Cass. crim., 25 janvier 2022, n° 21-84.366
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Rapporteur :
M. Samuel
Avocat général :
M. Aldebert
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 12 mai 2019, des pilotes d'avion ont signalé le rejet, par un navire de pêche battant pavillon chinois, d'eaux polluées dans les eaux territoriales de Polynésie française.
3. Par l'analyse des clichés aériens, le Centre d'expertise des pollutions a évalué le volume d'eau polluée rejetée à la mer, avec une teneur en hydrocarbures dépassant 15 ppm, à 450 litres et la tramée de pollution à 2 miles nautiques (3,7 km) de long et 100 mètres de large.
4. Le capitaine du navire, M. [R] [D], et la société [3], exploitante du navire, ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel pour rejet illicite d'hydrocarbures en mer.
5. Les premiers juges ont déclaré les prévenus coupables et ont prononcé sur les intérêts civils.
6. Les prévenus, le ministère public et la partie civile ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen est pris de la violation des articles LP. 1100-1, LP.1510-4, LP. 1530-2 et LP. 1530-3 du code de l'environnement de la Polynésie française, 1382 du code civil dans sa version applicable à la Polynésie française, 2,3, 591 et 593 du code de procédure pénale, contradiction de motifs et violation de la loi.
8. Le moyen critique l'arrêt en ce que, statuant sur les intérêts civils, il a débouté la Fédération des associations de préservation de l'environnement de Polynésie française de sa demande en réparation d'un préjudice écologique, alors :
1°/ que le préjudice écologique résulte nécessairement des infractions de rejet en mer de substances nuisibles aux espaces, ressources et milieux naturels, à la qualité de l'eau et aux écosystèmes ;
2°/ qu'il incombait à la cour d'appel de réparer le préjudice écologique dont elle a reconnu l'existence et consistant en l'atteinte à l'environnement du fait du déversement en mer d'environ 500 litres d'eau polluée par des hydrocarbures.
Réponse de la Cour
Vu les articles LP. 1530-1 du code de l'environnement de la Polynésie française,1382 du code civil, dans sa rédaction, applicable à la Polynésie française, antérieure à loi n° 2018-287du 20 avril 2018, et 593 du code de procédure pénale :
9. D'une part, selon le premier de ces textes, constitue une atteinte préjudiciable au patrimoine commun de la Polynésie française, toute atteinte mesurable, suffisante, quantifiable, non négligeable, notable, significative, substantielle, grave ou irréversible causée aux écosystèmes dans leur composition, leurs structures ou leur fonctionnement.
10. D'autre part, il appartient aux juridictions du fond de réparer, dans les limites des conclusions des parties, le préjudice dont elles reconnaissent le principe et d'en rechercher l'étendue.
11. Enfin, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
12. Pour confirmer le jugement ayant débouté la partie civile de sa demande de dommages-intérêts fondée sur un préjudice écologique l'arrêt attaqué, après avoir rappelé que la [2] ([1]) dispose d'un agrément reçu au titre de l'article L. 621-1 du code de l'environnement, énonce que, selon l'article LP. 1510-2 du code de l'environnement de Polynésie française, les associations agréées peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits portant un préjudice direct ou indirect au patrimoine commun de la Polynésie française et que la [1] était bien fondée à obtenir réparation du préjudice causé par les faits aux intérêts moraux collectifs qu'elle défend, mais qu'en revanche elle ne justifiait pas du préjudice environnemental.
13. En se déterminant ainsi, tout en constatant par ailleurs que les atteintes à l'environnement maritime par pollution constituent des infractions d'autant plus graves qu'elles touchent des espaces sensibles et sont susceptibles d'avoir sur la faune et la flore des conséquences importantes et relevé constaté qu'en l'espèce, au vu des éléments soumis à son appréciation et de l'ampleur du phénomène, le déversement en mer d'environ 500 litres d'eau polluée par des hydrocarbures a porté atteinte à l'environnement, et alors que l'indemnisation du préjudice moral personnel d'une association habilitée n'est pas exclusive d'une indemnisation du préjudice écologique, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
14. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
15. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives aux dispositions de l'arrêt ayant débouté la partie civile de sa demande de réparation du préjudice écologique. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Papeete, en date du 3 juin 2021, mais en ses seules dispositions ayant débouté la Fédération des associations de préservation de l'environnement de Polynésie française de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice écologique, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Papeete autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Papeete et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.