CA Orléans, 5 mai 2008, n° 07/00748
ORLÉANS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bureau
Conseillers :
Mme Nollet, Mme Hours
Exposé du litige :
Monsieur Serge J. et Madame Brigitte D. ont vécu maritalement à compter d'avril 1980 et se sont mariés le 21 juillet 1984 sans avoir fait précéder leur mariage d'un contrat préalable. Leur divorce a été prononcé par le tribunal de grande instance d'Orléans le 23 mars 2000.
Le 16 novembre 2004, Maître L. , notaire à Orléans, a dressé un procès-verbal de difficultés constatant que Monsieur J. refusait tout partage, se prétendant propriétaire de l'entreprise artisanale qu'il exploite ainsi que de l'ensemble de l'immeuble acheté par les parties un mois après leur mariage.
Par jugement en date du 21 décembre 2006, le tribunal de grande instance d'Orléans a jugé que le divorce produirait ses effets entre les époux à compter du 13 mai 1998, date de l'assignation en divorce, dit que l'entreprise artisanale appartient en propre à Monsieur J. mais que le bien immobilier sis [...], appartient à la communauté, ordonné une expertise pour évaluer la valeur de ce bien ainsi que le montant de l'indemnité d'occupation due par Monsieur J., et débouté Madame D. de sa demande fondée sur l'article 1371 du Code civil avant de renvoyer les parties devant notaire afin d'établir un état liquidatif de communauté.
Pour statuer ainsi sur l'immeuble sis à Ingré les premiers juges ont retenu que, si la promesse unilatérale de vente avait été signée le 16 novembre 1993, le transfert de propriété de l'immeuble n'était intervenu qu'au jour de la signature de l'acte authentique soit postérieurement au mariage. Ils ont de plus relevé qu'un immeuble à usage d'habitation ne peut être considéré comme l'accessoire de l'activité artisanale de Monsieur J..
Ce dernier a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 26 mars 2007.
Les dernières écritures des parties, prises en compte par la Cour au titre de l'article 954 du Code de procédure civile, ont été déposées :
- le 21 janvier 2008 pour Monsieur J.,
- le 4 février 2008 pour Madame D..
L'appelant, qui conclut à l'infirmation du jugement déféré hormis en ce qu'il a jugé que l'entreprise artisanale est un bien qui lui est propre, demande à la cour de fixer la date des effets du divorce entre les époux en 1996, date de la cessation de leur cohabitation, de dire que l'immeuble situé à Ingré est sa propriété, de rejeter l'ensemble des demandes de Madame D. et de la condamner à lui verser 1.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Il fait valoir qu'il a acheté le terrain, sur lequel les immeubles d'habitation ont été ensuite construits, en vertu d'une promesse de vente signée le 16 novembre 1983 sans que la réitération par l'acte, de vente authentique en date du 24 août 1984 ne modifie le caractère propre du bien ainsi acquis. Il précise que la levée de l'option contenue dans la promesse de vente résulte d'une part de ce qu'il a occupé le terrain et y a fait réaliser des travaux de construction entre 1979 et 1984 soit avant la réitération de la vente, d'autre part de la déclaration d'aliéner notifiée le 23 mars 1984 à la SAFER, bénéficiaire d'un droit de préemption. Il indique que le terrain et les constructions figurent à l'actif de sa société artisanale et que, si des prêts ont été contractés au nom des deux époux, il s'agit cependant de prêts bonifiés réservés aux artisans qui ont ensuite été mis au passif de l'entreprise qui les a seuls acquittés. Par ailleurs, Monsieur J. fait valoir que Madame D. ne peut obtenir aucune somme au titre de l'aide qu'elle a pu apporter à l'entreprise alors que lui-même a fait tomber l'intégralité des fruits de ce bien propre en communauté.
Madame D. conclut quant à elle à la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a déclaré commun l'immeuble d'Ingré mais à son infirmation en ce qu'elle a mis à sa charge partie de la consignation devant être versée au titre de l'expertise et a rejeté sa demande de paiement au titre de l'aide apportée à l'activité professionnelle de son ex-époux.
L'intimée fait valoir que l'acte signé le 16 novembre 1983 n'est qu'une promesse de vente dont Monsieur J. était bénéficiaire et ne peut donc être considéré comme valant vente. Elle précise que la promesse ainsi consentie n'était valable que jusqu'au 31 mars 1984, date à laquelle Monsieur J. ne démontre pas avoir levé l'option, et que la promesse de vente n'était donc plus valable depuis 5 mois lors de la signature de l'acte authentique, qui n'y fait pas référence mais mentionne au contraire que l'acquéreur aura la jouissance du bien vendu à compter du jour de la signature. Elle souligne de plus que les constructions ont été édifiées sur ce terrain grâce à deux prêts dont les époux étaient emprunteurs solidaires.
