CA Bourges, ch. civ., 6 janvier 2022, n° 21/00088
BOURGES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Caisse d'Epargne et de Prévoyance Loire Centre (SA)
Défendeur :
Saulnier Ponroy et Associés (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Waguette
Conseillers :
M. Perinetti, Mme Ciabrini
Avocat :
SCP Sorel
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. X Y a procédé à l'ouverture de comptes bancaires dans les livres de la Caisse d'Epargne Loire Centre par convention régularisée le 20 juin 2017 et s'est vu consentir une autorisation de découvert d'un montant maximum de 30.000€ suivant acte du 28 juillet 2018.
Le 3 juillet 2019, l'autorisation de découvert était renouvelée pour un montant de 52.706,95 €, pour une durée déterminée allant du 5 juin jusqu'au 15 juin 2019.
A cette même date la banque consentait quatre nouvelles autorisations de découvert :
- d'un montant maximum de 41.000 € pour une durée déterminée allant du 18 juin 2019 jusqu'au 15 juillet 2019,
- d'un montant de 31.000 € pour une durée limitée allant du 16 juillet 2019 jusqu'au 16 août 2019,
- d'un montant de 21.000 € pour une durée limitée allant du 16 août 2019 jusqu'au 16 septembre 2019,
- d'un montant de 11.000 € pour une durée limitée allant du 16 septembre 2019 jusqu'au 16 octobre 2019.
La Caisse d'Epargne Loire Centre a mis en demeure Monsieur Y de procéder à la régularisation du solde débiteur de ses comptes et, par courrier du 28 août 2019, elle l'avisait de la clôture de son compte de dépôt.
Par assignation en date du 28 août 2019, la banque a saisi le Tribunal de commerce aux fins de voir condamner M. Y à lui payer les soldes débiteurs des comptes de dépôt et du compte courant.
Le défendeur n'a pas comparu.
Par jugement du 9 décembre 2020, le Tribunal de commerce de Châteauroux a débouté la Caisse d'épargne de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.
Par déclaration du 19 janvier 2020, la Caisse d'Epargne Loire Centre a interjeté appel de cette décision.
Entre temps, par jugement du 9 décembre 2020, le Tribunal de Commerce de Châteauroux a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de M. X Y désignant la SAS Saulnier Ponroy en qualité de mandataire judiciaire.
La Caisse d'Epargne Loire Centre a déclaré sa créance entre les mains de la SCP Saulnier Ponroy, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 11 janvier 2021.
Aux termes de conclusions notifiées le 1er juillet 2021, la Caisse d'Epargne Loire Centre demande à la Cour de :
Recevoir l'appel et le dire fondé,
Réformer le jugement en toutes ses dispositions,
Fixer la créance de la Caisse d'épargne au passif de Monsieur X Y :
- à la somme de 499,20 € outre intérêts au taux légal du 14 octobre 2019 jusqu'au 9 décembre 2020 au titre du solde débiteur du compte de dépôt,
- à la somme de 50.479,80 € outre intérêts au taux légal à compter du 21 août 2019 jusqu'au 9 décembre 2020 au titre du compte courant,
Débouter Monsieur Y de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Condamner les intimés au paiement de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Elle fait essentiellement valoir que le premier juge s'est déterminé en violation du principe du contradictoire soulevant d'office des moyens qui n'étaient pas aux débats et, qu'en outre, l'argumentation est erronée puisque le tribunal a considéré, à tort, que le découvert total autorisé n'était pas dépassé et qu'ainsi les mises en demeure délivrées et les frais prélevés étaient injustifiés alors que les autorisations de découvert étaient limitées dans le temps et étaient bien dépassées.
Elle conteste les demandes reconventionnelles formées par M. Y en ce que la responsabilité pour soutien abusif ne peut être recherchée lorsque, comme en l 'espèce, la situation de M. Y n'était pas irrémédiablement compromise à la date des autorisations de découvert accordées et qu'aucune fraude, immixtion ou garanties disproportionnées au concours accordé ne sont établies.
Enfin, elle estime n'avoir pas manqué à son devoir d'information et de conseil en lui consentant les cinq autorisations de découvert puisque ces concours n'étaient pas artificiels mais visaient à lui permettre de rembourser son découvert bancaire et ajoute qu'elle n'était pas tenue d'un devoir de mise en garde en présence d'un débiteur averti et de concours adaptés aux capacités financières de l'emprunteur.
En dernier état de ses écritures remises au greffe le 3 juin 2021, M. Y demande à la cour de :
Confirmer en toutes ses dispositions le Jugement rendu par le Tribunal de commerce de Châteauroux le 9 décembre 2020,
Condamner la Caisse d'Epargne Loire Centre à payer à Monsieur Y la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, M. Y recherche la responsabilité de la banque sur le fondement de l'article 650-1 du code de commerce en ce qu'elle lui aurait consenti un soutien abusif alors que la banque avait bloqué son compte dès le 7 mai 2019, soit antérieurement aux concours consentis, que le premier concours était rétroactif, ne visant qu'à régulariser la négligence de la banque pour couvrir ses propres manquements et que l'ensemble des autorisations de découvert imposant de régulariser sa situation de découvert a conduit à la liquidation judiciaire et sont assimilables à une fraude et à une immixtion caractérisée.
Subsidiairement, il conclut au manquement de la banque à son devoir de conseil envers un emprunteur non averti en lui imposant une solution inadaptée équivalente à un soutien totalement artificiel.
La SAS Saulnier Ponroy Associés, appelé en intervention forcée en sa qualité de mandataire au redressement judiciaire de M. Y, n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 19 octobre 2021.
MOTIFS :
La responsabilité de la banque recherchée sur le fondement de l'article 650-1 du code de commerce.
L'article L. 650-1 du code de commerce énonce : «Lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux ci.
Pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge .»
En l'espèce, M. Y prétend à l'existence d'une fraude caractérisée et à l'immixtion fautive de la banque qui lui a consenti cinq autorisations de découvert le 3 juillet 2019 alors même que les deux premières sont intervenues a posteriori, la date limite de ces autorisations étant déjà échue, et que la banque avait dès le 7 mai 2019 bloqué le fonctionnement du compte. Elle ajoute que la situation de son entreprise était irrémédiablement compromise à la date des découverts consentis qui n'avaient d'autres fins que de combler le solde débiteur du compte à raison des manquements de la banque.
La cour observe liminairement que M. Y ne verse aux débats aucune pièce justificative de ses affirmations alors que la banque soutient à bon droit que la situation n'était pas irrémédiablement compromise lors des autorisations de découvert consentis en 2018 et 2019 puisque le redressement judiciaire n'interviendra que le 21 janvier 2021 sans qu'il ne soit démontré qu'il était en lien avec les découverts autorisés.
La banque démontre que le compte de M. Y n'était pas bloqué, comme il le prétend, avant les autorisations de découvert, les mouvements démontrant uniquement le rejet des prélèvements supérieurs au montant du découvert autorisé.
Il ne peut non plus être argué d'une fraude qui suppose un acte réalisé en utilisant des moyens déloyaux destinés à surprendre le consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu ou réalisé avec l'intention d'échapper à l'application d'une loi impérative ou prohibitive.
En effet, le montage financier ne révèle aucune intention frauduleuse en ce que d'une part rien ne démontre que les dits concours aient été imposés par la banque à M. Y et, d'autre part, il n'est pas plus établi qu'ils aient été consentis dans un but malicieux, de telles pratiques étant courantes entre les banques et leurs clients.
Enfin, aucune immixtion fautive n'est imputable à la banque dans le seul fait de consentir de telles autorisations de découvert dont encore une fois rien ne démontre qu'elles aient été imposées par la banque aux seules fins de couvrir ses propres erreurs.
Sur les sommes dues.
Le solde réclamé au titre du compte professionnel de M. Y ne fait l'objet d'aucune contestation, il sera donc fait droit à la demande de la banque de ce chef.
S'agissant du compte personnel de M. Y, ce dernier soutient que la banque doit être déchue du droit aux intérêts et autres frais dès lors que le compte a fonctionné à découvert pendant plus de trois mois sans qu'une offre préalable de prêt ne lui ai été proposée.
En vertu des articles L311-1 4° et L311-2 du Code de la consommation le découvert, même autorisé, d'une durée de plus de trois mois doit être régularisé par une offre écrite de crédit faite par la banque au titulaire du compte débiteur dans les conditions des articles L.311-11 et suivants..
Si le banquier ne fait pas d'offre de crédit et garde le compte débiteur fonctionnel, il encourt la perte du droit aux intérêts conventionnels par application de l'article L312-33 du même Code.
En l'espèce, il résulte du listing des mouvements du compte personnel, produit par la banque, que celui ci a bien fonctionné à découvert pendant plus de trois mois alors que la banque ne prétend pas avoir formulé une offre de prêt à M. Z
Elle sera donc déchue du droit aux intérêts conventionnels, seule sanction prévue par le texte, et ne pourra obtenir fixation de sa créance qu'à hauteur de 498,78 €.
Aucun intérêt n'étant dû postérieurement à l'ouverture du redressement judiciaire qui interrompt le cours des intérêts à l'exception des prêts supérieurs à un an, ce qui n'est pas l'hypothèse, les intérêts légaux des créances ne seront fixés que jusqu'à la date du 9 décembre 2020.
Le jugement entrepris, qui déboute la banque de toutes ses demandes, sera donc infirmé.
Sur le manquement au devoir de conseil.
Le devoir de conseil ou de mise en garde est due par la banque à son client lorsque sont réunies trois conditions : la mise en garde de la banque s'applique à l'égard d'un emprunteur de bonne foi et non averti et s'il est démontré que son engagement présentait un risque d'endettement excessif compte tenu de sa situation dont la banque avait connaissance.
M. Y reproche à la Caisse d'épargne un tel manquement qui résulterait de l'octroi d'autorisations de découvert totalement artificiel et ne répondant pas à ses besoins.
Toutefois d'une part M. Y ne verse aux débats aucun élément justifiant d'une situation telle que les autorisations de découvert auraient été inadaptées à ses besoins ou que son engagement présentait un risque d'endettement excessif dont la banque aurait eu seule la connaissance.
D'autre part, M. Y ne conteste pas avoir exploité pendant plus de 20 ans un fonds de commerce employant plusieurs salariés ce qui fait de lui un emprunteur averti compte tenu de l'absence de toute complexité de l'opération financière se limitant à autoriser des découverts.
M. Y sera débouté de sa demande reconventionnelle.
*********
M. Y, dont le redressement judiciaire s'est terminé par l'adoption d'un plan, sera condamné aux dépens de première instance et d'appel et devra payer à la banque appelante la somme de 2.000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Fixe la créance de la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Centre au passif du redressement judiciaire de M. X Y :
- à la somme de 498,78 €, outre intérêts au taux légal du 14 octobre 2019 jusqu'au 9 décembre 2020 au titre du solde débiteur du compte de dépôt personnel,
- à la somme de 50.479,80 €, outre intérêts au taux légal à compter du 21 août 2019 jusqu'au 9 décembre 2020 au titre du compte courant professionnel,
Déboute M. Y de toutes ses demandes,
Condamne M. X Y aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Centre la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.