CA Montpellier, 5e ch. A, 13 juin 2013, n° 13/01124
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Arbuthnot Latham & CO (Sté)
Défendeur :
M. Gomez Dopico
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vouaux-Massel
Conseillers :
Mme Conte, M. Betous
Avocat :
SCP Gilles Argellies, Fabien Watremet
EXPOSE DU LITIGE
M. Ignacio GOMES DOPICO a conclu un contrat de prestation de services, le 30 juillet 2012, pour assurer le commandement du navire Mirabella III, dont le propriétaire est la société M3 MARINE LTD.
La société de droit anglais ARBUTHNOT LATHAM est créancière de la société M3 MARINE LTD au titre d'un prêt. Une procédure en paiement est pendante devant les juridictions anglaises.
Le 27 septembre 2012, la société ARBUTHNOT LATHAM a obtenu du Tribunal de commerce de Perpignan une ordonnance autorisant la saisie conservatoire du navire Mirabella III pour sûreté et garantie d'une somme de 4.400.000 euros. Le navire a fait l'objet d'un procès-verbal de saisie le 27 septembre 2012.
En l'état de cette saisie, M. Ignacio GOMES, capitaine du navire, se trouvant immédiatement débarqué, procédait à déclaration le 28 septembre 2012 entre les mains du greffier du Tribunal de commerce de Perpignan, et présentait au président de cette juridiction une requête pour obtenir sûreté à titre conservatoire sur le navire pour garantie d'une somme principale de 100.000 euros.
Par ordonnance du 15 octobre 2012, le Président du Tribunal de commerce de Perpignan autorisait M. GOMES à faire saisir conservatoirement le navire, mesure qui était exécuté à PORT VENDRES (66) suivant acte d'huissier en date du 2 novembre 2012.
Par acte d'huissier en date du 16 janvier 2013, la société ARBUTHNOT LATHAM a fait assigner M. Ignacio GOMES devant le Tribunal de commerce de Perpignan aux fins de faire prononcer la caducité de la saisie conservatoire du navire Mirabella III autorisée par ordonnance sur requête rendue le 15 octobre 2012 par le Tribunal de commerce de Montpellier au bénéfice de M. GOMES.
Par ordonnance en date du 4 février 2013, le Juge des référés du Tribunal de commerce de Perpignan a rendu la décision suivante :
« Écartons la note en délibéré, transmise par la société ARBUTHNOT LATHAM
Déclarons recevable mais infondée l'exception d'incompétence du juge saisi au profit du juge du fond, soulevée par M. Ignacio GOMES DOPICO,
Déboutons M. Ignacio GOMES DOPICO de sa demande concernant l'incompétence au profit du juge du fond,
Déclarons recevable et fondée l'exception d'incompétence du juge saisi au profit du Juge de l' exécution soulevée par M. Ignacio GOMES DOPICO,
Nous déclarons incompétent et renvoyons les parties à mieux se pourvoir au fond,
Allouons à M. Ignacio GOMES DOPICO la somme de 1.500 euros qui lui sera versée par la société ARBUTHNOT LATHAM,
Condamnons la société ARBUTHNOT LATHAM aux dépens de l'instance dans lesquels seront compris les frais et taxes y afférents et notamment ceux de greffe liquidé selon tarif en vigueur".
En l'état de cette ordonnance, un accord est intervenu entre les deux parties par lequel la société ARBUTHNOT a proposé la consignation volontaire sur un compte CARPA de la somme de 100.000 euros pour sûreté et garantie de la créance contre mainlevée de la saisie.
Par déclaration du 13 février 2013, la société ARBUTHNOT LATHAM interjette appel de l'ordonnance.
Par conclusions reçues par voie électronique le 26/04/2013, la société ARBUTHNOT LATHAM & CO, appelante, demande à la Cour de :
• Réformer l'ordonnance dont appel en toutes ses dispositions
En conséquence,
• Dire et juger caduque la saisie conservatoire du navire Mirabella III pour défaut de dénonce à son propriétaire M3 MARINE LTD et défaut d'assignation dans le délai d'un mois de la signification de la saisie.
Subsidiairement,
• Constater que M. GOMEZ DOPICO ne se prévaut d'aucune créance contre l'armateur propriétaire du navire Mirabella III et en conséquence, rétracter l'ordonnance sur requête du 15 octobre 2012
• Le condamner aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés par la SCP Argellies conformément à l'article 699 du Code de procédure civile et au paiement de la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
A l'appui de ses prétentions, la société ARBUTHNOT LATHAM & CO fait notamment valoir que :
• M. GOMES demande à la Cour de surseoir à statuer dans l'attente du jugement du Tribunal de commerce. Les deux procédures sont toutefois distinctes et indépendantes. L'issue de la procédure pendante devant le Tribunal de commerce de Perpignan est sans influence sur la présente procédure. La demande devra donc être rejetée ;
• La société ARBUTHNOT LATHAM est créancière de la société M3 MARINE LTD qui n'a pas remboursé le prêt qui lui a été consenti. la société ARBUTHNOT LATHAM & CO a donc saisi le navire Mirabella III, lequel a une valeur inférieure à la créance détenue par ARBUTHNOT LATHAM. Cette dernière a donc tout intérêt à conserver son gage en se substituant à M3 MARINE LTD et en contestant ainsi les saisies concurrentes.
