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Décisions

CAA Paris, 2e ch., 13 octobre 2021, n° 20PA01692

PARIS

Arrêt

Annulation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Platillero

CAA Paris n° 20PA01692

13 octobre 2021

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Kyowa Synchro Technology Europe SAS a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 2012 et 2013 ainsi que des majorations y afférentes.

Par un jugement n° 1710969/1-3 du 11 mars 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistré les 10 juillet et 2 décembre 2020, la société Kyowa Synchro Technology Europe SAS, représentée par Me Bacrot et Me Emin, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 11 mars 2020 ;

2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'article 19 des statuts se borne à distinguer la compétence des associés par rapport à celle du président et n'impose pas que la décision de rémunération du président soit prise par les associés en assemblée générale ;

-l'article 16 des statuts est une disposition spéciale qui réserve la décision de rémunération du président au seul associé majoritaire conformément aux dispositions de l'article L. 227-9 du code de commerce ;

-les associés ont entériné, dans le cadre de l'assemblée générale, les décisions de nomination prises sur le fondement de l'article 16 des statuts ;

-le contrat de détachement prévoit la prise en charge du salaire du président par la société Kyowa Synchro Technology Europe SAS ;

- la rémunération du travail effectif du président est un acte normal.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 octobre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Kyowa Synchro Technology Europe SAS ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 19 novembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au

4 décembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Magnard,

- les conclusions de Mme Jimenez, rapporteure publique,

- et les observations de Me Locatelli, substituant Me Bacrot et Me Emin, représentant la société Kyowa Synchro Technology Europe.

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiée (SAS) Kyowa Synchro Technology Europe, dont le nom commercial est KSTE SAS, a été constituée en 2005 par les sociétés japonaises Sojitz Corporation et Kyowa Metal Works Co LTD en vue d'exploiter en France et dans l'Union européenne un brevet industriel déposé par la société Kyowa Metal Works Co LTD et portant sur la fabrication et la commercialisation d'un synchroniseur de boîte de vitesse. Le capital de la SAS Kyowa Synchro Technology Europe est détenu à hauteur de, respectivement, 51 % par la société Sojitz Corporation et 49 % par Kyowa Metal Works Co LTD. La SAS Kyowa Synchro Technology Europe a fait l'objet en 2014 d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013, étendue au 30 septembre 2014 en matière de taxe sur la valeur ajoutée. A l'issue des opérations de vérification, des rectifications en matière d'impôt sur les sociétés ont été notifiées à la SAS Kyowa Synchro Technology Europe selon la procédure contradictoire, par proposition de rectification du 18 mai 2015, à raison, notamment, en matière d'impôt sur les sociétés, de la remise en cause de la comptabilisation en charges déductibles des sommes correspondant à la rémunération en salaires et avantages en nature des deux présidents qui s'étaient succédé en 2012 et 2013, refacturés à la SAS Kyowa Synchro Technology Europe par la société Sojitz Corporation. La SAS Kyowa Synchro Technology Europe relève appel du jugement du 11 mars 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 2012 et 2013 ainsi que des majorations y afférentes résultant du rejet de la prise en compte de la rémunération de ses présidents successifs, pour un montant total en droits et pénalités de 190 398 euros.

2. En vertu, d'une part, des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. En outre, aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges ". Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt.

3. Aux termes, d'autre part, de l'article L. 227-5 du code de commerce relatif aux sociétés par actions simplifiées : " Les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée " tandis que l'article L. 227-9 du même code dispose : " Les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu'ils prévoient ". L'article 16 des statuts de la société prévoyait que : " () Le président est désigné par décision de Sojitz Corporation. () La rémunération du président est fixée chaque année par décision de Sojitz Corporation ". L'article 19 des mêmes statuts prévoyait que " les associés prennent les décisions suivantes : () nomination, révocation du Président, étendue de ses pouvoirs, fixation de sa rémunération ".

4. Lors de la vérification de comptabilité de la SAS Kyowa Synchro Technology Europe, le service a constaté que la société avait réglé les rémunérations directes ou indirectes des présidents en fonction en 2012 et 2013 au vu des factures émises par la société Sojitz Corporation en vertu d'une convention de transfert d'employés, et avait déduit de ses résultats le montant de ces factures, pour les sommes de 273 710 euros en 2012 et de 257 740 euros en 2013, alors que le procès-verbal d'une assemblée générale des associés du 29 mars 2012 ne mentionnait aucune résolution relative à la rémunération du président alors reconduit dans ses fonctions et que le procès-verbal de l'assemblée générale annuelle du 27 mars 2013 contenait une résolution excluant toute rémunération du président nommé à cette date et n'envisageant que le remboursement de frais exposés à l'occasion de l'exercice de ses fonctions par ce dernier. Le service en a déduit que les rémunérations en cause étant afférentes aux seules fonctions de président, elles n'avaient pas été prévues conformément à l'article 19 des statuts et n'étaient en conséquence pas déductibles.

5. Il est constant que les salariés de la société Sojitz successivement détachés auprès de la société Kyowa Synchro Technology Europe SAS au cours des exercices en litige ont exclusivement exercé leur activité auprès de celle-ci et ont effectivement assuré sa direction et l'ensemble des fonctions qui leur étaient dévolues en qualité de président de cette dernière société, conformément aux conventions conclus entre les deux sociétés. Il n'est pas soutenu par le ministre que la rémunération qu'ils ont perçue, fixée par la société Sojitz conformément à l'article 16 des statuts, serait anormalement élevée eu égard aux fonctions exercées. Ainsi, et contrairement à ce que soutient le ministre, et alors même que cette rémunération n'a pas été entérinée par les associés de la société requérante conformément à l'article 19 de ses statuts, la prise en charge, par cette dernière, de la rémunération de son président ne peut être regardée comme un acte accompli à des fins étrangères à son intérêt. A supposer même que les articles 16 et 19 des statuts soient contradictoires, cette circonstance ne révèle par elle-même aucune décision opposable à la société requérante quant à l'absence de prise en charge par l'intéressée de la rémunération de ses présidents successifs. Il en est de même des procès-verbaux d'assemblée générale précités, dès lors qu'il n'est pas contesté par le ministre que les comptes de la société, qui mentionnaient les rémunérations, ont été approuvés par les associés.

6. Il résulte de tout ce qui précède que la société Kyowa Synchro Technology Europe SAS est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1710969/1-3 du 11 mars 2020 du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La société Kyowa Synchro Technology Europe SAS est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 2012 et 2013 ainsi que des majorations y afférentes, procédant de la réintégration dans ses résultats de la rémunération de ses présidents successifs.

Article 3 : L'Etat versera à la société Kyowa Synchro Technology Europe SAS la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Kyowa Synchro Technology Europe SAS et au ministre de l’Économie, des finances et de la relance.