CJUE, 4e ch., 20 octobre 2011, n° C-281/10
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Rejet
1 Par son pourvoi, PepsiCo Inc. (ci-après «PepsiCo») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 18 mars 2010, Grupo Promer Mon Graphic/OHMI – PepsiCo (représentation d’un support promotionnel circulaire) (T-9/07, non encore publié au Recueil, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a accueilli le recours formé par Grupo Promer Mon Graphic SA (ci-après «Grupo Promer»), tendant à l’annulation de la décision de la troisième chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), du 27 octobre 2006 (affaire R 1001/2005-3), relative à une procédure de nullité opposant Grupo Promer et PepsiCo (ci-après la «décision litigieuse»).
Le cadre juridique
2 L’article 4 du règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1), dispose:
«1. La protection d’un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n’est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel.
[…]»
3 L’article 5 du règlement n° 6/2002 prévoit:
«1. Un dessin ou modèle est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué au public:
a) dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire non enregistré, avant la date à laquelle le dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pour la première fois;
b) dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle pour lequel la protection est demandée ou, si une priorité est revendiquée, la date de priorité.
2. Des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants.»
4 L’article 6 du même règlement est rédigé comme suit:
«1. Un dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public:
a) dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire non enregistré, avant la date à laquelle le dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pour la première fois;
b) dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité.
2. Pour apprécier le caractère individuel, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle.»
5 Selon l’article 10 du règlement n° 6/2002:
«1. La protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s’étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’utilisateur averti une impression visuelle globale différente.
2. Pour apprécier l’étendue de la protection, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle.»
6 L’article 25 de ce règlement prévoit:
«1. Un dessin ou modèle communautaire ne peut être déclaré nul que:
[…]
b) s’il ne remplit pas les conditions fixées aux articles 4 à 9;
[…]
d) si le dessin ou modèle communautaire est en conflit avec un dessin ou modèle antérieur qui a fait l’objet d’une divulgation au public après la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou après la date de priorité du dessin ou modèle communautaire, si une priorité est revendiquée, et qui est protégé depuis une date antérieure par l’enregistrement d’un dessin ou modèle communautaire ou par une demande d’enregistrement d’un tel dessin ou modèle, ou par l’enregistrement d’un dessin ou modèle dans un État membre ou par une demande d’obtention du droit afférent;
[…]
3. Les motifs prévus au paragraphe 1, [sous] d), e) et f), peuvent être invoqués uniquement par le demandeur ou le titulaire du droit antérieur.
[…]»
7 L’article 52, paragraphe 1, du règlement n° 6/2002 prévoit que, «[s]ousréserve de l’article 25, paragraphes 2, 3, 4 et 5, toute personne physique ou morale, ainsi qu’une autorité publique habilitée à cet effet, peut présenter à l’[OHMI] une demande en nullité d’un dessin ou modèle communautaire enregistré».
8 En vertu de l’article 61, paragraphes 1 à 3, du règlement n° 6/2002:
«1. Les décisions des chambres de recours statuant sur un recours sont susceptibles d’un recours devant la Cour de justice.
2. Le recours est ouvert pour incompétence, violation des formes substantielles, violation du traité, du présent règlement ou de toute règle de droit relative à leur application, ou détournement de pouvoir.
3. La Cour de justice est compétente aussi bien pour annuler que pour réformer la décision attaquée.»
Les antécédents du litige et la décision litigieuse
9 Le 9 septembre 2003, PepsiCo a présenté une demande d’enregistrement de dessin ou modèle communautaire à l’OHMI, fondée sur le règlement n° 6/2002. Lors de cette demande, la priorité du dessin ou modèle espagnol n° 157156, déposé le 23 juillet 2003 et dont la demande d’enregistrement a été publiée le 16 novembre 2003, a été revendiquée.
10 Le dessin ou modèle communautaire a été enregistré par l’OHMI sous le numéro 74463-0001 pour les produits suivants, à savoir «Articles promotionnels pour jeux». Il est représenté comme suit:
11 Le 4 février 2004, Grupo Promer a présenté une demande de nullité du dessin ou modèle n° 74463-0001 (ci-après le «dessin ou modèle contesté») au titre de l’article 52 du règlement n° 6/2002.
