Cass. 3e civ., 8 février 2023, n° 21-18.749
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
Mme Abgrall
Avocats :
Me Bertrand, SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Piwnica et Molinié
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° P 21-18.749 et R 21-20.223 sont joints.
Désistement partiel
2. Il est donné acte à la société APHP du désistement de son pourvoi n° R 21-20.223 en ce qu'il est dirigé contre M. [T].
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 29 avril 2021), par arrêté du 2 février 1988, publié au service de la conservation des hypothèques le 21 septembre 1988, la Société immobilière et agricole de la Grande-Terre (la SIAGAT), a été autorisée par le maire de la commune de Saint-François à lotir un terrain lui appartenant pour créer le lotissement « Village Sainte-Marthe », comportant vingt-quatre lots et une voie, les vingt-cinq parcelles ainsi constituées ayant été numérotées AZ n° [Cadastre 4] à AZ n° [Cadastre 6].
4. Par acte du 3 octobre 2009, reçu par M. [V], notaire, la SIAGAT a vendu à la société APHP la parcelle cadastrée AZ n° [Cadastre 5].
5. Par acte du 3 janvier 2013, la société APHP a assigné l'association syndicale libre du [Adresse 3] (l'ASL) qui soutenait être propriétaire de cette parcelle, partie commune du lotissement, en confirmation de son acte de vente et constatation de l'obtention d'une autorisation pour y entreprendre des travaux.
6. L'ASL a assigné en intervention forcée la SIAGAT et M. [V].
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal de la SIAGAT et sur le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi de la société APHP, ci-après annexés
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal de la SIAGAT, sur le premier moyen du pourvoi incident de M. [V] et sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi de la société APHP, rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé du moyen
8. Par son premier moyen, la SIAGAT fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir de l'ASL, alors « que le juge ne peut dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que le procès-verbal de l'assemblée générale de l'ASL du [Adresse 3] du 11 octobre 2009 s'intitule « Procès-verbal de l'assemblée générale constitutive de l'association du [Adresse 3] » et se donne pour objet de « défendre les intérêts des co-propriétaires de l'association du [Adresse 3] à [Localité 9] », la déclaration régularisée par la suite auprès de la sous-préfecture de Pointe-à-Pitre faisant bien état d'une « création » de l'ASL ; qu'en considérant que l'assemblée générale du 11 octobre 2009 avait pour objet une simple modification des statuts de l'association, laquelle préexistait à cette modification, quand cette assemblée générale avait expressément pour objet la création de l'association, la cour d'appel a dénaturé le sens du procès-verbal litigieux, en violation du principe susvisé. »
9. Par son premier moyen, M. [V] fait le même grief à l'arrêt, alors « que le juge ne peut dénaturer les documents de la cause ; que le procès-verbal de l'assemblée générale de l'ASL du [Adresse 3] du 11 octobre 2009 s'intitule « Procès-verbal de l'assemblée générale constitutive de l'association du [Adresse 3] » dont l'objet est de « défendre les intérêts des copropriétaires de l'association du [Adresse 3] à [Localité 9] », la déclaration régularisée par la suite auprès de la sous-préfecture de Pointe-à-Pitre faisant état d'une « création » de l'ASL ; qu'en considérant que l'assemblée générale du 11 octobre 2009 avait pour objet une simple modification des statuts de l'association, laquelle aurait préexisté à cette modification, quand il s'évince des termes clairs du procès-verbal que cette assemblée générale avait pour objet la création de l'association, la cour d'appel l'a dénaturé, en violation du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause. »
10. Par son moyen, pris en sa première branche, la société APHP fait grief à l'arrêt de constater que l'ASL est propriétaire de la parcelle AZ n° [Cadastre 5], d'ordonner sa restitution et de la condamner à procéder à sa remise en état avant restitution, alors « que le procès-verbal « de l'assemblée générale constitutive de l'association du [Adresse 3] », relatait que « L'assemblée générale constitutive de l'Association du [Adresse 3] (ALVSM) a eu lieu le dimanche 11 octobre 2009 au siège de l'association? » ; qu'en énonçant que « dans ces conditions, l'association Syndicale Libre du [Adresse 3] n'est pas une nouvelle personne morale qui aurait été créée par statuts du 11 octobre 2009, mais est bien l'association syndicale libre initiale, sa dénomination ayant fait l'objet d'une modification lors de l'assemblée générale du 11 octobre 2009, déclarée à la sous-préfecture de Pointe-à-Pitre le 18 novembre 2009 et publiée au journal officiel le 9 janvier 2010 », la cour d'appel a dénaturé le procès-verbal de l'assemblée générale constitutive de l'association et violé l'article 1103 du code civil ensemble le principe selon lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer le document qui lui est soumis. »
Réponse de la Cour
11. La cour d'appel a constaté que l'ampliation du 30 mai 1988 de l'arrêté municipal du 2 février 1988 autorisant le lotissement de son terrain par la SIAGAT et comprenant, en annexe, une note préliminaire, le projet de statuts de l'association syndicale et le cahier des charges du lotissement, avait été publiée au bureau des hypothèques le 21 septembre 1988.
12. Elle a relevé, d'une part, que l'article 1er des statuts initiaux de 1988 prévoyaient qu'il était « formé une Association Syndicale Libre » et que cette association existerait entre les propriétaires des terrains dépendant du lotissement à créer par la SIAGAT, d'autre part, que l'article 2 de ces statuts prévoyait que tout propriétaire, pour quelque cause que ce soit, d'un lot divis du lotissement serait membre de l'association et que l'adhésion à l'association et le consentement écrit dont fait état l'article 5 de la loi du 21 juin 1865 résulteraient soit de la participation du ou des propriétaires à l'acte portant constitution de l'association et à l'établissement des statuts, soit de tout acte de mutation des terrains intervenant entre les propriétaires précédemment visés, et tous acquéreurs.
13. Elle a pu en déduire que l'association syndicale libre du [Adresse 3] avait pris naissance à partir de la vente du premier lot, le 31 juillet 1989, intervenue entre le lotisseur et M. [T], lequel a déclaré dans son acte avoir reçu une copie de l'arrêté d'autorisation du lotissement, le règlement dudit lotissement et une copie des statuts de l'association syndicale.
14. Puis, ayant constaté que l'association syndicale libre du [Adresse 3] n'avait jamais été dissoute et qu'elle avait le même périmètre foncier que l'association qui s'est réunie en assemblée générale le 11 octobre 2009, elle a souverainement déduit de l'ensemble de ces éléments, sans dénaturation, que, malgré les termes d'« assemblée générale constitutive » mentionnés dans le procès-verbal de cette assemblée générale, cette association n'était pas une nouvelle personne morale créée à cette date, mais l'association syndicale libre initiale qui avait mis ses statuts en conformité avec l'ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 et les avaient déclarés à la sous-préfecture de Pointe-à-Pitre le 18 novembre 2009 et publiés le 9 janvier 2010, ce qui lui avait permis de recouvrer le droit d'agir en justice, de sorte que l'ASL avait qualité et intérêt à agir.
15. Les moyens ne sont donc pas fondés.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal de la SIAGAT et sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi incident de M. [V], rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé du moyen
16. Par leur deuxième moyen, la SIAGAT et M. [V] font grief à l'arrêt de constater que l'ASL est propriétaire de la parcelle AZ n° [Cadastre 5] et d'ordonner sa restitution à l'ASL, alors « que les actes et décisions judiciaires soumis à publicité sont, s'ils n'ont pas été publiés, inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble, ont acquis, du même auteur, des droits concurrents en vertu d'actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité et publiés ; que dans ses conclusions d'appel, la société SIAGAT faisait valoir qu'aucune publication d'un transfert de propriété relative à la parcelle litigieuse n'avait été effectuée à la Conservation des hypothèques, ce qui avait autorisé Maître [V], notaire, à recevoir l'acte de vente de la parcelle à la société APHP ; qu'en se bornant à affirmer que la seule publication du cahier des charges du lotissement prévoyant une dévolution à terme de la parcelle litigieuse à l'ASL du [Adresse 3] suffisait à rendre opposable aux tiers la cession à intervenir, quand cette opposabilité aux tiers de la cession de la parcelle AZ [Cadastre 5] au profit de l'ASL n'était pas assurée en l'absence d'une mesure de publicité portant spécifiquement sur cette cession, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 30 du décret du 4 janvier 1955, portant réforme de la publicité foncière, ensemble l'article 1165 ancien du code civil, applicable en l'espèce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 30, 1, alinéa 1er, du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 :
17. Selon ce texte, les actes et décisions judiciaires soumis à publicité par application du 1° de l'article 28 sont, s'ils n'ont pas été publiés, inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble, ont acquis, du même auteur, des droits concurrents en vertu d'actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité et publiés, ou ont fait inscrire des privilèges ou des hypothèques.
18. Pour dire l'ASL propriétaire de la parcelle cadastrée AZ n° [Cadastre 5] et ordonner sa restitution, l'arrêt retient que cette parcelle correspond à un espace vert du lotissement selon le plan parcellaire annexé à l'arrêté municipal du 8 février 1988, espace qui constitue une parcelle commune aux termes des statuts de l'ASL, que le transfert de propriété des choses communes d'un lotissement peut résulter des énonciations des documents de ce lotissement sans que soit nécessaire l'établissement d'un acte de transfert effectif de propriété, que, dès lors, quand bien même l'article 7 des statuts de l'ASL prévoit que l'acte de dévolution des équipements et terrains communs revêtira la forme notariée, la propriété de la parcelle en cause a été valablement transférée à l'ASL par application du cahier des charges et des statuts publiés au bureau des hypothèques le 21 septembre 1988.
19. En statuant ainsi, alors que, si le transfert de la propriété des choses communes d'un lotissement au profit de l'ASL constituée sur son périmètre peut résulter des seules stipulations du cahier des charges de ce lotissement et des statuts de l'ASL, ce transfert n'est opposable aux tiers à ces actes que s'il a fait l'objet d'un acte publié au service chargé de la publicité foncière de la situation des immeubles, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le troisième moyen du pourvoi principal de la SIAGAT et sur le troisième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident de M. [V], rédigés en termes identiques, réunis
Enoncé du moyen
20. Par leur troisième moyen, la SIAGAT et M. [V] font grief à l'arrêt de les condamner in solidum à payer à l'ASL une somme à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, alors « que la cassation qui sera prononcée sur l'un des deux moyens de cassation, principal et subsidiaire, entraînera, par voie de conséquence, la censure de l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné in solidum la société SIAGAT et M. [Z] [V] à payer à l'ASL du [Adresse 3] la somme de 30 000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
21. Selon ce texte, la portée de la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
22. La cassation des chefs de dispositif constatant que l'ASL est propriétaire de la parcelle AZ n° [Cadastre 5] et ordonnant sa restitution à l'ASL entraîne, par voie de conséquence, celle du chef de dispositif condamnant in solidum la SIAGAT et M. [V] à payer à l'ASL des dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
Portée et conséquences de la cassation
23. La cassation de l'arrêt des chefs du dispositif constatant que l'ASL est propriétaire de la parcelle AZ n° [Cadastre 5] et en ordonnant la restitution profitera à la société APHP qui s'est associée au deuxième moyen des pourvois de la SIAGAT et de M. [V] dans le délai légal.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il,
- constate que l'association syndicale libre du [Adresse 3] est propriétaire de la parcelle cadastrée AZ n° [Cadastre 5] lieudit [Adresse 3],
- ordonne la restitution de cette parcelle par la société APHP à l'association syndicale libre du [Adresse 3],
- condamne la société APHP à procéder à ses frais, avant cette restitution, à la remise en état de la parcelle,
- condamne in solidum la SIAGAT et M. [V] à payer à l'association syndicale libre du [Adresse 3] la somme de
30 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- condamne in solidum la SIAGAT et M. [V] à payer à l'association syndicale libre du [Adresse 3] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne les mêmes et la société APHP au entiers dépens,
l'arrêt rendu le 29 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre autrement composée.