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Décisions

Cass. com., 28 juin 2023, n° 21-16.940

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Sudeco (Sté)

Défendeur :

Securitas France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Michel-Amsellem

Avocat général :

M. Douvreleur

Avocats :

SCP Claire Leduc et Solange Vigand, SAS Buk Lament-Robillot

TGI Paris, du 3 juill. 2018

3 juillet 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 février 2021), le 27 septembre 2012, le syndicat des copropriétaires du centre commercial de [Localité 5] (le syndicat), représenté par son syndic, la société Sudeco, a conclu avec la société Securitas France (la société Securitas) un contrat par lequel celle-ci était chargée de la mise en œuvre des prestations de sécurité incendie, surveillance et gardiennage de son site.

2. Ce contrat prévoyait qu'il devait prendre effet le 3 octobre 2012, pour une durée d'un an tacitement reconductible pour une période indéterminée. Il pouvait ensuite être résilié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en respectant un préavis de trois mois.

3. Soutenant que la société Sudeco avait, au nom du syndicat, par lettre du 9 mars 2015, résilié le contrat à compter du 13 avril suivant, la société Securitas les a assignés en réparation pour non-respect du préavis contractuel et rupture brutale d'une relation commerciale établie.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Le syndicat fait grief à l'arrêt de dire qu'il a rompu brutalement la relation commerciale établie avec la société Securitas et, en conséquence, de le condamner à lui payer la somme de 6 000 euros de dommages et intérêts, alors « que la qualité de commerçants des membres d'un syndicat de copropriétaires ne fait pas perdre sa personnalité civile à ce dernier ni conférer une nature commerciale à la relation contractuelle qu'il entretient avec un prestataire de services, au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ; qu'en retenant néanmoins que c'est dans l'intérêt de l'exploitation des établissements de chacun des commerçants des membres du syndicat de copropriétaires que les prestations de services de la société Securitas ont été souscrites, pour juger que la relation de ce syndicat avec la société Securitas était commerciale au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce et le condamner à indemniser sa rupture brutale, sans constater que le syndicat, doté de la personnalité civile et chargé de la gestion de l'immeuble, aurait lui-même une activité économique de production, de distribution ou de services, la cour d'appel a violé la disposition légale précitée, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, ensemble l'article 14 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte de l'article L. 410-1 du code de commerce, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021, que les règles définies au livre IV de ce code s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services.

6. Après avoir relevé que la société Securitas avait conclu avec le syndicat des copropriétaires commerçants du centre commercial de [Localité 5] un contrat pour la sécurité incendie, la surveillance et le gardiennage de son site, l'arrêt retient que ce syndicat a agi dans l'intérêt de l'exploitation des établissements commerciaux de chacun de ses membres et en déduit que la nature civile de sa personnalité ne fait pas écran à la nature commerciale de la relation des parties au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable.

7. En l'état de ces constatations et appréciations, dont il résulte qu'il avait conclu un contrat ayant exclusivement pour objet d'assurer une prestation de service pour les besoins de l'activité commerciale de ses membres, la cour d'appel a exactement retenu que le syndicat, bien que de nature civile, avait entretenu une relation commerciale avec la société Securitas, entrant dans le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 5° précité.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

9. Le syndicat fait le même grief à l'arrêt, alors « que seul le préjudice causé par le caractère brutal de la rupture doit être indemnisé et non celui résultant de la rupture elle-même ; qu'en allouant des dommages et intérêts d'un montant de 6 000 euros à la société Securitas correspondant à la marge brute dont elle a été privée pendant la période d'insuffisance du préavis, l'indemnisant ainsi de la perte subie en raison de la rupture du contrat et non du préjudice causé par le caractère brutal de cette rupture, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce. »

Réponse de la Cour

10. Il résulte de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce que le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période.

11. Après avoir retenu, d'une part, que le syndicat avait brutalement rompu la relation commerciale qu'il entretenait avec la société Securitas depuis deux ans et demi, d'autre part, qu'au regard de cette durée, le préavis aurait dû être de quatre mois, l'arrêt en déduit à bon droit que l'assiette de l'indemnisation de la rupture brutale de cette relation commerciale ne pouvait comprendre l'équivalent du chiffre d'affaires qui aurait été réalisé pendant ces quatre mois, comme le prétend la société Securitas, mais celui de la marge brute, qu'il a évaluée au regard des éléments du dossier.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

13. Le syndicat fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la société Securitas la somme de 57 410,78 euros de dommages et intérêts pour non-respect du délai contractuel de préavis, alors « qu'il soutenait avoir respecté le délai de préavis prévu dans le contrat conclu avec la société Securitas, le 27 septembre 2012, en se prévalant expressément de sa production numéro 3, à savoir une lettre recommandée avec avis de réception du 29 décembre 2014 adressée à la société Securitas pour dénoncer la convention conclue entre eux pour son terme contractuel du 31 mars 2015 ; qu'en retenant que le délai contractuellement prévu n'avait pas été respecté après avoir relevé que le syndicat des copropriétaires soutenait avoir respecté ce délai en mettant aux débats un avis de réception du 31 mars 2014 dénonçant le contrat pour le centre commercial « Géant Casino Cap de Cres à Millau » , non celui conclu pour le centre commercial de [Localité 5], la cour d'appel a dénaturé les conclusions et les bordereaux de communication de pièces du syndicat, visant un courrier relatif au contrat qu'il avait lui-même conclu avec la société Securitas et non celui conclu pour le centre commercial de Cap de Cres avec cette société, en violation de l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

14. Pour condamner le syndicat à payer à la société Securitas une certaine somme à titre de dommages et intérêts pour n'avoir pas respecté le délai contractuel de préavis, l'arrêt, après avoir relevé que celui-ci n'avait produit qu'un avis de réception d'une lettre dénonçant à la société Securitas le contrat pour le centre commercial « Géant Casino Cap de Cres à [Localité 3] », retient que cette pièce ne permet pas d'établir que le contrat en cause, conclu pour des prestations au nom et au profit du centre commercial de [Localité 5], avait été régulièrement dénoncé dans le délai convenu entre les parties.

15. En statuant ainsi, alors que les conclusions du syndicat visaient une pièce n° 3 intitulée « LRAR du 29 décembre 2014 adressée par Sudeco ès qualité de syndic du Syndicat de copropriétaires du Centre commercial de Saint-Michel sur Orge, à la SARL Securitas dénonçant la convention pour son terme contractuel du 31 mars 2015, 2 feuillets », cette pièce étant mentionnée en tant que telle, d'une part, dans la liste des pièces visées figurant en annexe de ses conclusions, d'autre part, dans le « Bordereau récapitulatif des pièces communiquées à annexer aux dernières conclusions du 6 janvier 2021 », la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis de ces conclusions ainsi que, par omission, de ces bordereaux, a violé le principe susvisé.

Et sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

16. Le syndicat fait le même grief à l'arrêt, alors « que les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé ; qu'en allouant des dommages et intérêts d'un montant de 57 410,78 euros à la société Securitas correspondant au chiffre d'affaires dont elle a été privée durant deux mois en raison du non-respect du délai de préavis contractuel, quand le montant de l'indemnisation devait correspondre à la perte de marge brute subie par la société Securitas, soit à la différence hors taxe entre le prix de ses services et le coût de revient de ces services qu'elle n'avait finalement pas eu à supporter, le contrat n'ayant pas été exécuté pendant les deux mois en cause, la cour d'appel a violé l'article 1149 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (devenu l'article 1231-2 du même code). »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1149, devenu 1231-2, du code civil :

En application de ce texte, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé.

17. Pour fixer le montant des dommages et intérêts au paiement duquel le syndicat est condamné, pour le non-respect du délai de préavis contractuel, l'arrêt, après avoir relevé que la société Securitas a produit des factures des prestations qu'elle a réalisées pour le syndicat durant les trois mois qui ont précédé la rupture des relations contractuelles, retient qu'il doit lui être alloué, en réparation du préjudice subi, la somme correspondant au chiffre d'affaires qu'elle aurait perçu si elle n'avait pas été privée de deux mois de préavis.

18. En statuant ainsi, alors que le préjudice subi par la société Securitas en raison du non-respect du préavis contractuel consiste en la perte de la marge brute escomptée, dans les conditions précisées au paragraphe 10, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement en ses dispositions condamnant le syndicat des copropriétaires du centre commercial de [Localité 5] à payer à la société Securitas France la somme de 57 410,78 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du délai contractuel de préavis, l'arrêt rendu le 26 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris.