CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 16 juin 2023, n° 22/00812
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Kaori (SAS)
Défendeur :
Egis (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ardisson
Conseillers :
Mme Primevert, Mme L'Eleu de La Simone
Avocats :
Me Boccon Gibod, Me Fiocca, Me Lallement, Me Molinier
1. Le groupe Egis, entreprise d'ingénierie qui intervient sur le territoire national et dans le monde dans les secteurs du transport, de l'énergie et de la construction a confié à compter de 2012 à la société Kaori des missions de support informatique consistant dans des interventions pour ses établissements en France, in situ et à distance, pour des missions « d'installation de périphériques, incidents système exploitation, souci de connexion réseau, gestion des SAV, la gestion de la téléphonie mobile (matériel et incidents divers), la supervision en salle de réunion (incidents audio ou vidéo, installation de matériel, souci réseau / connexion, préparation de salle avec des équipements spécifiques tels que clickshare, micro, barco etc ».
2. La société Kaori s'est vu ainsi attribuer les volumes d'affaires en 2012, de 363.994 euros, en 2013, de 1.039.914 euros, en 2014, de 4.260.703 euros, en 2015, de 4.734.070 euros, en 2016, de 4.862.791, en 2017, de 5.327.491, en 2018, de 7.799 476 euros, en 2019, de 5.194.591 euros en 2020, de 3.630.127 euros et 2021, de 3.856.004 euros.
3. La société Egis a fermé son site de [Localité 5] en 2021, entraînant la résiliation de trois contrats passés avec la société Kaori, puis après un appel d'offres lancé le 1er décembre 2021, la société Kaori s'est vu notifier le rejet de son offre le 18 mars 2022, avant que la société Egis ne dénonce les résiliations assorties d'un préavis de six mois adressées les 19 et 23 novembre 2021 pour trois contrats, puis les 22 et 25 février 2022 pour huit autres contrats.
4. Reprochant à la société Egis d'avoir rompu, partiellement, en 2019, puis brutalement, en 2022, leur relation commerciale établie, d'avoir déloyalement conduit l'appel d'offres à son détriment, d'avoir abusé de sa dépendance économique en débauchant son personnel et enfin de s'être immiscée dans la gestion de ses salariés, la société Kaori a assigné à bref délai la société Egis le 25 avril 2022 devant le tribunal de commerce de Paris en dommages et intérêts.
5. Par jugement du 19 septembre 2022, le tribunal de commerce de Paris a :
- débouté la société Kaori, représentée par la société Financière AXD (ci-après "société Kaori"), de ses demandes au titre des ruptures brutales partielles et totales,
- débouté la société Kaori, de sa demande au titre de sa perte de chance d'avoir pu remporter l'appel d'offres,
- condamné la société Egis à payer à la société Kaoriela somme de 6.800 euros au titre du débauchage de Mme [F],
- débouté la société Kaori de sa demande de la relever et la garantir de toute condamnation prononcée par le conseil des Prud'hommes relatif aux salariés et/ou sous-traitant ayant réalisé une prestation de travail chez la société Egis et dont le fondement juridique porterait sur le délit de marchandage et prêt de main-d'oeuvre,
- débouté la société Kaori de sa demande visant à se faire rembourser par la société Egis le coût des licenciements relatif aux salariés ayant réalisé une prestation de travail chez la société Egis,
- condamné la société Egis à payer à la société Kaori la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
- condamné la société Egis aux dépens.
