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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 7 septembre 2011, n° 09/04077

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Banque Populaire Occitane

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cousteaux

Conseillers :

M. Roger, Mme Croisille Cabrol

Avocats :

Me de Lamy, SCP Nidecker Prieu Jeusset, Me Palaysi

T. com. Toulouse, du 17 juin 2009, n° 20…

17 juin 2009

FAITS ET PROCEDURE

La société AIR CONNECT exploitait un fonds de commerce de logiciels Telecom depuis le 19 octobre 2004 sous la direction de son gérant M. LE RUE.

Le 31 juillet 2007, la société AIR CONNECT a émis un billet à ordre d'un montant de 20.000 € en faveur de la BANQUE POPULAIRE OCCITANE ; M. LE RUE et M. C. se sont ... du billet à ordre. Le 10 septembre 2007, le billet à ordre est arrivé à échéance sans que celui ci ne soit honoré.

Le 26 septembre 2007, la société AIR CONNECT a été placée en redressement judiciaire par le Tribunal de Commerce de TOULOUSE ; le 13 novembre 2007, la BPO a déclaré sa créance entre les mains de Me VINCENEUX à hauteur de 59.823,07 € dont 20.000 € au titre du billet à ordre. La procédure a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 3 avril 2008.

Entre temps, par LRAR du 29 octobre 2007, la BPO a mis en demeure MM. L. et C. de régulariser la situation en tant qu'avalistes du billet à ordre.

Cette mise en demeure étant restée infructueuse, par acte d'huissier des 30 novembre 2007 et 3 décembre 2007, la BPO a fait assigner MM. L. et C. en paiement de la somme due de 20.000 € et de dommages intérêts de 2.000 € pour résistance abusive.

Par jugement du 17 juin 2009, le Tribunal de Commerce de TOULOUSE a :

- condamné MM. L. et C., en tant qu'avalistes du billet à ordre, à payer conjointement et solidairement à la BPO la somme de 20.000 € avec intérêts au taux légal à compter du 10 septembre 2007 ;

- débouté MM. L. et C. de l'ensemble de leurs demandes à l'encontre de la BPO ;

- débouté la BPO du surplus de ses demandes ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

- condamné MM. L. et C. à payer conjointement et solidairement à la BPO la somme de 800 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- condamné MM. L. et C. aux entiers dépens.

Par déclaration en date du 6 août 2009, MM. L. et C. ont relevé appel du jugement.

MM. L. et C. ont déposé des conclusions le 3 décembre 2009.

La BPO a déposé des conclusions le 11 mars 2010.

La clôture a été fixée au 16 novembre 2010.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

MM. L. et C. font valoir que, selon une jurisprudence constante du 20 mars 1882, les avalistes d'un billet à ordre peuvent opposer au bénéficiaire de ce billet tous les moyens de défense que la société émettrice (AIR CONNECT) pouvait elle-même opposer à la BPO. Ils visent trois fautes de la BPO :

- des financements inadaptés accordés à AIR CONNECT par le biais de deux prêts dits personnels souscrits en avril 2005 par MM. L. et C. pour 21.000 € chacun : en réalité, ces prêts, qualifiés de professionnels par la BPO elle-même dans ses conclusions de 1e instance, visaient à contourner l'insolvabilité d'AIR CONNECT et son absence de garantie et les fonds prêtés n'ont pas profité à MM. L. et C. mais ont servi d'apports à la société ; la BPO s'est ainsi immiscée dans la gestion d'AIR CONNECT et a dévoyé les prêts à la consommation ;

- la BPO a financé l'activité déficitaire de la société AIR CONNECT : à partir du 5 avril 2006, le compte courant de la société est devenu constamment débiteur sans découvert autorisé ; le 2 mai

2005, la banque a accepté l'émission du billet à ordre qui sera créé le 31 juillet 2007, avant de rompre tous ses concours le 3 juillet 2007 ;

- la BPO n'a pas respecté son devoir de mise en garde et de conseil à l'égard de M. C., qui n'était pas dirigeant de la société, sur les risques d'endettement qu'il prenait en qualité d'avaliste d'un billet à ordre d'un montant important (20.000 €) compte tenu de ses capacités financières qui étaient nulles, et ce d'autant que cet aval s'ajoutait à des précédents engagements (compte de dépôt débiteur à la BPO pour 13.547,48 € au 23 juillet 2007 et prêt à la consommation impayé pour 10.449,96 €, ayant fait l'objet d'une assignation devant le Tribunal d'Instance de TOULOUSE) ; la situation financière de M. LE RUE n'était pas plus favorable ; la banque a donc engagé sa responsabilité envers MM. C. et L. en leur faisant souscrire des engagements disproportionnés à leur capacités contributives.

