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Décisions

Cass. crim., 29 novembre 2016, n° 16-83.513

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

M. Barbier

Avocat général :

M. Desportes

Avocat :

SCP Monod, Colin et Stoclet

Paris, du 13 mai 2016

13 mai 2016

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite de la transmission par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) d'une note d'information datée du 23 juin 2015 relatant le projet de quatre personnes affiliées à l'organisation se dénommant " l'Etat islamique " de commettre un attentat à l'encontre d'installations militaires sises dans le Sud-Ouest de la France, le procureur de la République de Paris a ordonné l'ouverture d'une enquête préliminaire ; que M. X... a été entendu à plusieurs reprises lors de sa garde à vue, débutée le 13 juillet 2015, initialement sur des faits d'association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme de nature correctionnelle, puis, de nature criminelle ; qu'il a été mis en examen le 17 juillet 2015 de ce dernier chef ;

Attendu que M. X... a présenté une requête le 18 janvier 2016 tendant à l'annulation de certaines de ses auditions en garde à vue ainsi qu'à celle de l'ordre de comparaître délivré à son encontre le 9 juillet 2015 par le procureur de la République, et à l'annulation de l'ensemble de la procédure par voie de conséquence ; que la chambre de l'instruction a rejeté ses demandes ;

En cet état :

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 421-2-1, 421-5 et 421-6 du code pénal et des articles 63-1, 64-1 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale, défaut de motifs ;

" en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de procédure, examinée jusqu'à la cote D434 et a dit qu'il sera fait retour du dossier au juge d'instruction saisi pour poursuite de l'information ;

" aux motifs que, sur la notification de la qualification des faits, selon l'article 63-1 du code de procédure pénale, « toute personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire (…) de la qualification, de la date et du lieu présumés de l'infraction » ; que, se fondant sur ce texte, l'avocat du mis en examen, qui souligne que l'information de la qualification exacte des faits permet au gardé à vue de connaître la nature des charges pesant sur lui et d'évaluer l'exercice des droits afférents à la mesure, considère que la prolongation de la garde à vue et les actes subséquents, en particulier la mise en examen de son client, doivent être invalidés ; qu'il fait valoir que, dans la mesure où il ressortait tant de la note de la DGSI du 23 mars 2015 que du soit-transmis du parquet ouvrant l'enquête préliminaire que l'infraction reprochée aux mis en cause était de nature criminelle, en application de l'article 421-6 du code pénal, il ne s'agissait en conséquence pas de l'association de malfaiteurs terroriste correctionnelle, telle que la prévoit l'article 421-2-1 du même code ; qu'il constate pourtant qu'il a été placé en garde à vue sur le fondement d'une association de malfaiteurs terroriste correctionnelle (D247) ; que, pour sa part, le procureur général soutient qu'il suffit lors du placement en garde à vue de porter à la connaissance de la personne qui en fait l'objet les lieux, les dates et les soupçons qui pèsent contre elle et le simple libellé de l'infraction, l'apparition d'une circonstance aggravante pouvant apparaître durant l'exécution de la mesure ; que, s'il résulte effectivement des dispositions de l'article 63-1 du code de procédure pénale que la personne gardée à vue doit être immédiatement informée de la qualification de l'infraction qu'elle est soupçonnée d'avoir commise, encore faut-il que tous les éléments constitutifs de cette infraction soient connus de l'officier de police judiciaire au moment de cette information, cette connaissance impliquant éventuellement celle des circonstances aggravantes ; qu'en l'espèce, la note de la DGSI du 23 mars 2015 mise en avant par le requérant, si elle évoquait bien « un projet d'attentat contre une cible militaire dans le Sud-Ouest de la France » organisé par quatre hommes présentés comme étant adeptes « d'un islam particulièrement radical », n'était qu'une simple note de renseignement, s'appuyant sur des informations collectées auprès d'informateurs non dénommés et non sur des témoignages officiellement recueillis, utilisant davantage le conditionnel « le nommé M. Ismaël Z...(…) aurait le souhait », ou la supputation « l'étude de la facturation détaillée (…) démontre que M. X... s'est déplacé sur la commune de Villeneuve-d'Ascq (59) où il a vraisemblablement rencontré M. Z...» que l'indicatif ou l'affirmation, de sorte qu'il était impossible à sa seule lecture, sans la production du moindre moyen de preuve et sans avoir obtenu les explications des intéressés, de savoir si l'association de malfaiteurs considérée pouvait ressortir des dispositions de l'article 421-6 du code pénal ou de celles de l'article 421-2-1 du même code ; que, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle le commandant de police auteur de la note concluait sur la nécessité de « circonscrire précisément les contours de la menace » et d'identifier « le rôle précis de chacun des protagonistes » dans un cadre juridique plus approprié ; que c'est donc à bon droit que la qualification correctionnelle a été retenue initialement par les enquêteurs ; qu'en revanche, à partir du moment où, faisant le point tant sur les déclarations concordantes des différents protagonistes que sur les vérifications opérées, les policiers ont estimé que ce basculement était vraisemblable, ils ont immédiatement notifié cette nouvelle qualification à M. X... lors de la 5e audition du 14 juillet 2015 à 20 heures 45 (D289), information qui n'a d'ailleurs pas suscité la moindre observation de sa part, puis ont réitéré cette information lors de la 6e audition du 15 juillet à 9 heures 45 (D289), en insistant sur la nature criminelle de l'infraction qui lui était le cas échéant imputable (D294) ; qu'en conséquence, aucune irrégularité n'a été commise de ce chef ;

" 1°) alors qu'une personne soupçonnée d'avoir participé à une association de malfaiteurs en vue de commettre des actes de terrorisme doit, dès lors qu'il existe au moment de son placement en garde à vue des raisons plausibles de soupçonner que les faits qui lui sont reprochés revêtent une qualification criminelle, être immédiatement informée de cette qualification et bénéficier du régime correspondant, et notamment de l'enregistrement audiovisuel de ses auditions ; qu'en l'espèce, la note de la DGSI du 23 juin 2015 présentait M. X... comme « l'émir de la cellule terroriste », de sorte qu'il existait des raisons plausibles de soupçonner, dès le début de la garde à vue, qu'il était l'organisateur de l'association de malfaiteurs et qu'il avait donc commis le crime prévu à l'article 421-5, alinéa 2, du code pénal ; que la chambre de l'instruction ne pouvait dès lors considérer que la qualification correctionnelle avait été à bon droit retenue initialement par les enquêteurs ;

" 2°) alors qu'ainsi que le faisait valoir M. X..., la note du 23 juin 2015 indiquait que le projet avait été « commandité par l'Etat islamique » et que M. A...s'était « félicité des attentats contre la rédaction de Charlie Hebdo », ce dont il résultait des raisons plausibles de soupçonner, dès le début de la garde à vue, que les faits reprochés à M. X... relevaient de la qualification d'association de malfaiteurs tendant à la préparation d'un crime d'atteinte aux personnes ou d'une destruction susceptible d'entraîner la mort d'une ou plusieurs personnes, infraction criminelle visée à l'article 421-6 du code pénal ; que la chambre de l'instruction ne pouvait dès lors considérer que la qualification correctionnelle avait été à bon droit retenue initialement par les enquêteurs " ;

Attendu que, pour rejeter le moyen pris de ce que dès le début de la garde à vue, les faits imputés à M. X... auraient dû recevoir une qualification criminelle, la note de la DGSI du 23 juin 2015, qui précisait que le projet d'attentat était commandité par " l'Etat islamique ", rendant une telle qualification plausible, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que la note d'information émanant de la DGSI du 23 juin 2015, qui contient des renseignements recueillis par la voie administrative, n'a pour objet que de porter à la connaissance de l'autorité judiciaire des informations propres à orienter les investigations relatives à un supposé réseau terroriste affilié à " l'Etat islamique ", en sorte qu'elle ne saurait être regardée en elle-même comme susceptible de commander la qualification des faits que M. X... était soupçonné, lors de son placement en garde à vue, d'avoir commis ou tenté de commettre, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l'article 78 du code de procédure pénale, manque de base légale, défaut de motifs ;

" en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de procédure, examinée jusqu'à la cote D434 et a dit qu'il sera fait retour du dossier au juge d'instruction saisi pour poursuite de l'information ;

" aux motifs que, sur l'ordre de comparution, il est soutenu que l'ordre de comparution pris à l'encontre de M. X... était irrégulier, au motif que si l'ordre de comparution forcée permet de contraindre à comparaître les personnes dont on peut craindre qu'elles ne répondent pas à une convocation, il faudrait d'une part se trouver « dans la situation où la délivrance d'une convocation est envisagée », d'autre part justifier des raisons faisant redouter la fuite de ladite personne, alors qu'il n'en était rien pour l'intéressé ; que, cependant, comme le soutient à bon droit le procureur général, il résulte des dispositions de l'article 78 du code de procédure pénale que « l'officier de police judiciaire peut contraindre à comparaître par la force publique, avec l'autorisation préalable du procureur de la République, les personnes (…) dont on peut craindre qu'elles ne répondent pas » à leur convocation ; qu'en l'espèce, un ordre de comparaître a été délivré le 9 juillet 2015 par le procureur de la République aux enquêteurs au motif qu'il y avait justement à craindre que M. X... ne réponde pas à leur convocation ; qu'aucun texte n'impose au parquet ou aux services de police de justifier des raisons faisant craindre cette absence de réponse ; qu'aucune irrégularité n'a été commise de ce chef ;

" alors qu'il appartient à la juridiction d'instruction, saisie d'une demande en nullité d'un ordre de comparution, de rechercher s'il existait des raisons de craindre que l'intéressé ne réponde pas à une convocation ; qu'en considérant que le parquet et les services de police n'avaient pas à justifier des raisons faisant craindre que M. X... ne réponde pas à une convocation et en s'abstenant de rechercher elle-même s'il existait de telles raisons, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié son arrêt " ;

Attendu que, pour rejeter le moyen d'annulation, pris d'une violation de l'article 78 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction énonce qu'un ordre de comparaître a été délivré le 9 juillet 2015 par le procureur de la République aux enquêteurs au motif qu'il y avait à craindre que M. X... ne réponde pas à leur convocation ; que les juges ajoutent qu'aucun texte n'impose au procureur de la République ou aux services de police de justifier des raisons faisant craindre cette absence de réponse ;

Attendu que, si c'est à tort que, pour rejeter le moyen de nullité pris d'une violation de l'article 78 du code de procédure pénale, l'arrêt se borne à relever que ce texte n'exige pas que la justification des raisons de craindre que la personne concernée ne réponde pas à une convocation figure dans l'ordre donné à l'officier de police judiciaire de la faire comparaître par la contrainte et les procès-verbaux y afférents, alors que, s'agissant d'une privation de liberté, il appartenait à la chambre de l'instruction de vérifier qu'elle avait été strictement nécessaire, la décision n'encourt pas pour autant la censure, dès lors qu'il résulte de ses autres énonciations que la gravité et la nature des actes que M. X... était susceptible de commettre à l'instigation d'une organisation terroriste basée à l'étranger et qu'il était, en outre, susceptible de vouloir rejoindre, rendaient majeur le risque d'un défaut de réponse à une convocation qui lui aurait été adressée ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.