CA Colmar, 3e ch. civ. A, 24 février 2014, n° 13/00426
COLMAR
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Schwob Batiment (SAS)
Défendeur :
M. Picard, Mme Picard, Crea Home ' Aisance Bois (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Litique
Conseillers :
Mme Wolf, Mme Fabreguettes
Avocats :
Me Wybrecht-Hiriart, Me Bergmann
En février 2012, la société CREA HOME, qui était en relation d'affaires avec la société SCHWOB BATIMENT, lui a passé commande d'une charpente en kit et de matériaux pour la construction d'une maison en bois selon commande de ses clients Monsieur et Mme PICARD, pour un prix de 45 184,41 euros. Le chèque versé par CREA HOME représentant 50 % de la commande a été rejeté lors de sa présentation faute de provision suffisante.
La société CREA HOME a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Mulhouse aux fins d'obtenir livraison du matériel commandé, proposant d'en régler le prix en deux chèques.
Par ordonnance du 26 juillet 2012, le juge des référés a condamné la société SCHWOB BATIMENT sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance, à recevoir le paiement par deux chèques de banque de la somme totale de 45 182,41 euros, a constaté que la société CREA HOME imputait son paiement sur la facture due au titre du marché des époux PICARD, a condamné la société SCHWOB BATIMENT sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à procéder à la livraison du kit acquis par les époux PICARD, a condamné la société SCHWOB BATIMENT sous la même astreinte à restituer à la société CREA HOME le chèque impayé de 22 591,20 euros et à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance du président de la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Mulhouse du 27 juillet 2012, la société SCHWOB BATIMENT a été autorisée à pratiquer une saisie conservatoire sur les biens corporels et incorporels de la S.A.R.L. CREA HOME en garantie du montant de sa créance de 18 826,64 euros au titre d'autres factures.
Selon procès-verbal du 27 juillet 2012 établi par Maître Yolande KALIS, huissier de justice, la société SCHWOB BATIMENT a fait procéder à la saisie conservatoire de panneaux préfabriqués pour une maison à ossature en bois ainsi qu'une charpente en bois correspondant à la commande pour le compte de Monsieur et Mme PICARD.
Monsieur et Mme PICARD et la S.A.R.L. CREA HOME ont assigné devant le juge de l'exécution de Mulhouse la SAS SCHWOB BATIMENT aux fins de voir prononcer la nullité de la saisie conservatoire, d'en voir ordonner la mainlevée et de la voir condamner à payer des dommages et intérêts pour procédure abusive à la société CREA HOME ainsi qu'aux époux PICARD.
La société SCHWOB BATIMENT a résisté à la demande, soulevant le défaut de qualité à agir des époux PICARD et l'incompétence de la juridiction pour statuer sur des demandes de dommages et intérêts.
Par jugement du 11 janvier 2013, le juge de l'exécution a rejeté l'exception d'incompétence matérielle, déclaré la société CREA HOME et Monsieur et Mme PICARD recevables en leurs demandes, a annulé la saisie conservatoire et en a ordonné la mainlevée, a ordonné à la société SCHWOB BATIMENT de procéder sans délai à la livraison de la chose saisie à Monsieur et Mme PICARD et l'a condamnée à payer à ces derniers la somme de 5 000 euros au titre du préjudice matériel, la somme de 3 000 euros au titre du préjudice moral résultant de la saisie abusive ainsi que la somme de 1 000 euros au titre des frais engagés.
Le juge de l'exécution a retenu que la société SCHWOB BATIMENT s'était vue ordonner par ordonnance de référé de livrer la charpente aux époux PICARD ; qu'elle s'est servie de la saisie conservatoire pour remettre en cause cette livraison; qu'il a été estimé de façon erronée que le kit appartenait à la société CREA HOME, alors que le prix en avait été payé par Monsieur et Mme PICARD ; que ces derniers ont subi un préjudice.
La SAS SCHWOB BATIMENT a interjeté appel de cette décision le 26 janvier 2013.
