CA Aix-en-Provence, ch. 3, 4 avril 2019, n° 18/13870
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Banque Populaire Méditerranée
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gerard
Conseillers :
Mme Petel, Mme Dubois
Le 4 décembre 2012, Mme Thomine T. s'est portée caution solidaire, dans la limite de 36 000 €, envers la Banque populaire Côte d'Azur, devenue la Banque populaire Méditerranée (BPMED), en garantie de tous les engagements de la société Thoda dont son époux était le dirigeant.
La société Thoda a été mise en redressement et liquidation judiciaires, les 10 février 2014 et 2 juillet 2015.
Après avoir déclaré au passif le solde débiteur d'un compte courant, la BPMED a mis en demeure Mme T., le 18 août 2015, puis l'a fait assigner en paiement, le 4 juillet 2016.
Mme T. a demandé que son engagement de caution soit annulé, sur le fondement de l'article L 650-1 du code de commerce, subsidiairement, qu'il soit dit que la banque ne peut se prévaloir de l'acte de cautionnement, en raison de son caractère manifestement disproportionné.
Par jugement contradictoire du 19 juillet 2018, le tribunal de grande instance de Toulon a :
- débouté Mme T. de ses demandes ;
- condamné Mme T. à payer, au titre du solde débiteur du compte courant, la somme de 30 326,95 €, avec intérêts au taux légal à compter du 18 août 2015 et capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;
- rejeté la demande de délais de paiement ;
- condamné Mme T. aux dépens et au paiement de la somme de 1 300 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme T. a relevé un appel général à l'encontre de ce jugement.
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Vu les conclusions remises le 13 novembre 2018, auxquelles la cour se réfère en application de l'article 455 du code de procédure civile, et aux termes desquelles Mme T. demande à la cour de :
Vu les articles L 650-1 du code de commerce et L 341-4 du code de la consommation, 1244-1 du code civil,
- prononcer la nullité « des actes » de cautionnement ;
- dire et juger que « les actes » de cautionnement sont disproportionnés et que la banque ne peut s'en prévaloir ;
- débouter la banque de ses demandes ;
- la condamner aux dépens et au paiement de la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
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Vu les conclusions remises le 30 novembre 2018, auxquelles la cour se réfère en application de l'article 455 du code de procédure civile, et aux termes desquelles la BPMED demande à la cour de :
- débouter Mme T. de ses demandes ;
- confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions ;
- condamner Mme T. aux dépens et au paiement de la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
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Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 8 janvier 2019.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le grief de soutien abusif de crédit
Mme T. prétend que la banque a soutenu abusivement la société Thoda en lui consentant, en décembre 2012, un crédit par découvert, purement « artificiel » pour n'avoir pas été formalisé par écrit, puis en avril 2013, un prêt destiné à rembourser un précédent crédit par découvert en compte consenti par le Crédit mutuel. Elle souligne que l'ouverture de crédit consentie par la Banque populaire Côte d'Azur, en décembre 2012, a porté les crédits par découvert à 58 000 € et l'endettement bancaire global à 85 000 €. Elle soutient qu'un cautionnement « de type général » est, au sens de l'article L 650-1 du code de commerce, disproportionné à un concours bancaire « de type artificiel ».
Sur le fondement du texte précité, Mme T. sollicite l'annulation de l'acte de cautionnement.
En vertu de l'article L 650-1 du code de commerce, lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci. Pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours sont annulées ou réduites par le juge.
Il en résulte que la responsabilité d'un créancier ne peut être mise en jeu par une caution, après l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du débiteur principal, que si elle démontre, à la fois, que le crédit consenti était fautif et qu'il existe une des exceptions au principe d'irresponsabilité dont bénéficie le créancier, à savoir des garanties disproportionnées, une fraude ou une immixtion fautive.
Le cautionnement dont la nullité est demandée ayant un caractère général, lui donnant vocation à garantir toutes les obligations de la société Thoda, Mme T. est fondée à invoquer une faute commise tant lors de l'octroi du crédit par découvert en compte, concomitant à la souscription du cautionnement, que lors de l'octroi du prêt de 25 000 € consenti, en avril 2013, pour permettre à la société Thoda de rembourser le solde débiteur d'un compte courant ouvert dans les livres du Crédit mutuel.
Mais, ainsi que la BPMED le fait valoir, Mme T. n'invoque ni une fraude, ni une immixtion caractérisée dans la gestion de la société Thoda, et elle ne démontre pas que des garanties disproportionnées ont été prises puisque la banque s'est bornée à subordonner ses concours à la souscription de cautionnements par le dirigeant social et par son épouse.