Ils demandent, au visa des articles L 650-1 du Code de Commerce et 1382 du Code Civil :

- l'infirmation du jugement ;

- la condamnation de la BPO à leur verser les sommes suivantes :

* 20.000 € de dommages intérêts, outre les intérêts à compter de l'arrêt à intervenir ;

* à chacun, 1.500 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- la condamnation de l'intimée aux dépens, dont distraction au profit de la SCP d'avoués.

La BPO fait valoir :

- l'irrecevabilité de l'action en responsabilité pour soutien abusif engagée par les appelants aux motifs de :

* l'autorité de la chose jugée suite à la déclaration de créance au passif de la société AIR CONNECT (admission de créance par le juge commissaire et impossibilité pour les avalistes de soulever une des exceptions inhérentes à la créance) ;

* le fait que l'engagement du donneur d'aval est soumis au droit cambiaire et notamment au principe de l'inopposabilité des exceptions en application des articles L 512-4, L 511-12 et L 511-21 du Code de Commerce et considérant que MM. L. et C. sont dirigeants de la société ;

* l'absence de soutien abusif, et ce d'autant plus qu'il s'agit d'appliquer les dispositions de l'article L 650-1 du Code de Commerce et de rapporter la preuve d'une fraude, d'une immixtion caractérisée ou encore de garanties disproportionnées ; l'immixtion de la banque, qui ne pouvait pas empêcher la société d'émettre un billet à ordre, n'est pas établie, les virements de 20.000 € sur le compte de la société ayant été effectués à la demande des dirigeants et l'affectation des prêts personnels en apports à la société relevant de la seule décision des personnes concernées, d'autant que M. LE RUE avait une parfaite connaissance de la situation financière de la société qu'il dirigeait ; enfin, aucune responsabilité bancaire ne peut être recherchée en raison du maintien d'un découvert en compte courant, dans la mesure où des crédits réguliers ont permis à la société d'amortir le solde débiteur ;

- l'absence de manquement à une obligation de mise en garde envers M. C. : la BPO n'a aucun « droit de regard ou de conseil » à l'égard des avalistes d'un billet à ordre, et n'a un devoir de mise en garde qu'à l'égard de la caution non avertie, ce qui n'était le cas ni de M. LE RUE, gérant, ni de M. C., directeur commercial de la société et directement intéressé à la gestion, et qui s'est présenté comme dirigeant et cofondateur de la société ; en outre, aucun préjudice n'est démontré.

Elle demande, au visa des articles L 511-12, L 511-21, L 512-4 et L 650-1 du Code de Commerce :

- la confirmation du jugement sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages intérêts ;

- le rejet des demandes des appelants ;

- la condamnation conjointe et solidaire des appelants à lui payer les sommes suivantes :

* 2.000 € de dommages intérêts pour résistance abusive ;

* 2.000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- la condamnation des appelants aux dépens, dont distraction au profit de la SCP d'avoués.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'aval :

L'aval est l'engagement personnel pris sous la forme cambiaire de payer à l'échéance un effet de commerce à son porteur à la place du débiteur principal défaillant ; il s'agit d'un cas particulier de cautionnement solidaire.

MM. L. et C. entendent engager la responsabilité de la banque pour s'opposer au paiement du billet à ordre et solliciter des dommages intérêts, d'une part pour soutien abusif et d'autre part pour manquement au devoir de conseil du fait d'avals disproportionnés aux capacités financières.

Sur la responsabilité pour soutien abusif :

Dans le cadre d'une procédure collective, la responsabilité du banquier pour soutien abusif doit nécessairement s'apprécier au visa de l'article L 650-1 du Code de Commerce disposant que « lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci ; pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge ». Il appartient donc à celui qui entend mettre en oeuvre la responsabilité du banquier d'établir la fraude, l'immixtion ou l'existence de garanties disproportionnées aux concours.

La BPO estime que l'action de MM. L. et C. est irrecevable en raison de l'autorité de la chose jugée qui s'attache à l'admission de la créance lors de la procédure collective et de l'inopposabilité des exceptions cambiaires. Néanmoins :

- la BPO ne produit pas l'ordonnance du Juge Commissaire admettant sa créance ; en toute hypothèse, lorsqu'une créance a été irrévocablement admise au passif, si la chose jugée s'oppose à ce que l'avaliste réclame la nullité du billet à ordre ou remette en cause le montant de l'obligation principale, en revanche elle n'interdit pas à l'avaliste d'opposer au créancier les exceptions personnelles ; or, la mise en jeu de la responsabilité de la banque sur le fondement de l'article L 650-1 du Code de Commerce ne vise pas à annuler le billet à ordre mais à annuler l'aval ; il s'agit donc bien d'une exception personnelle ;

- si, en vertu des articles L 511-12 et L 511-21 du Code de Commerce, l'engagement de l'avaliste est soumis au droit cambiaire et au principe de l'inopposabilité des exceptions, l'avaliste conserve contre le bénéficiaire du billet à ordre un recours fondé sur la responsabilité du bénéficiaire en réparation du préjudice personnel dont il se prévaut en raison d'un soutien abusif donné au souscripteur du billet.

Il en résulte que l'action des avalistes est recevable.

En revanche, sur le bien-fondé de l'action : M. LE RUE était le gérant d'AIR CONNECT. M. C. était son fondateur et se présentait comme son dirigeant sur son site Internet ; la banque affirme qu'il était directeur commercial, ce qu'il nie, sans toutefois préciser quelles étaient ses fonctions au sein de la société ; il convient dès lors d'estimer qu'ils étaient tous deux des avalistes avertis ; ils ne pourraient donc engager la responsabilité de la banque pour soutien abusif qu'en démontrant que la banque disposait d'informations qu'eux-mêmes ignoraient. Or :

- ils connaissaient évidemment l'existence des deux prêts de 21.000 € qualifiés de personnels, qu'ils avaient eux-mêmes souscrits en leur nom propre ; ils n'ignoraient pas non plus que les capitaux prêtés ne leur avaient pas profité personnellement, mais avaient servi à financer des apports à la société, affectation qu'ils avaient eux-mêmes demandée, la banque étant tenue d'exécuter leur demande de virement sauf à s'immiscer dans les affaires de ses clients ;

- les appelants ne prétendent pas avoir ignoré la mauvaise situation financière d'AIR CONNECT (compte de la société constamment débiteur depuis avril 2006, état de cessation des paiements à compter du 18 juin 2007 déclaré par le Tribunal de Commerce, rupture des concours par la BPO par LRAR du 3 juillet 2007), ni ne prétendent que la BPO disposait d'informations supplémentaires ; cette connaissance n'a pas empêché, le 31 juillet 2007, M. LE RUE, ès qualité de gérant d'AIR CONNECT, de signer le billet à ordre, ni MM. L. et C. de signer l'aval.

Il convient donc de dire que les appelants sont mal fondés à exercer une action en responsabilité sur ce fondement.

Sur la responsabilité pour manquement au devoir de mise en garde sur les risques d'endettement et le caractère disproportionné des avals au regard de leurs capacités financières :

MM. L. et C. ne se placent pas sur le terrain de l'article L 341-4 du Code de la Consommation, qui ne s'applique pas à l'aval.

Sur le terrain de la responsabilité civile de droit commun, sur lequel se placent les avalistes : l'avaliste est tiers à la relation entre le souscripteur et le bénéficiaire du billet à ordre et par conséquent le créancier, fût-il établissement de crédit, n'a pas d'obligation d'information concernant le caractère manifestement disproportionné de l'engagement de l'avaliste. MM. L. et C. ne peuvent donc pas mettre en jeu la responsabilité de la BPO pour manquement à un devoir de mise en garde et seront déboutés de leur demande.

Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné solidairement MM. L. et C. à payer à la BPO la somme de 20.000 € au titre de l'aval, avec intérêts au taux légal à compter de l'échéance du 10 septembre 2007 (en application des articles L 511-45 et L 512-3), et débouté MM. L. et C. de leur demande en dommages intérêts.

Sur les dommages intérêts pour résistance abusive :

Le jugement, qui a débouté la banque de sa demande de ce chef en relevant qu'elle ne justifiait pas de son préjudice, sera confirmé sur ce point.

Sur l'article 700 du Code de Procédure Civile et les dépens :

Le jugement, en ce qu'il a condamné MM. L. et C., qui succombent au principal, à une indemnité de 800 € au titre de l'article 700 ainsi qu'aux dépens de première instance, sera confirmé. Ils devront aussi assumer les dépens d'appel et seront évidemment déboutés de leur demande au titre de l'article 700 ; l'équité commande de ne pas allouer à la banque une indemnité supplémentaire pour les frais exposés en appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement du Tribunal de Commerce de TOULOUSE du 17 juin 2009 en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant :

Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Code de Procédure Civile pour les frais irrépétibles exposés en appel ;

Condamne solidairement MM. L. et C. aux dépens d'appel ;

Autorise les avoués de la cause à recouvrer directement les dépens d'appel dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu de provision conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.