ARBUTHNOT LATHAM est donc recevable à solliciter la rétractation de l'ordonnance sur requête ayant autorisé la saisie du navire par M. GOMES.
• Le premier juge s'est déclaré incompétent pour statuer sur la caducité de la saisie de M. GOMES au profit du Juge de l' exécution . Or la caducité est une mesure qui remet en cause la saisie elle-même et ressort donc de la compétence du Juge de la rétractation. De plus, contrairement à ce qu'a affirmé le Premier juge, M. GOMES n'a pas contesté que les délais de 8 jours pour dénoncer l'assignation et de 1 mois pour engager la procédure au fond n'avaient pas été respectés. Il n'y a donc pas difficulté d' exécution entrainant la compétence du Juge de l' exécution . Le premier juge était donc compétent pour statuer sur la caducité de la saisie.
• La caducité de la saisie de M. GOMES est encourue à deux égards :
- Selon les dispositions de l'article R522-5 du Code des procédures civiles d' exécution , M.GOMES devait dénoncer sa saisie à M3 MARINE LTD, propriétaire, dans les 8 jours du procès-verbal de saisie. Or la saisie n'a été notifiée qu'à ARBUTHNOT LATHAM et à M. Charles BUSHELL, préposé de ARBUTHNOT LATHAM, créancière de M3 MARINE LTD. Aucune signification régulière n'est donc intervenue auprès de M3 MARINE LTD.
- Selon les dispositions de l'article R 511-7 du Code des procédures civiles d' exécution , M.GOMES devait dans le mois de la saisie engager une procédure au fond ou accomplir les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire. L'assignation au fond a été signifiée à M3 MARINE LTD le 24 décembre 2012 (M. GOMES connaissait donc l'adresse de cette dernière et aurait donc pu lui dénoncer régulièrement la saisie). La saisie ayant été exécutée le 2 novembre 2012, M. GOMES n'a pas respecté le délai d'un mois, ce que ce dernier ne conteste pas. L'augmentation du délai prévue à l'article 643 du Code de procédure civile s'applique au délai de comparution et non pas d'assignation.
• M. GOMES est créancier de la société TBD et non pas de la société M3 MARINE LTD. Le contrat que M. GOMES produit pour attester de sa créance est un contrat conclu avec TBD, qui n'a jamais été propriétaire du navire Mirabella III, contrairement à la société M3 MARINE LTD qui en est la propriétaire depuis le 8 juillet 2010. Cette dernière n'est donc pas en cours de constitution à l'époque du contrat conclu avec la société TBD le 31 juillet 2012. De plus, les sommes réclamées par M. GOMES paraissent erronées, et l'authenticité même du contrat est contestée. Lorsque la créance est sérieusement contestable, la saisie doit être levée.
Par conclusions reçues par voie électronique le 25/04/2013, M. Ignacio GOMEZ DOPICO, intimé, demande à la Cour de :
• Ordonner le sursis à statuer dans l'attente du jugement à intervenir dans l'instance principale en délibéré au 27 mai 2013,
Subsidiairement,
• Dire et juger que la banque ARBUTHNOT est dépourvue de qualité dès lors que la saisie conservatoire a depuis longtemps été levée du chef du concluant,
• Constater pour le surplus que la banque ne sollicite rien du chef de la consignation volontaire par elle effectuée jusqu'à l'issue de la procédure,
• Débouter en conséquence la banque de ses demandes fins et conclusions,
Statuant reconventionnellement,
• La condamner à 3.000 euros à titre de dommages et intérêts et 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre aux entiers dépens.
A l'appui de ses prétentions, M. Ignacio GOMEZ DOPICO fait notamment valoir que :
• Dans le cadre de la procédure au fond, des questions seront tranchées, notamment sur le principe même de la créance de M. GOMES à l'encontre de la société M3 MARINE LTD ainsi que l'intérêt à agir de la société ARBUTHNOT LATHAM. Il est ainsi opportun de surseoir à statuer dans l'attente du jugement tranchant ces questions de fond ayant une incidence sur la présente procédure.
• En l'état de l'accord intervenu entre les parties, le navire n'est plus indisponible, du chef de M. GOMES. La consignation de la somme de 100.000 euros a été faite volontairement par la société ARBUTHNOT. Cette dernière n'a donc aucun intérêt à agir dans la procédure en cours.
• Toute discussion portant sur les conditions de notification des actes de saisie, de dénonce, voire d'assignation au fond, relève de la compétence exclusive du Juge de l' exécution et non de celle du Juge des référés du Tribunal de commerce.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de sursis à statuer
La demande de sursis à statuer formée par M. GOMEZ n'est pas justifiée, dès lors que l'issue de l'action en paiement qu'il a par ailleurs engagée à l'encontre de la société M3 MARINE Ltd ne peut avoir d'incidence sur la question de la validité de la mesure conservatoire, telle qu'elle est posée dans la présente instance, la société ARBUTHNOT LATHAM qui se substitue, afin de préserver son gage, à l'armateur défaillant, ayant invoqué la caducité de cette mesure conservatoire pour non-respect des délais de procédure . De même, cette société, en dépit de la consignation qui a été mise en place, conserve un intérêt à voir déclarer caduque ladite mesure conservatoire.
Sur la compétence du président du Tribunal de commerce et la validité de la mesure conservatoire
Aux termes des articles L.511-1 et L.511-3 du Code des procédures civiles d' exécution , l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire est donnée par le juge de l' exécution . Toutefois, elle peut être accordée par le président du tribunal de commerce lorsque, demandée avant tout procès au fond, elle tend à la conservation d'une créance relevant de la compétence de la juridiction commerciale.
Il s'ensuit que le président du Tribunal de commerce était bien compétent, en l'espèce, pour autoriser, à la requête de M. GOMEZ, une saisie conservatoire sur le navire dont la société la société M3 MARINE Ltd est le propriétaire.
Aux termes de l'article R.511-7 du Code des procédures civiles d' exécution , si ce n'est dans le cas où la mesure conservatoire a été pratiquée avec un titre exécutoire, le créancier doit, dans le mois qui suit l' exécution de la mesure, à peine de caducité, introduire une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l' exécution d'un titre exécutoire.
Or, il résulte des dispositions combinées des articles R.512-1 et R512-2 du Code des procédures civiles d' exécution , d'une part, que si les conditions prescrites aux articles R511-1 à 511-8 ne sont pas réunies, la mainlevée de la mesure peut être ordonnée à tout moment et, d'autre part, que la demande de mainlevée est portée devant le juge qui a autorisé la mesure.
Ainsi, c'est à bon droit que, pour faire constater la caducité de la mesure conservatoire, la société ARBUTHNOT LATHAM a fait assigner M. GOMEZ devant le président du Tribunal de commerce. C'est dès lors à tort que ce dernier s'est déclaré incompétent pour en connaître.
Or, alors qu'il est constant que la mesure conservatoire autorisée par le président du Tribunal de commerce a été exécutée suivant acte d'huissier en date du 2 novembre 2012, ce n'est que par acte d'huissier en date du 24 décembre 2012 que M. GOMEZ a transmis à l'entité significatrice de l'ILE DE MAN (U.K.), l'assignation au fond de la débitrice saisie, à savoir la société M3 MARINE LTD, dont le siège social est à DOUGLAS (ILE DE MAN), soit après l'expiration du délai d'un mois prévu à l'article R.511-7 du Code des procédures civiles d' exécution pour introduire une procédure en vue de l'obtention d'un titre exécutoire.
M. GOMEZ ne peut prétendre bénéficier de l'augmentation des délais, telle que prévue à l'article 643 du Code de procédure civile, alors que cette augmentation s'applique non pas au délai prévu pour signifier un acte, serait-ce à l'étranger, mais au délai de comparution de son destinataire, domicilié à l'étranger.
Il convient en conséquence de déclarer caduque la mesure conservatoire pratiquée le 2 novembre 2012 et d'en ordonner la mainlevée.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'une quelconque des parties.
DECISION
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Déclare l'appel recevable en la forme,
Rejette la demande de sursis à statuer formée par l'intimé ;
Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
Dit que le président du Tribunal de commerce de Montpellier était compétent pour connaître de la contestation élevée par la société de droit anglais ARBUTHNOT LATHAM & CO à la suite de la mesure conservatoire qu'il avait autorisée suivant ordonnance sur requête en date du 15 octobre 2012 ;
Constate la caducité de la saisie conservatoire que M. Ignacio GOMEZ DOPICO a fait pratiquer le 2 novembre 2012 sur le navire Mirabella III, propriété de la société M3 MARINE LTD ;
Ordonne en conséquence la mainlevée de ladite saisie conservatoire ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne M. Ignacio GOMEZ DOPICO aux dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP ARGELIES et WATREMET, avocat postulant par application de l'article 699 du Code de procédure civile.