Par conclusions du 14 juin 2013, elle conclut à l'infirmation du jugement déféré et demande à la Cour de :
Constater que la créance invoquée par elle est exigible et certaine au vu de la facturation de décembre 2011 et d'une lettre de change impayée à son échéance le 30 mars 2012,
Constater que les époux PICARD n'ont jamais contracté avec elle,
Constater que la société CREA HOME n'a jamais renoncé à la propriété de la commande faite et payée par elle à la société SCHWOB BATIMENT,
Constater que les époux PICARD n'ont aucune qualité pour agir à son encontre alors qu'elle n'a jamais contracté ni pris le moindre engagement à leur encontre,
Constater que les relations contractuelles entre les époux PICARD et la société CREA HOME ne lui sont pas opposables,
Débouter les époux PICARD de l'intégralité de leurs demandes en dommages et intérêts,
Débouter la société CREA HOME de l'intégralité de ses demandes,
Condamner les époux PICARD solidairement avec la société CREA HOME à lui payer la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Les condamner aux entiers frais et dépens des deux instances.
Elle fait valoir qu'elle n'a aucune relation contractuelle avec les époux PICARD ; que la commande de la charpente n'était effective qu'à compter du versement d'un acompte de 50 % de la commande ; que c'est bien la société CREA HOME qui a saisi le juge des référés pour obtenir livraison des marchandises qu'elle avait commandées; que le fait que les époux PICARD aient réglé à la société CREA HOME l'intégralité de leur commande pour la somme de 100 833 euros début 2012 ne les a pas rendu propriétaires de matériaux qui ne lui ont été commandés qu'en juin 2012 ; que la société CREA HOME n'a jamais justifié avoir renoncé à la propriété des matériaux qu'elle a seule commandés; que le juge des référés n'était pas compétent pour statuer sur la propriété de la charpente, les époux PICARD n'étant de surcroît pas intervenus à cette procédure. Elle soutient qu'elle dispose d'une créance fondée en son principe et de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement, la situation financière de la société CREA HOME apparaissant très fragile compte tenu des impayés successifs. Elle fait valoir qu'elle n'est pas responsable du préjudice subi par Monsieur et Mme PICARD, qui ont réglé la totalité du prix de leur maison sans confirmation de la commande de leur matériel ; que même si la charpente avait été livrée, leur maison n'aurait pu être terminée dans les délais fixés; qu'ils sont en possession de cette charpente depuis début 2013. Elle soutient que le préjudice invoqué par la société CREA HOME en appel n'est en rien justifié, cette société étant de plus toujours débitrice envers elle de montants impayés; que le stock dont elle argue n'a aucune valeur et est à sa disposition.
Par conclusions déposées le 23 mai 2013, la S.A.R.L. CREA HOME et Monsieur et Mme PICARD ont sollicité la confirmation du jugement entrepris en tant qu'il a fait droit à la demande des époux PICARD de mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée par la société SCHWOB BATIMENT le 27 juillet 2013 et sur l'appel principal ont sollicité condamnation de l'appelante à payer aux époux PICARD la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur et Mme PICARD ont formé appel incident et ont conclu à l'infirmation du jugement sur le quantum des dommages et intérêts. Ils demandent à la Cour de condamner la société SCHWOB BATIMENT à leur payer la somme de 6 890 euros au titre du préjudice matériel et la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral.
La S.A.R.L. CREA HOME a formé appel incident et a conclu à l'infirmation du jugement en tant qu'il a rejeté la demande de nullité de saisie formée par elle. Elle demande à la Cour de :
Prononcer la nullité de la saisie conservatoire pratiquée par la société SCHWOB BATIMENT le 27 juillet 2012,
Condamner la société SCHWOB BATIMENT à lui payer la somme de 15 000 euros au titre du préjudice commercial subi,
Condamner la société SCHWOB BATIMENT à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner la société SCHWOB BATIMENT aux entiers frais et dépens des procédures de première instance et d'appel.
