu compte de la mesure dans laquelle la requérante a éventuellement pu se fier à la légalité de cet acte. Ces conditions de retrait ne seraient pas satisfaites en l’espèce.
73 En outre, le retrait par la Commission d’une décision illégale au cours d’une procédure juridictionnelle, lorsqu’une telle illégalité a pour origine une action de cette institution, serait contraire aux « principes de justice procédurale et d’équité ».
74 Enfin, les requérantes contestent l’affirmation du Tribunal selon laquelle la décision litigieuse était plus favorable pour elles et pour la République de Pologne que la décision 2014/883.
75 La République de Pologne partage l’analyse des requérantes et estime, par ailleurs, que la décision litigieuse lui est moins favorable que la décision 2014/883. À cet égard, le Tribunal n’aurait pas motivé le choix du critère ayant permis d’aboutir au constat que la décision litigieuse était plus favorable à la République de Pologne que la décision 2014/883.
76 La Commission fait valoir que le deuxième moyen de pourvoi est en grande partie irrecevable, au motif qu’il reproduit des arguments invoqués en première instance et qu’il porte sur des appréciations de fait figurant dans l’arrêt attaqué. En tout état de cause, ce moyen serait dénué de fondement.
Appréciation de la Cour
77 S’agissant, en premier lieu, de la recevabilité du deuxième moyen de pourvoi, il y a lieu, d’une part, de rappeler qu’il ressort de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure qu’un pourvoi doit identifier avec précision les points de motifs critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée et indiquer de façon précise les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande, sous peine d’irrecevabilité du pourvoi ou du moyen concerné. Ainsi, ne répond pas aux exigences de motivation résultant de ces dispositions un pourvoi qui se limite à répéter ou à reproduire textuellement les moyens et les arguments qui ont été présentés devant le Tribunal. Cependant, les points de droit examinés en première instance peuvent être à nouveau discutés au cours d’un pourvoi, dès lors qu’un requérant conteste l’interprétation ou l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal (arrêt du 17 décembre 2020, Allemagne/Commission, C 475/19 P et C 688/19 P, EU:C:2020:1036, point 33 ainsi que jurisprudence citée).
78 En l’espèce, les requérantes ne se limitent pas à reproduire les arguments invoqués en première instance, mais allèguent que l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal a répondu à ces arguments, est entaché d’un défaut de motivation et d’une erreur de droit.
79 D’autre part, il convient de rappeler que, lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ces faits et les conséquences de droit qui en ont été tirées par le Tribunal (arrêt du 16 mars 2023, Commission/Calhau Correia de Paiva, C 511/21 P, EU:C:2023:208, point 39 et jurisprudence citée).
80 En effet, la qualification juridique d’un fait ou d’un acte, opérée par le Tribunal, est une question de droit qui peut être soulevée dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 12 mai 2022, Klein/Commission, C 430/20 P, EU:C:2022:377, point 41 et jurisprudence citée). Il en va ainsi de la question de savoir si un acte juridique, tel que la décision 2014/883, est créateur de droits, ainsi que de la détermination du régime juridique applicable au retrait de cet acte juridique.
81 Il s’ensuit que le deuxième moyen de pourvoi est recevable.
82 S’agissant, en second lieu, du bien-fondé de ce moyen, il y a lieu de relever, premièrement, que le raisonnement du Tribunal ne souffre pas d’un défaut de motivation.
83 Il découle de la jurisprudence du Tribunal mentionnée à la deuxième phrase du point 47 de l’arrêt attaqué que le respect de la confiance légitime du bénéficiaire de l’acte n’est exigé que pour les actes créateurs de droits (arrêts du 12 septembre 2007, González y Díez/Commission, T 25/04, EU:T:2007:257, point 97, et du 18 septembre 2015, Deutsche Post/Commission, T 421/07 RENV, EU:T:2015:654, point 47). La troisième phrase du point 47 de l’arrêt attaqué rappelle, quant à elle, la jurisprudence du Tribunal selon laquelle les institutions de l’Union ont le droit de retirer un acte non créateur de droits entaché d’une illégalité (arrêt du 12 mai 2011, Région Nord-Pas-de-Calais et Communauté d’agglomération du Douaisis/Commission, T 267/08 et T 279/08, EU:T:2011:209, point 190). En vertu de cette jurisprudence, les considérations relatives à la protection de la confiance légitime et des droits acquis du destinataire de la décision en cause ne s’opposent pas au retrait de ce type d’actes.
84 La jurisprudence citée au point 47 de l’arrêt attaqué, ainsi que la constatation, effectuée par le Tribunal au point 48 de cet arrêt, que la décision litigieuse est plus favorable aux requérantes et à la République de Pologne que la décision 2014/883, permettent de comprendre pleinement le raisonnement qui a conduit le Tribunal à conclure que les requérantes et la République de Pologne ne sauraient s’opposer au retrait de la décision 2014/883 et au remplacement de cette dernière par la décision litigieuse en invoquant des considérations relatives à la protection de la confiance légitime.
85 En outre, en procédant ainsi, le Tribunal a implicitement, mais nécessairement estimé que la décision 2014/883 n’était un acte créateur de droits ni pour les requérantes ni pour la République de Pologne, pour autant que cet État membre puisse faire valoir la protection de sa propre confiance légitime en tant que partie intervenante. Or, il est de jurisprudence constante que l’obligation de motiver les arrêts, qui incombe au Tribunal en vertu de l’article 36 et de l’article 53, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, n’impose pas à celui-ci de fournir un exposé qui suivrait exhaustivement et un par un tous les raisonnements articulés par les parties au litige. La motivation peut donc être implicite, à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les motifs sur lesquels le Tribunal se fonde et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 9 mars 2023, PlasticsEurope/ECHA, C 119/21 P, EU:C:2023:180, point 144 et jurisprudence citée).
86 Partant, le Tribunal a pu, sans que son raisonnement soit entaché d’un défaut de motivation, ne pas se référer au point 10 de l’arrêt du 3 mars 1982, Alpha Steel/Commission (14/81, EU:C:1982:76), que les requérantes avaient invoqué, dès lors que cet arrêt portait sur des décisions établissant des quotas de production et donc sur des décisions créatrices de droits.
87 Deuxièmement, le raisonnement du Tribunal n’est pas davantage entaché d’une erreur de droit.
88 À cet égard, il convient de relever que la jurisprudence relative au retrait des actes créateurs de droits n’est pas applicable au retrait d’un acte non créateur de droits (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2010, Athinaïki Techniki/Commission, C 362/09 P, EU:C:2010:783, point 60).
89 Or, une décision, telle que la décision 2014/883, par laquelle la Commission considère qu’une mesure est une aide d’État incompatible avec le marché intérieur n’est pas un acte créateur de droits pour le bénéficiaire de l’aide en cause ou pour l’État membre concerné.
90 À ce dernier égard, il est sans pertinence que le retrait d’un acte juridique intervienne au cours de la procédure ouverte par le recours en annulation contre celui-ci. En effet, un acte juridique ne peut être qualifié d’acte créateur de droits uniquement au motif qu’il crée des chances de succès contentieux à la suite d’un tel recours. Cette dernière caractéristique est commune à tous les actes susceptibles d’un recours en annulation, qu’ils soient ou non créateurs de droits.
91 Les considérations qui précèdent ne sont pas remises en cause par les arrêts du 29 septembre 1987, Fabrique de fer de Charleroi et Dillinger Hüttenwerke/Commission (351/85 et 360/85, EU:C:1987:392, point 11), ainsi que du 14 juillet 1988, Stahlwerke Peine-Salzgitter/Commission (103/85, EU:C:1988:398, point 11), cités par les requérantes. Ces arrêts se limitent à établir que le retrait, en cours de procédure, d’un acte faisant l’objet d’un recours en annulation est un élément nouveau permettant au requérant d’adapter ses conclusions, sans qu’il soit obligé d’introduire un nouveau recours contre la nouvelle décision.
92 Par ailleurs, la création de droits est un effet juridique intrinsèque à la relation existant entre un acte juridique et ses bénéficiaires, en ce sens que sa réalisation ou son absence ne dépendent pas d’une comparaison avec d’autres actes. Dès lors, une comparaison entre la décision 2014/883 et la décision litigieuse pour déterminer laquelle des deux est la plus favorable aux requérantes ou à la République de Pologne est dénuée de pertinence.
93 Par conséquent, il y a lieu d’écarter le deuxième moyen de pourvoi.
Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur de droit dans l’analyse de la violation des droits procéduraux des requérantes, ainsi que des principes de bonne administration, de coopération loyale et de protection de la confiance légitime
Argumentation des parties
94 Par le troisième moyen de pourvoi, les requérantes contestent les points 68 à 73 de l’arrêt attaqué, auxquels le Tribunal a considéré que la Commission n’avait pas l’obligation de rectifier ou d’étendre la décision d’ouverture d’une procédure formelle d’examen, afin de permettre à l’État membre concerné et aux autres parties intéressées de présenter utilement leurs observations.
95 À cet égard, il est reproché au Tribunal de ne pas avoir considéré, aux points 71 et 72 de l’arrêt attaqué, la circonstance de l’absence du droit de propriété du terrain de l’aéroport concerné ou de l’infrastructure aéroportuaire comme un élément déterminant, conformément à sa jurisprudence énoncée aux points 68 et 69 de cet arrêt, selon laquelle ce n’est que lorsque la Commission modifie son raisonnement, à la suite de la décision d’ouverture d’une procédure formelle d’examen, sur des faits ou une qualification juridique de ces faits qui s’avèrent déterminants dans son appréciation quant à l’existence d’une aide ou de sa compatibilité avec le marché intérieur qu’elle se doit de rectifier cette décision d’ouverture ou d’étendre celle-ci, afin de permettre à l’État membre concerné et aux autres parties intéressées de présenter utilement leurs observations (arrêt du 30 avril 2019, UPF/Commission, T 747/17, EU:T:2019:271, points 76 et 77).