6. Vu l'appel interjeté par la société Kaori le 5 décembre 2022 en application de l'article 917 du code de procédure civile ;
7. Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 15 février 2023 pour la société Kaori afin d'entendre, en application des 858 du code de procédure civile, L. 442-1 et L. 442-4 - code de commerce, 1143, 1231-1 et 1353 du code civil :
À titre principal,
- réformer le jugement en ce qu'il a - débouté la société Kaori, représentée par la société Financière AXD, de ses demandes au titre des ruptures brutales partielles et totales, débouté la société Kaori, de sa demande au titre de sa perte de chance d'avoir pu remporter l'appel d'offres, - condamné la société Egis à payer à la société Kaoriela somme de 6.800 euros au titre du débauchage de Madame [F],
- débouté la société Kaorir de sa demande de la relever et la garantir de toute condamnation prononcée par le conseil des pud'hommes relatif aux salariés et/ou sous-traitant ayant réalisé une prestation de travail chez la SA Egis et dont le fondement juridique porterait sur le délit de marchandage et prêt de main-d’œuvre, - débouté la société Kaori de sa demande visant à se faire rembourser par la société Egis le coût des licenciements relatif aux salariés ayant réalisé une prestation de travail chez la société Egis, - condamné la société Egis à payer à la société Kaori la somme de 1.000 euros au titre de l'articIe 700 du code de procédure civile, débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires, - condamne la société Egis aux dépens,
Sur le fondement de l'article L. 442-1 du code de commerce et la rupture partielle des prestations 2020 et 2021 :
- juger que la société Egis a réduit le volume d'affaires de son prestataire, sans préavis, et sans lettre de résiliation en 2020 et 2021,
- juger que le délai de préavis aurait dû être de 18 mois,
Juger que la société Egisa rompu partiellement et de façon brutale ses relations commerciales sur les exercices 2020 et 2021,
- condamner la société Egis au paiement de la somme de 3.546.180,72 euros correspondant au chiffre d'affaires perdu sur les exercices 2020 à 2021, la société Kaori ayant subi cette perte de chiffre d'Affaires en conservant tous les coûts,
Subsidiairement, si le tribunal décidait d'appliquer le taux de marge et non le chiffre d'Affaires de 39,65 %,
- condamner la société Egis au paiement de la somme de 1.406.060,66 euros au titre de rupture partielle, abusive et brutale des relations commerciales de 2020 à 2021,
Sur la durée de préavis de 6 mois.
- juger que le préavis de 6 mois, mentionné aux lettres de résiliation est insuffisant compte tenu de la spécifié des prestations fournies, de la durée de la relation commerciale, du volume d'affaires réalisé et de l'état de dépendance économique,
- fixer le délai de préavis à 18 mois,
- juger que la rupture est brutale,
- condamner la société Egis au paiement de la somme de 1.484.125,47 euros au titre de la perte de marge consécutive à la rupture abusive et brutale des relations commerciales suite aux lettres de résiliation,
Sur les autres préjudices :
- juger que la société Egis a abusé de l'état de dépendance économique de la société Kaori en débauchant du personnel et en obligeant Kaori à transférer ses ressources au profit un concurrent,
- condamner la société Egis au paiement de la somme de 893.423,93 euros à titre de dommages et intérêts,
- juger que la société Egis s'est immiscée de façon fautive dans la gestion RH des salariés de Kaori et fait supporter un risque social et pénal à son cocontractant, en l'espèce le délit de marchandage et de prêt illicite de main-d’œuvre
- condamner la société Egis à relever et garantir Kaori de toute condamnation prononcée par le conseil des prud'hommes relatif aux salariés et /ou sous-traitant ayant réalisé une prestation de travail chez Egis et dont le fondement juridique porterait sur le délit de marchandage et prêt de main-d'oeuvre ;
- condamner la société Egis à régler à Kaori la somme de 197.000 euros au titre du coût des licenciements, des départs négociés et du coût des intercontrats au 30 novembre 2022,
Sur le fondement de l'article 1240 du code civil,
- juger que la société Egis n'a pas respecté les conditions de l'appel d'offres et a commis une faute,
- juger que la société Egis a fait perdre une chance à Kaori d'obtenir ce marché privé sur les 3 prochaines années,
- juger que la perte de chance sera fixée à 60 %,