Ils font valoir que la commande pour l'ossature bois de la maison PICARD a été passée dès le 8 février 2012; que le kit a été fabriqué immédiatement ; que la société SCHWOB BATIMENT devait contractuellement livrer cette charpente à Monsieur et Mme PICARD sur le lieu de construction de la maison ; que pour régler l'incident de paiement de l'acompte, elle a fait porter par huissier à la société SCHWOB BATIMENT deux chèques de banque, que cette dernière a refusés ; que l'ordonnance de référé du 26 juillet 2012, signifiée le même jour, est définitive; que le kit a été saisi par l'huissier à la demande de la société SCHWOB BATIMENT alors que celle-ci était en train de le charger pour livraison. Ils soutiennent que les époux PICARD, qui sont propriétaires du kit, étaient fondés à en demander distraction au juge de l'exécution conformément aux dispositions des articles R 221-51 du code des procédures civiles d'exécution, l'action de la société CREA HOME étant fondée sur l'article R 221-50 du même code ; que le juge de l'exécution devait se prononcer sur la propriété du kit, intégralement payé par les époux PICARD; que la vente entre CREA HOME et eux étant parfaite, le transfert de propriété s'est opéré; que ce contrat de vente est opposable à la société SCHWOB BATIMENT; que la société CREA HOME a saisi le juge des référés parce qu'elle n'était plus propriétaire du kit dont elle devait assurer la livraison; que le juge des référés a constaté que les époux PICARD ont acquis le kit en cause ; que la société SCHWOB BATIMENT avec laquelle elle entretient un courant d'affaires régulier, connaissait ses conditions de vente et savait que le paiement intégral du prix entraînait transfert de propriété ; qu'elle est de mauvaise foi, d'autant qu'elle est toujours en possession d'un stock lui appartenant, dont la valeur est supérieure à 12 000 euros. Ils soulignent que la société SCHWOB BATIMENT a été intégralement payée du kit qu'elle a abusivement retenu ; que les époux PICARD ont subi un important préjudice en devant décaler de 12 mois leur projet de construction. La société CREA HOME fait valoir que c'est à tort que sa demande a été rejetée, alors que l'existence d'une créance importait peu, sa demande étant fondée sur le fait qu'elle n'était pas propriétaire des biens saisis; qu'elle a subi un important préjudice du fait de l'appelante, animée par une intention de nuire; qu'une procédure est pendante au fond devant le tribunal de grande instance de Mulhouse dans laquelle elle sollicite des dommages et intérêts en raison du dénigrement qu'elle a subi.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 17 septembre 2013.
MOTIFS
En vertu des dispositions de l'article L 521-1 du code des procédures civiles d'exécution, la saisie conservatoire peut porter sur tous les biens mobiliers, corporels ou incorporels, appartenant au débiteur.
L'article R 221-50 du même code dispose que le débiteur peut demander la nullité de la saisie portant sur un bien dont il n'est pas propriétaire, l'article R 221-51 prévoyant que le tiers qui se prétend propriétaire d'un bien saisi peut demander au juge de l'exécution d'en ordonner la distraction.
Les contestations sur la propriété des biens saisis étant ouvertes au débiteur et au tiers qui se prétend propriétaire, c'est à juste titre que le premier juge a déclaré recevables les demandes formées tant par la société CREA HOME que par Monsieur et Mme PICARD.
Il ressort des pièces produites que selon bon de commande du 20 mai 2011, Monsieur et Mme PICARD ont acquis auprès de la société CREA HOME une maison ossature bois en kit comprenant des murs de structure, des cloisons, une charpente traditionnelle, un parement extérieur pour un coût total TTC de 100 833 euros, la livraison étant prévue pour début 2012. Les conditions générales du contrat de vente prévoient une clause de réserve de propriété, mais il ont démontré en l'espèce que Monsieur et Mme PICARD ont réglé l'intégralité du coût de la maison à la société CREA HOME par chèque du 7 février 2012 de 50 416,50 euros et par un virement du même montant le 25 mai 2012.
Conformément aux dispositions de l'article 1583 du code civil, la propriété des biens acquis dans le cadre du contrat de vente de matériaux prêts à monter a été transférée à Monsieur et Mme PICARD. Le fait que la société CREA HOME ait sous-traité à la société SCHWOB BATIMENT la fourniture d'une partie du kit de la maison, relatif à la charpente, n'est pas de nature à remettre en cause la propriété de ces éléments, acquise aux époux PICARD, dans les rapports entre ceux-ci et le vendeur.
Il ressort par ailleurs des pièces produites que cette translation de propriété était opposable à la société SCHWOB BATIMENT. Il sera relevé que les matériaux litigieux avaient été individualisés dès le début de la commande passée par CREA HOME à SCHWOB BATIMENT, le bon de commande le spécifiant et prévoyant la livraison par l'appelante des éléments bois à l'adresse du chantier des époux PICARD.