12 La demande de nullité était fondée sur le dessin ou modèle communautaire enregistré sous le numéro 53186-0001 (ci-après le «dessin ou modèle antérieur»), qui a pour date de dépôt le 17 juillet 2003 et pour lequel la priorité du dessin ou modèle espagnol n° 157098, déposé le 8 juillet 2003 et dont la demande d’enregistrement a été publiée le 1er novembre 2003, avait été revendiquée. Le dessin ou modèle antérieur est enregistré pour le produit suivant, à savoir «Feuille métallique pour jeux». Il est représenté comme suit:
13 Les motifs invoqués à l’appui de la demande de nullité étaient tirés de l’absence de nouveauté et de caractère individuel du dessin ou modèle contesté, au sens de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 6/2002, ainsi que de l’existence d’un droit antérieur, au sens de l’article 25, paragraphe 1, sous d), dudit règlement.
14 Par décision du 20 juin 2005, la division d’annulation de l’OHMI a accueilli la demande en nullité du dessin ou modèle contesté sur le fondement de l’article 25, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 6/2002.
15 Le 18 août 2005, PepsiCo a formé un recours auprès de l’OHMI, au titre des articles 55 à 60 du règlement n° 6/2002, contre cette décision de la division d’annulation.
16 Par la décision litigieuse, la troisième chambre de recours de l’OHMI (ci-après la «chambre de recours») a annulé ladite décision de la division d’annulation et a rejeté la demande en nullité. Après avoir écarté l’argument de la requérante relatif à la mauvaise foi de PepsiCo, la chambre de recours a considéré, en substance, que le dessin ou modèle contesté n’était pas en conflit avec le droit antérieur de la requérante et que les conditions énoncées à l’article 25, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 6/2002 n’étaient donc pas réunies.
17 À cet égard, la chambre de recours a estimé que les produits liés aux dessins ou modèles en cause relevaient d’une catégorie particulière d’articles promotionnels, à savoir les «tazos» ou les «rappers», et que, dès lors, la liberté du créateur chargé de concevoir de tels articles promotionnels était «sérieusement restreinte». La chambre de recours en a déduit que la différence dans le profil des dessins ou modèles en cause était suffisante pour conclure qu’ils produisaient une impression globale différente sur l’utilisateur averti.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
18 Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 9 janvier 2007, Grupo Promera formé un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse et à la condamnation de l’OHMI et de PepsiCo aux dépens.
19 À l’appui de son recours, Grupo Promer faisait valoir trois moyens tirés, premièrement, de la mauvaise foi de PepsiCo et d’une interprétation restrictive du règlement n° 6/2002, deuxièmement, d’un défaut de nouveauté du dessin ou modèle contesté et, troisièmement, d’une violation de l’article 25, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 6/2002.
20 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal, après avoir rejeté le premier moyen, a fait droit au troisième moyen et a constaté que, par conséquent, il n’y avait plus lieu d’examiner le deuxième moyen du recours.
21 Le troisième moyen du recours se subdivisait en quatre branches.
22 En premier lieu, Grupo Promer contestait la définition de la catégorie de produits concernés par les dessins ou modèles en cause comme étant celle des «pogs», des «rappers» ou des «tazos», arguant qu’il s’agissait de produits différents. Selon Grupo Promer, la chambre de recours aurait dû prendre en considération la catégorie générale des articles promotionnels pour jeux.
23 À cet égard, au point 60 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu que c’est à juste titre que la chambre de recours a considéré que le produit en cause relevait, au sein de la large catégorie des articles promotionnels pour jeux, d’une catégorie particulière, celle de pièces de jeux connues sous les noms de «pogs», de «rappers» ou de «tazos».
24 En deuxième lieu, se fondant sur le fait que le dessin ou modèle contesté se rapporte à la catégorie générale des articles promotionnels pour jeux, Grupo Promer contestait l’appréciation retenue dans la décision litigieuse, selon laquelle la liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle contesté était «sérieusement restreinte».
25 Le Tribunal a considéré, au point 70 de l’arrêt attaqué, que la chambre de recours avait à juste titre estimé que, à la date de la priorité revendiquée pour le dessin ou modèle contesté, la liberté du créateur était «sérieusement restreinte», notamment dans la mesure où celui-ci devait intégrer dans son dessin ou modèle les caractéristiques communes des produits en cause.
26 En troisième lieu, selon Grupo Promer, l’utilisateur averti était un enfant âgé de 5 à 10 ans environ, et non un directeur de marketing, comme il serait indiqué dans la décision litigieuse. En effet, un tel directeur dans l’industrie alimentaire ne serait pas un utilisateur final et il aurait un degré d’expertise supérieur à celui d’un simple utilisateur.
27 À cet égard, le Tribunal a défini la notion d’utilisateur averti au point 62 de l’arrêt attaqué et, aux points 64 et 65 de ce même arrêt, a conclu que c’est à juste titre que la chambre de recours a considéré que, en l’espèce, peu importe que l’utilisateur averti soit un enfant âgé de 5 à 10 ans environ ou le directeur du marketing d’une société fabriquant des produits dont la promotion est assurée en offrant des «pogs», des «rappers» ou des «tazos», l’important étant que ces deux catégories de personnes connaissent le phénomène des «rappers».
28 En quatrième lieu, d’après Grupo Promer, les dessins ou modèles en cause produisaient la même impression globale, car, contrairement à l’analyse faite par la chambre de recours dans la décision litigieuse, les différences de profil des dessins ou modèles en cause ne seraient pas évidentes, leur détection nécessitant une attention particulière et une observation attentive du disque.
29 Sur cet aspect, au point 72 de l’arrêt attaqué, le Tribunal, tenant compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle contesté, a estimé, à l’instar de la chambre de recours, que, dans la mesure où les similitudes entre les dessins ou modèles en cause concernent des caractéristiques communes, ces similitudes n’auront que peu d’importance dans l’impression globale produite par lesdits dessins ou modèles sur l’utilisateur averti. En outre, plus la liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle contesté est restreinte, plus des différences mineures entre les dessins ou modèles en cause pourront suffire à produire une impression globale différente sur l’utilisateur averti.
30 Ensuite, aux points 77 à 82 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné cinq similitudes existant entre les deux dessins ou modèles en conflit. Tous deux consistaient en des disques presque plats et présentaient un cercle concentrique très près du bord, un cercle concentrique situé à un tiers environ de distance entre le bord et le centre du disque, un bord recourbé surélevé par rapport à la partie intermédiaire du disque, située entre le bord et la partie centrale surélevée, ainsi qu’une similitude dans les proportions respectives de la partie centrale surélevée et de la partie intermédiaire du disque, située entre le bord et la partie centrale surélevée.
31 Après avoir constaté que la première similitude était une caractéristique commune aux dessins ou modèles relatifs aux produits du type de celui en cause et que la deuxième similitude pouvait relever d’une contrainte liée à des exigences de sécurité pesant sur le créateur, le Tribunal a conclu que ces similitudes ne retiendront pas l’attention de l’utilisateur averti dans l’impression globale des dessins ou modèles en cause.
32 En revanche, en ce qui concerne les trois dernières similitudes, le Tribunal a jugé qu’elles concernaient des éléments pour lesquels il existait une liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle contesté, et qu’elles retiendraient, par conséquent, l’attention de l’utilisateur averti, d’autant plus que les faces supérieures sont, en l’espèce, les plus visibles pour cet utilisateur.
33 S’agissant des différences entre les dessins ou modèles en cause, le Tribunal a, au point 83 de l’arrêt attaqué, constaté que le dessin ou modèle contesté comporte, vu du dessus, deux cercles concentriques de plus que le dessin ou modèle antérieur et que, de profil, les deux dessins ou modèles diffèrent en ce que le dessin ou modèle contesté présente une convexité plus importante, mais restant toutefois très faible.
34 Le Tribunal a cependant considéré que les différences constatées par la chambre de recours étaient insuffisantes pour que le dessin ou modèle contesté produise, sur l’utilisateur averti, une impression globale différente de celle produite par le dessin ou modèle antérieur. Par conséquent, le Tribunal a annulé la décision litigieuse.
Les conclusions des parties devant la Cour
– d’annuler l’arrêt attaqué;
– de se prononcer définitivement sur le litige en rejetant les chefs de demande formulés en première instance ou, subsidiairement, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et
– de condamner Grupo Promer aux dépens.
36 L’OHMI demande à la Cour de faire droit au pourvoi et de condamner Grupo Promer aux dépens.
37 Grupo Promer demande à la Cour:
– de rejeter le pourvoi en ce qu’il est irrecevable et non fondé;
– de condamner PepsiCo aux dépens du présent pourvoi;
– de condamner PepsiCo et l’OHMI aux dépens exposés par elle devant le Tribunal, et
– de condamner PepsiCo aux dépens de la procédure devant l’OHMI.
Sur le pourvoi
38 À l’appui de son pourvoi, PepsiCo invoque un moyen unique tiré d’une violation de l’article 25, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 6/2002. Ce moyen se divise en cinq branches relatives, pour les quatre premières, à diverses erreurs qui auraient été commises par le Tribunal à propos des limites à la liberté du créateur, de la notion d’utilisateur averti et de son niveau d’attention, de l’étendue du contrôle juridictionnel qui lui incombe et de la possibilité de comparer les produits plutôt que les dessins ou modèles en cause, ainsi que, pour la dernière, à une prétendue dénaturation des faits.
Sur la première branche du moyen unique, relative aux limites à la liberté du créateur
Argumentation des parties
39 PepsiCo soutient que les trois similitudes relevées par le Tribunal (forme circulaire centrale, bord surélevé, proportions) sont toutes dues aux fonctions des produits en cause et sont des caractéristiques communes à ceux-ci, ce qui limite la liberté du créateur. Le Tribunal n’aurait toutefois pas tenu compte de ces limites lors de sa comparaison des dessins et modèles en cause. Juger que les dessins ou modèles en cause sont similaires en raison de ces caractéristiques communes précises ne signifierait rien d’autre que d’accorder à Grupo Promer les droits exclusifs d’exploiter ces caractéristiques communes, ce qui ne correspondrait pas au but poursuivi par l’article 25, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 6/2002.
40 L’OHMI fait valoir que, même si des caractéristiques comme la forme de disque plat ou la zone centrale convexe ne sont pas imposées par une fonction ou des prescriptions légales, elles seraient toutefois dictées par les contraintes du marché, limitant ainsi la liberté du créateur.
41 Les éléments du dossier montreraient que la grande majorité – sinon la totalité – des «pogs» existant à la date de priorité du dessin ou modèle contesté présenteraient un bombement central circulaire. La raison en serait que les «pogs» présentant un bombement central autre que circulaire ne pourraient être empilés sur l’immense majorité des «pogs» présentant cette caractéristique.
42 Grupo Promer estime que cette branche du moyen unique est irrecevable en ce qu’elle viserait à remettre en cause des appréciations de nature factuelle opérées dans l’arrêt attaqué.
Appréciation de la Cour
43 Il convient de relever que, par la première branche de son moyen unique, PepsiCo fait, en substance, grief au Tribunal d’avoir considéré que la forme circulaire centrale, le bord surélevé et les proportions similaires des dessins ou modèles en cause ne résultaient pas d’une limitation de la liberté de leur créateur, alors qu’en réalité ces éléments de similitudes sont nécessaires pour que les produits en cause puissent remplir leur fonction. Selon PepsiCo, cela a conduit le Tribunal à apprécier erronément l’impression globale produite par chacun des dessins ou modèles en conflit.
44 PepsiCo entend ainsi remettre en cause une appréciation de nature factuelle opérée par le Tribunal, sans démontrer l’existence d’une dénaturation des faits et sans contester ni la pertinence des éléments définissant le degré de liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle tels qu’ils ont été identifiés par le Tribunal au point 67 de l’arrêt attaqué, à savoir notamment les contraintes liées aux caractéristiques imposées par la fonction technique du produit ou d’un élément du produit ou des prescriptions légales applicables aux produits, ni les conséquences que le Tribunal en a tirées au point 72 dudit arrêt.
45 Or, en vertu d’une jurisprudence constante, le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits. L’appréciation des faits ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments qui lui ont étés présentés, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 29 avril 2004, Parlement/Ripa di Meanae.a., C470/00 P, Rec. p. I4167, point 40 et jurisprudence citée).
46 Dès lors, il y a lieu de constater que la première branche du moyen unique est irrecevable.
Sur la deuxième branche du moyen unique, relative à la notion d’utilisateur averti et à son niveau d’attention
Argumentation des parties
47 PepsiCo estime que le Tribunal a appliqué des critères inadaptés en niant que les dessins ou modèles en cause produisaient une impression globale différente sur l’«utilisateur averti». Ce dernier ne correspondrait ni au consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé tel que défini par le droit des marques ni uniquement à l’utilisateur final des produits en cause.
48 D’autre part, l’utilisateur averti devrait être présumé comme étant en mesure de comparer les dessins ou modèles côte à côte et, contrairement à ce qui est le cas en droit des marques, il n’aurait pas à se fier à un «souvenir imparfait».
