CA Grenoble, 2e ch. civ., 19 février 2013, n° 12/02913
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Société Générale (SA)
Défendeur :
Wanders (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cavelier
Conseillers :
Mme Blatry, Mme Esparbès
Avocats :
Me Fleuriot, SCP Grimaud
FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES
Par acte du 21 janvier 2009 la Société Générale a consenti à la société Wanders, par ailleurs détentrice d'un compte professionnel et disposant d'un découvert en compte autorisé à durée indéterminée, un prêt d'un montant de 200'000 €.
En février 2010, la Société Générale a décidé de ne plus apporter son soutien financier à la société Wanders et a dénoncé son concours en la mettant en demeure de régler son découvert dans un délai de 60 jours.
La déchéance du terme du prêt du 21 janvier 2009 a été prononcée le 21 février 2011.
Par jugement du 18 janvier 2012, le tribunal de commerce de Romans, saisi par la société Wanders d'une demande de dommages et intérêts au titre d'une prétendue rupture brutale de la ligne de crédit, l'a condamnée à régler à la Société Générale les sommes de 205'266,11 € avec intérêts au taux de 9,95 % à compter du 17 mars 2011 et 268'909,26 € avec intérêts au taux légal à compter du 17 mars 2011.
Par requêtes du 27 janvier 2012 la Société Générale a sollicité l'autorisation de prendre une inscription de nantissement judiciaire provisoire sur le fonds de commerce de la société Wanders et de saisir à titre conservatoire le stock de celle-ci pour garantir le paiement d'une somme de 500'000 €.
Par ordonnances du 10 février 2012 le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Valence a fait droit à ces demandes.
Contestant les mesures, la société Wanders a saisi le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Valence qui, par jugement du 14 juin 2012 a :
-ordonné la rétractation de
° l'ordonnance du 10 février 2012 autorisant l'inscription de nantissement judiciaire provisoire sur le fonds de commerce de la société Wanders au profit de la Société Générale,
° l'ordonnance du 1er février 2012 autorisant la Société Générale à pratiquer une saisie conservatoire sur les stocks de la société Wanders,
-rejeté la demande de dommages et intérêts de la société Wanders pour saisie abusive,
-constaté que les demandes subsidiaires de la société Wanders sont devenues sans objet,
-condamné la Société Générale à payer à la société Wanders la somme de 1500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par acte du 28 juin 2012 la Société Générale a interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions du 3 juillet 2012 la Société Générale demande à la cour de :
-déclarer recevable et bien fondé son appel,
-réformer et mettre à néant le jugement du juge de l'exécution en date du 14 juin 2012,
-constater qu'elle dispose d'un titre au sens de l'article L 111-3 du code des procédures civiles d'exécution, savoir le jugement du tribunal de commerce de Romans en date du 18 janvier 2012 justifiant une saisie conservatoire,
-constater qu'il existe de surcroît des circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de sa créance, à savoir que la société Wanders elle-même faisait état de difficultés financières, qu'elle a cessé de payer les échéances de prêt depuis le 21 février 2010, que les comptes des exercices 2009 et 2010 font apparaître une situation très fragile et que les comptes de l'exercice 2011 n'ont pas été déposés,
-débouter la société Wanders de ses demandes irrecevables et mal fondées,
-condamner la société Wanders à lui payer une somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions du 4 septembre 2012 la société Wanders demande à la cour de:
-confirmer en toutes ces dispositions le jugement entrepris,
-en tout état de cause, constater que la Société Générale n'apporte pas la preuve d'une menace dans le recouvrement de sa créance et ordonner le retrait des ordonnances en date du 27 janvier et 10 février 2012 autorisant les mesures de saisie conservatoire et de nantissement du fonds de commerce avec la mainlevée immédiate,
-à titre subsidiaire, ordonner la mainlevée immédiate des saisies conservatoires autorisées selon ordonnance en date des 27 janvier et 10 février 2012 dénoncées les 28 février et 16 mars 2012 et condamner la Société Générale à lui verser 5000 € de dommages et intérêts,
-à titre infiniment subsidiaire, constater l'absence de dénonce de la saisie conservatoire en date du 28 février 2012 au débiteur, constater la caducité de la saisie conservatoire effectuée le 28 février 2012 et ordonner sa main levée, ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire effectuée le 28 février 2012,
-condamner la Société Générale à lui payer une somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les parties ont été informées le 2 octobre 2012 de la fixation de l'affaire selon le circuit court à l'audience du 7 janvier 2013.
SUR QUOI
Contrairement aux mentions figurant dans le jugement critiqué et dans les écritures des parties, le litige porte sur deux ordonnances rendues par le juge de l'exécution du Tribunal de Grande Instance de Valence en date du 10 février 2012, saisi par deux requêtes de la Société Générale en date du 27 janvier 2012, et tendant à la saisie conservatoire des stocks de la société Wanders et à l'inscription de nantissement judiciaire provisoire sur son fonds de commerce.
Il résulte des dispositions des articles L111-7, L121-2, L511-1 et R511-1 du code des procédures civiles d'exécution que :
-toute personne qui se prévaut d'une créance qui paraît fondée en son principe et qui justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur si elle ne dispose pas d'un titre exécutoire,
-le créancier a le choix des mesures propres à assurer la conservation de sa créance,
-l'exécution de ces mesures ne peut excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l'obligation
-le juge de l'exécution a le pouvoir d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages et intérêts en cas d'abus de saisie.
1-Sur la créance de la Société Générale
La société Wanders ne conteste pas le principe de cette créance qui résulte de la déchéance du terme du prêt, du découvert qui n'a pas été remboursé et de la décision rendue par le tribunal de commerce de Romans.
2-Sur la menace de recouvrement
La Société Générale s'est livrée dans ses conclusions à une analyse de la situation des comptes des années 2009 et 2010 de la société Wanders mais n'a produit au débat aucune pièce à l'appui de cette analyse.
La société Wanders a versé au débat la liasse fiscale relative à l'exercice 2011.
Le compte de résultat fait apparaître une augmentation du chiffre d'affaire ( de 13 000 000€ à 25 600 000€) une augmentation des charges d'exploitation ( de 12 200 000€ à 24 500 000€) en particulier des salaires et charges sociales ( de 1 600 000€ à 3 900 000€) pour un résultat courant, avant impôts en baisse de 450 000€ ( de 1 750 000€ à 1 300 000€).
Au bilan le passif progresse de 13 500 000€ à 30 500 000€ avec une augmentation de plus de 8 000 000€ des dettes fournisseurs ( de 2 800 000€ à 10 800 000€) et une augmentation des emprunts auprès des établissements de crédit ( de 2 500 000€ à 3 000 000€), des autres dettes ( de 1 000 000€ à 4 800 000€). A l'actif du bilan qui passe, pour l'actif immobilisé de 6 900 000€ à 10 700 000€, dû essentiellement à l'augmentation de la valeur du fonds de commerce ( de 100 000€ à 4 000 000€), pour l'actif circulant de 6 600 000€ à 19 800 000€, les disponibilités sont stables à 1 500 000€, les stocks augmentent de 1 700 000€ à 6 300 000€ ainsi que les comptes clients de 2 600 000€ à 6 400 000€.
Si la société Wanders dégage un bénéfice sur l'exercice 2012, sa situation n'en est pas moins fragile. En effet ses dettes à court terme sont élevées et ont quasiment triplé; sa trésorerie nette n'est que de 400 000€ en baisse de plus de 600 000€ par rapport à l'exercice antérieur. Par ailleurs une partie du stock est gagée pour une valeur de 1 160 000€ HT suite à la signature par la société Wanders d'une convention le 1er septembre 2009 avec plusieurs établissements bancaires.
Eu égard à cette situation financière et à l'absence de tout paiement par la société Wanders depuis février 2010 des échéances du prêt qui lui a été consenti en janvier 2009, il est établi qu'il existe une menace de recouvrement de la dette de la Société Générale.
3-Sur le cumul des mesures conservatoires
La Société Générale a été autorisée à pratiquer les deux mesures conservatoires en garantie de sa créance évaluée à la somme de 500 000€, ce qui correspond au montant de la condamnation prononcée par le Tribunal de Commerce de Romans.
La société Wanders ne justifie pas de la valeur des stocks saisis lors des opérations du 28 février 2012 et du 16 mars 2012. La valorisation du fonds de commerce précédemment évoquée, telle qu'elle apparaît au bilan, est incertaine.
C'est donc à tort que la société Wanders soutient que le cumul de trois mesures conservatoires est abusif et excède ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l'obligation.
4-Sur la caducité en l'absence de dénonciation
L'article R523-3 du code des procédures civiles d'exécutionprévoit que dans un délai de huit jours, à peine de caducité, la saisie conservatoire est dénoncée au débiteur par acte d'huissier de justice.
La société Wanders soutient que la saisie du 28 février 2012 ne lui a pas été dénoncée, ce qui entraîne la caducité de la mesure.
Non seulement la société Wanders produit au débat le procès-verbal de cette saisie, mais encore la Société Générale verse la copie de l'acte de signification de maître Croze, huissier de justice, en date du 28 février 2012 à une juriste de la société Wanders, habilitée à recevoir l'acte.
5-Sur l'insaisissabilité du fait du gage
La société Wanders soutient que le stock est insaisissable car gagé, sans, pour autant, viser de disposition législative ou réglementaire.
Les articles L112-1 et L521-1 du code des procédures civiles d'exécution prévoient que la saisie conservatoire peut porter sur tous les biens mobiliers, corporels ou incorporels appartenant au débiteur. Par ailleurs l'article L 112-2 ne liste pas les biens gagés dans ceux qui sont insaisissables. Enfin le gage ne constitue, au terme de l'article 2333 du code civil, qu'une convention permettant à un créancier de se faire payer par préférence à ses autres créanciers.
Ce moyen sera donc rejeté.
6-Sur la demande de dommages et intérêts
Les saisies conservatoires pratiquées étant régulières et fondées, la demande de dommages et intérêts formulée par la société Wanders sera rejetée.
Le jugement rendu par le juge de l'exécution du Tribunal de Grande Instance de Valence sera donc infirmé, sauf sur le rejet de la demande de dommages et intérêts.
7-Sur les mesures accessoires
Succombant la société Wanders supportera les frais engagés par la Société Générale non compris dans les dépens et sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré, conformément à la loi,
Infirme le jugement rendu par le juge de l'exécution du Tribunal de Grande Instance de Valence le 14 juin 2012 sauf sur le rejet de la demande de dommages et intérêts formée par la société Wanders,
Statuant à nouveau
Déboute la société Wanders de sa demande en rétractation des ordonnances sur requête rendues le 10 février 2012 par le juge de l'exécution du Tribunal de Grande Instance de Valence autorisant la Société Générale à procéder à la saisie conservatoire des stocks de la société Wanders et à l'inscription de nantissement judiciaire provisoire sur fonds de commerce
Y ajoutant
Condamne la société Wanders à payer à la société Générale une indemnité de 1800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Condamne la société Wanders aux dépens de première instance et d'appel
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.