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Décisions

CA Bourges, 1re ch., 17 novembre 2022, n° 22/00084

BOURGES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Centre Loire

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Waguette

Conseillers :

M. Perinetti, Mme Ciabrini

Avocats :

Me Boyer, SCP Blanchecotte-Boirin

TJ Nevers, du 1 déc. 2021

1 décembre 2021

EXPOSE DU LITIGE :

Le 2 août 2017, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Centre Loire a consenti au GAEC [O] un prêt n° 00000738321 de 30 000 € remboursable sur 120 mois, par annuités, au taux de 2.9800 %.

[E] [O] et son épouse, [X] [W], se sont portés cautions solidaires du GAEC au profit de la CRCAMCL dans la limite de 39.000 € couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de 180 mois.

Ils ont signé la fiche de renseignements patrimoine le 2 août 2017.

Par jugement du 19 octobre 2018, le tribunal de grande instance de Nevers a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre du GAEC [O].

Par courriers recommandés du 31 octobre 2018, la CRCAMCL a indiqué aux cautions que le GAEC restait lui devoir la somme de 27.436.56 € et que les poursuites à leur encontre étaient suspendues jusqu'au jugement arrêtant le plan de redressement ou prononçant la liquidation judiciaire.

Par jugement du 25 avril 2019, le tribunal de grande instance a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre du GAEC [O].

Par courriers recommandés du 16 mai 2019 la CRCAMCL a demandé aux cautions de prendre en charge les échéances à venir du prêt, leur rappelant qu'à défaut la déchéance du terme serait encourue.

Les époux [O] n'ont pas donné suite et, par courriers recommandés du 7 octobre 2019, la CRCAMCL leur a notifié le prononcé de la déchéance du terme et les a mis en demeure de lui régler la somme de 30.200 .63 €.

Ces mises en demeure étant restées sans effet, la CRCAMCL a assigné les cautions devant le tribunal judiciaire de Nevers, lequel, par jugement du 1er décembre 2021, a condamné solidairement Monsieur et Madame [O] à lui payer la somme de 30.236.40 € avec intérêts au taux contractuel de 2.98 % à compter du 24 octobre 2019 sur la somme de 27.380.67 € et a condamné la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Centre Loire à payer aux époux [O] la somme de 25.000 € de dommages et intérêts et a partagé les dépens par moitié entre les parties.

La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Centre Loire a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée le 19 janvier 2022, son appel étant toutefois limité aux chefs de jugement expressément critiqués: "en ce qu'il a condamné la CRCAM CENTRE LOIRE à payer à M. et Mme [O] la somme de 25.000 € de dommages et intérêts, dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 et partagé les dépens".

Elle demande à la cour, dans ses dernières écritures en date du 7 juin 2022, à la lecture desquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, de :

Dire et juger l'appel interjeté recevable et bien fondé.

Confirmer le jugement du 1er décembre 2021 sauf en ce qu'il a condamné la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Centre Loire à payer aux époux [O] la somme de 25.000 € de dommages et intérêts.

Le réformer sur ce point, débouter les époux [O] de leur demande de dommages et intérêts.

Les débouter de l'ensemble de leurs demandes formées par voie d'appel incident mal fondées.

Les condamner à payer 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

[E] [O] et [X] [O] née [W], intimés et incidemment appelants, demandent pour leur part à la cour, dans leurs dernières écritures notifiées par voie électronique le 11 mai 2022, à la lecture desquelles il est également renvoyé en application du texte précité pour plus ample exposé des moyens, de :

Vu l'article L 650-1 du Code de Commerce,

Vu les articles 1231-1 et 1353 et suivants du code civil,

Vu les articles 332-1 et 341-6 du code de la consommation,

Vu l'article 1231-5 du code civil,

Sur la créance de la CRCAM CENTRE LOIRE :

- Reformer le jugement rendu le 1er décembre 2021 par le Tribunal Judiciaire de NEVERS ;

- Dire et juger que la CRCAM CENTRE LOIRE qui s'est immiscée dans la gestion du GAEC [O] ne peut se prévaloir de l'engagement de caution de Monsieur et Madame [O] ;

- Dire et juger l'engagement de caution de Monsieur et Madame [O] disproportionné;

- En conséquence, débouter la CRCAM CENTRE LOIRE de toutes ses demandes ;

- Subsidiairement, déchoir la CRCAM CENTRE LOIRE de tous droits à intérêts ;

- Dire et juger que la clause pénale est manifestement excessive et la réduire à l'euro symbolique ;

Sur la responsabilité de la Banque :

- Confirmer le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de NEVERS en ce qu'il a jugé que la CRCAM CENTRE LOIRE avait manqué à son devoir de mise en garde ;

- Le reformer sur le quantum ;

- Condamner la CRCAM CENTRE LOIRE à payer la somme de trente-cinq mille euros (35 000,00 €) à titre de dommages et intérêts à Monsieur et Madame [O] pour violation de son devoir de mise en garde ;

- Débouter la CRCAM CENTRE LOIRE de sa demande fondée sur l'article 700 Code de procédure civile ;

- Condamner la CRCAM CENTRE LOIRE aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 septembre 2022.

SUR QUOI :

La banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.

La banque appelante soutient en l'espèce qu'elle n'était nullement tenue à un devoir de mise en garde, dès lors que Monsieur et Madame [O] doivent être considérés, non comme des cautions profanes, mais comme des cautions averties puisqu'en leur qualité de gérants du GAEC emprunteur principal ils avaient nécessairement la capacité de comprendre la portée de leur engagement et étaient en mesure d'apprécier les risques inhérents à l'opération garantie ainsi que l'opportunité du prêt cautionné.