49 Si le Tribunal avait appliqué les critères pertinents, il aurait conclu que l’utilisateur averti faisait aisément la distinction entre les dessins ou modèles en cause, grâce aux deux différences les plus significatives existant entre eux, à savoir, premièrement, les deux cercles concentriques supplémentaires nettement visibles sur le dessus du dessin ou modèle contesté et, deuxièmement, la forme incurvée de ce dernier par opposition à la platitude totale (à l’exception du rebord) du dessin ou modèle antérieur.
50 Par ailleurs, PepsiCo estime que l’utilisateur averti ne tiendra pas compte uniquement des «faces les plus visibles» d’un dessin ou modèle, se concentrant sur les éléments «perçus aisément» (point 83 de l’arrêt attaqué), mais aura l’occasion d’examiner plus en détail le dessin ou modèle dans son ensemble et de le comparer aux dessins ou modèles antérieurs, en tenant compte de la liberté dont jouit le créateur.
51 L’OHMI soutient également que la comparaison devrait être fondée non pas sur le souvenir imparfait de l’utilisateur averti, mais sur une comparaison directe des dessins ou modèles.
52 Grupo Promer considère que cette branche du moyen unique concerne également une question de fait. Elle soutient aussi que le Tribunal n’a pas fait application d’un critère concernant le droit des marques tel que le risque de confusion entre les deux dessins ou modèles en conflit en cause.
Appréciation de la Cour
53 Il convient de relever, premièrement, que le règlement n° 6/2002 ne définit pas la notion d’utilisateur averti. Elle doit toutefois être comprise, ainsi que M. l’avocat général l’a justement relevé aux points 43 et 44 de ses conclusions, comme une notion intermédiaire entre celle de consommateur moyen, applicable en matière de marques, auquel il n’est demandé aucune connaissance spécifique et qui en général n’effectue pas de rapprochement direct entre les marques en conflit, et celle d’homme de l’art, expert doté de compétences techniques approfondies. Ainsi, la notion d’utilisateur averti peut s’entendre comme désignant un utilisateur doté non d’une attention moyenne mais d’une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré.
54 Or, force est de constater que c’est bien cette notion intermédiaire qui a été retenue par le Tribunal au point 62 de l’arrêt attaqué. Cela est d’ailleurs illustré par la conclusion qu’il en a tirée au point 64 de l’arrêt attaqué, en identifiant l’utilisateur averti pertinent en l’espèce comme pouvant être un enfant âgé de 5 à 10 ans environ ou un directeur du marketing d’une société fabriquant des produits dont la promotion est assurée en offrant des «pogs», des «rappers» ou des «tazos».
55 Deuxièmement, comme l’a relevé M. l’avocat général aux points 51 et 52 de ses conclusions, il est vrai que la nature même de l’utilisateur averti tel qu’il a été défini ci-dessus implique que, lorsque cela est possible, il procédera à une comparaison directe des dessins ou modèles en cause. Il ne peut cependant pas être exclu qu’une telle comparaison soit infaisable ou inhabituelle dans le secteur concerné, notamment du fait de circonstances spécifiques ou du fait des caractéristiques des objets que les dessins ou modèles en cause représentent.
56 Partant, il ne peut être utilement fait grief au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit du fait d’avoir procédé à l’appréciation de l’impression globale produite par les dessins ou modèles en conflit sans partir de la prémisse selon laquelle un utilisateur averti procéderait en toute hypothèse à une comparaison directe de ceux-ci.
57 Il en va d’autant plus ainsi que, en l’absence d’indication précise à cet égard dans le cadre du règlement n° 6/2002, il ne saurait être considéré que le législateur de l’Union a eu l’intention de limiter l’évaluation des éventuels modèles ou dessins à une comparaison directe.
58 Il s’ensuit que l’utilisation par le Tribunal, au point 77 de l’arrêt attaqué, de la formulation selon laquelle «cette similitude ne sera pas retenue par l’utilisateur averti dans l’impression globale des dessins ou modèles en cause», quand bien même elle indiquerait, en dehors de son contexte, que le Tribunal a fondé son raisonnement sur une méthode de comparaison indirecte basée sur un souvenir imparfait, ne traduit aucune erreur de droit de sa part.
