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Décisions

CA Nancy, 5e ch. com., 15 décembre 2021, n° 21/01232

NANCY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Banque CIC Est (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Meunier

Conseillers :

M. Beaudier, M. Firon

T. com. d'Épinal, du 16 juin 2021, n° 20…

16 juin 2021

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur et Madame D. ont repris au cours du premier semestre 2013 quatre sociétés à Messieurs Nicolas M. et Christophe M. :

*la SARL Juarisse, société de holding,

*la SARL Acte Nature, société d'exploitation d'une armurerie,

*la SARL M. Matériels, société d'exploitation de vente de matériel agricole et de motoculture,

*la SARL Jardi Est, société d'exploitation de vente de matériel agricole et de motoculture.

Les besoins de financement de la reprise pour ces quatre sociétés se montaient à 970 000 euros.

Monsieur et Madame D. apportaient sur leurs deniers propres la somme de 390 000 euros.

Des financements ont été consentis par les banques :

*290 000 euros sous la forme d'un prêt par la banque CIC Est;

*290 000 euros par la banque BNP Paribas,

outre des crédits de trésorerie matérialisés par des découverts en compte courant et par des engagements par signatures.

Lors des négociations avec les deux banques, il a été précisé dans le dossier qu'il a 'été décidé de mettre une caution personnelle de 95 700 euros pour couvrir tous les emprunts'.

Les trois sociétés filiales emprunteuses ont fait chacune l'objet d'une procédure collective et ont été respectivement placées en liquidation judiciaire par jugement en date du 15 octobre 2015. À cette même date, le tribunal de commerce d'Epinal prononçait également la liquidation judiciaire de la société holding Juarisse.

La date de cessation des paiements a été fixée au 31 juillet 2015.

La banque CIC Est a déclaré l'ensemble de ses créances au passif des quatre sociétés.

La société V. et Associés, es qualité, et Monsieur D. ont assigné la banque CIC Est aux fins de voir contester les créances déclarées et de voir condamner l'établissement de crédit au paiement de dommages et intérêts pour faute en raison d'une immixtion dans la gestion des sociétés ayant contribué à leur état de cessation des paiements.

Par jugement en date du 16 juin 2020, le tribunal de commerce d'Epinal a :

-constaté que la créance de la banque a été définitivement fixée par les quatre arrêts de la cour d'appel de Nancy n°1983/18, 1984/18 et 1986/18 du 26 septembre 2018,

-dit que la banque CIC Est n'a commis aucune faute dans ses rapports avec les sociétés Juarisse, M. Materiels, Jardi Est et Acte Nature et n'a relevé aucune immixtion justifiant de la sanctionner,

-condamné la société V. et Associés, es qualité, et M. D. à payer à la banque CIC Est la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-débouté la société V. et Associés, es qualité, et M. D. de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

-ordonné l'exécution provisoire du jugement conformément à l'article 515 du code de procédure civile,

-condamné la société V. et Associés, es qualité, et M. D. aux entiers dépens.

La société V. et Associés, es qualités et M. ont interjeté appel de ce jugement par déclaration électronique transmise au greffe le 18 juillet 2020.

Par ordonnance en date du 9 février 2021, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Nancy a ordonné la radiation de l'affaire et dit qu'elle ne pourra être ré-enrôlée que sur la justification par les appelants de l'exécution du jugement rendu le 16 juin 2020 par le tribunal de commerce d'Epinal.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 20 avril 2021 aux fins de réisncription au rôle, la société V. et Associés, es qualités et Monsieur D. demandent à la cour de :

-déclarer la société V. et Associés, es qualité, M. et Mme D. recevables et bien fondés en leur appel,

-infirmer le jugement rendu le 16 juin 2020 par le tribunal de commerce d'Epinal en ce qu'il a dit que la banque CIC Est n'a commis aucune faute dans ses rapports avec les sociétés Juarisse, M. Materiels, Jardi Est et Acte Nature et n'a relevé aucune immixtion justifiant de la sanctionner ; condamné la société V. et Associés, es qualité, et M. D. à payer à la banque CIC Est la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; débouté la société V. et Associés, es qualité, et M. D. de toutes leurs demandes, fins et conclusions; ordonné l'exécution provisoire du jugement conformément à l'article 515 du code de procédure civile, et condamné la société V. et Associés, es qualité, et M. D. aux entiers dépens,

Par conséquent,

-dire et juger que la banque CIC Est s'est immiscée dans la gestion de la société M. Matériels, contribuant ainsi à son état de cessation des paiements à compter du 31 juillet 2015,

-condamner la banque CIC Est à payer à la société V. et Associés :

*la somme de 293 120,76 euros, es qualité de liquidateur de la société Juarisse,

*la somme de 59 385,29 euros, es qualité de liquidateur de la société Acte Nature,

*la somme de 25 577,17 euros, es qualité de liquidateur de la société Jardi Est,

*la somme de 215 132,78 euros, es qualité de liquidateur de la société M. Materiels,

-ordonner la compensation entre les créances respectives des parties,

-condamner la banque à payer à la société V. et Associés es qualité ainsi qu'à M. et Mme D. la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner la banque aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'affaire a été réinscrite au rôle le 17 mai 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 30 juin 2021, la banque CIC Est demande à la cour de :

-confirmer le jugement du 16 juin 2020 en tous ses points,

-en conséquence, débouter les appelants de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

-les condamner au paiement d'une somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-les condamner aux entiers dépens.

Il est renvoyé aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

La procédure a été clôturée par ordonnance le 8 septembre 2021.

MOTIFS DE LA DECISION

Les dispositions du jugement ayant consaté que la créance de la banque a été définitivement fixée par quatre arrêts de la Cour d'appel de Nancy n° 1983/18; 11984/18; 1985/18 et 1986/18 du 26 septembre 2018 n'étant pas contestées aux termes du dispositif des dernières conclusions des appelants seront confirmées.

Monsieur D. et la SELARL V. es qualités de liquidateur soutiennent au visa des articles L 650-1 du Code de Commerce et L 312-12 du Code monétaire et financier que la Banque s'est immiscé dans la gestion de la société M. Matériels à laquelle elle a consenti des concours financiers et que cette situation aurait entraîné la cessation de paiement de cette société ainsi que des autres sociétés formant le groupe.

Il sera toutefois rappelé qu'aux termes des dispositions de l'article L 650-1 du Code de commerce, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsable des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.

Sur ce point, la Cour constate que les appelants produisent un échange de mails qui traduirait selon eux la volonté de la banque de s'immiscer dès l'origine dans la gestion de l'entreprise. Pourtant le 7 octobre 2020, suite à une réclamation de Monsieur D., la banque acceptait de rectifier le taux appliqué sur deux contrats dans le cadre du renouvellement de concours 'court terme aux professionnels'. Madame D. transmettait pour sa part par mail du 28 septembre 2015 les éléments pour le renouvellement des billets de trésorerie, précisant que le stock de M. Matériels s'élevait à 402 780 euros, celui d'Acte Nature à 245 315 euros et celui de Jardi Est à 103 3932 euros. Le 20 octobre 2015, la banque indiquait avoir validé l'ensemble des virements.

Il ne ressort pas de cet échange la démonstration d'une immixtion de la Banque. Par ailleurs, le fait pour une banque de vouloir obtenir des informations de la part d'une entreprise qu'elle s'apprête à financer ne saurait en tant que tel caratériser une immixtion fautive dans la gestion de l'entreprise. Au contraire, il ne résulte d'aucune pièce que la Banque aurait imposé à la société M. Matériels des décisions de gestion, qu'elle aurait disposé de fait de l'un quelconque pouvoir sur la direction de l'entreprise ou qu'elle y aurait pris une part active et constante.

Il ne saurait pas plus être fait grief à la banque d'avoir prélévé la somme de 80.000 euros de la trésorerie de la société M. Matériels afin d'apurer les comptes et ce dans la période suspecte. Les pièces fournies à cet égard ne renseignent pas sur la réalité de ce prélèvement à l'encontre de la société M. Matériels ainsi que l'a retenu le Tribunal aux termes d'une analyse détaillée des mouvements observés sur les comptes de la société. Sans être utilement contredit, il a pointé nombre de virements effectués par la société M. Matériels vers le compte de la société Holding du 6 juillet 2015 au 16 octobre 2015 pour la somme totale de 106 151, 56 euros ayant contribué à fragiliser la situation de la filiale.

Il est cependant produit deux contrats de prêts conclus avec l'aval de Monsieur D. se rapportant à deux crédits de trésorerie pour les montants de 30. 000 euros et de 50.000 euros à échéance du 5 octobre 2015 et 12 octobre 2015. La banque soulige que ces billets émis le 4 septembre 2015 sont des billets de renouvellement de ceux qui étaient échus à cette date et qui garantissaient des cradits de trésorerie octroyés avant la demande de cessation de paiement.

Appelé à statuer sur ce point, le tribunal de commerce a par une autre décision en date du 24 octobre 2017 indiqué que la 'banque était en droit d'opposer le nantissement consenti par Monsieur D. à tout tiers qui pratiquerait une mesure conservatoire ou d'exécution sur les comptes nantis, ou qui revendiqueraient un droit quelconque sur les dits comptes au préjudice des droits de la banque et que le prélèvement de 80.000 euros opéré par elle dans la limite du solde de l'ensemble des comptes nantis à la date du 15 octobre 2015 s'est donc effectué conformément audit natissement'.

Au rang des garanties consenties sur ces prêts figure également des nantissements de solde de compte et ce dans les termes suivants:

' Conformément aux articles 2355 et 2366 du code civil, l'emprunteur remet en nantissement au profit du prêteur, à titre de sûreté, le compte sur lequel sont ou seront domiciliés les remboursements du crédit des présentes et pluis généralement l'ensemble des comptes présents ou futurs ouverts sur les livres du prêteur, ceci sans préjudice de toute autre garantie spécifique qui pourrait le cas échéant être spécialement affectée par ailleurs à la garantie de ce crédit..... Ce nantissement est consenti en garantie du paiement et du remboursement de toutes sommes en capital, intérêts, frais et accessoires dues au titre du crédit présentemment consenti..En constituant ce nantissement, l'emprunteur accorde au prêteur le droit de se faire payer par préférence à ses autres créanciers sur les comptes ainsi nantis. .. De même, le prêteur poura se prévaloir du nantissement en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire ...et sera en droit d'isoler sur un compte spécial bloqué à son profit les soldes créditeurs des comptes nantis existant à la date du jugement déclaratif d'ouverture de la procédure collective...'.

Conformément aux articles 2355 et suivants du Code civil et des conditions générales des prêts, la Banque était donc fondée à se prévaloir du natissement des soldes des comptes.

Enfin, les appelants font grief à la Banque d'avoir voulu financer, à travers l'octroi des prêts et en prélevant les apports des époux D. sous la forme du compte courant, la reprise du groupe M. pour prolonger le rembourser d'un prêt contracté par la société CNM, bailleresse de la société Juarisse ou à tout le moins ne pas laisser le bâtiment affecté de désordres vide de tout occupant.

Toutefois, il apparaît à la lecture des comptes et de la liste des créances que le CIC Est a déclaré dans le cadre de la procédure collective ouverte à l'encontre de la société SCI CNM plusieurs créances d'un montant de 689 410,33 euros, 51 206, 18 euros et 12 977, 66 euros; la BNP Paribas ayant co-financé l'acquisition du bâtiment ayant pour sa part déclaré des créances d'un montant de 596 711,91 euros et de 44 7623, 40 euros. Figure également dans la liste de créances de la SARL Juarisse la créance de SCI CNM pour la somme de 79 800 euros- privilège du bailleur et qui traduit la cessation du versement du loyer du au titre du bail commercial conclu entre la Sarl Juarisse et la SCI CNM.

Dans ce contexte et alors que les appelants ne font aucune démonstration de ce qui relève en l'état des documents produits d'allégations, il n'est pas démontré l'utilisation par la Banque CIC Est de la trésorerie de la société.

En conséquence, en l'état de ses constatations, il convient de dire que le grief tenant à une immixtion fautive de la Banque dans la gestion de la société M. Matériels n'est pas fondée. Il n'est pas allégué ni démontré une immixtion fautive dans la gestion des autres sociétés.

Le jugement sera en conséquence confirmé en toutes ses dispositions.

Les appelants succombant seront déboutés de leurs demandes au titre des frais irrépétibles et dépens. Ils seront solidairement condamnés aux dépens et à verser à la Banque CIC Est la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, les dispositions du jugement déféré étant pour leur part confirmées.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,

Confirme le jugement rendu par le Tribunal de Commerce le 16 juin 2020 en toutes ses dispositions;

Y ajoutant,

Condamne la SELARL V. et ASSOCIES es qualité de mandataire liquidateur de la SARL Juarisse, de la SARL M. Matériels, de la SARL Jardi Est et de la SARL Acte Nature et Monsieur Sébastien D. à payer à la Banque CIC Est la somme de 1000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur d’appel ;

Condamne la SELARL V. et ASSOCIES es qualité de mandataire liquidateur de la SARL Juarisse, de la SARL M. Matériels, de la SARL Jardi Est et de la SARL Acte Nature et Monsieur Sébastien D. aux dépens ;

Rejette toute autre demande.