CA Angers, ch. com. A, 10 septembre 2013, n° 12/00370
ANGERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Banque Populaire de l'Ouest (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rauline
Conseillers :
Mme Van Gampelaere, Mme Monge
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 26 décembre 2005, monsieur Patrice D. s'est porté caution solidaire d'un prêt professionnel de 70 000 € remboursable en 60 mensualités de 1 329,51 € au taux nominal de 4,50 % consenti le 2 janvier 2006 par la Banque Populaire de l'Ouest à la société DSL dans la limite de 35 000 €.
Par un second acte du 4 janvier 2006, monsieur D. a signé un acte de cautionnement solidaire 'tous engagements' dans la limite de 50 000 €.
La société a été placée en redressement judiciaire par un jugement du tribunal de commerce d'Angers du 28 février 2007, convertie en liquidation judiciaire le 30 avril 2008, maître M.-T. étant désignée en qualité de mandataire-liquidateur.
La BPO a déclaré ses créances, lesquelles ont été admises le 23 mai 2008, à titre privilégié nanti à hauteur de 56 138,20 € pour le prêt professionnel de 70 000 €. Le liquidateur a adressé un certificat d'irrécouvrabilité à la banque le 18 octobre 2010.
Par acte d'huissier en date du 14 décembre 2010, après une mise en demeure restée vaine, la BPO a fait assigner monsieur D. pris en qualité de caution devant le tribunal de commerce de Laval pour avoir paiement de la somme de 85 000 €.
En défense, monsieur D. a soulevé plusieurs moyens, le soutien abusif de la banque par immixtion caractérisée dans la gestion de la société, le manquement à son devoir de mise en garde, la disproportion de ses engagements de caution au regard de ses biens et revenus et la déchéance du droit aux intérêts pour défaut d'information de la caution. Il a également sollicité des délais de paiement.
Par un jugement du 18 janvier 2012, le tribunal a condamné monsieur D. à payer à la BPO les sommes de 85 000 € avec intérêts au taux légal à compter du 2 avril 2007 et de 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, et débouté les parties su surplus de leurs demandes.
Monsieur D. a interjeté appel de cette décision le 17 février 2012.
Les parties ont conclu. L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 avril 2013.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions en date du 16 mai 2012, monsieur Patrice D. demande à la cour d'infirmer le jugement, de débouter la BPO de toutes ses demandes, de le décharger des condamnations prononcées contre lui et de :
- à titre principal, au visa de l'article L. 650-1 du code de commerce, dire que la banque a commis une immixtion caractérisée, prononcer la nullité de ses engagements, à défaut, condamner la BPO à lui payer 85 000 € à titre de dommages-intérêts, ordonner la compensation entre les créances réciproques,
- à titre subsidiaire, au visa de l'article 1147 du code civil, dire que la banque a manqué à son devoir de mise en garde, la condamner à lui payer 85 000 € à titre de dommages-intérêts, ordonner la compensation entre les créances réciproques,
- à titre très subsidiaire, au visa de l'article L. 341-1 du code de la consommation, dire que ses engagements sont disproportionnés à ses revenus et à son patrimoine et que la BPO ne peut s'en prévaloir,
- à titre infiniment subsidiaire, au visa de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier, prononcer la déchéance du droit aux intérêts pour l'ensemble des prêts pour défaut d'information,
- lui accorder un moratoire de 24 mois pour apurer sa dette en application de l'article 1244-1 du code civil,
- condamner la BPO aux dépens de première instance et d'appel.
Dans ses dernières conclusions en date du 12 juin 2012, la Banque Populaire de l'Ouest demande à la cour de débouter monsieur D. de son appel et de toutes ses demandes, de confirmer le jugement et de le condamner à lui payer 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel.
MOTIFS
1°) Sur l'immixtion caractérisée
Monsieur D. considère que le fait pour la banque d'avoir posé des conditions au prêt de 70 000 € constitue une immixtion caractérisée dans la gestion de la société au sens de l'article L. 650-1 du code de commerce, celle-ci se trouvant alors dans une situation irrémédiablement compromise, ce crédit excessif ayant rendu inéluctable l'effondrement de la société.
Il convient de rappeler que le principe a été posé par la loi de sauvegarde des entreprises de la non-responsabilité des établissements fournisseurs de crédit, sauf dans les trois cas visés à l'article L. 650-1 du code de commerce, à savoir la fraude, l'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou la disproportion des garanties prises en contrepartie des concours consentis. Il est donc inopérant pour l'appelant d'invoquer des notions telles que le soutien abusif, le crédit ruineux ou la situation irrémédiablement compromise qui s'appliquaient avant le 1er janvier 2006, date d'entrée en vigueur de la loi de sauvegarde.
Il ressort du dossier que le prêt de 70 000 € a été accordé aux conditions suivantes : une augmentation du capital de 18 293 € à 80 000 € minimum par incorporation au capital de 61 707 € minimum provenant des comptes courants d'associés, blocage du solde, soit 70000 € minimum pendant toute la durée du crédit, sauf nouvelle incorporation au capital ou accord préalable.
Il ne s'agit pas d'un 'montage financier', comme l'écrit l'appelant, mais d'une condition à l'octroi du prêt visant à la consolidation des fonds propres, comme l'a pertinemment relevé le premier juge. Elle ne constituait en rien une immixtion dans la gestion de la société aux lieu et place de son dirigeant, une telle mesure entrant dans les pouvoirs de l'établissement appelé en contrepartie de son concours financier.
Le tribunal sera donc approuvé pour avoir rejeté cette prétention.
2°) Sur le manquement au devoir de mise en garde
Monsieur D. reproche à la banque de ne pas s'être renseignée sur les capacités de remboursement tant de la société que de lui-même en sa qualité de caution alors que, si elle l'avait fait, elle aurait constaté qu'ils ne disposaient d'aucune ressource leur permettant de faire face à leurs engagements. Il dément être une caution avertie, la banque ayant de fait dirigé son entreprise.
Il résulte des pièces du dossier que l'appelant est le gérant de la société DSL depuis 1998 et qu'il dirige une autre société commerciale, DLM, ainsi que 2 sociétés civiles immobilières, ce qui faisait de lui un dirigeant expérimenté aux dates auxquelles le prêt a été consenti et l'acte de caution signé, soit en décembre 2005 et en janvier 2006. Il avait indéniablement la compétence pour apprécier à la fois si le cautionnement était adapté à ses facultés financières et l'existence d'un risque d'endettement pour la société.
La BPO est dès lors fondée à invoquer la qualité de caution avertie de monsieur D. l'exonérant de son devoir de mise en garde.
La disposition du jugement ayant débouté ce dernier de ce chef de demande sera confirmée.
3°) Sur le caractère disproportionné de l'engagement
Monsieur D. déclare encore qu'à l'époque de la signature des actes de caution, il percevait uniquement 9 528 € par an, le reste des 45 000 € mentionnés dans sa déclaration de revenus étant affecté à son compte courant pour répondre aux exigences de la banque lors de l'octroi du prêt. Il fait valoir également qu'il s'était engagé envers d'autres banques à hauteur de 250 000 €, ce que la BPO ne pouvait ignorer, qu'il ne dispose d'aucun bien immobilier, la résidence principale appartenant à son épouse, et qu'il détient des parts sociales dans les deux SCI propriétaires des locaux commerciaux loués à la société DSL, liquidée en 2008.
Il résulte de la fiche de situation patrimoniale des époux D. du 24 juin 1998 (pièce 8 de l'intimée) que le couple est marié sous le régime de communauté légale de sorte qu'il y a lieu de prendre en compte l'ensemble de leurs biens, revenus et charges.
Il y est indiqué aussi que le couple possède une maison d'habitation, ce qui contredit l'allégation de l'appelant quant à la seule propriété de son épouse.
En 2004, les époux D. ont perçu un revenu annuel de 70 119 € et en 2005, de 73464 €, soit 6 122 € par mois. Ils avaient alors deux enfants à charge.
L'allégation relative à l'affectation de plus de 75 % de son revenu annuel (qui était de 45000 €) à son compte courant n'est corroborée par aucun élément. Il ressort, au contraire, du dossier que son compte courant d'associé s'élevait à 155 760 € en novembre 2005, soit un solde de 94 053 € après l'augmentation de capital, le blocage ne portant que sur 70 000 €.
Par ailleurs, l'appelant n'explique pas comment la BPO aurait pu savoir qu'il avait contracté d'autres engagements envers d'autres banques si lui-même ne portait pas cette information à sa connaissance. Au demeurant, la majorité de ces engagements sont postérieurs à janvier 2006 (avril et juin 2006 pour la BNP, juillet 2007 pour le Crédit mutuel).
Il s'ensuit qu'aucune disproportion n'est caractérisée, le jugement étant confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de monsieur D. tendant à être déchargé de son engagement sur le fondement de l'article L. 341-1 du code de la consommation.
4°) Sur la déchéance du droit aux intérêts
Monsieur D. affirme que la banque n'a pas respecté les prescriptions de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier en ne lui envoyant pas une information suffisante.
Comme l'a rappelé le tribunal, la BPO justifie avoir satisfait à son obligation d'information annuelle en produisant les lettres datées du 9 mars 2006 et du 15 février 2007 avec, en annexe, une fiche contenant les informations prévues par le texte sus-mentionné, notamment la répartition en capital, intérêts et accessoires.
Contrairement à ce qu'écrit la banque dans ses conclusions, en revanche, la Cour de cassation a jugé que l'obligation perdure jusqu'à l'extinction de la dette, même après la condamnation définitive de la caution. La déchéance du droit aux intérêts est donc encourue par la BPO à compter du 1er janvier 2007.
Toutefois, le tribunal ayant assorti la condamnation à payer la somme de 85 000 € des intérêts au taux légal à compter du 2 avril 2007, date de la mise en demeure, disposition non critiquée par l'intimée, l'appel est dénué d'intérêt. Le jugement ne peut donc qu'être confirmé sur ce point.
5°) Sur l'application de l'article 1244-1 du code civil
Monsieur D. ne produit aucun justificatif de ses revenus et charges actualisés. Par ailleurs, il n'a effectué aucun versement depuis la mise en demeure.
Le jugement sera également confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande à ce titre.
6°) Sur les autres demandes
Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.
Succombant en ses prétentions, monsieur D. sera débouté de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et condamné à payer, à ce titre, à l'intimée la somme de 3 000 € ainsi qu'aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement :
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE monsieur Patrice D. à payer à la BPO la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
CONDAMNE monsieur D. aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.