59 Troisièmement, s’agissant du niveau d’attention de l’utilisateur averti, il y a lieu de rappeler que, si celui-ci n’est pas le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé qui perçoit habituellement un dessin ou un modèle comme un tout et ne se livre pas à un examen de ses différents détails (voir, par analogie, arrêt du 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer, C342/97, Rec. p. I3819, points 25 et 26), il n’est pas non plus l’expert ou l’homme de l’art capable d’observer dans le détail les différences minimes susceptibles d’exister entre les modèles ou dessins en conflit. Ainsi, le qualificatif «averti» suggère que, sans être un concepteur ou un expert technique, l’utilisateur connaît différents dessins ou modèles existant dans le secteur concerné, dispose d’un certain degré de connaissance quant aux éléments que ces dessins ou modèles comportent normalement et, du fait de son intérêt pour les produits concernés, fait preuve d’un degré d’attention relativement élevé lorsqu’il les utilise.
60 Ainsi, l’utilisation des termes «perçue aisément» au point 83 de l’arrêt attaqué doit être comprise dans un contexte plus large comme n’étant qu’une précision ponctuelle concernant le degré de convexité plus important dans le cas du dessin ou modèle contesté. En effet, le Tribunal ayant retenu une approche correcte par rapport à la définition de l’utilisateur averti, il ne saurait être inféré que les termes utilisés audit point 83, à eux seuls, signifieraient que le niveau d’attention de l’utilisateur averti aurait été apprécié de manière erronée par le Tribunal.
61 Eu égard aux considérations qui précèdent, cette deuxième branche du moyen unique doit être rejetée comme non fondée.
Sur la troisième branche du moyen unique, relative à l’étendue du contrôle juridictionnel
Argumentation des parties
62 PepsiCo, faisant référence à un récent arrêt de la Cour concernant les variétés végétales (arrêt du 15 avril 2010, Schräder/OCVV, C38/09 P, Rec. p. I-3209, point 77), soutient que l’examen minutieux des différences et des similitudes entre les dessins ou modèles en cause auquel s’est livré le Tribunal est allé au-delà de la mission qui lui incombe en vertu de l’article 61, paragraphe 2, du règlement n° 6/2002. Dès lors, PepsiCo fait valoir que la question de savoir s’il convient de conclure à l’existence d’une impression globale similaire ou non doit être laissée à l’appréciation de la chambre de recours.
63 L’OHMI considère également que, en refusant de se limiter à l’examen des erreurs manifestes d’appréciation, le Tribunal est allé au-delà de ce qu’autorise l’article 61 du règlement n° 6/2002 en matière de dessins ou modèles communautaires.
64 Grupo Promer estime que l’argument de PepsiCo n’est pas fondé. Les constatations formulées par la Cour dans l’arrêt Schräder/OCVV, précité, auraient résulté du fait qu’il s’agissait d’un examen technique et complexe, alors que la présente affaire ne concernerait que l’examen de dessins ou modèles afin de déterminer l’absence de caractère individuel du dessin ou modèle attaqué.
Appréciation de la Cour
65 En l’espèce, il n’est pas contesté que le Tribunal a procédé à un examen approfondi des dessins ou modèles en cause pour annuler la décision de la chambre de recours.
66 Dans ce contexte, il convient de rappeler que le Tribunal est compétent pour exercer un plein contrôle de légalité sur l’appréciation portée par l’OHMI sur les éléments présentés par le demandeur (voir arrêt du 5 juillet 2011, Edwin/OHMI, C263/09 P, non encore publié au Recueil, point 52).
67 Certes, par analogie avec l’arrêt Schräder/OCVV, précité, le Tribunal peut reconnaître à l’OHMI, notamment lorsque ce dernier est appelé à procéder à des évaluations hautement techniques, une certaine marge d’appréciation et se limiter, en ce qui concerne la portée de son contrôle sur les décisions de la chambre de recours en matière de modèles ou dessins industriels, à un examen des erreurs manifestes d’appréciation.
68 Toutefois, il convient d’observer que le Tribunal, dans les circonstances spécifiques de cette affaire, n’est pas allé au-delà d’un contrôle de la décision litigieuse correspondant au pouvoir de réformation dont il bénéficie en vertu de l’article 61 du règlement n° 6/2002.
69 Dès lors, il y a lieu de rejeter la troisième branche du moyen unique comme non fondée.
Sur la quatrième branche du moyen unique, relative au contrôle effectué sur les produits plutôt que sur les dessins en cause
Argumentation des parties
70 PepsiCo considère qu’il est erroné de fonder l’évaluation des modèles ou dessins en conflit sur une comparaison d’échantillons de produits réels présentés par les parties pour illustrer leurs propos. En particulier, l’OHMI n’aurait nullement besoin, dans le cadre de pareils recours en déclaration de nullité, d’anticiper d’éventuelles actions parallèles ou futures en contrefaçon fondées sur le même dessin ou modèle antérieur et le même dessin ou modèle plus récent tels qu’ils sont utilisés sur le marché.
71 Grupo Promer rappelle que les échantillons de produits auraient également été examinés par la division d’annulation et par la chambre de recours. Par conséquent, l’appréciation portée par le Tribunal sur l’ensemble des éléments de preuve déjà versés au dossier serait une question de fait qui ne pourrait fonder un moyen de pourvoi devant la Cour.
Appréciation de la Cour
72 Il y a lieu de relever que, au point 83 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a affirmé que son appréciation sur le degré de convexité des modèles en cause est «confirm[ée par] les produits réellement commercialisés, tels qu’ils figurent dans le dossier de l’OHMI transmis au Tribunal».
73 Toutefois, dans la mesure où, en matière de dessins ou modèles, la personne qui procède à la comparaison est un utilisateur averti qui, ainsi qu’il a été constaté aux points 53 et 59 du présent arrêt, se distingue du simple consommateur moyen, il n’est pas erroné de prendre en compte, lors de l’évaluation de l’impression globale des dessins ou modèles en cause, les produits effectivement commercialisés et correspondant à ces dessins ou modèles.
74 En toute hypothèse, il résulte de l’utilisation du verbe «confirmer» au point 83 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a en réalité fondé ses appréciations sur les modèles ou dessins en conflit tels que décrits et représentés dans les demandes d’enregistrement respectives, de sorte que la comparaison des produits réels a été utilisée seulement à titre illustratif pour confirmer les conclusions déjà tirées et ne saurait être considérée comme représentant le fondement de la motivation de l’arrêt attaqué.
75 Ainsi, la quatrième branche du moyen unique doit être rejetée comme non fondée.
Sur la cinquième branche du moyen unique, relative à une prétendue dénaturation des faits
Argumentation des parties
76 PepsiCo, soutenue par l’OHMI, fait valoir une dénaturation des faits par le Tribunal en considérant, notamment, qu’il est irréaliste et contraire à l’expérience commune de présumer que l’utilisateur averti limiterait sa perception de l’objet considéré à la seule «vue de dessus». En outre, même en examinant les dessins ou modèles en cause de dessus et à plat, les différences qui les séparent seraient immédiatement perceptibles.
77 Grupo Promer considère que la prétendue dénaturation des faits soutenue sans faire mention d’une dénaturation de l’appréciation des éléments de preuve représente un argument non susceptible de fonder un pourvoi devant la Cour. Cette appréciation des faits et des preuves ne constituerait pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments qui lui ont été soumis, une question de droit soumise, en tant que telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.
Appréciation de la Cour
78 La Cour a déjà jugé que, compte tenu de la nature exceptionnelle d’un grief de dénaturation, les articles 256 TFUE, 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et 112, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), du règlement de procédure de la Cour imposent en particulier à un requérant d’indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par le Tribunal et de démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit celui-ci à cette dénaturation (voir, en ce sens, arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./ Commission, C204/00 P, C205/00 P, C211/00 P, C213/00 P, C217/00 P et C219/00 P, Rec. p. I123, point 50).
79 Une telle dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 18 décembre 2008, Les Éditions Albert René/OHMI, C16/06 P, Rec. p. I10053, point 69 et jurisprudence citée).
80 En l’occurrence, PepsiCo reproche, en substance, au Tribunal d’avoir dénaturé les faits en comparant les dessins ou modèles en cause au regard de leur seule perception «du dessus», ignorant ainsi les différences qui seraient évidentes lorsqu’ils seraient perçus de profil. Ce faisant, PepsiCo n’indique pas de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par le Tribunal ni ne démontre les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation.
81 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que les arguments avancés par la requérante à ce sujet ne satisfont pas aux exigences imposées par la jurisprudence précitée. Partant, la cinquième branche du moyen unique doit être rejetée comme irrecevable.
82 La requérante ayant succombé en toutes les branches de son moyen unique, il convient de rejeter le pourvoi dans son ensemble.
Sur les dépens
83 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Grupo Promer ayant conclu à la condamnation de PepsiCo et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête:
1) Le pourvoi est rejeté.
2) PepsiCo Inc. est condamnée aux dépens.