CA Rennes, 1re ch., 14 décembre 2021, n° 19/05970
RENNES
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Delière
Conseillers :
Mme André, Mme Brissiaud
EXPOSÉ DU LITIGE
M. Emile S., d'une part, et M. Thierry M. et Mme Caroline H. épouse M., d'autre part, ont signé le 17 novembre 2015 en l'étude de Me O. un acte comportant vente conditionnelle portant sur un terrain d'environ 823 m2 à prendre sur une propriété de plus grande superficie située à Belz, pour un prix de 73 000 Euros.
Ce compromis a été stipulé sous différentes conditions suspensives, notamment celle que l'état hypothécaire afférent au bien :
'- ne révèle pas l'existence d'inscription pour un montant supérieur au prix de vente ou d'une publication de commandement de saisie,
- ne révèle pas l'existence d'autres droits réels que ceux éventuellement ci-dessus énoncés faisant obstacle à la libre disposition du bien ou susceptibles d'en diminuer sensiblement la valeur."
Par la suite, l'état hypothécaire sur le bien a fait apparaître deux inscriptions :
-l'une au bénéfice de la Société Générale, prêteur de deniers, consentie par M. S. au moment de l'acquisition du bien,
-une hypothèque judiciaire provisoire inscrite le 25 juin 2014 par le Crédit Agricole, pour un montant de 52 000 Euros.
Par courrier du 21 avril 2016, Me O. a informé M. S. que les créanciers ne voulaient pas donner mainlevée des inscriptions hypothécaires grevant le bien vendu avant d'être totalement désintéressés.
M. S. a proposé aux époux M. un nouveau prix vente de 87 000 Euros, qui a été refusé par ces derniers. Il leur a par la suite proposé une parcelle d'une superficie supérieure en portant le prix de vente à 98 500 Euros, cette proposition ayant une nouvelle fois été refusée.
Par acte d'huissier du 4 juin 2018, les époux M. ont fait assigner M. S. devant le tribunal de grande instance de Lorient afin de voir juger parfaite la vente conclue le 17 novembre 2015 et obtenir des dommages-intérêts.
Par jugement du 3 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Lorient a
-constaté que l'acte comportant vente conditionnelle conclu le 17 novembre 2015 entre M. S. et les époux M. est caduc du fait de la non-réalisation de la condition suspensive tenant à l'absence d'inscription hypothécaire,
-débouté les époux M. de leur demande tendant à voir déclarer parfaite la vente du bien immobilier sis [...],
-condamné M. S. à verser à M. et Mme M. la somme de 4000 Euros à titre de dommages-intérêts,
-débouté M. S. de ses demandes,
-condamné M. S. à régler la somme de 1500 Euros aux époux M. sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné M. S. aux dépens,
-dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration du 06 septembre 2019, M. et Mme M. ont fait appel de ce jugement en ce qu'il a considéré que la vente du 17 novembre 2015 était caduque aux motifs de la non-réalisation de la condition suspensive tenant à l'absence d'inscription hypothécaire et en ce qu'il les a déboutés de leur demande tendant à voir déclarer parfaite la vente.
Aux termes de leurs dernières conclusions transmises le 25 mai 2020, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et prétentions, les époux M. demandent à la cour , au visa des articles 1583 et 1584 du Code civil (ancienne rédaction), de :
-réformer le jugement du 3 juillet 2019 en ce qu'il a jugé que le compromis de vente était caduc,
-juger que la vente conclue le 17 novembre 2015 entre M. Thierry M. et Mme Caroline H. épouse M. d'une part, et M. Emile S. d'autre part, est parfaite,
-condamner M. S. à régulariser devant Me O., notaire à Loudéac, l'acte définitif de vente dans un délai de deux mois à compter de la date de la signification du jugement, et ce sous astreinte de 250 € par jour de retard,
-débouter M. S. de toutes ses demandes,
-condamner M. S. à payer à M. et Mme M. la somme de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 28 janvier 2020, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et prétentions, M. Emile S. demande à la cour, au visa des articles 1304 et suivants et 1240 du Code Civil, de :
-dire et juger que la condition suspensive stipulée dans le compromis de vente du 17 novembre 2015 a défailli sans aucune faute imputable à M. S..
En conséquence,
-confirmer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Lorient le 3 juillet 2019,
-rejeter la demande formulée par M. et Mme M. tendant à reconnaître une vente parfaite entre eux et M. S.,
-constater que le compromis conclu en l'Etude de Me O., notaire, le 17 novembre 2015 est caduc,
-condamner M. et Mme M. à payer à M. S. une somme de 3.000 Euros au titre des frais irrépétibles, en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile et à supporter l'intégralité des dépens d'instance.
MOTIFS DE LA COUR
L'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable à la date du contrat, soit antérieurement à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, énonce que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles doivent être exécutées de bonne foi.
En vertu de l'article 1168 ancien du code civil, l'obligation est conditionnelle lorsqu'on la fait dépendre d'un événement futur et incertain, soit en la suspendant jusqu'à ce que 1'événement arrive, soit en la résiliant, selon que l'événement arrivera ou n'arrivera pas.
Enfin, l'article 1181 dispose que l'obligation contractée sous une condition suspensive est celle qui dépend ou d'un événement futur et incertain, ou d'un événement actuellement arrivé, mais encore inconnu des parties.