- condamner la société Egis à régler à Kaori la somme de 2.173.216,50 euros au titre de la perte de chance d'avoir pu remporter l'appel d'offres,
Sur le fondement de l'article 1231 du code civil,
Sur la responsabilité contractuelle de la société Egis pour le non-respect de la clause de non-sollicitation et la violation du contrat postérieurement à la fin des missions,
- juger que la société Egis a commis une faute en sollicitant et en engageant 4 salariés "clés" empêchant Kaori de redéployer ses équipes dans des conditions normales,
- juger que la société Egis engage sa responsabilité contractuelle,
- condamner la société Egis à régler à Kaori la somme de 364.786,34 euros au titre de la perte de chiffre d'affaires consécutif aux 4 débauchages de septembre 2022,
- condamner la société Egis à régler à Kaori la somme de 1.188.310 euros au titre de la perte de chance de conserver et de redéployer son service technicien bureautique chez d'autres clients,
- condamner la société Egis aux sommes suivantes 300.000 euros à titre de dommage et intérêts pour préjudice économique et 100.000 euros à titre de dommage et intérêts pour préjudice moral,
En tout état de cause,
- juger que la demande est reconventionnelle constitue une demande nouvelle présentée une première fois en cause d'appel,
- rejeter la demande reconventionnelle,
Subsidiairement
- juger que la prétendue créance n'est ni certaine, ni liquide et ni exigible,
- condamner la société Egis à payer à la société Kaori la somme de 12.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
* *
8.Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 16 février 2023 pour la société Egis afin d'entendre, en application des articles 31, 56 et 122 du code de procédure civile, L. 442-1 II du code de commerce et 1101 et suivants du code civil :
1. Sur la demande relative à la prétendue rupture partielle,
- juger que la société Egis démontre que la société Kaori surestime le chiffre d'affaires réalisé avec Egis en 2018, - les relations commerciales entre Egis et la société Kaori sont évolutives par nature et que les missions non récurrentes réalisées en 2018 ne doivent pas être prises en compte pour analyser l'évolution du chiffre d'affaires sur la période concernée, - la baisse du chiffre d'affaires en 2020/2021 est liée à la fin de missions non récurrentes et à la crise sanitaire qui présente un caractère de force majeure pour Egis, - Egis n'a pas confié des pans entiers du périmètre contractualisé avec la société Kaori à d'autres prestataires, - le quantum des indemnités réclamées par la société Kaori au titre d'une prétendue rupture partielle est injustifié et infondé,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la société Kaori ne démontre pas avoir subi une rupture partielle de ses relations commerciales avec Egis,
- débouter en conséquence La société Kaori de ses demandes à l'encontre d'Egis au titre d'une prétendue rupture partielle de ses relations commerciales avec Egis,
2. Sur la demande relative à la prétendue rupture brutale
- juger que la société Egis démontre les délais accordés par la société Egis à la société Kaori sont suffisants et conformes à l'article L. 442-1 II du code de commerce, la société Kaori a largement anticipé la fin de ses relations commerciales avec Egis, la société Kaori n'est pas en état de dépendance économique à l'égard d'Egis, le préjudice allégué n'est pas justifié,
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que La société Kaori ne démontre pas avoir subi une rupture brutale de ses relations commerciales avec Egis,
- débouter la société Kaori de ses demandes formées à l'encontre d'Egis au titre d'une prétendue rupture brutale de ses relations commerciales avec Egis,
3. Sur la demande relative au prétendu débauchage de personnel
- juger que la société Kaori ne démontre aucune intervention de la société Egis s'agissant des salariés de la société Willing, - Egis a indemnisé la société Kaori pour MM. [D] et [M] et pour Mme [X] conformément aux stipulations contractuelles la liant à la société Kaori, - la société Kaori a exonéré MM [N], [E] et [Y] d'exécuter leur préavis contractuel,
- débouter la société Kaori de ses demandes formées à l'encontre de la société Egis au titre d'un prétendu débauchage de personnel,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il s'est limité à condamner Egis à l'indemnité de 6.800 euros due en exécution du contrat concernant Mme [F],
4. Sur la demande de garantie au titre des risques sociaux
