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Décisions

CA Orléans, ch. com. économique, 27 octobre 2011, n° 11/00527

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Société Générale (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Raffejeaud

Conseillers :

M. Garnier, M. Monge

Avoués :

SCP Desplanques Devauchelle, Me Daude

Avocat :

Selarl Luguet Da Costa

T. com. d’orléans, du 3 févr. 2011, n° 1…

3 février 2011

La Société Générale a consenti à la société ASTM un découvert de 80.000 € garanti par le cautionnement solidaire des époux M. recueilli le 15 mai 2007 à concurrence de 104.000 €. Madame M. s'est également portée caution solidaire le 29 octobre 2007 à hauteur de 39.000 € d'un crédit de trésorerie de 30.000 € accordé par la banque à la société ASTM. La société cautionnée ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, l'établissement de crédit a déclaré ses créances et assigné les cautions, par acte du 10 décembre 2009, en exécution de leurs engagements. Les débiteurs ont opposé la nullité des cautionnements, le caractère disproportionné de ceux ci et ont invoqué la responsabilité de la banque pour rupture abusive de crédit.

Par jugement du 3 février 2011, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce d'ORLEANS a condamné solidairement les époux M. à payer à la Société Générale la somme de 73.388,89 € avec intérêts au taux légal à compter du 24 avril 2008 et a condamné Madame M. à verser à la banque la somme de 31.242,16 € avec intérêts au taux légal à compter du 10 décembre 2008, tout en autorisant les cautions à se libérer dans un délai maximum de six mois à compter de la signification du jugement.

Les époux M. ont relevé appel.

Par leurs dernières conclusions signifiées le 4 juillet 2011, ils prétendent que la Société Générale a usé de manouvres dolosives pour obtenir leurs cautionnements dans l'attente d'un crédit de restructuration qui n'a jamais été mis en place malgré un accord de principe. Subsidiairement, ils invoquent l'erreur sur l'objet réel de leur obligation. Ils font valoir que leurs engagements sont manifestement disproportionnés à leurs ressources de l'époque et à l'état de leur patrimoine, compte tenu de leur endettement total et des autres sûretés personnelles délivrées. Accessoirement, si la cour ne prononçait pas la nullité des cautionnements pour vice du consentement ou disproportion, ils mettent en cause la responsabilité de la banque pour rupture abusive de crédit, la Société Générale ayant arbitrairement rejeté des chèques à compter du mois de juillet 2007, et sollicitent, à ce titre, l'allocation de dommages et intérêts équivalents aux sommes réclamées. Ils demandent des délais de paiement sur 24 mois. Ils se prévalent, enfin, de la déchéance des intérêts pour absence d'information annuelle des cautions, à raison de la période du 1er avril 2008 au 31 mars 2009 pour les deux engagements et à compter du 1er avril 2010 pour le cautionnement du crédit de trésorerie.

Par ses dernières écritures du 8 juillet 2011, la Société Générale réplique qu'elle n'a nullement promis la mise en place d'un plan de financement destiné à apurer la situation de la société ASTM et qu'une étude était simplement en cours chez sa filiale de crédit-bail pour refinancer des matériels déjà acquis. Elle considère que l'erreur alléguée ne porte pas sur la substance des engagements. Elle indique que les époux M. ont déclaré des revenus moyens mensuels de 16.700 € avec des charges de 9.400 € ainsi qu'un patrimoine immobilier brut de 2.655.000 € et 1.555.000 € net, de sorte que les engagements des cautions n'ont rien de disproportionné, ce d'autant plus que les appelants sont des cautions averties capables d'apprécier l'opportunité de leurs actes. Elle rappelle qu'il résulte de l'article L. 650-1 du code de commerce que les créanciers ne peuvent être tenus responsables des préjudices subis du fait des concours consentis et qu'en outre, les époux M., successivement gérants de la sarl ASTM, sont mal fondés à invoquer un prétendu soutien abusif. Elle fait observer qu'elle a été contrainte de rejeter des chèques en juillet 2007 dans la mesure où le solde débiteur de la société ASTM dépassait l'autorisation de 104.000 €. Elle affirme que les cautions dirigeantes ne peuvent revendiquer l'application de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier et verse, au surplus, aux débats les lettres d'information annuelle. Elle s'oppose à l'octroi de délais de paiement et conclut à la confirmation du jugement et à la capitalisation des intérêts.

SUR QUOI

Sur la validité des cautionnements

Attendu que par courrier électronique du 11 mai 2007, la Société Générale a avisé les époux M. que, compte tenu de la situation de trésorerie particulièrement tendue de la société ASTM, elle souhaitait recevoir des cautionnements de l'ensemble des engagements le temps de mettre en place des solutions de refinancement d'actifs matériels et que, dès la disparition du découvert et du crédit de trésorerie, les garanties personnelles seraient restituées ;

Qu'il apparaît, néanmoins, que le refinancement envisagé de matériels déjà achetés était étudié non par la Société Générale mais par une de ses filiales spécialisées, libre de sa décision, et les époux M. ne justifient pas qu'un accord de principe leur avait déjà été délivré ; qu'en outre, la correspondance précitée précisait qu'il était fort possible que les refinancements de matériels soient conditionnés à l'obtention pendant deux ans d'une caution solidaire correspondant aux montants empruntés et rappelait , eu égard à la sous-capitalisation de la société ASTM, à l'origine des tensions de trésorerie, l'engagement des époux M. de procéder à des cessions immobilières pour injecter des fonds, de l'ordre de 260.000 €, dans leur société ; que le courrier se terminait par l'indication que si les intéressés choisissaient de ne pas poursuivre les discussions et de s'engager dans une procédure collective, les schémas évoqués deviendraient caducs ;