Il ne peut être tiré argument de ce que la procédure de référé tendant à la livraison de ces matériaux ait été intentée contre l'appelante par la société CREA HOME et non par les époux PICARD, puisque ces derniers n'ont effectivement aucun lien contractuel avec la société SCHWOB BATIMENT et ne pouvaient en conséquence demander application du contrat conclu avec CREA HOME pour demander la livraison de leur kit, ce que CREA HOME avait en revanche compétence pour faire ; que dans cette procédure, la société CREA HOME a affecté expressément le paiement qu'elle a effectué et qui ne couvrait que partiellement sa dette envers l'appelante, au coût des matériaux commandés pour les époux PICARD ; que lors de la saisie conservatoire pratiquée par procès-verbal du 27 juillet 2012, les biens saisis correspondaient à la commande pour le compte de Monsieur et Mme PICARD, parfaitement identifiés et en cours de chargement pour livraison, ainsi qu'il ressort des mentions de l'huissier.
Les matériaux en question, sortis du patrimoine de la société CREA HOME et entrés dans celui des époux PICARD bien qu'ils ne leur aient pas encore été livrés, ne pouvaient en conséquence faire l'objet d'une saisie conservatoire pour garantie d'une créance détenue par la société SCHWOB BATIMENT envers la société CREA HOME. Il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a fait droit aux demandes tendant à l'annulation de la saisie à la demande de la débitrice et à la restitution des structures et charpente en bois aux époux PICARD. Il sera relevé concernant l'appel incident de la société CREA HOME que le juge de l'exécution de Mulhouse a bien annulé la saisie conservatoire, de sorte qu'il n'y a pas lieu de faire droit à son appel incident sur ce point.
Sur la demande en dommages et intérêts de Monsieur et Mme PICARD :
En vertu des dispositions de l'article L 213-6 du code de l'organisation judiciaire, le juge de l'exécution connaît des demandes en réparation fondées sur l'exécution ou l'inexécution dommageables des mesures d'exécution forcée ou des mesures conservatoires.
Monsieur et Mme PICARD font valoir que la construction de leur maison devait débuter en juillet 2012 ; qu'ils avaient pris des congés à cette fin et pris en location un appartement à proximité du terrain acquis pour l'édification de l'immeuble ; qu'en raison de la saisie conservatoire abusive, ils ont exposé en vain des loyers de 530 euros par mois depuis le 15 juin 2012 jusqu'en été 2013, soit 13 mois.
En pratiquant la saisie conservatoire sur les biens appartenant aux époux PICARD, alors qu'elle avait été condamnée par ordonnance de référé du 26 juillet 2012, dont elle n'a pas relevé appel, à les leur livrer sous astreinte, la société SCHWOB BATIMENT a engagé sa responsabilité envers eux. Elle doit être condamnée à réparer le dommage causé par son comportement fautif. Le juge de l'exécution réparant les préjudices nés des mesures d'exécution, il convient d'apprécier le dommage à compter du 27 juillet 2012, date de la saisie conservatoire, étant relevé que le retard né du défaut de paiement par la société CREA HOME de l'acompte prévu pour l'exécution du contrat ne peut être imputé à la société SCHWOB BATIMENT. Cette dernière ayant finalement livré les éléments en bois en février 2013, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fait une exacte appréciation du préjudice matériel, ainsi que du préjudice moral subi par les époux PICARD.
Sur la demande en dommages et intérêts de la société CREA HOME :
L'intimée soutient qu'en retenant le kit acquis par les époux PICARD, la société SCHWOB BATIMENT a eu pour seul objectif de la placer dans une situation délicate et difficile vis à vis de sa clientèle en général et des époux PICARD en particulier et allègue un trouble commercial justifiant l'octroi de dommages et intérêts.
Outre que l'intimée ne rapporte pas la preuve du trouble commercial allégué, il sera relevé que la saisie conservatoire a été pratiquée parce qu'elle restait devoir à l'appelante une somme de 18 826,64 euros au titre de diverses factures ; qu'elle ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande en dommages et intérêts non fondée.
Sur les frais et dépens :
La SARL SCHWOB BATIMENT succombant en la procédure sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel et sera condamnée à payer à Monsieur et Mme PICARD la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et une même somme à la société CREA HOME, en compensation des frais non compris dans les dépens que les intimés ont dû exposer pour cette instance.
PAR CES MOTIFS
CONFIRME le jugement déféré,
DEBOUTE les intimés de leurs demandes pour le surplus,
CONDAMNE la SARL SCHWOB BATIMENT à payer à Monsieur et Mme PICARD la somme de 1 200 euros (mille deux cents euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SARL SCHWOB BATIMENT à payer à la SARL CREA HOME la somme de 1 200 euros (mille deux cents euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SARL SCHWOB BATIMENT aux dépens de la procédure d'appel.