En outre, l'octroi d'un crédit n'est en lui-même fautif que s'il est ruineux, c'est à dire incompatible avec les capacités financières de l'entreprise appréciées au regard de ses perspectives économiques, s'il finance une activité économique dépourvue de toute viabilité ou s'il est consenti alors que la situation de l'emprunteur est irrémédiablement compromise, ce dont le prêteur était informé ou aurait dû l'être.
Aucune de ces circonstances n'est démontrée. Le crédit par découvert en compte a été consenti en décembre 2012, après que les comptes du dernier exercice connu, arrêtés au 30 juin 2012, ont fait apparaître un résultat équilibré (bénéfice de 12 334 €) pour un chiffre de 428 815 €. Limité à 30 000 €, en vertu d'un accord de financement écrit (pièce 6 de Mme T.), le crédit n'était nullement en inadéquation avec ces données comptables. En outre, l'absence de convention écrite fixant les modalités du crédit n'est pas constitutive d'une faute, dès lors que l'emprunteur est une personne morale agissant pour les besoins de son activité professionnelle.
Enfin, le prêt consenti en mars 2013 n'a pas aggravé l'endettement de la société Thoda puisqu'il s'est substitué, en le remboursant, à un crédit par découvert en compte consenti par le Crédit mutuel.
Le moyen est rejeté.
Sur le grief de disproportion manifeste des engagements de caution
Mme T. fait valoir que l'engagement de caution litigieux, souscrit en garantie d'obligations de la société Thoda, le 4 décembre 2012, dans la limite de 36 000 €, était manifestement disproportionné à ses biens et revenus. Elle souligne qu'elle supportait avec son époux un niveau d'endettement représentant 64 % de leurs revenus, que la maison d'habitation acquise en commun avait été financée par un crédit en cours d'amortissement garanti par une hypothèque et qu'elle était personnellement tenue d'un prêt personnel au titre duquel elle a été condamnée à payer la somme de 27 795,79 €.
En vertu de l'article L 341-4, devenu l'article L 332-1 du code de la consommation, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Mme T. a elle-même produit aux débats la notice de renseignements patrimoniaux qu'elle avait remise à la Banque populaire Côte d'azur, devenue la BPMED, à l'occasion de la souscription d'un engagement de caution garantissant les obligations, non pas de la société Thoda, mais de la société L'Aventure dont son époux était également le dirigeant. Cette notice a été établie le 4 décembre 2012, soit le jour de la souscription du cautionnement en litige.
Signée par Mme T., la notice précise qu'elle est mariée sous le régime de la séparation de biens, qu'elle dispose d'un revenu annuel de 14 407 € et qu'elle est propriétaire avec son époux d'une maison d'habitation d'une valeur estimée à 680 000 €.
Il est fait mention de la charge de deux enfants et d'un crédit immobilier de 300 000 € souscrit en 2009, s'amortissant à raison d'un montant annuel de 20 000 €.
En ne prenant en compte l'amortissement du crédit immobilier que sur une durée de deux ans, la valeur nette de l'immeuble d'habitation indivis, acquis par les deux époux, est de l'ordre de 420 000 € (680 000 ' 260 000). Mme T. ne remet pas en cause la valeur dont elle s'est prévalue dans la notice.
La répartition des droits indivis sur la maison d'habitation n'est portée ni sur la notice, ni sur les pièces produites aux débats, et Mme T. ne s'en explique pas dans ses conclusions.
Cet élément étant déterminant dans l'évaluation de son patrimoine immobilier, il ne peut qu'être constaté que Mme T. ne met pas la cour en mesure d'apprécier l'existence d'une disproportion manifeste de l'acte de cautionnement, alors que la charge de la preuve de ce grief lui incombe.
Le moyen est rejeté.
Sur le rejet de la demande de délai de paiement
Le jugement attaqué est confirmé sur ce chef de décision, dès lors que Mme T. ne démontre pas en quoi un délai de paiement lui permettrait de mieux s'acquitter de son obligation.
Le jugement attaqué est confirmé en toutes ses dispositions.
Mme T., qui succombe, est condamnée aux dépens et, en considération de l'équité, au paiement de la somme de 700 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en plus de l'indemnité allouée en première instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions,
Condamne M. Thomine T. aux dépens d'appel et au paiement de la somme de 700 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.