Par ailleurs, elle affirme qu'en sus de son propre emploi de caissière, elle a toujours aidé son mari dans le cadre de son activité artisanale, ainsi qu'il résulte de l'attestation établie par la société FIDORGEST, expert-comptable, et que cette aide est, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, allée bien au-delà de l'obligation de contribuer aux charges du mariage. Elle demande donc à la cour de fixer à 27.198,08 euros le montant de la somme devant lui être versée à ce titre et sollicite enfin condamnation de l'appelant à lui verser 1.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile
CELA ETANT EXPOSE, LA COUR,
Attendu que, comme devant les premiers juges, Monsieur J. ne produit aucune pièce établissant que la cohabitation des époux a cessé en 1996 ; qu'il convient dès lors de confirmer le chef de disposition ayant rejeté sa demande tendant à voir fixer les effets du divorce entre les époux à ' 1996" ;
Attendu qu'aux termes de l'article 1583 du Code civil, la vente se conclut par un accord sur la chose et sur le prix ; que l'exigence par la loi d'un acte authentique pour la vente d'immeuble n'est pas une exception au principe du consensualisme énoncé par ce texte, mais rend seulement la vente inopposable aux tiers faute d'accomplissement de cette formalité ;
Attendu que par acte en date du 16 novembre 1993, antérieur au mariage des parties, Madame F. a promis de vendre à Monsieur J. une propriété sise à [...] ;
que l'appelant reproche au jugement déféré d'avoir retenu qu'une promesse unilatérale de vente n'entraîne pas transfert de propriété ;
qu'il expose qu'il occupait le terrain visé par la promesse depuis 1979 et y avait déjà aménagé un atelier et qu'il avait en outre sollicité un permis de construire une maison individuelle avant la réalisation de l'acte authentique ; qu'il soutient que la notification à la SAFER d'une intention d'aliéner dès le le 23 mars 1984 démontre qu'il avait accepté l'offre de Madame F. et que la vente était donc parfaite avant la signature de l'acte authentique ;
Attendu qu'il est constant que la vente est devenue parfaite par l'acceptation, antérieure à la signature de l'acte authentique, par Monsieur J. de la promesse qui lui avait été consentie ;
que, cependant, si l'article 1583 du Code civil expose de la façon la plus nette le principe que le transfert de propriété intervient par le seul consentement des parties à la vente , ce transfert légal immédiat peut faire l'objet d'aménagements par les parties qui sont libres de convenir d'une autre date translative de propriété ;
qu'en l'espèce la promesse de vente du 16 novembre 1993 indique en sa page 8, sous la rubrique ' transfert de propriété et entrée en jouissance', que : ' le transfert de propriété de l'immeuble aura lieu le jour de la signature de l'acte authentique constatant la réalisation de la vente';
que l'acte authentique précise également que le transfert de propriété est fixé au jour de sa signature ;
que ces deux dispositions contractuelles concordantes établissent sans contestation possible que, même si Monsieur J. a eu l'usage et la possession du terrain vendu avant la date de signature de l'acte authentique, Madame F. en était demeurée seule propriétaire ; que les parties ont donc expressément dérogé, dans la promesse de vente comme dans l'acte authentique de vente, à la règle posée par l'article 1583 susvisé et ont retardé le transfert de propriété au jour de la signature de l'acte authentique ;
que cette signature étant intervenue postérieurement au mariage de Monsieur J., le terrain est nécessairement un bien commun, ce qui rend communes toutes les constructions qui y sont édifiées ;
Attendu que Monsieur J. ne justifie pas que les prêts obtenus pour financer l'achat de ce terrain aient été des prêts bonifiés et aient été ensuite entièrement payés par son entreprise ; qu'au contraire Madame D. démontre avoir été co-emprunteur ;
que l'argumentation de Monsieur J. sur le caractère accessoire des constructions édifiées sur le terrain n'a pas d'intérêt, le terrain litigieux n'ayant pas été déclaré propre à l'appelant mais bien commun ;
que, cependant si les premiers juges ont, à bon droit, déclaré communs l'ensemble des immeubles se trouvant sur le terrain commun, ils n'ont pas pris en considération les bâtiments qui ont pu y être édifiés par Monsieur J. seul avant le mariage ; qu'il résulte pourtant des pièces produites par l'appelant qu'il a fait faire une première construction dès 1979 et a souscrit, le 29 mars 1983 , soit avant le mariage, un emprunt professionnel en indiquant l'utiliser pour des aménagements immobiliers ;
qu'afin d'éviter toutes difficultés pouvant naître d'une demande de récompense formée par l'appelant, il convient donc, tout en confirmant la décision entreprise, de préciser la mission de l'expert en le chargeant de rechercher le montant des sommes éventuellement exposées par Monsieur J. seul, avant le mariage, pour édifier les locaux artisanaux ;
Attendu que Madame D. soutient par ailleurs que l'aide qu'elle a apportée à son ex-époux au titre de la comptabilité excède les charges et obligations du mariage ;
Mais attendu que l'intimée a toujours exercé une activité salariée à plein temps et qu'elle n'a pu consacrer que ses temps de loisirs à aider son époux ; que ce dernier consacrait ces mêmes loisirs à l'aménagement des constructions nouvelles édifiées sur le terrain commun ; que les travaux respectifs des deux parties ont contribué à l'enrichissement de la communauté ; que, Madame D. ne démontrant pas que sa propre activité a excédé celle de Monsieur J. ou les charges normales du mariage, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande en paiement de sommes ;
Attendu que l'expertise organisée par le tribunal est indispensable pour parvenir à la liquidation de la communauté à laquelle les époux ont tous deux intérêt ; que les frais d'expertise entreront ensuite dans les dépens, lesquels seront utilisés en frais privilégiés de partage ; que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont mis à la charge de chacune des parties la moitié de la somme devant être consignée au titre de la mesure d'instruction;
Attendu qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME la décision entreprise,
Y AJOUTANT,
DIT que l'expert aura en outre pour mission de rechercher le montant des sommes éventuellement exposées par Monsieur J. seul, avant le 21 juillet 1984, date du mariage, pour édifier les locaux artisanaux et déterminer le montant de la récompense éventuellement due par la communauté à Monsieur J. à raison de ces travaux,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
DIT que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage et qu'il n'y a en conséquence pas lieu à accorder aux avoués de la cause le bénéfice de distraction sollicité.