96 Selon les requérantes, il en découle que le Tribunal aurait dû corriger l’erreur de la Commission ayant consisté à ne pas permettre aux requérantes de présenter leurs observations lorsqu’elle a pris connaissance du fait que la société PLGK n’était pas propriétaire du terrain de l’aéroport concerné ou de l’infrastructure aéroportuaire, alors que cette prise de connaissance aurait dû conduire cette institution à modifier son analyse.
97 La Commission fait valoir que le troisième moyen de pourvoi est irrecevable, au motif qu’il porte sur la constatation des faits effectuée par le Tribunal et que, puisque les requérantes n’ont pas formulé un tel grief devant le Tribunal, elles ne sont pas en mesure de renvoyer à un point spécifique de l’arrêt attaqué dans lequel l’erreur alléguée aurait été commise. En tout état de cause, ce moyen serait dénué de fondement.
Appréciation de la Cour
98 En ce qui concerne la recevabilité du troisième moyen de pourvoi, il y a lieu de relever, en premier lieu, que les requérantes ont indiqué à suffisance de droit les passages de l’arrêt attaqué qu’elles critiquent et ont exposé les arguments juridiques invoqués au soutien de ce moyen, permettant ainsi à la Cour d’effectuer son contrôle.
99 En second lieu, il convient de rappeler que, conformément à l’article 256, paragraphe 1, TFUE et à l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents. L’appréciation de ces faits ne constitue donc pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 12 janvier 2023, Lietuvos geležinkeliai/Commission, C 42/21 P, EU:C:2023:12, point 60 et jurisprudence citée).
100 Aux points 71 à 73 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que, si, dans la décision litigieuse, la Commission avait développé des éclaircissements et des éléments d’appréciation nouveaux par rapport à la décision 2014/883, les requérantes n’avaient pas établi que cette institution s’était fondée sur des éléments déterminants ne figurant pas dans la décision d’ouverture.
101 Or, une telle considération constitue une appréciation de nature factuelle, dont la dénaturation n’a pas été alléguée dans le pourvoi. En effet, dans le cadre de la jurisprudence du Tribunal énoncée aux points 68 et 69 de l’arrêt attaqué et rappelée au point 95 du présent arrêt, la mission du Tribunal consiste à vérifier quels éléments ont été effectivement déterminants du point de vue de la Commission, et non quels éléments auraient dû être considérés comme objectivement déterminants à la lumière d’une analyse juridique extérieure.
102 Il s’ensuit que, dans la mesure où il est reproché au Tribunal de ne pas avoir apprécié correctement cette circonstance, le troisième moyen de pourvoi est irrecevable.
103 Ensuite, dans la mesure où, par le troisième moyen de pourvoi, les requérantes reprochent, en substance, au Tribunal une erreur de droit en ce qu’il aurait dû exiger de la Commission qu’elle leur permette de présenter des observations sur tout élément dont la prise de connaissance doit objectivement conduire cette institution à modifier son analyse, les requérantes soulèvent une question de droit. Dans cette mesure, ce moyen est recevable.
104 Or, même à supposer que la Commission ait l’obligation de permettre aux requérantes de présenter des observations sur tout élément dont la prise de connaissance doit objectivement conduire cette institution à modifier son analyse, force est de constater que, en l’espèce, pour les raisons exposées aux points 46 à 53 du présent arrêt, c’est à juste titre que la Commission n’a pas considéré le fait que la société PLGK n’était pas propriétaire du terrain de l’aéroport concerné ou de l’infrastructure aéroportuaire comme étant déterminant.
105 Il s’ensuit que, en ce qu’il reproche au Tribunal l’erreur de droit visée au point 103 du présent arrêt, le troisième moyen est inopérant.
106 Dans ces conditions, le troisième moyen de pourvoi doit être écarté comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, inopérant.
107 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, dans la mesure où aucun des moyens du pourvoi n’est accueilli, ce dernier doit être rejeté.
Sur les dépens
108 Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.
109 Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
110 Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens afférents au pourvoi, conformément aux conclusions de la Commission.
111 Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, rendu applicable, mutatis mutandis, à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Par conséquent, la République de Pologne, partie intervenante dans le cadre du recours devant le Tribunal et ayant participé à la procédure devant la Cour, supportera ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia-Kosakowo sp. z o.o. w likwidacji sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.
3) La République de Pologne supporte ses propres dépens.