Que les propos ci-dessus ne permettent pas d'établir que les époux M. ont été victimes de manouvres dolosives de la part de la Société Générale et la cause de l'engagement des cautions a été la poursuite des concours à court terme accordés par la banque qui ne souhaitait pas les maintenir sans garantie, et non la mise en place, hypothétique et soumise à condition d'apport de fonds propres de la part des associés cautions, d'un crédit de refinancement distribué par un autre établissement ;

Attendu, par ailleurs, que l'appréciation erronée par les cautions de la probabilité d'obtenir un prêt de refinancement et donc des risques que leur faisaient courir leurs engagements, ne constitue pas une erreur sur la substance de nature à vicier leur consentement ;

Sur la disproportion alléguée

Attendu qu'en vertu de l'article L. 341-4 du code de la consommation, l'engagement de caution conclu par une personne physique, sa qualité de caution avertie ou non avertie étant indifférente, au profit d'un créancier professionnel, ne doit pas être manifestement disproportionné aux biens et revenus déclarés par la caution, dont le créancier, en l'absence d'anomalies apparentes, n'a pas à vérifier l'exactitude ; qu'en complément de leur fiche de situation personnelle, signée et approuvée par eux, les époux M. ont fourni un état annexe détaillant un patrimoine total de 2.655.000 € avec un endettement de 1.150.000 € ; que même en y ajoutant des cautionnements extérieurs consentis pour 811.000 €, le patrimoine net des époux M. ressortait encore à 694.000 € et la banque a pu légitimement considérer que les cautionnements donnés pour à 143.000 € n'étaient pas manifestement disproportionnés aux biens que les cautions proposaient en garantie ;

Sur la responsabilité de la banque

Attendu que la mise en ouvre de la responsabilité de la Société Générale n’est pas fondée sur un soutien abusif mais sur une rupture abusive de crédit en raison du rejet de chèques sans provision, de telle sorte que l'invocation par la banque de l'article L. 650-1 du code de commerce relatif, dans le cas d'ouverture d'une procédure collective, à l'irresponsabilité des créanciers du fait des concours consentis, manque de pertinence ;

Que la banque a rejeté sans provision en juillet 2007 plusieurs chèques pour un montant total supérieur à 47.000 €, quand le découvert dépassait déjà 140.000 € face à une autorisation tolérée de 104.000 € correspondant au montant cautionné ; que le paiement des chèques litigieux aurait porté le solde débiteur à près de 190.000 €, ce que la Société Générale ne pouvait manifestement tolérer au regard de la situation de la société ASTM , ce dont il résulte que la banque était en droit de rejeter les titres sans que cette opération constitue une rupture abusive des concours ;

Sur la déchéance des intérêts

Attendu que la Société Générale justifie de l'information annuelle des cautions au titre du découvert au 31 mars 2008 et 31 mars 2009, sans que la cour ne constate la confusion invoquée par les appelants dans la lettre d'information du 7 mars 2008 entre les deux concours dès lors que le découvert au 31 décembre 2007 avait été très provisoirement réduit par un virement de 43.000 € ; que si Madame M. a été informée de la situation du crédit de trésorerie le 17 mars 2009, il n'apparaît pas qu'elle l'ait été au titre de l'année précédente, et l'obligation d'information doit être respectée même lorsque le cautionnement a été souscrit par un dirigeant de la société cautionnée en connaissant exactement la situation ; qu'en outre, les établissements de crédit doivent se conformer aux prescriptions de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier jusqu'à l'extinction de la dette garantie, même après avoir assigné les cautions en paiement, et celles-ci ne restent tenues, à titre personnel et par application de l'article 1153 du code civil, que des intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure qu'elles ont reçues, en l'occurrence le 3 juin 2008, et non des intérêts conventionnels, comme le demande la banque ; qu'il résulte de ce qui précède que les époux M. seront solidairement condamnés en paiement de la somme de 73.388,89 € avec intérêts au taux légal à compter du 3 juin 2008 et Madame M. sera condamnée à verser la somme de 30.000 € avec intérêts au taux légal à compter de la même date ;

Attendu que la capitalisation des intérêts, judiciairement demandée par les dernières conclusions de la banque du 8 juillet 2011, qui ne se réfèrent pas à une date antérieure de capitalisation, et conforme aux dispositions de l'article 1154 du code civil, sera également ordonnée, aucune faute ou retard du créancier n'étant démontré ;

Sur les demandes accessoires

Attendu que les époux M. ont déjà bénéficié, par le déroulement normal de la procédure et l'exercice des voies de recours, de délais de paiement et qu'il ne saurait leur en être accordé de nouveaux ;

Attendu que les époux M. supporteront solidairement les dépens d'appel et verseront, en outre, à la Société Générale la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

STATUANT publiquement, contradictoirement, et en dernier ressort ;

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a condamné solidairement les époux M. à payer à la Société Générale la somme de 73.388,89 € avec intérêts au taux légal, sauf à dire que ces intérêts courent à compter du 3 juin 2008 et non du 24 avril 2008 ;

LE CONFIRME également dans la condamnation de Madame M., sauf à réduire la somme due à 30.000 €, avec intérêts au taux légal à compter du 3 juin 2008 ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts, dans les conditions de l'article 1154 du code civil, à compter du 8 juillet 2011 ;

REJETTE la demande de délais de grâce formée par les époux M. ;

CONDAMNE solidairement les époux M. aux dépens d'appel et à verser à la Société Générale la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.