- juger que la société Egis démontre que la société Kaori ne justifie pas d'un intérêt né et actuel pour former une demande de garantie à l'encontre d'Egis au titre des risques sociaux, la demande de garantie formée par La société Kaori à l'encontre d'Egis au titre des risques sociaux est mal fondée,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que l'intérêt de La société Kaori n'était ni né, ni actuel,
- déclarer irrecevable la demande de garantie formée par La société Kaori à l'encontre de la société Egis pour défaut d'intérêt à agir,
- débouter en tout état de cause La société Kaori de sa demande de garantie à l'encontre d'Egis au titre des risques sociaux,
5. Sur la demande de remboursement du coût des licenciements
- juger que la société Egis démontre que la demande de remboursement du coût des licenciements est mal fondée,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que le préavis alloué à La société Kaori pour se réorganiser était suffisant et qu'elle ne justifie d'aucun préjudice supplémentaire distinct,
- débouter La société Kaori de sa demande de remboursement du coût des licenciements,
6. Sur la demande de condamnation au titre du prétendu non-respect des règles de l'appel d'offre
- juger irrecevable la demande formée par la société Kaori à l'encontre d'Egis pour défaut de fondement juridique identifié dans son assignation qui n'est pas motivée en droit,
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que la société Kaori ne démontre ni la commission d'une faute par la société Egis, ni l'existence d'un préjudice indemnisable, ni le lien de causalité,
- débouter La société Kaori de sa demande à l'encontre d'Egis au titre du prétendu non-respect des règles de l'appel d'offres,
7. Sur la demande de condamnation au titre des prétendus préjudices économique et moral
- juger irrecevable la demande formée par La société Kaori à l'encontre d'Egis pour défaut de fondement juridique identifié dans son assignation qui n'est pas motivée en droit,
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que La société Kaori ne démontre ni la commission d'une faute par Egis, ni l'existence d'un préjudice indemnisable, ni le lien de causalité,
- débouter la société Kaori de sa demande à l'encontre d'Egis au titre des préjudices économique et moral,
8. Sur le remboursement par la société Kaori de l'avance de trésorerie consentie par la société Egis
- juger que la société Egis démontre qu'elle a consenti à La société Kaori une avance de trésorerie d'un montant de 371.547 euros HT, soit 445.856,40 euros TTC, que celle-ci ne lui a jamais remboursée,
- juger que la créance de la société Egis sur la société La société Kaori au titre de la restitution de l'avance de trésorerie de 371.547 eurosHT en résultant est certaine liquide et exigible,
- condamner La société Kaori à payer à Egis la somme de 371.547 euros HT, soit 445.856,40 eurosTTC,
- ordonner la compensation de cette somme avec toute éventuelle condamnation prononcée à l'encontre d'Egis,
9. En tout état de cause
- débouter La société Kaori de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'encontre d'Egis,
10. Sur les frais irrépétibles et les dépens
- condamner la société Kaori à verser à Egis la somme de 50.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Kaori aux entiers dépens qui pourront être recouvrés par la société BDL Avocats, représentée par Me Frédéric Lallement, avocat au Barreau de Paris, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
* *
Le président a prononcé la jonction des affaires enregistrées sous les numéros 22/19874 et 22-00812 et prononcé la clôture de l'affaire à l'audience du 16 février 2023.
SUR CE, LA COUR,
I. Sur la rupture brutale partielle de la relation commerciale établie en 2020-2021
9. Il est rappelé que l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce, dans sa version en vigueur au 11 décembre 2016 et applicable au litige, dispose que :
« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure (...). »
10. Pour entendre infirmer le jugement en ce qu'il a écarté le grief de la rupture partielle de la relation commerciale établie avec la société Egis, la société Kaori relève qu'après avoir réalisé un chiffre d'affaires de X euros en 2018, celui-ci a diminué de 30 % en 2019, et conteste, d'une part, que le flux d'affaires réalisé en 2018 était exceptionnel, et d'autre part, que la chute du chiffre d'affaires en 2019 soit liée à la pandémie, affirmant que cet écart est lié au transfert d'activité au profit de son concurrent la société Altran.
11. Toutefois, la société Kaori, qui maîtrisait les ordres de services de chacun de ses contrats, n'établit pas la preuve contraire que le chiffre d'affaires qui a augmenté de 46 % en 2018 n'est pas lié à la mise à jour exceptionnelle du système d'exploitation Windows 10 sur l'ensemble des postes de travail de la société Egis, ni que la société Altran s'est vue transférer les prestations qui lui étaient dévolues au moment de la pandémie dans les proportions de l'écart des chiffres d'affaires qu'elle déplore, suivant le nombre de tickets de prise en charge qu'elle met aux débats. Alors enfin que la société Kaori a pris acte avec la société Egis dans un compte-rendu de comité de pilotage trimestriel qui s'est tenu le 22 juin 2020 l'anticipation d'une baisse d'activité de 35 % et un 'impact budget de 40%.
12. Le jugement sera en conséquence confirmé de ce chef.
II. Sur la rupture brutale totale de la relation commerciale établie.
13. Pour voir confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu suffisantes, sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce précité, les durées de préavis de 6 mois qu'elle a dénoncées pour la fin de chacun des groupes de contrats et au titre de la relation commerciale établie depuis 9 ans avec la société Kaori, la société Egis rappelle, en premier lieu, que chacun des contrats était convenu pour des termes de 3 mois, voire 1 mois, et qu'aucune exclusivité ni chiffre d'affaires garanti n'étaient convenus avec la société Kaori.
14. La société Egis invoque en deuxième lieu le fait que la société Kaori a retiré ses techniciens des missions en cours d'exécution des contrats pour des formations dès le mois de février 2022, anticipant ainsi leur affectation à d'autres missions pour d'autres clients, que la société Kaori poursuivait l'exécution d'autres missions diversifiées auprès d'autres grands comptes de clients et disposait en outre d'une grande flexibilité et d'une capacité d'adaptation en raison de son recours à l'intérim et à la sous-traitance et enfin, que les prestations de la société Kaori correspondaient à un secteur en forte croissance, offrant un panel de clients étendu et favorable à la recherche de nouveaux débouchés commerciaux.
15. Néanmoins, il est constant que les contrats passés avec la société Egis représentaient plus de 40% du chiffre d'affaires de la société Kaori qui justifie par ailleurs l'emploi de près de 50 % de ses salariés pour ces contrats, de sorte qu'en considération de l'ancienneté de la relation commerciale établie depuis plus de 9 ans, le délai de 6 mois était manifestement insuffisant pour la réorganisation de l'entreprise en particulier pour synchroniser les délais de recherche de nouveaux clients sur le territoire national ou à l'étranger ainsi que pour l'affectation des salariés à ces nouveaux marchés.
16. En revanche, ainsi que le conclut en troisième lieu la société Egis, et comme l'ont relevé les premiers juges, la société Kaori n'est pas fondée à se prévaloir de sa dépendance économique, alors qu'elle ne met aux débats aucun élément de preuve contraire à ceux issus des études des cabinets FTI Consulting et KPMG selon lesquelles le secteur des prestataires de l'infogérance et de l'informatique de bureautique sur lequel opère la société Kaori offre de nombreux débouchés, que cette dernière n'était tenue par aucune exclusivité à la société Egis et qu'enfin, l'importance du chiffre d'affaires et la renommée de la société Egis pour son activité ne sont en rien déterminant sur le secteur d'activité de la société Kaori, la cour relevant au surplus, que la société Kaori ne justifie pas d'une stratégie défavorable du tissu de ses actionnaires dont les partenariats représentent un chiffre d'affaires de 40 millions d'euros avec des clients grands compte nationaux et internationaux et un effectif de plus de 450 collaborateurs.
17. Par ces motifs, la cour fixera à 9 mois, la durée du préavis nécessaire à la rupture de la relation commerciale établie que la société Egis aurait dû être notifier à la société Kaori, ce dont il résulte qu'elle est bien fondée à réclamer les dommages et intérêts correspondant à 3 mois de préavis supplémentaires.
Sur les dommages réparables
18. L'indemnité réparatrice sera calculée non sur la valeur du chiffre d'affaires, comme le demande la société Kaori, mais sur la base du taux de marge brute de 39,65 % établi par l'attestation de son expert-comptable. Rapporté au chiffre d'affaires moyen de 4.226.906 euros (moyenne de 2019, 2020 et 2021), la société Egis sera condamnée à payer la somme de 1.673.855 euros de dommages et intérêts.
19. Enfin, la société Kaori réclame la somme de 197.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique qui est résulté de l'effectif démesuré des salariés que la société Egis l'a conduite à employer et de son obligation d'en licencier une partie à la suite de la rupture de leur relation commerciale établie.
20. Sur le fondement de la rupture brutale en 2022 de la relation commerciale établie, et sur la base de la pièce n° 32 de la société Kaori, la cour peut accueillir ce chef de demande seulement d'après l'indication des quatre licenciements pour motif économique de 7.500 euros chacun soit la somme de 30.000 euros, et à l'exclusion des autres "surcoûts" dont la preuve du lien de causalité avec le chef de rupture retenu n'est pas justifiée.
III. Sur les autres chefs de demande de dommages et intérêts de la société Kaori.
III.1 Tirés de la conduite fautive de l'appel d'offres.
21. La société Egis conclut à l'irrecevabilité de la demande de la société Kaori en dommages et intérêts tirée de la perte de chance d'être titulaire des marchés offerts à l'appel d'offres du 1er décembre 2021 en relevant que, devant les premiers juges saisis à jour fixe, la société Kaori n'a pas visé de moyen de droit au soutien de cette prétention, ce qu'elle ne pouvait régulariser en cause d'appel.
22. Toutefois, cette cause d'irrecevabilité n'a pas été élevée devant les premiers juges en sorte que le moyen n'est pas recevable en cause d'appel, et tandis, au surplus, que les moyens présentés par la société Kaori sur ce chef de demande traduisent une prétention au sens des articles 4, 918 et 954 du code de procédure, cette cause d'irrecevabilité sera derechef écartée.
23. Pour conclure à l'infirmation du jugement qui l'a déboutée de cette demande, la société Kaori estime que l'appel d'offres n'a pas été régulièrement conduit par la société Egis en affirmant, en premier lieu, qu'aucun délai n'a été respecté et en relevant, en deuxième lieu, qu'elle n'a été destinataire d'aucune des questions des soumissionnaires et des réponses apportées par la société Egis, alors que d'après sa nature, l'appel d'offres appelait des précisions qui auraient dues être partagées entre les candidats.
24. Au demeurant, la première affirmation n'est étayée d'aucune pièce de nature à caractériser une faute et tandis, d'une part, que les courriels que la société Egis met aux débats en pièce n°68 attestent des réponses qu'elle a apportées aux questions de la société Kaori, et d'autre part que, sauf dérogation de l'adjudicataire, les règles de confidentialité applicables au droit de l'appel d'offres ne justifient pas que les réponses des concurrents soient communiquées entre eux, le moyen sera écarté.
25. La société Kaori conclut en troisième lieu que le nom et l'adresse de courriel de M. [W] [G] ont été mentionnés dans l'appel d'offres sans qu'il y ait souscrit, une telle mention créant une présomption de son exclusion du marché, sans cependant qu'une telle assertion soit en contravention avec les règles de l'appel d'offres de sorte que le moyen sera aussi écarté.
26. En quatrième lieu, la société Kaori critique le critère du tarif de l'offre privilégiant la fourniture de prestations depuis l'étranger, alors qu'elle offrait de préserver l'emploi en France et se refusait à délivrer une prestation exclusivement basée à l'étranger.
27. Alors néanmoins que la société Egis était libre du choix de ce critère dans son appel d'offres afin de minimiser les coûts de la prestation, le moyen est inopérant.
28. En cinquième lieu, la société Kaori conteste avoir présenté une offre de 10.053.124 euros sur trois ans plus élevée que celle de la société Helpline proposée pour 3.849.685 euros en relevant, d'une part, qu'elle présentait de nombreux points faibles relevées dans son évaluation technique et fonctionnelle et en soutenant, d'autre part, qu'elle n'avait répondu qu'à une partie des besoins de la société Egis, tandis que la société Altran, filiale de Cap Gemini, avait déjà récupéré les prestations hors appel d'offres.
29. La première observation entre dans l'appréciation qualitative de la société Egis qui est mise en regard avec des critères de prix et tandis que la seconde affirmation n'est pas étayée, alors qu'il est établi que la société Cap Gemini a soumis une offre à ce concours qui a été écartée, le moyen sera tout autant rejeté.
30. Enfin, la société Kaori critique l'indigence de l'évaluation de son offre technique et fonctionnelle dont elle soutient qu'elle est contraire au compte-rendu du dernier comité de pilotage du 17 mars 2022 dans lequel la bonne qualité globale de son service est reconnue par son donneur d'ordre sur l'intervention support, l'intégration, les achats, l'assistance, les projets transverses ainsi que sur son management.
31. Au demeurant, l'essentiel des critiques qui ont conduit à ne pas la retenir porte sur l'inadaptation de son offre aux attentes du marché et des restrictions qu'elle apportait, en particulier le sur-dimensionnement de ses centres de services, ce que traduisaient ses prix comparés aux concurrents ont conduit la société Egis à conclure dans son analyse que son offre qu'elle était "économiquement irrecevable".
32. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de ce chef.
III.2 Tiré de la concurrence déloyale par débauchage de personnels.
33. La société Kaori entend voir infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses deux demandes de dommages et intérêts de 893.423,93 euros et 364.786,34 euros représentant les pertes de marge sur les chiffres d'affaires réalisés pendant trois ans rapportés à l'activité de huit de ses collaborateurs et dont elle reproche le débauchage à la société Egis, soit directement dans ses établissements pour quatre d'entre eux, soit pour quatre autres par une société Willing.
34. La société Kaori soutient que si elle a bien été indemnisée pour ces salariés dans les conditions de la clause 10.3 de non sollicitation stipulant « une indemnité forfaitaire d'un montant égal à 20 jours de prestation de la personne sollicitée ou embauchée », la société Kaori soutient de cette clause, sur le fondement de l'article 1143 du code civil, qu'elle représente un avantage manifestement excessif consenti sous la contrainte en raison de l'état de dépendance économique dans lequel elle était placée avec la société Egis, ou encore qu'elle représente un avantage manifestement disproportionné au regard de la valeur consentie au sens de l'article L. 442-1 du code de commerce.
35. Néanmoins, il est déjà relevé au paragraphe 16 ci-dessus que l'état de dépendance économique de la société Kaori n'est pas caractérisé et le surplus de ces affirmations ne permet pas de caractériser un avantage disproportionné au profit de la société Egis, en sorte que le jugement sera confirmé de ce chef.
III.3. Tiré de la perte de chance de réorganiser l'entreprise.
36. La société Kaori entend voir infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en condamnation au paiement de la somme de 1.188.310 euros en réparation de la perte de chance de pouvoir se réorganiser et de déployer ses équipes dans un délai raisonnable, compte tenu du contexte international de délocalisation.
37. Toutefois, ce chef de demande est soit compris dans le droit à indemnité reconnu au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie dans les conditions retenues par la cour aux paragraphes 18 à 20 ci-dessus, soit est par nature exclu du droit à réparation en ce qu'il entre dans les aléas de la vie de l'entreprise et de la concurrence, en sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
III.4. Tiré de la perte du préjudice économique et du préjudice moral.
38. La société Kaori entend voir infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en condamnation au paiement de la somme de 300.000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice économique, sans cependant qu'elle invoque de moyens distincts de ceux qui sont retenus ou écartés par l'arrêt ci-dessus, en sorte que le jugement sera confirmé de ce chef.
39. Pour le même motif en ce qui concerne la demande de 100.000 euros de dommages et intérêts au titre d'un préjudice moral, le jugement sera tout autant confirmé en ce qu'il a rejeté cette prétention, alors par ailleurs que ne sont pas justificiables du dénigrement, les reproches admissibles que la société Egis a fait à la société Kaori d'avoir démobilisé certains de ses salariés pour des formations au moment où des applications bureautiques de la société Egis connaissaient des atteintes graves.
IV. Sur la demande en paiement de l'avance de trésorerie.
40. En cause d'appel, la société Egis sollicite reconventionnellement la condamnation de la société Kaori à lui payer la somme de 445.856,40 euros toutes taxes comprises au titre d'un solde de trésorerie accordée en 2018, dont elle a réclamé le paiement le 26 août 2022 et dont elle justifie la reconduction annuelle.
41. Pour s'y opposer, la société Kaori relève, en premier lieu que cette demande, nouvelle en cause d'appel et plus de quatre ans après sa prétendue exigibilité, fait douter du bienfondé certain, liquide et exigible et alors que s'il s'agissait d'une avance de trésorerie, son montant devrait être un chiffre rond. Elle relève encore que la société Egis reconnaît que la société Kaori émettait des avoirs sous un délai de 10 mois lorsque les prestations réalisées se trouvaient inférieures aux montants de celle commandées.
42. Elle oppose le fait qu'aucune convention de trésorerie n'a été conclue avec la société Egis et qu'à défaut de lien capitalistique entre les sociétés Egis et Kaori, cette avance est prohibée par la loi alors que tout prêt entre entreprise est subordonné à des agréments. Enfin, la société Kaori relève que la société Egis n'établir la preuve que cette avance sur trésorerie a été inscrite dans ses comptes de 2018, 2019,2020 et 2021 comme un prêt.
43. Au demeurant, ainsi que le relève la société Egis, cette avance entre dans les prévisions des articles L. 511-6 et L. 511-7 du code monétaire et financier issus de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 qui autorisent des exceptions au monopole bancaire en vue de faciliter le crédit interentreprises, et alors que la société Kaori ne conteste pas d'après ses propres comptes la preuve que cette avance correspond à la contrepartie d'une prestation qu'elle a exécutée et qui n'aurait pas été payée, que le solde de cette avance ne pouvait être déterminé avant le terme du préavis consenti par la société Egis, et tandis que le suplus des affirmations de la société Kaori sont inopérantes, il s'en déduit qu'elle a régulièrement pu mettre en demeure la société Kaori de régler cette avance le 26 août 2022, de sorte qu'il convient de faire droit à la demande.
V. Sur les dépens et les frais irrépétibles.
44. La société Egis succombant à l'action, le jugement sera confirmé ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles et les dépens, et statuant de ces chefs en cause d'appel, elle sera condamnée à supporter les dépens ainsi qu'à verser la somme de 12.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
ORDONNE la jonction des affaires enregistrées sous les numéros 22/19874 et 22-00812 ;
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions déférées, sauf celle qui a débouté la société Kaori de sa demande de dommages et intérêts fondée sur la rupture brutale de de la relation commerciale établie en 2022 ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
CONDAMNE la société Egis à payer à la société Kaori au titre de l'insuffisance du préavis et la rupture brutale de la relation commerciale les sommes de :
1.673.855 euros de dommages et intérêts;
30.000 euros au titre des licencements économiques ;
CONDAMNE la société Kaori à payer à la société Egis la somme de 445.856,40 euros toutes taxes comprises au titre du solde de trésorerie liquidé le 26 août 2022 ;
ORDONNE la compensation judiciaire entre les deux condamnations ;
CONDAMNE la société Egis aux dépens de première instance et d'appel ;
CONDAMNE la société Egis à payer à la société La société Kaori la somme de 12.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.