Livv
Décisions

CJUE, 7e ch., 22 juin 2023, n° C-268/22

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Vitol SA

Défendeur :

Belgische Staat

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Arastey Sahún

Juges :

M. Biltgen, M. Wahl

Avocat général :

M. Ćapeta

Avocats :

Me De Baere, Me Van den Bon

CJUE n° C-268/22

21 juin 2023

LA COUR (septième chambre),

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur la validité du règlement d’exécution (UE) no 1194/2013 du Conseil, du 19 novembre 2013, instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de biodiesel originaire de l’Argentine et de l’Indonésie (JO 2013, L 315, p. 2, ci-après le « règlement litigieux »), tel que modifié par le règlement d’exécution (UE) 2017/1578 de la Commission, du 18 septembre 2017 (JO 2017, L 239, p. 9).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Vitol SA au Belgische Staat (État belge) au sujet du remboursement à cette société de droits antidumping acquittés au titre de l’importation de biodiesel en provenance d’Argentine.

 Le cadre juridique

 Le règlement de base

3 À la date d’adoption du règlement litigieux, les dispositions régissant l’institution de mesures antidumping par l’Union européenne figuraient dans le règlement (CE) no 1225/2009 du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de [l’Union] européenne (JO 2009, L 343, p. 51, ci-après le « règlement de base »).

4 L’article 1er du règlement de base disposait :

« 1. Peut être soumis à un droit antidumping tout produit faisant l’objet d’un dumping lorsque sa mise en libre pratique dans [l’Union] cause un préjudice.

2. Un produit est considéré comme faisant l’objet d’un dumping lorsque son prix à l’exportation vers [l’Union] est inférieur au prix comparable, pratiqué au cours d’opérations commerciales normales, pour le produit similaire dans le pays exportateur.

3. Le pays exportateur est normalement le pays d’origine. Toutefois, ce peut être un pays intermédiaire, sauf, par exemple, lorsque les produits transitent par ce pays, lorsque les produits concernés n’y sont pas fabriqués ou lorsqu’il n’existe pas de prix comparable pour ces produits dans ce pays.

4. Aux fins de l’application du présent règlement, on entend par “produit similaire” un produit identique, c’est-à-dire semblable à tous égards au produit considéré, ou, en l’absence d’un tel produit, un autre produit qui, bien qu’il ne lui soit pas semblable à tous égards, présente des caractéristiques ressemblant étroitement à celles du produit considéré. »

5 L’article 2 de ce règlement concerne la détermination de l’existence d’un dumping. Ses paragraphes 3 et 5, relatifs à la valeur normale, prévoyaient :

« 3. Lorsqu’aucune vente du produit similaire n’a lieu au cours d’opérations commerciales normales ou lorsque ces ventes sont insuffisantes ou lorsque, du fait de la situation particulière du marché, de telles ventes ne permettent pas une comparaison valable, la valeur normale du produit similaire est calculée sur la base du coût de production dans le pays d’origine, majoré d’un montant raisonnable pour les frais de vente, les dépenses administratives et autres frais généraux et d’une marge bénéficiaire raisonnable ou sur la base des prix à l’exportation, pratiqués au cours d’opérations commerciales normales, vers un pays tiers approprié, à condition que ces prix soient représentatifs.

Il peut être considéré qu’il existe une situation particulière du marché pour le produit concerné au sens de la phrase précédente, notamment lorsque les prix sont artificiellement bas, que l’activité de troc est importante ou qu’il existe des régimes de transformation non commerciaux.

[...]

5. Les frais sont normalement calculés sur la base des registres comptables de la partie faisant l’objet de l’enquête, à condition que ces registres soient tenus conformément aux principes comptables généralement acceptés du pays concerné et tiennent compte raisonnablement des frais liés à la production et à la vente du produit considéré.

Si les frais liés à la production et à la vente d’un produit faisant l’objet d’une enquête ne sont pas raisonnablement reflétés dans les registres de la partie concernée, ils sont ajustés ou déterminés sur la base des frais d’autres producteurs ou exportateurs du même pays, ou, lorsque ces informations ne sont pas disponibles ou ne peuvent être utilisées, sur toute autre base raisonnable, y compris les informations émanant d’autres marchés représentatifs.

Il est tenu compte d’éléments de preuve soumis concernant la juste répartition des frais, à condition qu’il soit démontré que ce type de répartition a été utilisé de manière constante dans le passé. En l’absence d’une méthode plus appropriée, la préférence est accordée à un système de répartition des frais fondé sur le chiffre d’affaires. À moins qu’il n’en ait déjà été tenu compte dans la répartition des frais visée au présent alinéa, les frais sont ajustés de manière appropriée en fonction des éléments non renouvelables des frais dont bénéficie la production future et/ou courante.

Lorsque, pendant une partie de la période nécessaire à la couverture des coûts, ces derniers sont affectés par l’utilisation d’installations de production nouvelles requérant des investissements supplémentaires substantiels et par de faibles taux d’utilisation des capacités en raison d’opérations de démarrage ayant lieu pendant tout ou partie de la période d’enquête, les frais moyens de la période de démarrage sont ceux applicables, en vertu des règles de répartition susmentionnées, à la fin de cette phase et sont inclus à ce niveau, pour la période concernée, dans les frais moyens pondérés visés au paragraphe 4, deuxième alinéa. La durée de la phase de démarrage est déterminée en fonction des circonstances propres au producteur ou à l’exportateur concerné, mais n’excède pas une partie initiale appropriée de la période nécessaire à la couverture des coûts. Pour cet ajustement des frais applicables au cours de la période d’enquête, les informations relatives à une phase de démarrage s’étendant au-delà de cette période sont prises en compte dans la mesure où elles sont fournies avant les visites de vérification et dans les trois mois à compter de l’ouverture de l’enquête. »

6 L’article 3 du règlement de base, relatif à la détermination de l’existence d’un préjudice, prévoyait, à ses paragraphes 4, 6 et 7 :

« 4. Lorsque les importations d’un produit en provenance de plus d’un pays font simultanément l’objet d’enquêtes antidumping, les effets de ces importations ne peuvent faire l’objet d’une évaluation cumulative que :

a) si la marge de dumping établie en relation avec les importations en provenance de chaque pays est supérieure au niveau de minimis au sens de l’article 9, paragraphe 3, et si le volume des importations en provenance de chaque pays n’est pas négligeable ; et

b) si une évaluation cumulative des effets des importations est appropriée compte tenu des conditions de concurrence entre les produits importés et des conditions de concurrence entre les produits importés et le produit [de l’Union] similaire.

[...]

6. Il doit être démontré à l’aide de tous les éléments de preuve pertinents présentés en relation avec le paragraphe 2 que les importations faisant l’objet d’un dumping causent un préjudice au sens du présent règlement. En l’occurrence, cela implique la démonstration que le volume et/ou les niveaux des prix visés au paragraphe 3 ont un impact sur l’industrie [de l’Union] au sens du paragraphe 5 et que cet impact est tel qu’on puisse le considérer comme important.

7. Les facteurs connus, autres que les importations faisant l’objet d’un dumping, qui, au même moment, causent un préjudice à l’industrie [de l’Union] sont aussi examinés de manière à ce que le préjudice causé par ces autres facteurs ne soit pas attribué aux importations faisant l’objet d’un dumping au sens du paragraphe 6. Les facteurs qui peuvent être considérés comme pertinents à cet égard comprennent, entre autres, le volume et les prix des importations non vendues à des prix de dumping, la contraction de la demande ou les modifications de la configuration de la consommation, les pratiques commerciales restrictives des producteurs de pays tiers et [de l’Union] et la concurrence entre ces mêmes producteurs, l’évolution des techniques, ainsi que les résultats à l’exportation et la productivité de l’industrie [de l’Union]. »

 Le règlement provisoire

7 Le 27 mai 2013, la Commission européenne a adopté le règlement (UE) no 490/2013 instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de biodiesel originaire de l’Argentine et de l’Indonésie (JO 2013, L 141, p. 6, ci-après le « règlement provisoire »). Dans ce règlement, elle a notamment constaté que les importations de biodiesel originaire d’Argentine faisaient l’objet d’un dumping, ce qui causait un préjudice à l’industrie de l’Union, et a considéré que l’adoption d’un droit antidumping à l’encontre desdites importations était dans l’intérêt de l’Union.

8 L’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement énonçait :

« Il est institué un droit antidumping provisoire sur les importations d’esters monoalkyles d’acides gras et/ou de gazoles paraffiniques obtenus par synthèse et/ou hydrotraitement, d’origine non fossile, purs ou sous forme de mélange, relevant actuellement des codes [...] et originaires de l’Argentine et de l’Indonésie. »

 Le règlement litigieux

9 Le 19 novembre 2013, par le règlement litigieux, le Conseil de l’Union européenne a institué un droit antidumping définitif sur les importations de biodiesel originaire de l’Argentine et de l’Indonésie.

10 En premier lieu, s’agissant de la valeur normale du produit similaire en ce qui concerne l’Argentine, le Conseil a confirmé les conclusions du règlement provisoire selon lesquelles elle devait être calculée conformément à l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base, le marché argentin du biodiesel étant fortement réglementé par l’État (considérant 28 du règlement litigieux).

11 S’agissant des coûts de production, le Conseil a accepté la proposition de la Commission de modifier les conclusions du règlement provisoire et de s’écarter des frais des principales matières premières indiqués dans les registres des producteurs-exportateurs argentins examinés en application de l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base. Selon lui, ces données ne reflétaient pas de façon raisonnable les frais liés à la production du biodiesel en Argentine, en raison du fait que le système de taxe différentielle à l’exportation provoquait une distorsion des prix des principales matières premières sur le marché intérieur argentin. Il les a dès lors remplacés par la moyenne des prix de référence du soja publiés par le ministère de l’Agriculture argentin pour export franco à bord (FAB) pendant la période d’enquête (considérants 35 à 40 du règlement litigieux).

12 En deuxième lieu, confirmant la plupart des considérations figurant dans le règlement provisoire, le Conseil a constaté que l’industrie de l’Union avait subi un préjudice important, au sens de l’article 3, paragraphe 6, du règlement de base (considérants 105 à 142 du règlement litigieux) et que ce préjudice avait été causé par les importations de biodiesel originaire d’Argentine faisant l’objet d’un dumping (considérants 144 à 157 du règlement litigieux). Dans ce contexte, il a constaté que d’autres facteurs, dont, notamment, les importations réalisées par l’industrie de l’Union (considérants 151 à 160 du règlement litigieux), la faible utilisation de la capacité de l’industrie de l’Union (considérants 161 à 171 du règlement litigieux) et le système de la double comptabilisation de biodiesel produit à partir d’huiles usagées existant dans certains États membres (considérants 173 à 179 du règlement litigieux) n’avaient pas été en mesure de rompre ce lien de causalité entre ledit préjudice et les importations de biodiesel originaire d’Argentine faisant l’objet d’un dumping.

13 En troisième lieu, le Conseil a confirmé que l’adoption des mesures antidumping en cause restait dans l’intérêt de l’Union (considérants 190 à 201 du règlement litigieux).

14 Eu égard aux marges de dumping constatées et au niveau du préjudice causé à l’industrie de l’Union, le Conseil a notamment décidé que les montants déposés au titre des droits antidumping provisoires, institués par le règlement provisoire, devaient être définitivement perçus (considérant 228 et article 2 du règlement litigieux) et qu’un droit antidumping définitif devait être institué sur les importations de biodiesel originaire d’Argentine (article 1er, paragraphe 1, du règlement litigieux).

15 Par les arrêts, tous datés du 15 septembre 2016, PT Musim Mas/Conseil (T 80/14, EU:T:2016:504), Unitec Bio/Conseil (T 111/14, EU:T:2016:505) ; Molinos Río de la Plata e.a./Conseil (T 112/14 à T 116/14 et T 119/14, EU:T:2016:509), Cargill/Conseil (T 117/14, EU:T:2016:503), LDC Argentina/Conseil (T 118/14, EU:T:2016:502), PT Ciliandra Perkasa/Conseil (T 120/14, EU:T:2016:501) et PT Pelita Agung Agrindustri/Conseil (T 121/14, non publié, EU:T:2016:500) (ci-après, pris ensemble, les « arrêts du 15 septembre 2016 »), le Tribunal a annulé les articles 1er et 2 du règlement litigieux en ce qu’ils concernaient les requérantes dans ces affaires.

16 Le Tribunal a jugé, en substance, que les institutions de l’Union n’avaient pas établi à suffisance de droit qu’il existait une distorsion sensible des prix des principales matières premières utilisées pour la production de biodiesel en Argentine et en Indonésie résultant d’un système de taxe différentielle à l’exportation en vertu duquel les matières premières et le biodiesel se voyaient appliquer des taux de taxation différents. Le Tribunal a estimé que les institutions de l’Union n’auraient pas dû considérer que les prix des matières premières n’étaient pas raisonnablement reflétés dans les documents comptables des producteurs-exportateurs argentins et indonésiens et, partant, n’auraient pas dû écarter ces documents lors du calcul de la valeur normale du biodiesel produit en Argentine et en Indonésie.

 Le règlement (UE) 2015/476

17 L’article 1er du règlement (UE) 2015/476 du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2015, relatif aux mesures que l’Union peut prendre à la suite d’un rapport adopté par l’organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce concernant des mesures antidumping ou antisubventions (JO 2015, L 83, p. 6), dispose :

« 1. Lorsque l’[organe de règlement des différends (ORD)] adopte un rapport concernant une mesure prise par l’Union en vertu du règlement [de base] [...] (ci-après dénommée “mesure incriminée”), la Commission peut prendre une ou plusieurs des mesures suivantes, selon le cas, conformément à la procédure d’examen visée à l’article 4, paragraphe 3 :

a) abroger ou modifier la mesure incriminée ; ou

b) adopter toute autre mesure d’exécution particulière jugée appropriée en l’espèce afin de mettre l’Union en conformité avec les recommandations et les décisions contenues dans le rapport.

[...]

3. Pour autant qu’il convienne de procéder à un réexamen avant ou au moment de prendre une mesure conformément au paragraphe 1, ce réexamen est ouvert par la Commission. La Commission fournit des informations aux États membres lorsqu’elle décide d’ouvrir un réexamen. »

18 L’article 3 de ce règlement prévoit :

« Les mesures adoptées conformément au présent règlement prennent effet à compter de la date de leur entrée en vigueur et ne peuvent être invoquées pour obtenir le remboursement des droits perçus avant cette date, sauf indication contraire. »

 Le règlement d’exécution (UE) 2017/1578

19 Le 18 septembre 2017, la Commission a adopté le règlement d’exécution (UE) 2017/1578 modifiant le règlement d’exécution (UE) no 1194/2013 du Conseil instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de biodiesel originaire de l’Argentine et de l’Indonésie (JO 2017, L 239, p. 9).

20 Le règlement d’exécution 2017/1578 fait notamment suite au rapport du groupe spécial, adopté le 26 octobre 2016 par l’ORD de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dans le différend UE – Biodiesel (Argentine), aux termes duquel il avait été conclu que l’Union avait agi de manière incompatible avec le droit de l’OMC lorsqu’elle avait imposé des droits antidumping sur le biodiesel originaire de l’Argentine. Ainsi qu’il ressort de son considérant 12, ledit règlement « vise à corriger certains aspects du règlement [litigieux] incompatibles avec les règles de l’OMC et à le mettre en conformité avec [le rapport du groupe spécial et le rapport de l’organe d’appel] ».

21 Les considérants 130, 134 et 135 dudit règlement d’exécution énonçaient :

« (130) La Commission a rappelé que le présent réexamen a été ouvert au titre du règlement d’habilitation de l’OMC en vue de la mise en œuvre des conclusions et des recommandations du groupe spécial et de l’organe d’appel dans l’affaire “Union européenne – Mesures antidumping visant le biodiesel en provenance d’Argentine” (WT/DS 473/15). Le réexamen ne concerne donc que les questions portées devant l’OMC et les éventuelles modifications conséquentes et/ou techniques qui en résultent. De ce fait, aucune des allégations de Wilmar[, un producteur-exportateur indonésien,] n’est recevable. En outre, la Commission a rappelé que, lors de l’enquête initiale, Wilmar avait déjà formulé une allégation similaire concernant la marge bénéficiaire et que celle-ci avait été rejetée [voir considérants 43 à 46 du règlement (litigieux)]. À la suite de la communication des conclusions, un producteur- exportateur argentin ayant coopéré, COFCO Argentina S.A. (précédemment connu sous le nom de “Noble Argentina S.A.”) a déposé une demande visant à ce que sa société soit considérée comme un “nouvel exportateur” et incluse dans la liste des sociétés bénéficiant de taux de droit individuels parmi les “autres sociétés ayant coopéré”.

[...]

(134) Sur la base du réexamen [ouvert au titre de l’article 1er, paragraphe 3, du règlement 2015/476], la Commission a conclu que le dumping préjudiciable établi lors de l’enquête initiale était confirmé.

(135) Les mesures antidumping applicables aux importations de biodiesel originaire d’Argentine et d’Indonésie instituées par le règlement [litigieux] devraient par conséquent être maintenues, avec les marges de dumping révisées pour l’Argentine, recalculées comme indiqué ci-dessus. »

 Le règlement d’exécution (UE) 2018/1570

22 Aux termes des considérants 89 à 94 du règlement d’exécution (UE) 2018/1570 de la Commission, du 18 octobre 2018, clôturant la procédure concernant les importations de biodiesel originaire d’Argentine et d’Indonésie et abrogeant le règlement d’exécution (UE) no 1194/2013 (JO 2018, L 262, p. 40) :

« (89) La Commission conclut qu’il n’est pas possible d’établir un rapport véritable et substantiel de cause à effet entre les importations en dumping d’Argentine et le préjudice important subi par l’industrie de l’Union, compte tenu de l’importance d’autres facteurs connus contribuant à ce préjudice.

(90) Une société, COFCO Argentina [...], s’est manifestée après la publication du règlement d’exécution (UE) 2017/1578 pour revendiquer qu’elle satisfaisait aux trois critères pour bénéficier du statut de nouvel exportateur défini à l’article 3 du règlement [litigieux] et en a fourni des éléments de preuve. La Commission a analysé la demande et les éléments de preuve. Cependant, à la lumière des résultats de l’enquête [rouverte], la demande est devenue sans objet.

[...]

(91) Il convient de clore l’enquête (i) étant donné que les marges de dumping de l’Indonésie sont de minimis et (ii) en raison du fait qu’il ne peut pas être établi qu’il existe un rapport réel et substantiel de cause à effet entre les importations faisant l’objet de pratiques de dumping d’Argentine et le préjudice important subi par l’industrie de l’Union comme requis en vertu de l’article 3, paragraphe 7, du règlement [(UE) 2016/1036 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de l’Union européenne (JO 2016, L 176, p. 21)]. Cela signifie que les mesures existantes qui sont toujours en vigueur pour les producteurs-exportateurs d’Argentine et d’Indonésie qui n’avait pas contesté avec succès les mesures antidumping devant le Tribunal devraient être abrogées. Par souci de clarté et de sécurité juridique, le règlement [litigieux] devrait par conséquent être abrogé.

(92) Il convient de procéder au remboursement ou à la remise des droits antidumping définitifs acquittés en vertu du règlement [litigieux] sur les importations de biodiesel d’Argentine et d’Indonésie, ainsi que des droits provisoires définitivement perçus conformément à l’article 2 dudit règlement, dans la mesure où ils se rapportent à des importations de biodiesel vendu à l’exportation vers l’Union par les sociétés qui ont contesté ledit règlement avec succès devant le Tribunal, à savoir les producteurs-exportateurs argentins Unitec Bio SA, Molinos Rio de la Plata SA, Oleaginosa Moreno Hermanos SACIFI y A, Vicentin SAIC, Aceitera General Deheza SA, Bunge Argentina SA, Cargill SACI, Louis Dreyfus Commodities S.A. (LDC Argentina SA), et les producteurs-exportateurs indonésiens PT Pelita Agung Agrindustri, PT Ciliandra Perkasa, PT Wilmar Bioenergi Indonesia, PT Wilmar Nabati Indonesia, PT Perindustrian dan Perdagangan Musim Semi Mas (PT Musim Mas). Les demandes de remboursement ou de remise doivent être introduites auprès des autorités douanières nationales conformément à la législation douanière applicable.

(93) À la suite de l’information des parties, PT Cermerlang Energi Perkasa a affirmé que le remboursement et la remise des droits antidumping devraient être ouverts à toutes les sociétés qui avaient été soumises à ces droits et pas seulement aux sociétés qui avaient contesté le règlement [litigieux] avec succès devant le Tribunal. Elle a également affirmé que non seulement le règlement [litigieux], mais également le règlement d’exécution (UE) 2017/1578 devait être abrogé.

(94) Tout d’abord, la Commission a rappelé que le règlement d’exécution (UE) 2017/1578 ne faisait que modifier le règlement [litigieux]. Comme ce dernier règlement est abrogé, le règlement modificateur devient vide de tout effet juridique. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’abroger explicitement ce règlement également. Ensuite, l’annulation par le Tribunal du règlement [litigieux] ne s’applique qu’aux sociétés qui ont contesté ce règlement devant le Tribunal. Par conséquent, les droits antidumping qui ont été perçus sur les autres sociétés l’ont été légalement en vertu du droit de l’Union. [...] »

23 L’article 1er du règlement 2018/1570 dispose que « [l]a procédure antidumping concernant les importations de monoalkyliques d’acides gras (FAME) et/ou de gazoles paraffiniques obtenus par synthèse et/ou hydrotraitement, d’origine non fossile, purs ou sous forme de mélange, originaires d’Argentine et d’Indonésie relevant actuellement des codes [...] (“biodiesel”) est close ».

24 L’article 3 de ce règlement prévoit que « [l]e règlement [litigieux] est abrogé ».

 Le litige au principal et la question préjudicielle

25 La requérante au principal, Vitol, est une société de droit suisse, qui est un importateur indépendant de biodiesel. Elle n’est mentionnée ni dans le règlement litigieux ni dans le règlement d’exécution 2017/1578. Cependant, la société COFCO Argentina, le fournisseur argentin de biodiesel de la requérante au principal, est mentionnée au considérant 130 de ce dernier règlement et incluse dans la liste des sociétés bénéficiant de taux de droits individuels parmi les « autres sociétés ayant coopéré ».

26 Le 6 mars 2018, la société de droit belge BVBA Vandevyver a présenté, au nom de la requérante au principal, deux déclarations pour l’importation de biodiesel en provenance d’Argentine, dont seule une est en cause dans le litige au principal. Dans le cadre de la déclaration visée, cette requérante a payé, sur la base du règlement litigieux, tel que modifié par le règlement d’exécution 2017/1578, des droits antidumping d’un montant de 1 272 023,58 euros.

27 Le 3 avril 2018, la requérante au principal a introduit auprès des autorités nationales compétentes une demande de remboursement des droits antidumping qu’elle avait acquittés. Par décision du 22 juin 2018, cette demande de remboursement a été rejetée. Le 20 septembre 2018, elle a introduit une réclamation contre cette décision, qui a été rejetée par décision du 21 mai 2019. Le recours de la requérante au principal introduit devant l’adviseur-generaal (conseiller général, Belgique) contre cette dernière décision a également été rejeté le 25 août 2020.

28 Le 13 novembre 2020, la requérante au principal a formé un recours devant la juridiction de renvoi. Dans ce cadre, elle a demandé à cette juridiction de poser à la Cour une question préjudicielle quant à la compatibilité du règlement litigieux, tel que modifié par le règlement d’exécution 2017/1578, avec le règlement de base alors applicable.

29 La juridiction de renvoi fait observer, en premier lieu, que ce n’est que s’il est établi qu’un recours direct d’une personne au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE aurait, sans aucun doute, été recevable que cette personne est empêchée d’exciper de son invalidité devant la juridiction nationale compétente. Bien que la Cour procède en principe à cette vérification dans le cadre de la décision rendue à titre préjudiciel, rien ne s’opposerait à ce que la juridiction de renvoi procède déjà à un contrôle marginal au regard de la question de la nécessité de poser une question préjudicielle. Or, sur la base des pièces dont elle dispose, la juridiction de renvoi estime qu’il ne peut être constaté que la requérante au principal était sans aucun doute en droit d’introduire un recours en annulation contre le règlement litigieux au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

30 La juridiction de renvoi considère, en second lieu, que la question de savoir si la validité du règlement litigieux, tel que modifié par le règlement d’exécution 2017/1578, peut encore être contestée et la question de savoir si un problème de validité peut éventuellement se poser sont pertinentes pour rendre le jugement dans l’affaire au principal. Elle constate que, en l’occurrence, la requérante au principal a rendu plausible que les droits antidumping prévus par le règlement litigieux soient éventuellement contraires au règlement de base. Elle renvoie à cet égard aux arrêts du 15 septembre 2016 et relève que ni le règlement d’exécution 2017/1578, qui a réduit les droits antidumping, ni le règlement d’exécution 2018/1570, qui a abrogé le règlement litigieux pour l’avenir, ne remet en cause l’éventuelle incompatibilité de ce dernier règlement avec le règlement de base.

31 C’est dans ces conditions que le Nederlandstalige rechtbank van eerste aanleg Brussel (tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, Belgique) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Le règlement [litigieux], tel que modifié par le règlement [d’exécution] 2017/1578, est-il contraire au règlement de base [...], notamment en ce :

– qu’il n’a pas été démontré qu’étaient réunies les conditions pour, dans le cadre du calcul de la valeur normale du produit similaire, s’écarter, conformément à la règle énoncée à l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base, des coûts liés à la production et à la vente du produit similaire, tels qu’ils figuraient dans les registres comptables des producteurs-exportateurs argentins examinés ;

– que les effets des importations ont fait, à tort, l’objet d’une évaluation cumulative au titre de l’article 3, paragraphe 4, du règlement de base, de sorte qu’il n’a pas été démontré à suffisance, conformément à l’article 3, paragraphes 6 et 7, du règlement de base, qu’il est question d’importations faisant l’objet d’un dumping qui ont causé un préjudice au sens du règlement de base ;

– qu’il n’existait donc pas de dumping, et qu’il ne pouvait être institué aucun droit antidumping au sens de l’article 1er du règlement de base ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

32 La recevabilité de la présente demande de décision préjudicielle, qui a pour objet l’appréciation de validité du règlement litigieux, est mise en cause à un double titre. D’une part, au regard des observations des gouvernements belge et hellénique ainsi que du Conseil, se pose la question de savoir si la requérante au principal dispose de la faculté de contester ledit règlement, alors qu’elle n’a pas introduit de recours en annulation contre ce dernier. D’autre part, compte tenu des observations spécifiquement formulées par la Commission, il convient de se prononcer sur le point de savoir si la juridiction de renvoi met suffisamment en exergue les raisons pour lesquelles la validité du règlement litigieux s’avère en l’occurrence problématique.

 Sur la qualité pour agir en annulation du règlement litigieux, en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE

33 Dans leurs observations écrites soumises à la Cour, les gouvernements belge et hellénique ainsi que le Conseil émettent des doutes quant à la recevabilité de la présente demande de décision préjudicielle au regard de la jurisprudence issue notamment des arrêts du 9 mars 1994, TWD Textilwerke Deggendorf (C 188/92, EU:C:1994:90), et du 15 février 2001, Nachi Europe (C 239/99, EU:C:2001:101), au motif que la requérante au principal aurait sans aucun doute pu former, devant le juge de l’Union, un recours en annulation contre le règlement litigieux en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

34 À cet égard, il ressort de la jurisprudence que la possibilité pour un justiciable de se prévaloir, dans le cadre d’un recours formé devant une juridiction nationale, de l’invalidité de dispositions contenues dans un acte de l’Union, qui constitue le fondement d’une décision nationale prise à son égard, présuppose soit qu’il ait également introduit, en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, un recours en annulation contre cet acte de l’Union dans les délais impartis, soit qu’il ne l’ait pas fait, faute de disposer sans aucun doute du droit d’introduire un tel recours (arrêts du 25 juillet 2018, Georgsmarienhütte e.a., C 135/16, EU:C:2018:582, point 17 ainsi que jurisprudence citée, et du 21 décembre 2021, Vítkovice Steel, C 524/20, EU:C:2021:1048, point 59).

35 Ce n’est donc que dans l’hypothèse où il peut être considéré qu’une personne aurait sans aucun doute été recevable, devant le juge de l’Union, en son recours direct en annulation d’un acte de l’Union, au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, qu’elle se trouve empêchée d’exciper de son invalidité devant les juridictions nationales et, partant, d’amener éventuellement celles-ci à saisir la Cour, sur le fondement de l’article 267 TFUE, de questions préjudicielles. Ainsi, dès lors que des doutes peuvent être nourris quant au fait que la partie en cause est directement et individuellement affectée par la ou les dispositions litigieuses, l’exception d’irrecevabilité issue de la jurisprudence citée au point précédent du présent arrêt ne saurait être invoquée.

36 En l’occurrence, s’agissant d’abord de la question de savoir si la requérante au principal aurait manifestement pu introduire, devant le juge de l’Union, un recours au titre de l’article 263, quatrième alinéa, dernier membre de phrase, TFUE contre le règlement litigieux en ce qu’il constituait un acte réglementaire qui la concernait directement et qui ne comportait pas de mesures d’exécution au sens de cette disposition, il suffit de constater que c’est en vertu de la décision du 22 juin 2018 que le paiement des droits antidumping lui a été imposé. En effet, le caractère mécanique des mesures prises au niveau national est sans pertinence pour déterminer si un acte comporte des mesures d’exécution (voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2018, Internacional de Productos Metálicos/Commission, C 145/17 P, EU:C:2018:839, point 54 et jurisprudence citée). Il s’ensuit qu’il ne saurait être considéré que ce règlement ne comporte manifestement pas de mesures d’exécution, au sens de ladite disposition (voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 2021, Von Aschenbach & Voss, C 708/19, EU:C:2021:190, point 34 ainsi que jurisprudence citée).

37 Dans ces conditions, ce n’est que dans l’éventualité où il peut être considéré que la requérante au principal est, sans aucun doute, directement et individuellement concernée par le règlement litigieux, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, qu’elle serait privée du droit d’exciper de l’invalidité de ce règlement devant les juridictions nationales.

38 À cet égard, il convient de relever que les règlements qui instituent un droit antidumping ont un caractère normatif, en ce qu’ils s’appliquent à la généralité des opérateurs économiques intéressés (arrêt du 10 mars 2021, Von Aschenbach & Voss, C 708/19, EU:C:2021:190, point 36 ainsi que jurisprudence citée).

39 Toutefois, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’un opérateur peut être concerné de manière directe et individuelle par un règlement instituant un droit antidumping (arrêt du 10 mars 2021, Von Aschenbach & Voss, C 708/19, EU:C:2021:190, point 37 ainsi que jurisprudence citée).

40 S’agissant, en premier lieu, de la question de savoir si la requérante au principal était directement concernée  par le règlement litigieux, il n’est pas contesté que ce règlement a affecté directement sa situation juridique, en ce qu’il constitue la base juridique du droit antidumping qui a été institué à son égard.

41 S’agissant, en second lieu, de la question de savoir si la requérante au principal était individuellement concernée par le règlement litigieux, il importe de rappeler que la Cour a identifié certaines catégories d’opérateurs économiques pouvant être concernés individuellement par un règlement instituant un droit antidumping, sans préjudice de la possibilité pour d’autres opérateurs d’être individuellement concernés en raison de certaines qualités qui leur sont particulières et qui les caractérisent par rapport à toute autre personne (arrêt du 10 mars 2021, Von Aschenbach & Voss, C 708/19, EU:C:2021:190, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

42 Peuvent ainsi être individuellement concernés par un règlement instituant un droit antidumping, premièrement, ceux d’entre les producteurs et les exportateurs du produit en cause auxquels les pratiques de dumping ont été imputées, en utilisant des données relatives à leur activité commerciale, deuxièmement, les importateurs dudit produit dont les prix de revente ont été pris en compte pour la construction des prix à l’exportation et qui sont, dès lors, concernés par les constatations relatives à l’existence d’une pratique de dumping, et, troisièmement, les importateurs associés avec des exportateurs du produit en cause, notamment dans l’hypothèse où le prix à l’exportation a été calculé à partir des prix de revente sur le marché de l’Union pratiqués par ces importateurs et dans celle où le droit antidumping lui-même a été calculé en fonction de ces prix de revente (arrêt du 10 mars 2021, Von Aschenbach & Voss, C 708/19, EU:C:2021:190, point 41 ainsi que jurisprudence citée).

43 Dès lors, il convient de relever que la qualité d’importateur ne saurait suffire, à elle seule, pour considérer qu’un importateur est individuellement concerné par un règlement instituant un droit antidumping. En effet, un importateur, même associé aux exportateurs du produit en cause, n’est individuellement concerné que lorsqu’il est prouvé que des données relatives à son activité commerciale ont été prises en compte aux fins de la constatation des pratiques de dumping ou, à défaut, qu’il présente d’autres qualités qui lui sont particulières et qui le caractérisent par rapport à toute autre personne (arrêt du 10 mars 2021, Von Aschenbach & Voss, C 708/19, EU:C:2021:190, point 42 ainsi que jurisprudence citée).

44 Aussi, s’il ne saurait être exclu qu’un importateur du produit en cause puisse être considéré comme étant individuellement concerné par un règlement portant institution d’un droit antidumping, encore faut-il qu’il démontre l’existence de certaines qualités qui lui sont particulières et qui le caractérisent par rapport à toute autre personne.

45 Or, la juridiction de renvoi indique que, sur la base des pièces dont elle dispose, il ne peut être constaté que la requérante au principal était sans aucun doute en droit d’introduire un recours sur le fondement de l’article 263 TFUE.

46 En l’occurrence, il apparaît en effet, tout d’abord, qu’il n’a pas été démontré que des données relatives à l’activité commerciale de la requérante au principal ont été prises en compte aux fins de la constatation des pratiques de dumping. Il n’a notamment pas été prouvé que les prix de revente éventuellement pratiqués par la requérante au principal ont été employés pour la construction des prix à l’exportation et qu’elle est, dès lors, concernée par les constatations relatives à l’existence d’une pratique de dumping.

47 Ensuite, il y a lieu de relever que la requérante au principal n’a pas davantage participé à la procédure administrative qui a conduit à l’adoption du droit antidumping, comme cela avait été notamment le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 10 mars 2021, Von Aschenbach & Voss (C 708/19, EU:C:2021:190).

48 Enfin, s’il est exact que le fournisseur argentin de biodiesel de la requérante au principal, COFCO Argentina, est nommément cité dans le règlement d’exécution 2017/1578 (considérant 130) et dans le règlement d’exécution 2018/1570 (considérant 90), cette circonstance n’est toutefois pas de nature à individualiser la requérante au principal de sorte que, ainsi que l’exige la jurisprudence, celle-ci pouvait sans aucun doute être considérée comme ayant qualité pour agir, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

49 À cet égard, est sans pertinence la circonstance que la requérante au principal aurait pu, le cas échéant, se joindre au recours en annulation introduit par son producteur associé. En effet, cette possibilité n’établit pas que la requérante au principal serait sans aucun doute individuellement concernée par le règlement litigieux.

50 Au vu de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de conclure que les éléments dont dispose la Cour ne permettent pas de considérer que Vitol aurait eu, sans aucun doute, qualité pour agir en annulation contre le règlement litigieux, devant le juge de l’Union, sur le fondement de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

 Sur le caractère suffisant des éléments exposés dans la décision de renvoi en vue de mettre en cause la validité du règlement litigieux

51 La Commission met en doute la recevabilité de la demande de décision préjudicielle en faisant valoir que la juridiction de renvoi n’a pas exposé les raisons qui l’ont conduite à s’interroger sur la validité du règlement litigieux.

52 Il convient de rappeler qu’il découle de l’esprit de coopération qui doit présider au fonctionnement du renvoi préjudiciel qu’il est indispensable que la juridiction nationale expose, dans sa décision de renvoi, les raisons précises pour lesquelles elle considère qu’une réponse à ses questions concernant l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union est nécessaire à la solution du litige (arrêt du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C 547/14, EU:C:2016:325, point 47 ainsi que jurisprudence citée).

53 Il est, dès lors, important que la juridiction nationale indique en particulier les raisons précises qui l’ont conduite à s’interroger sur la validité de certaines dispositions du droit de l’Union et expose les motifs d’invalidité qui, par voie de conséquence, lui paraissent pouvoir être retenus (arrêt du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C 547/14, EU:C:2016:325, point 48 ainsi que jurisprudence citée). Une telle exigence ressort également de l’article 94, sous c), du règlement de procédure de la Cour.

54 Dans ce contexte, il importe de souligner que les informations contenues dans les décisions de renvoi servent non seulement à permettre à la Cour de fournir des réponses utiles, mais également à donner aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés la possibilité de présenter des observations, conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Il incombe à la Cour de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés (arrêt du 5 mai 2022, Universiteit Antwerpen e.a., C 265/20, EU:C:2022:361, point 26 et jurisprudence citée).

55 Il en résulte, d’une part, que, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, la Cour examine la validité d’un acte de l’Union ou de certaines dispositions de celui-ci au regard des motifs d’invalidité repris dans la décision de renvoi. D’autre part, l’absence de toute mention des raisons précises qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur la validité de cet acte ou de ces dispositions entraîne l’irrecevabilité des questions relatives à la validité de ceux-ci (voir, notamment, arrêt du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C 547/14, EU:C:2016:325, point 50).

56 En l’occurrence, la demande de décision préjudicielle comporte suffisamment d’indications quant aux raisons ayant conduit la juridiction de renvoi à interroger la Cour sur la validité du règlement litigieux. La juridiction de renvoi se réfère en particulier aux conclusions du Tribunal dans les arrêts du 15 septembre 2016, selon lesquelles, lors du calcul de la valeur normale du biodiesel produit en Argentine et en Indonésie au titre du règlement litigieux, le Conseil et la Commission n’auraient pas dû considérer que les documents comptables des producteurs-exportateurs argentins et indonésiens ne reflétaient pas raisonnablement les prix des matières premières et selon lesquelles, par conséquent, ces institutions n’auraient pas dû écarter ces documents aux fins de ce calcul. Cette juridiction mentionne, en outre, le fait que le règlement d’exécution 2017/1578 n’a pas rectifié les conclusions juridiquement erronées dont était entaché, ab initio, le règlement litigieux quant au calcul de la marge de dumping.

57 Dans ces conditions, la Cour dispose des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile à la question qui lui est posée. En outre, ces indications ont permis à la Commission de prendre utilement position sur le fond de la question soumise à la Cour.

58 Le fait que la question procède, selon les termes employés par la Commission, d’un malentendu éventuel quant à la portée des arrêts du 15 septembre 2016 a trait à la question de fond relative à l’appréciation en validité du règlement litigieux.

59 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de déclarer la demande de décision préjudicielle recevable.

 Sur la question préjudicielle

60 Par sa question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si le règlement litigieux, tel que modifié par le règlement d’exécution 2017/1578, est invalide pour méconnaissance du règlement de base.

61 Elle demande plus précisément si le règlement litigieux, tel que modifié par le règlement d’exécution 2017/1578, premièrement, est contraire à l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base, dans la mesure où, dans le cadre du calcul de la valeur normale du produit similaire, il n’a pas été démontré que les conditions permettant de s’écarter de l’utilisation des frais liés à la production et à la vente du produit en cause, tels qu’ils figurent dans les registres des producteurs-exportateurs argentins faisant l’objet de l’enquête, étaient remplies. Cette juridiction demande, deuxièmement, si le règlement litigieux, tel que modifié par le règlement d’exécution 2017/1578, est contraire au règlement de base, dans la mesure où les effets des importations ont fait l’objet d’une évaluation cumulative, en violation de l’article 3, paragraphe 4, du règlement de base, et où, partant, il n’a pas été démontré de manière satisfaisante que les importations ont fait l’objet d’un dumping causant un préjudice à l’industrie de l’Union, au sens de l’article 3, paragraphes 6 et 7, de ce règlement.

62 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, dans le domaine de la politique commerciale commune, et tout particulièrement en matière de mesures de défense commerciale, les institutions de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation en raison de la complexité des situations économiques et politiques qu’elles doivent examiner (arrêt du 4 février 2021, eurocylinder systems, C 324/19, EU:C:2021:94, point 37 et jurisprudence citée).

63 Le contrôle juridictionnel de l’exercice d’un tel pouvoir doit, dans le cadre tant d’un recours fondé sur l’article 263 TFUE que d’une demande de décision préjudicielle en appréciation de validité, au titre de l’article 267 TFUE, se limiter à la vérification du respect des règles de procédure, de l’exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits, ou de l’absence de détournement de pouvoir (arrêt du 4 février 2021, eurocylinder systems, C 324/19, EU:C:2021:94, point 38 et jurisprudence citée).

64 Un contrôle qui se limite à examiner si les éléments sur lesquels les institutions de l’Union fondent leurs constatations sont de nature à étayer les conclusions qu’elles en tirent n’empiète pas sur leur large pouvoir d’appréciation dans le domaine de la politique commerciale (voir, en ce sens, arrêt du 16 février 2012, Conseil et Commission/Interpipe Niko Tube et Interpipe NTRP, C 191/09 P et C 200/09 P, EU:C:2012:78, point 68).

65 En l’occurrence, les raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur la validité du règlement litigieux, tel que modifié par le règlement d’exécution 2017/1578, reposent essentiellement sur les appréciations retenues par le Tribunal dans les arrêts du 15 septembre 2016 et sur les constats effectués à la suite de la réouverture, au mois de mai 2018, de l’enquête antidumping portant sur les produits en cause.

66 S’agissant, premièrement, du point de savoir si le règlement litigieux, tel que modifié par le règlement d’exécution 2017/1578, est contraire à l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base, il y a lieu de rappeler que cette dernière disposition permet de s’écarter des coûts figurant dans les documents comptables des producteurs-exportateurs soumis à l’enquête aux fins du calcul de la « valeur normale » du produit similaire, étant précisé que c’est cette valeur qui sert à déterminer s’il existe une situation de dumping, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement de base.

67 Or, ainsi que l’a relevé la juridiction de renvoi, il n’a pas été démontré dans le règlement litigieux, tel que modifié par le règlement d’exécution 2017/1578, que les conditions prévues à l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base pour le calcul de la valeur normale du produit similaire étaient remplies.

68 Cette conclusion ressort notamment des arrêts du 15 septembre 2016, qui font suite à plusieurs recours en annulation introduits par un certain nombre de producteurs-exportateurs argentins et indonésiens. Au terme de son examen, le Tribunal avait, en substance, jugé que les institutions n’avaient pas établi à suffisance de droit l’existence d’une distorsion sensible des prix des principales matières premières utilisées pour la production de biodiesel en Argentine et en Indonésie résultant d’un système de taxe différentielle à l’exportation en vertu duquel les matières premières et le biodiesel se voyaient appliquer des taux de taxation différents.

69 Le Tribunal a ainsi estimé que les institutions n’auraient pas dû considérer que les prix des matières premières n’étaient pas raisonnablement reflétés dans la comptabilité des producteurs-exportateurs argentins et indonésiens et qu’elles n’auraient pas dû écarter cette comptabilité lors du calcul de la valeur normale du biodiesel produit en Argentine et en Indonésie. Il a, dès lors, annulé les articles 1er et 2 du règlement litigieux en ce qu’ils concernaient les sociétés qui ont contesté ce règlement devant lui en introduisant un recours en annulation en vertu de l’article 263 TFUE.

70 À la suite de la décision du Conseil de se désister de ses pourvois dans les affaires C 602/16 P à C 609/16 P, dirigés contre les arrêts du 15 septembre 2016, ces affaires ont, par ordonnances du président de la Cour des 15 et 16 février 2018, été radiées du registre de la Cour. Par conséquent, les arrêts du 15 septembre 2016 sont devenus définitifs et sont revêtus de l’autorité de la chose jugée à compter de la date de leur prononcé, étant précisé que l’autorité absolue dont jouit un arrêt d’annulation d’une juridiction de l’Union s’attache tant au dispositif de l’arrêt qu’aux motifs qui en constituent le soutien nécessaire (arrêt du 14 novembre 2017, British Airways/Commission, C 122/16 P, EU:C:2017:861, point 82 et jurisprudence citée).

71 Si les arrêts du 15 septembre 2016 annulent le règlement litigieux uniquement en ce qu’il concerne les parties requérantes dans les affaires en cause, et ce en conformité avec le principe selon lequel l’autorité d’un motif d’un arrêt d’annulation ne peut s’appliquer au sort de personnes qui n’étaient pas parties au procès et à l’égard desquelles l’arrêt ne peut dès lors avoir décidé quoi que ce soit (arrêt du 14 septembre 1999, Commission/AssiDomän Kraft Products e.a., C 310/97 P, EU:C:1999:407, point 55), il y a lieu de tirer toutes les conséquences des constats effectués tant par le Tribunal que par la Commission elle-même à la suite notamment de la réouverture, au mois de mai 2018, de l’enquête antidumping concernant les importations de biodiesel originaire de l’Argentine et de l’Indonésie.

72 Or, il est apparu clairement que la démarche du Conseil consistant à s’écarter, dans le cadre du calcul de la valeur normale du produit similaire, des coûts des principales matières premières figurant dans les registres des producteurs-exportateurs argentins examinés, en raison de la distorsion des prix desdites matières premières causée par le système de taxe différentielle à l’exportation, et à les remplacer par le prix de référence, n’était pas conforme à l’article 2, paragraphe 5, premier et deuxième alinéas, du règlement de base.

73 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par le fait que le considérant 94 du règlement d’exécution 2018/1570 indique que « l’annulation par le Tribunal du règlement [litigieux] ne s’applique qu’aux sociétés qui ont contesté ce règlement devant le Tribunal [et que] les droits antidumping qui ont été perçus sur les autres sociétés l’ont été légalement en vertu du droit de l’Union ». Un tel constat ne saurait préjuger de la possibilité pour une juridiction nationale, saisie d’une contestation portant sur les actes individuels adoptés par les autorités nationales en application du règlement litigieux, de mettre en cause la validité de ce règlement dans le cadre d’une demande de décision préjudicielle, pour autant qu’il n’est pas avéré que la personne visée disposait sans aucun doute d’un droit de recours en vue d’obtenir l’annulation dudit règlement.

74 Deuxièmement, pour ce qui est de la question de savoir si le règlement litigieux, tel que modifié par le règlement d’exécution 2017/1578, est contraire au règlement de base au motif que les effets des importations ont fait, à tort, l’objet d’une évaluation cumulative au titre de l’article 3, paragraphe 4, du règlement de base, de sorte qu’il n’a pas été démontré à suffisance de droit, conformément à l’article 3, paragraphes 6 et 7, du règlement de base, qu’il est question d’importations faisant l’objet d’un dumping qui ont causé un préjudice au sens de ce règlement, il convient de se référer à la réouverture de l’enquête antidumping visant les produits en cause, qui a abouti à l’adoption du règlement d’exécution 2018/1570 et à l’abrogation du règlement litigieux, toutes deux postérieures aux faits en cause dans l’affaire au principal.

75 Par le règlement d’exécution 2018/1570, la Commission a conclu, à la suite de la réouverture de l’enquête faisant notamment suite aux arrêts du 15 septembre 2016, que non seulement les marges de dumping de l’Indonésie étaient de minimis, mais aussi qu’il ne pouvait pas être considéré qu’il existait un rapport réel et substantiel de cause à effet entre les importations faisant l’objet de pratiques de dumping en Argentine et le préjudice important subi par l’industrie de l’Union comme cela était requis par le règlement de base (considérants 81 à 89). En effet, lorsque l’on considère l’effet des importations en provenance de l’Argentine indépendamment de l’Indonésie, il ne peut pas être établi qu’il existait un tel rapport de cause à effet.

76 Dans ces conditions, il apparaît que le règlement litigieux, tel que modifié par le règlement d’exécution 2017/1578, est invalide pour contrariété au règlement de base au motif qu’il n’a pas été démontré, à suffisance de droit, que les importations ont fait l’objet d’un dumping causant un préjudice à l’industrie de l’Union, au sens de l’article 3, paragraphes 6 et 7, de ce dernier règlement.

77 Il convient ainsi de tirer toutes les conséquences du constat, rappelé notamment au considérant 91 du règlement d’exécution 2018/1570, selon lequel il n’avait pas été établi, lors de l’adoption du règlement litigieux, qu’il existait un rapport réel et substantiel de cause à effet entre les importations faisant l’objet de pratiques de dumping en Argentine et le préjudice important subi par l’industrie de l’Union comme requis en vertu de l’article 3, paragraphes 6 et 7, du règlement de base. Il en résulte nécessairement qu’il n’avait pas été correctement prouvé qu’il existait un préjudice causé par un dumping et qu’il ne pouvait, par conséquent, être institué un droit antidumping, au sens de l’article 1er du règlement de base.

78 Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de constater que le règlement litigieux, tel que modifié par le règlement d’exécution 2017/1578, est invalide en ce qu’il méconnaît les exigences découlant de l’article 2, paragraphe 5, ainsi que de l’article 3, paragraphes 4, 6 et 7, du règlement de base.

 Sur les dépens

79 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

Le règlement d’exécution (UE) no 1194/2013 du Conseil, du 19 novembre 2013, instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de biodiesel originaire de l’Argentine et de l’Indonésie, tel que modifié par le règlement d’exécution (UE) 2017/1578 de la Commission, du 18 septembre 2017, est invalide en ce qu’il méconnaît les exigences découlant de l’article 2, paragraphe 5, ainsi que de l’article 3, paragraphes 4, 6 et 7, du règlement (CE) no 1225/2009 du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de [l’Union] européenne.