Les époux M. font grief aux premiers juges d'avoir considéré que la condition suspensive n'était pas stipulée dans l'intérêt exclusif des acquéreurs.
Il a été jugé que sauf à constater que la condition suspensive avait été stipulée dans l'intérêt exclusif de l'acquéreur, la défaillance d'une condition suspensive emporte caducité de la promesse synallagmatique de vente dont peuvent se prévaloir les deux parties (Civ 3ème 13 juillet 1999 n°97 20 110).
En l'espèce, le compromis de vente du 17 novembre 2015 comporte une condition suspensive tenant au fait que l'état hypothécaire ne révèle pas l'existence d'inscription pour un montant supérieur au prix de vente.
Le compromis mentionne par ailleurs en page 9 que « le vendeur s'oblige à céder le bien libre de toute inscription, transcription, publication, privilège ou mention de nature à empêcher le transfert de son droit de propriété. »
La condition suspensive tenant à l'absence d'inscription hypothécaire est insérée au paragraphe intitulé «autres conditions suspensives», qui ne comporte aucune mention selon laquelle cette condition est stipulée dans l'intérêt exclusif des acquéreurs, contrairement à la condition suspensive liée à l'obtention d'un crédit, faisant l'objet d'une clause séparée, pour laquelle il est expressément indiqué qu'elle est stipulée « au seul profit de l'acquéreur, qui pourra seul y renoncer » , et que « le vendeur ne pourra pas se prévaloir du non-respect de cette obligation pour invoquer la caducité des présentes ».
Comme l'a également fait justement remarquer le tribunal, il ne ressort d'aucune disposition légale d'ordre public que la condition suspensive tenant à l'absence d'inscription hypothécaire serait systématiquement et nécessairement stipulée en faveur de l'acquéreur.
Aussi bien, les parties sont libres de décider que cette condition est stipulée dans l'intérêt du vendeur comme de l'acquéreur.
Contrairement à ce que soutiennent les époux M., la condition subordonnant la cession à l'absence d'inscription peut également présenter un intérêt pour le vendeur. En effet, si l'immeuble est vendu sans que les inscriptions hypothécaires ne soient purgées, le vendeur s'expose à des poursuites ultérieures de l'acquéreur en remboursement des sommes que ce dernier aura été contraint de régler au créancier inscrit en vertu de son droit de suite. Le vendeur a donc un intérêt à renoncer à la vente du bien en cas de refus de levée des inscriptions hypothécaires par ces créanciers, notamment en considération d'un prix de vente trop bas par rapport au montant total des inscriptions.
Par ailleurs, cette condition ne peut être considérée comme potestative. En effet, l'inscription hypothécaire et sa radiation sont des événements qui supposent certes une défaillance préalable du débiteur mais qui ne résultent pas de sa simple volonté, le créancier étant libre de procéder ou non à ces inscriptions et à leur levée.
Il ressort de ces éléments et de la rédaction différenciée des conditions suspensives insérées dans le contrat synallagmatique conclu entre les parties, que celles-ci n'ont pas entendu interdire au vendeur la possibilité de se prévaloir de cette condition pour invoquer la caducité du compromis.
Il en résulte que le vendeur, M. S., était en droit de se libérer du compromis, dans le cas où la condition suspensive n'était pas réalisée.
A cet égard, il est constant que deux hypothèques existaient sur le bien incriminé au jour du compromis, l'une au bénéfice du Crédit Agricole à hauteur de 52.000 Euros et l'autre inscrite pour le compte de la Société Générale, pour un montant de 73.000 Euros, soit un montant de 125.000 Euros, supérieur au prix de vente du terrain qui devait être cédé à M. et Mme M..
Par ailleurs, le notaire a adressé un courrier à M. S. le 21 avril 2016, dont il ressort que les créanciers « n'ont pas voulu donner mainlevée des inscriptions hypothécaires grevant le bien vendu » (Pièce n°2, 3, 4 et 9 intimé ). Ce dont il se déduit que le notaire a bien effectué pour le compte du vendeur des démarches auprès des créanciers pour obtenir la radiation des hypothèques, en vain.
Le tribunal a donc justement retenu que la non-réalisation de la condition suspensive ne pouvait être imputée à un comportement fautif de la part de M. S., postérieur à la signature du compromis, susceptible de rendre applicables les dispositions de l'article 1178 ancien du code civil (« la condition est réputée accomplie lorsque c'est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l'accomplissement. »)
C'est donc à juste titre que le tribunal a constaté que la condition suspensive avait défailli, que le compromis conclu le 17 novembre 2015 était donc devenu caduc et qu'il a débouté les époux M. de leur demande tendant à voir déclarer la vente parfaite.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.
La cour observe qu'aux termes du dispositif de ses conclusions, M. S. n'a pas sollicité la réformation du jugement en ce qu'il l'a condamné au paiement de dommages-et-intérêts aux époux M.. Dès lors, l'argumentation relative à sa responsabilité qu'il développe dans ses conclusions n'appelle pas de réponse particulière de la cour.
Les époux M. qui succombent en cause d'appel seront condamnés in solidum aux dépens ainsi qu'à payer à M. S. la somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 03 juillet 2019 par le tribunal de grande instance de Lorient ;
Y ajoutant :
Condamne in solidum les époux Thierry et Caroline M. à payer à M. Emile S. la somme de 1.500 sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum les époux Thierry et Caroline M. aux dépens d'appel.