Il doit être rappelé que pour être considérée comme avertie, une caution doit disposer de compétences particulières nécessaires à l'appréciation du risque inhérent à l'opération garantie et à la justesse du jugement sur l'opportunité d'un crédit.

A cet égard, la seule qualité de gérant du GAEC emprunteur principal n'implique pas nécessairement la qualité de caution avertie et il convient dès lors de déterminer si les intimés disposaient d'une compétence juridique et financière les rendant aptes à saisir l'étendue de la garantie, c'est-à-dire à cerner la nature et à mesurer l'ampleur des engagements souscrits par le débiteur principal.

Aucun élément du dossier ne permet d'établir que les cautions, qui exercent la profession d'exploitants agricoles dans le cadre d'un GAEC immatriculé le 10 mars 2017 soit moins de cinq mois avant la signature du cautionnement litigieux, avaient une compétence particulière en matière financière les qualifiant pour mesurer les enjeux et les risques de l'opération dans laquelle ils s'engageaient.

C'est en conséquence à tort que le Crédit Agricole soutient que les époux [O] sont des cautions averties, ce qui exclurait qu'il soit tenu à un devoir de mise en garde.

Il résulte par ailleurs des comptes annuels 2017 et du document intitulé "compléments sur l'état de cessation des paiements du GAEC [O]" établi par le cabinet d'expertise comptable CER FRANCE (pièces numéro 3 et 4 du dossier des intimés) que les échéances des prêts antérieurement accordés au GAEC n'ont pas été honorées dès le mois d'avril 2017 - l'expert-comptable concluant à un état de cessation des paiements "dès la clôture du 30 avril 2017".

En s'abstenant de mettre en garde les cautions sur le risque particulier d'impayés dont elle avait nécessairement connaissance, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Centre Loire a ainsi manqué au devoir de mise en garde auquel elle était tenue, occasionnant ainsi pour les intimés un préjudice consistant en la perte de chance de ne pas souscrire l'engagement de caution qui leur était proposé, ainsi que cela a été pertinemment retenu par le premier juge, lequel a par ailleurs évalué à la juste somme de 25.000 € ledit préjudice.

La décision de première instance devra donc être confirmée sur ce premier point.

Dans le cadre de leur appel incident, Monsieur et Madame [O] soutiennent, comme devant le premier juge, que le Crédit Agricole ne démontre pas le montant de la créance qui leur est réclamée.

Toutefois, il doit être observé que l'appelante produit, outre le contrat de prêt initial et l'acte de cautionnement, l'échéancier permettant de déterminer le montant restant dû au jour de l'introduction de l'instance, ainsi que les courriers d'information aux cautions et la déclaration de créance faite au mandataire liquidateur dans le cadre de la procédure collective ouverte à l'égard du GAEC, dont il résulte qu'une seule échéance annuelle a été payée.

Il s'en déduit que le grief tenant à l'absence de détermination des sommes réclamées n'est pas justifié, étant à cet égard observé que le caractère manifestement excessif de l'indemnité contractuelle réclamée à hauteur de 2.000 € n'apparaît nullement établi.

En second lieu, les intimés reprochent à la banque de ne pas avoir respecté l'information annuelle de la caution à laquelle elle est tenue avant le 31 mars de chaque année en application des dispositions de l'article L341 - 6 du code de la consommation.

Un tel manquement n'apparaît, toutefois, nullement caractérisé, dès lors que la banque produit (pièces numéros 16 à 21 de son dossier) les courriers d'information annuelle qu'elle a adressés aux cautions en application de ce texte respectivement les 9 février 2018, 19 février 2019 et 14 février 2020.

C'est en conséquence à juste titre que le premier juge a rejeté la demande formée au titre de la déchéance du droit aux intérêts de l'établissement bancaire.

Les intimés reprochent en outre à la banque son immixtion dans la gestion du GAEC [O] sur le fondement des dispositions de l'article L650 - 1 du code de commerce selon lequel "lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci (') ".

Toutefois, la seule circonstance que le Crédit Agricole ait consentie au GAEC [O] un prêt, sur demande de celui-ci, au mois d'août 2017 avec le cautionnement des intimés ne suffit pas à établir, en application du texte ainsi invoqué et en l'absence de tout autre élément, une "immixtion caractérisée" de la banque dans la gestion du débiteur.

C'est en conséquence à juste titre que le premier juge a rejeté la demande formée par les cautions au titre de l'article L650 - 1 du code de commerce susvisé.

En dernier lieu, les intimés se prévalent des dispositions de l'article L332 - 1 du code de la consommation dans sa rédaction applicable aux faits de la cause selon lequel "un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation".

Il convient à cet égard d'observer que Monsieur et Madame [O] ont indiqué le 2 août 2017, dans la fiche de renseignements qui leur a été soumise par la banque (pièce numéro 6 du dossier de cette dernière), qu'ils percevaient des ressources annuelles d'un montant total de 8.400 € constituées majoritairement du RSA.

Il résulte toutefois de la deuxième page de ce document que les cautions ont également indiqué être propriétaires d'une maison et d'un terrain de 30 ha pour une valeur totale de 140.000 € de sorte que, après déduction des emprunts qu'ils avaient déjà souscrits à l'époque, leur patrimoine disponible était alors évalué à plus de 107.000 € (page numéro 4 du même acte).

L'engagement de caution étant limité à la somme de 39.000 €, il ne saurait être ainsi retenu que l'engagement pris dans le cadre de ce contrat par les intimés présenterait un caractère manifestement disproportionné à leurs biens et revenus au sens du texte précité.

Il résulte de ce qui précède que le jugement de première instance devra être confirmé en l'intégralité de ses dispositions.

Aucune considération d'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

- Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris,

Y ajoutant,

- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Dit que les entiers dépens d'appel seront laissés à la charge de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Centre Loire et seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle.