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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 8 septembre 2022, n° 21/00096

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Crédit du Nord (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bedouet

Conseillers :

Mme Cordier, Mme Fallenot

Avocats :

Me le Roy, Me Colignon, Me Chambaert, Me Mayer

T. com. Saint Quentin, du 4 mars 2016, n…

4 mars 2016

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte notarié du 28 mai 2005, le Crédit du Nord a consenti à Monsieur [T] [H] un prêt d'un montant de 83 500 euros, au taux annuel fixe de 4,12 %, pour lui permettre d'acquérir un fonds de commerce de vente et réparation de cycles, motocycles, motos, scooters, voiturettes, et vente d'accessoires, exploité à [Localité 4], [Adresse 1]. Ce prêt devait être remboursé en 84 mensualités de 1 167,28 euros chacune par prélèvement sur le compte courant de Monsieur [H] ouvert dans les livres de la banque, du 28 juin 2005 au 28 mai 2012. Il a été garanti, contre le versement d'une participation financière de l'emprunteur, par les cautionnements de la société interprofessionnelle artisanale de garantie immobilière à hauteur de 20%, et de la société Sofaris à hauteur de 30%.

Par acte sous seing privé du 15 novembre 2005, le Crédit du Nord a consenti à Monsieur [H] un prêt d'un montant de 75 000 euros, remboursable in fine en un seul versement payable initialement le 28 mai 2007. Les intérêts, au taux annuel fixe de 4,12%, étaient quant à eux payables mensuellement, le 28 de chaque mois, par prélèvement sur le compte courant de Monsieur [H] ouvert dans les livres du Crédit du Nord. Ce prêt a été garanti par une hypothèque, le nantissement du véhicule automobile de Monsieur [H], le nantissement du matériel et le nantissement du fonds de commerce.

Par avenant non daté, l'échéance finale de ce prêt a été reportée au 28 octobre 2007.

Monsieur [H] a également signé, le 22 juin 2005, une convention « Alliance » prévoyant notamment l'adhésion à un service de carte de paiement, la possibilité de bénéficier d'un service internet et celle d'obtenir une autorisation de découvert, fixée à 10 000 euros.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 2 novembre 2010, le Crédit du Nord a informé Monsieur [H] qu'il dénonçait la facilité de trésorerie dont il bénéficiait ainsi que la convention de compte courant.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 12 janvier 2011, le Crédit du Nord a indiqué à Monsieur [H] que le préavis étant expiré, il lui était redevable, au titre du solde débiteur de son compte d'un montant de 37 432,99 euros.

Par un second courrier recommandé du même jour, le Crédit du Nord a prononcé l'exigibilité anticipée du prêt de 83 500 euros, le prêt remboursable in fine étant quant à lui déjà exigible depuis octobre 2007, et a mis Monsieur [H] en demeure de lui rembourser, dans les huit jours, la somme de 122 195,34 euros.

Par acte d'huissier du 23 novembre 2012, le Crédit du Nord a assigné Monsieur [H] en paiement devant le tribunal de commerce de Saint-Quentin.

Par jugement du 8 juillet 2013, Monsieur [H] a été placé en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Saint-Quentin. La date de cessation des paiements a été fixée au 31 mars 2013.

Le Crédit du Nord s'est par suite désisté de sa procédure en paiement.

Il a procédé à la déclaration de ses créances entre les mains des organes de la procédure à raison de :

- 48 094,71 euros au titre du prêt consenti le 28 mai 2005,

- 98 569,08 euros au titre du prêt consenti le 15 novembre 2005,

- 37 699,89 euros au titre du solde débiteur du compte professionnel,

- 7 000 euros au titre d'un engagement de caution de Monsieur [H] au profit de « Piaggio France ».

Par ordonnance du 1er juillet 2014, les créances du Crédit du Nord ont été admises par le juge-commissaire à hauteur des sommes déclarées.

Monsieur [H] a bénéficié d'un plan de redressement, arrêté par jugement du 15 décembre 2014.

Par requête en date du 13 janvier 2016, le commissaire à l'exécution du plan a demandé la résolution du plan.

Par jugement du 15 avril 2016, le tribunal de commerce de Saint-Quentin a fait droit à sa demande et prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire. La date de cessation des paiements a été fixée au 15 décembre 2015.

Dans l'intervalle, par acte d'huissier du 21 janvier 2015, Monsieur [H] a attrait le Crédit du Nord devant le tribunal de commerce de Saint-Quentin, afin d'obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 135 267, 77 euros au titre de l'aggravation de l'insuffisance d'actif sur le fondement des articles L. 650-1 et L.620-20 du Code de commerce.

Par jugement rendu le 4 mars 2016, le tribunal de commerce de Saint-Quentin a statué en ces termes :

« DÉBOUTE [T] [H] de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre du CRÉDIT du NORD, sur le fondement de l'article L. 650-1 du Code de commerce,

DIT n'y avoir lieu à dommages intérêts pour procédure abusive,

CONDAMNE [T] [H] en tous les dépens, liquidés pour frais de greffe à la somme de 70.20 €, et à payer au CRÉDIT du NORD la somme de 2 500 € pour frais hors dépens,

DIT n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement. »

Les premiers juges ont retenu que :

- les deux prêts étaient conformes aux usages et proportionnés aux besoins et capacités du commerçant ;

- le défaut de paiement des échéances bancaires était essentiellement dû à la gestion de Monsieur [H], dont l'activité n'avait cessé de décliner, avec dérive des capitaux propres, négatifs dès mars 2007 soit 20 mois après son début d'activité, essentiellement en raison des prélèvements personnels de l'exploitant ;

- le débiteur avait bénéficié de délais sur une période longue, au regard de l'absence d'exigences de la banque à faire valoir ses droits.

Par déclaration du 7 avril 2016, Monsieur [H] a relevé appel de cette décision.

Par arrêt en date du 14 mars 2017, la cour d'appel d'Amiens a sursis à statuer, ordonné d'office la révocation de l'ordonnance de clôture et renvoyé l'affaire pour permettre à Monsieur [H] de communiquer contradictoirement un extrait Kbis le concernant permettant aux parties de prendre toutes écritures utiles.

Par arrêt du 18 octobre 2018, la cour d'appel d'Amiens a statué en ces termes :

« reçoit la Selarl Grave-[B], ès qualités de liquidateur judiciaire de Monsieur [H] en son intervention volontaire,

- réforme le jugement dont appel et, statuant à nouveau,

- condamne la société Crédit du Nord à payer à la Selarl Grave-[B] ès qualités, la somme de 3 526,97 euros ;

- rejette le surplus des demandes ;

- déboute la société Crédit du Nord de sa demande indemnitaire ;

- condamne Monsieur [H] aux dépens de première instance et d'appel ;

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile. »

Les premiers juges d'appel ont considéré que :

- aucune faute ne pouvait être reprochée à la banque concernant la contrepassation des échéances du prêt du 15 mai 2005 ;

- en revanche, s'agissant du prêt du 15 novembre 2005, le fait pour la banque d'avoir débité puis re-crédité à de nombreuses reprises, à des dates non contractuelles, le montant de l'échéance in fine successivement majorée des intérêts dus, faisant ainsi varier à sa convenance le montant du solde débiteur du compte pendant près de trois années, sans autorisation donnée par Monsieur [H], constituait une immixtion fautive dans la gestion de l'entreprise ;

- à partir des relevés de comptes produits, au regard du montant des sommes débitées annuellement au titre des "intérêts-frais arrêté de compte", du délai séparant chaque opération de crédit du débit antérieur de la même somme, du nombre d'opérations concernées et du montant relatif de ces opérations litigieuses rapporté au fonctionnement habituel du compte et en l'absence de toute indication sur le taux d'intérêt appliqué par la banque au solde débiteur du compte, le préjudice financier direct subi par Monsieur [H] pouvait être évalué au montant total des « intérêts-frais arrêté de compte » dont il était justifié par les pièces produites, soit la somme de 3 525,97 euros.

Par arrêt du 1er juillet 2020, la Cour de cassation a statué en ces termes :

« CONSTATE la déchéance du pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 14 mars 2017 ;

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il reçoit la société Grave-[B], en qualité de liquidateur de M. [H], en son intervention volontaire, l'arrêt rendu le 18 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;

Condamne la société Crédit du Nord aux dépens ;

En application de l'article 700 du Code de procédure civile, rejette la demande fondée par la société Crédit du Nord et la condamne à payer à M. [H] et la société Grave-[B], en qualité de liquidateur de M. [H], la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ».

La Cour de cassation a reproché aux premiers juges d'appel d'avoir retenu que le préjudice financier direct subi par Monsieur [H], du fait du comportement fautif de la banque au titre du prêt du 15 novembre 2005, pouvait être évalué au montant total des «intérêts-frais arrêté de compte » dont il était justifié par les pièces produites, soit la somme de 3 525,97 euros (janvier 2008, janvier 2009, janvier 2010), violant les dispositions de l'article 1382, devenu l'article 1240, du Code civil.

Monsieur [H] a saisi la cour d'appel de Douai, cour de renvoi, par acte du 30 décembre 2020, et la Selarl Grave [B], ès qualités, par acte du 13 septembre 2021.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions régularisées par le RPVA le 7 mars 2022, Monsieur [H] et la Selarl Grave [B], ès qualités, demandent à la cour de :

« Vu les pièces produites,

Vu les dispositions de l'article L 650-1 du Code de commerce,

Dire Monsieur [H] et la SELARL GRAVE [B] ès qualités recevables dans leur saisine de la juridiction de renvoi,

Dire que la Cour de cassation en date du 1er juillet 2020 remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvois devant la Cour d'appel de Douai,

Dire Monsieur [H] et la SELARL GRAVE [B] ès qualités bien fondés en leur appel à l'encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de SAINT-QUENTIN le 4 mars 2016,

Infirmer le jugement entrepris en l'ensemble de ses dispositions.

STATUANT A NOUVEAU,

Dire que le CRÉDIT DU NORD, de 2005 à 2010, a consenti à Monsieur [H] des concours abusifs et s'est rendu coupable d'immixtion caractérisée de la gestion de son activité au sens des dispositions de l'article L 650-1 du Code de commerce,

Dire que ces agissements ont contribué depuis novembre 2005 jusqu'à la date de l'ouverture de la procédure collective de Monsieur [H], à aggraver son insuffisance d'actif,

Condamner le CRÉDIT DU NORD à payer à la SELARL GRAVE [B] prise ès qualités de liquidateur judiciaire de Monsieur [T] [H], la somme de 209.766,20 euros au titre de l'aggravation de l'insuffisance d'actif,

Débouter le CRÉDIT DU NORD de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.

EN TOUT ETAT DE CAUSE,

Condamner le CRÉDIT DU NORD à payer à Monsieur [T] [H] et à la SELARL GRAVE [B] prise ès qualités de liquidateur judiciaire de Monsieur [T] [H], la somme de 10 000,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens tant de première instance que d'appel. »

Sur l'irrecevabilité de la saisine ainsi que de leurs conclusions excipée par le Crédit du Nord, Monsieur [H] et la Selarl Grave [B] ès qualités font valoir qu'ils n'étaient nullement enfermés dans le délai erroné mentionné par l'huissier pour saisir la juridiction de renvoi. En réalité, le délai de saisine n'a pas commencé à courir, étant souligné que l'erreur dans les modalités d'exercice d'une voie de recours ou dans les modalités de poursuite d'une instance peut être invoquée même sans avoir à rapporter la preuve de l'existence d'un quelconque grief.

Sur le fond, Monsieur [H] et la Selarl Grave [B] ès qualités plaident que la banque s'est immiscée dans la gestion, comme le démontrent la contrepassation systématique des remboursements des mensualités du prêt consenti le 28 mai 2005, couvrant l'incapacité de paiement du débiteur, et les tentatives de contrepassation de l'échéance du prêt in fine consenti le 15 novembre 2005 pendant des nombreux mois, alors que le prêt était échu, avec prélèvement de frais, et ce de la seule initiative de la banque. En usant de ce procédé, la banque a consenti des concours fautifs. Elle a attendu novembre 2012, soit 21 mois après la déchéance du terme intervenue le 10 janvier 2011, pour assigner en recouvrement.

Cette immixtion fautive dans la gestion de l'entreprise est d'autant plus caractérisée que les 75 000 euros ont été libérés non pas en novembre 2005 mais en mai 2005, directement entre les mains du notaire chargé de procéder à la cession du fonds de commerce et à l'acquisition des murs au profit de Monsieur [H]. Cette somme n'a jamais été débloquée sur le compte courant de Monsieur [H] pour assurer un quelconque besoin en fonds de roulement.

Les concours fautifs consentis durant trois ans à Monsieur [H] ont eu pour conséquence :

- de masquer à l'égard des tiers l'état de cessation des paiements et de retarder d'autant l'ouverture de la procédure collective, avec une aggravation du solde du compte professionnel qui fonctionnait systématiquement en découvert, par la comptabilisation d'agios sur les sommes débitées avant contrepassation, au seul bénéfice de la banque ;

- la comptabilisation durant trois années d'intérêts de retard ;

- le soutien d'une activité déficitaire et irrémédiablement compromise.

Le passif déclaré s'élève à 257 840,01 euros dont 193 933,68 euros par le Crédit du Nord et 63 906,33 euros par d'autres créanciers.

Le Crédit du Nord sera donc condamné au paiement de 63 906,33 euros au titre de l'aggravation du passif à l'égard de créanciers tiers autres que la banque, outre 145 859,87 euros correspondant à l'aggravation du passif à son égard, c'est à dire le montant de sa déclaration de créance, après déduction de la somme de 76 496,32 euros due au titre du prêt du 25 mai 2005.

Par conclusions régularisées par le RPVA le 11 janvier 2022, le Crédit du Nord demande à la cour de :

« Vu les articles 122 & s. du Code de procédure civile,

' Dire que la Cour de céans n'a pas été valablement saisie ;

' Déclarer irrecevables la saisine de la Cour de céans ainsi que les conclusions et demandes de Monsieur [H] et de la SELARL GRAVE-[B] ;

Subsidiairement, au fond :

' Dire et juger que le Crédit du Nord n'a pas octroyé un soutien abusif à Monsieur [H] ;

' Dire et juger que le Crédit du Nord n'a pas commis d'immixtion fautive dans la gestion de l'entreprise de Monsieur [H] ;

' Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Saint-Quentin du 4 mars 2016 en toutes ses dispositions en déboutant purement et simplement Monsieur [H] et la SELARL GRAVE-[B] de l'ensemble de leurs demandes, fins, droits, moyens et conclusions d'appel et en confirmant la condamnation au titre des frais irrépétibles ;

À titre infiniment subsidiaire,

' Dire et juger que Monsieur [H] ne rapporte pas la preuve de l'aggravation de l'insuffisance d'actif dont il se prévaut ; en conséquence, le débouter de l'intégralité de ses demandes ;

En tout état de cause :

' Condamner in solidum Monsieur [H] et la SELARL GRAVE-[B] ès qualités à verser au Crédit du Nord une somme de 10.000 € au titre de ses frais irrépétibles d'appel ;

' Condamner Monsieur [H] et la SELARL GRAVE-[B] ès qualités en tous les dépens. »

La banque plaide que la saisine de la cour d'appel de Douai est irrecevable pour tardiveté. En effet, l'arrêt de cassation a été signifié les 20 et 21 août 2020. Si le procès-verbal de signification indiquait à tort que le délai de saisine de la cour de renvoi était de quatre mois, alors qu'il est désormais de deux mois, cela offrait aux destinataires un délai rallongé, en leur faveur. La déclaration de saisine a été effectuée plus de quatre mois après la date de la signification, soit hors du délai rallongé. L'erreur quant au délai de recours ne faisant pas partie des causes de nullité énumérées à l'article 117 du Code de procédure civile, elle ne pourrait entraîner qu'une nullité de forme, qui en l'espèce, ne cause pas grief.

Sur le fond, le Crédit du Nord argue que Monsieur [H] a causé sa propre perte, laissant son chiffre d'affaires s'effondrer tout en procédant à des prélèvements personnels grevant dangereusement la trésorerie de son entreprise.

Il ajoute qu'il ne peut lui être reproché aucun soutien abusif. Les prêts octroyés l'ont été à des conditions normales, pour des montants parfaitement cohérents avec leur objet, et à une date où la situation de l'entreprise de Monsieur [H] n'était pas irrémédiablement compromise, puisqu'elle démarrait.

Les intérêts prélevés au titre du solde débiteur du compte, au vu de leur montant, sont totalement insusceptibles de justifier l'état de cessation des paiements de Monsieur [H]. Aucun nouveau crédit n'a été octroyé à ce dernier postérieurement à 2005, si ce n'est une augmentation de son autorisation de découvert à 30 000 euros, qui existait à tout le moins déjà en 2008, soit à une époque où la situation de cette entreprise n'était pas irrémédiablement compromise puisqu'elle a dégagé un bénéfice au titre de l'exercice 2008.

Si tant est que cela puisse caractériser la notion de crédit abusif, rien dans le comportement du Crédit du Nord n'a pu conduire à fautivement retarder l'ouverture de la procédure collective de Monsieur [H].

Pour que le comportement d'une banque entraîne fautivement un retard dans l'ouverture de la procédure collective de son client, il faut que, du fait de ce comportement, le client apparaisse artificiellement comme étant in bonis, grâce au soutien abusif de sa banque, c'est-à-dire que ce soutien ait pour conséquence de lui permettre d'avoir un actif disponible supérieur à son passif exigible, et donc, de retarder son état de cessation des paiements.

A supposer que l'exigibilité du prêt de 75 000 euros ou les échéances impayées du prêt de 83 500 euros aient entraîné l'état de cessation des paiements de l'entreprise, il était alors de la responsabilité de Monsieur [H] de déposer une déclaration de cessation des paiements dans les 45 jours et non de celle du Crédit du Nord.

L'exigibilité anticipée du remboursement de la totalité du prêt de 83 500 euros en cas d'échéances impayées était pour la banque une faculté en sa faveur, et certainement pas une obligation envers Monsieur [H]. Il en est de même de la possibilité d'assigner le débiteur en paiement.

La Crédit du Nord souligne que le prêt du 15 novembre 2005 n'a aucunement été libéré en mai 2005, les appelants opérant manifestement une confusion avec les fonds issus du prêt du 28 mai 2005, qui ont financé l'acquisition du fonds de commerce.

La banque observe qu'elle disposait, pour le remboursement des deux prêts litigieux, d'une autorisation de débit en compte.

Concernant le prêt du 5 mai 2005, il y a eu, chaque 28 du mois (ou postérieurement, mais à date de valeur du 28), débit de l'échéance en cours, ou, lorsque la ou les échéances précédentes restaient impayées, débit de l'ensemble des échéances impayées, augmentées des intérêts de retard. Cette faculté de débit en compte était contractuellement convenue. Soit le compte était suffisamment provisionné pour valider ce prélèvement, étant tenu compte de l'autorisation de découvert de 30 000 euros, et l'échéance était notée comme payée. Soit la provision était insuffisante, et la banque recréditait le montant prélevé à même date de valeur, sans que cela ne génère le moindre intérêt. La première échéance restée partiellement impayée est celle de juillet 2009, les débits/crédits suivants augmentant ainsi chaque fois du montant d'une échéance supplémentaire, outre intérêts de retard et pénalités.

Lorsqu'en octobre 2007, date contractuelle de remboursement du prêt du 15 novembre 2005, le solde du compte n'a pas permis d'effectuer utilement le prélèvement de la somme due, c'est donc de manière parfaitement normale qu'elle a de nouveau tenté un tel prélèvement à chaque date de paiement d'intérêts, soit au 28 de chaque mois (ou autour de cette date s'il ne s'agissait pas d'un jour ouvré), par débit du compte, puis, le compte étant insuffisamment provisionné pour permettre un tel prélèvement, a recrédité

le montant préalablement débité, généralement dans les jours ouvrés suivants (le montant débité étant naturellement augmenté chaque mois des intérêts échus le mois précédent et restés impayés). Les prélèvements sont donc bien intervenus à des dates contractuelles.

Par ailleurs, les débits/crédits effectués par le Crédit du Nord n'ont en rien causé une augmentation, artificielle ou non, des intérêts dus au titre du solde débiteur du compte. Il convient en effet de prendre en compte la date de valeur des écritures venant recréditer les montants préalablement débités, qui est exactement la même que celle du débit correspondant. Le solde débiteur du compte de Monsieur [H] s'est situé en permanence autour de 30 000 euros. Il ne s'est jamais élevé à plus de 100 000 euros, ce type de montant n'apparaissant que pour des motifs de décalage de la date de contrepassation des prélèvements infructueux effectués durant la période considérée.

Il n'y a donc eu aucune immixtion par le Crédit du Nord dans la gestion de Monsieur [H], mais simplement des tentatives d'obtenir le paiement des sommes qui lui étaient dues, en utilisant à cette fin le droit de prélèvement sur le compte dont elle bénéficiait.

Monsieur [H] et son liquidateur judiciaire ne rapportent absolument pas la preuve de l'aggravation de l'insuffisance d'actif qui serait intervenue entre le prétendu soutien abusif et la date du jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire. En effet, le montant de la demande qu'ils formulent correspond au passif brut de Monsieur [H] duquel ils ont déduit le montant dû au titre du prêt du 28 mai 2005. Ils ne justifient ni de la valeur de l'actif, l'état produit ne mentionnant ni les parts sociales de SCI, ni l'immeuble, ni de l'aggravation qui résulterait du soutien abusif allégué.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

SUR CE

I ' Sur la recevabilité de la saisine

Aux termes de l'article 1034 du Code de procédure civile, dans sa version en vigueur depuis le 1er septembre 2017, à moins que la juridiction de renvoi n'ait été saisie sans notification préalable, la déclaration doit, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, être faite avant l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt de cassation faite à la partie. Ce délai court même à l'encontre de celui qui notifie.

Aux termes de l'article 680 du Code de procédure civile, l'acte de notification d'un jugement à une partie doit indiquer de manière très apparente le délai d'opposition, d'appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l'une de ces voies de recours est ouverte, ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé.

En l'espèce, l'arrêt rendu le 1er juillet 2020 par la Cour de cassation a été signifié à la Selarl Grave-[B] ès qualités le 20 août 2020, et à Monsieur [H] le 21 août 2020, l'acte d'huissier indiquant de manière erronée que la déclaration de saisine devait être faite, à peine d'irrecevabilité, avant l'expiration d'un délai de 4 mois, conformément à la version de l'article 1034 du Code de procédure civile en vigueur antérieurement au 1er septembre 2017.

C'est de manière inopérante que le Crédit du Nord invoque l'absence de grief pour les appelants, en application de l'article 114 du Code de procédure civile, alors que ni la Selarl Grave-[B] ès qualités, ni Monsieur [H] ne sollicitent l'annulation de l'acte.

Il n'en demeure pas moins que la mention erronée du délai de recours a eu pour effet de ne pas le faire courir.

Le Crédit du Nord doit donc être débouté de sa demande visant à faire déclarer irrecevables la saisine de la présente cour ainsi que les conclusions et demandes de Monsieur [H] et de la Selarl Grave-[B].

II ' Sur l'immixtion fautive reprochée à la banque

Aux termes de l'article 625 alinéa 1er du Code de procédure civile, sur les points qu'elle atteint, la cassation replace les parties dans l'état où elles se trouvaient avant le jugement cassé.

Aux termes de l'article 631 du même code, devant la juridiction de renvoi, l'instruction est reprise en l'état de la procédure non atteinte par la cassation.

Aux termes de l'article 638 du même code, l'affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l'exception des chefs non atteints par la cassation.

La Cour de cassation ayant, par son arrêt rendu le 1er juillet 2020, cassé et annulé, sauf en ce qu'il a reçu la société Grave-[B], en qualité de liquidateur de Monsieur [H], en son intervention volontaire, l'arrêt rendu le 18 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens, et remis, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt, la cour de céans doit préalablement statuer sur les fautes reprochées à la banque avant, le cas échéant, de se prononcer sur l'étendue des préjudices invoqués.

Aux termes des dispositions de l'article L 650-1 du Code de commerce, lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnés à ceux-ci. Pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge.

En l'espèce, Monsieur [H] et la Selarl Grave-[B] reprochent à la banque une immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur, en soutenant :

- qu'elle lui a octroyé des concours fautifs en contrepassant systématiquement les remboursements des mensualités du prêt consenti le 28 mai 2005, couvrant l'incapacité de paiement du débiteur, et en tentant de contrepasser l'échéance du prêt in fine consenti le 15 novembre 2015 pendant des nombreux mois, alors que le prêt était échu, avec prélèvement de frais, de sa seule initiative ;

- que la somme de 75 000 euros issue du prêt du 15 novembre 2005 a été versée non pas en novembre 2005 sur le compte courant de Monsieur [H] pour les besoins en fond de roulement de son activité, mais en mai 2005, directement entre les mains du notaire chargé de procéder à la cession du fonds de commerce et à l'acquisition des murs.

Le concours fautif tient à la pratique d'une politique de crédit ruineux pour l'entreprise financée, de nature à provoquer une croissance continue et insurmontable de ses charges financières, eu égard à ses perspectives de rentabilité et à ses capacités de remboursement, ou à l'apport d'un soutien artificiel à une entreprise dont la banque connaissait ou aurait dû connaître, si elle s'était informée, la situation irrémédiablement compromise.

L'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur suppose quant à elle de démontrer l'accomplissement par celui-ci d'actes positifs de direction ou l'exercice d'une influence décisive sur la gestion du débiteur.

En l'espèce, Monsieur [H] et la Selarl Grave-[B] reprochent à la banque des contrepassations et tentatives de contrepassation de sommes en principal, intérêts et frais, auxquelles elle avait contractuellement droit, sans démontrer que le montant des sommes contrepassées, conforme à celui des mensualités augmentées des intérêts, et la fréquence des tentatives, conforme aux échéances contractuellement prévues en principal et/ou intérêts, ont occasionné une croissance continue et insurmontable des charges du débiteur caractérisant un abus.

Il ne peut être reproché à la banque d'avoir agi de sa seule initiative, hors de tout contrôle du débiteur, alors que la faculté de prononcer l'exigibilité anticipée du prêt du 28 mai 2005 et d'agir en justice en recouvrement de la somme due au titre du prêt du 15 novembre 2005 n'étaient pour elle que de simples facultés. Elle a en réalité accordé au débiteur une faveur en lui octroyant des délais de paiement bien qu'elle fut en droit d'exiger le remboursement intégral et immédiat des prêts contractés. En outre, elle a respecté les dispositions contractuellement convenues entre les parties, à une date où l'activité du débiteur démarrait.

Si Monsieur [H] et la Selarl Grave-[B] soutiennent qu'elle a, en agissant de la sorte, soutenu dans son seul intérêt une activité déficitaire, masquant l'état de cessation des paiements et retardant l'ouverture de la procédure collective, ils ne démontrent pas qu'elle savait ou aurait dû savoir que la situation du débiteur était déjà irrémédiablement compromise et que ces faits ont influencé, de façon décisive, la gestion du débiteur.

En revanche, ce dernier ne pouvait ignorer, compte tenu de son incapacité à honorer ses engagements contractuels, la nécessité de déclarer l'état de cessation des paiements.

Enfin, c'est sans aucun fondement que Monsieur [H] et la Selarl Grave-[B] prétendent que les fonds issus du prêt du 15 novembre 2005 ont été libérés dès le mois de mai 2005.

La banque ne peut donc se voir reprocher une immixtion dans la gestion de Monsieur [H].

La Selarl Grave-[B] ès qualités doit donc être déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

III ' Sur les demandes accessoires

1) Sur les dépens

Aux termes de l'article 696 du Code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

L'issue du litige justifie de condamner in solidum Monsieur [H] et la Selarl Grave-[B], ès qualités, aux dépens d'appel et de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné Monsieur [H] aux dépens de première instance

2) Sur les frais irrépétibles

Aux termes de l'article 700 du Code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

La décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle a condamné Monsieur [H] à payer au Crédit du Nord la somme de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [H] et la Selarl Grave-[B], ès qualités, tenus aux dépens d'appel, seront en outre condamnés in solidum à verser au Crédit du Nord la somme de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel, et déboutés de leur propre demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement rendu le 4 mars 2016 par le tribunal de commerce de Saint-Quentin en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne in solidum Monsieur [T] [H] et la Selarl Grave-[B], ès qualités, à payer au Crédit du Nord la somme de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel ;

Déboute Monsieur [T] [H] et la Selarl Grave-[B], ès qualités, de leur propre demande au titre de leurs frais irrépétibles ;

Condamne in solidum Monsieur [T] [H] et la Selarl Grave-[B], ès qualités, aux dépens d'appel.